Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du jeudi 24 septembre 2009

N° de pourvoi: 08-16097
Publié au bulletin Rejet

Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :

Attendu que Mme X..., qui avait été vaccinée contre l'hépatite B les 24 avril, 30 mai et 17 juillet 1992 et avait subi un rappel de vaccination le 27 septembre 1993 avec le vaccin Genhevac B fabriqué par la société Aventis Pasteur MSD, a présenté, en mars 1994, des symptômes qui ont abouti au diagnostic de la sclérose en plaques ; qu'elle a assigné, après expertise judiciaire, la société Aventis Pasteur MSD pour obtenir réparation de son préjudice ;

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande d'indemnisation, alors, selon le moyen :

1°/ que la présentation du produit de santé doit mentionner les risques inhérents à celui ci ; qu'est défectueux le produit qui ne satisfait pas à cette exigence ; qu'en n'ayant pas recherché, comme elle y était invitée, si la présentation du vaccin Genhevac B n'aurait pas dû mentionner l'existence du risque de survenue de sclérose en plaques, quand l'édition 1994 du dictionnaire Vidal signalait cet effet secondaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil interprété à la lumière de la directive n° 85 374 du 25 juillet 1985 ;

2°/ que l'existence du lien de causalité entre le défaut d'un produit et le dommage peut être établie au moyen de présomptions précises, graves et concordantes conformément aux dispositions de l'article 1353 