Causalité incertaine et vraissemblance
en matière de responsabilité médicale

in La Responsabilité médicale
Bruylant, 2015, p. 507

V. Wester-Ouisse,
Actes du Colloque
GRERCA, Louvain, 13-14 septembre 2013

 

 

La notion de causalité est indifféremment utilisée lorsqu’on s’interroge sur les diverses origines possibles du dommage ou sur la responsabilité en cas de multiples responsables possibles. Afin de clarifier les propos au plan terminologique,
- On nommera causalité le lien de cause à effet entre le dommage et le fait générateur (faute ou fait d’une chose).
- On nommera imputation le lien entre la faute ou le fait d’une chose et le responsable dans la sphère d’autorité duquel la faute a été commise (par lui-même, un préposé, un enfant mineur…), ou la chose anormale dont il était gardien a produit le dommage .
Dans le domaine médical et de la santé, en cas de causes multiples, c’est parfois la causalité au sens strict qui pose question (I) et, dans d’autres occurrences, c’est l’imputation (II).

I - Incertitude et causalité

A – Incertitude causale et faisceaux de "présomptions graves précises et concordantes"

Cass. 1re civ. 25 juin 2009 :

En exigeant une preuve scientifique certaine quand le rôle causal peut résulter de simples présomptions, pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes, la cour d'appel a violé les textes

1 – En matière de produits défectueux

Cass. 1re civ., 9 juillet 2009 :
les études scientifiques versées aux débats par la société Sanofi Pasteur MSD n'ont pas permis de mettre en évidence une augmentation statistiquement significative du risque relatif de sclérose en plaque ou de démyélinisation après vaccination contre l'hépatite B, elles n'excluent pas, pour autant, un lien possible entre cette vaccination et la survenance d'une démyélinisation de type sclérose en plaque
Les premières manifestations de la sclérose en plaque avaient eu lieu moins de deux mois après la dernière injection du produit
Ni Mme X... ni aucun membre de sa famille n'avaient souffert d'antécédents neurologiques, dès lors aucune autre cause ne pouvait expliquer cette maladie, dont le lien avec la vaccination relevait de l'évidence selon le médecin traitant de Mme X..
Ces faits constituaient des présomptions graves, précises et concordantes, la CA a pu en déduire un lien causal entre la vaccination de Mme X..., et le préjudice subi par elle.

Cass. 1re civ., 26 septembre 2012 : en se déterminant ainsi, par une considération générale sur le rapport bénéfice/risque de la vaccination, après avoir admis, en raison de l'excellent état de santé antérieur de Jack X..., de l'absence d'antécédents familiaux et du lien temporel entre la vaccination et l'apparition de la maladie, qu'il existait des présomptions graves, précises et concordantes permettant de dire que le lien causal entre la maladie et la prise du produit était suffisamment établi, sans examiner si les circonstances particulières qu'elle avait ainsi retenues ne constituaient pas des présomptions graves, précises et concordantes de nature à établir le caractère défectueux des trois doses administrées à l'intéressé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision

Cass. 1re civ., 22 mai 2008, 05-20317, 06-10967 : si l'action en responsabilité du fait d'un produit défectueux exige la preuve du dommage, du défaut et du lien de causalité entre le défaut et le dommage, une telle preuve peut résulter de présomptions, pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes.
En se déterminant en référence à une approche probabiliste, déduite exclusivement de l'absence de lien scientifique et statistique entre vaccination et développement de la maladie, sans rechercher si les éléments de preuve qui lui étaient soumis constituaient, ou non, des présomptions graves, précises et concordantes du caractère défectueux du vaccin litigieux, comme du lien de causalité entre un éventuel défaut et le dommage subi par M. X, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Cass. 1re civ., 22 mai 2008, 06-14952 : en se déterminant ainsi tout en relevant que l'édition pour 1994 du dictionnaire Vidal mentionnait au titre des effets indésirables la survenue exceptionnelle de sclérose en plaques, de sorte qu'il lui incombait d'apprécier la relation causale prétendue entre le vaccin et l'aggravation de la maladie à l'époque du dernier rappel de vaccination, en recherchant si, à cette époque, la présentation du vaccin mentionnait l'existence de ce risque, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision .
Cass. 1re civ., 22 mai 2008, 05-10593 : aucune des études examinées par les experts judiciaires ou produites aux débats par les parties après le dépôt du rapport d'expertise n'avait conclu à un lien évident entre la vaccination et la pathologie dont souffre Mme Y... ; elle a pu en déduire l'absence de lien causal entre la maladie et la vaccination
06-18848 : Mme X... ne rapportait pas la preuve d'un lien causal entre l'injection qu'elle a reçue et l'apparition de la sclérose en plaques, excluant ainsi l'imputabilité de la maladie à la vaccination ; l'absence de certitude scientifique sur l'innocuité du vaccin n'emporte pas de présomption de défaut.

CE, 21 novembre 2012 ;

zyloric et le colchimax / Syndrome de Lyell :
Cass. 1e civ., 5 avril 2005
: le lien de causalité entre l'absorption du médicament et le dommage subi par M. X

- M. X... avait bien absorbé les médicaments litigieux qui lui avaient été prescrits ; qu'ensuite, en ayant relevé par motifs propres et adoptés que
- l'expert avait souligné que le lien entre l'absorption du médicament en cause et l'apparition du syndrome de Lyell était scientifiquement reconnu,
- M. X... avait développé ce syndrome dans un délai de 7 à 21 jours après l'administration du colchimax ce qui correspondait au délai habituellement constaté entre l'administration du produit et la survenance de l'effet toxique
- la cessation du trouble coïncidait avec l'arrêt de la prise du médicament,
- il n'était établi l'existence, ni d'une erreur de prescription, ni d'une prédisposition du patient à ce syndrome, ni d'une association avec d'autres médicaments

Isoméride :
Cass. 1re civ., 24 janvier 2006
: il existait des présomptions graves, précises et concordantes permettant, dans le cas de Mme Y..., d'imputer l'apparition de l'HTAPP à la prise d'Isoméride

- il ressortait des études épidémiologiques et de pharmaco-vigilance que la dexfenfluramine constituait un facteur favorisant l'HTAPP même si elle n'en était pas la cause exclusive
- Mme Y... avait un état de santé satisfaisant avant 1993,
- les experts avaient écarté les autres causes possibles d'HTAPP et estimé que l'Isoméride était une cause directe et partielle dans la mesure où il y avait une prédisposition de la patiente comme pour tout malade présentant une affection très rare, et une cause adéquate, en l'absence de tout autre motif de nature à l'expliquer

Cass. 1re civ., 24 septembre 2009 : les données scientifiques et les présomptions invoquées ne constituaient pas la preuve d'un lien de causalité entre la vaccination et l'apparition de la maladie

2 – En matière de faute médicale ou d’aléa thérapeutique

Cass. 1re civ., 16 janvier 2013 ;

B – Incertitude et perte de chance
1 - Les rapports entre la causalité incertaine et la perte de chance

Cass. 1e civ., 14 octobre 2010 : la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, de sorte que ni l'incertitude relative à l'évolution de la pathologie, ni l'indétermination de la cause du syndrome de détresse respiratoire aiguë ayant entraîné le décès n'étaient de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute commise par M. Y..., laquelle avait eu pour effet de retarder la prise en charge de Claire X..., et la perte d'une chance de survie pour cette dernière.

Cass. 1e civ., 17 février 2011 : l'ensemble des fautes commises par le médecin et le personnel de la clinique avait fait perdre à l'enfant des chances certaines d'échapper à la constitution ou à l'aggravation des lésions cérébrales, peu important qu'il eût subsisté une incertitude sur l'origine de la pathologie et notamment sur l'existence possible de facteurs pathogènes anténataux non identifiables

Cass. 1e civ., 14 octobre 2010 : la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, de sorte que ni l'incertitude relative à l'évolution de la pathologie, ni l'indétermination de la cause du syndrome de détresse respiratoire aiguë ayant entraîné le décès n'étaient de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute commise par M. Y..., laquelle avait eu pour effet de retarder la prise en charge de Claire X..., et la perte d'une chance de survie pour cette dernière.

Cass. 1re civ., 22 mars 2012 ;

Cass., 1re civ, 16 mai 2013 ;


2 – Perte de chances et causes multiples du dommage

Cass. 1re civ., 22 septembre 2011: en statuant ainsi, sans rechercher si, comme cela le lui était demandé, l'absence d'investigations complémentaires reprochée aux praticiens n'avait pas fait perdre à Roger X... une chance de bénéficier d'un diagnostic et d'un traitement qui auraient pu éviter son décès, peu important que la cause de celui-ci demeure indéterminée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé

Cass. 1re civ, 10 avril 2013 ;

Cass. 1e civ., 7 juillet 2011 ; les fautes avaient fait perdre à Alain X... une chance de retarder l'échéance fatale que comportait sa maladie et d'avoir une fin de vie meilleure et moins douloureuse, ce qui constituait une éventualité favorable

Cass. 1re civ., 26 septembre 2012 ;


C – Incertitude et droit subjectif

Cass. 1re civ, 3 juin 2010 : le non-respect du devoir d’information (…) cause à celui auquel l’information était légalement due, un préjudice, (que) le juge ne peut laisser sans réparation

Cass. 1re civ., 26 décembre 2012 : visa de l'art. 1147

II – Incertitude et imputation

A – L’imputation incertaine et Distilbène

Distilbène

Cass. 1re civ., 24 septembre 2009 ; arrêts 2 et 3
Cass. 1re civ., 28 janvier 2010 ;
Cass. 1re civ., 6 octobre 2011 ;


B – Imputation incertaine et transfusion sanguine

C – Imputation incertaine d’une maladie nosocomiale

Cass. 1re civ., 1er juillet 2010 ;

D – Imputation incertaine d’une maladie au travail

Cass. 1re civ., 20 septembre 2012 ;
Cass. 2e civ., 4 avril 2013 ;
Cass. 2e civ., 17 décembre 2009
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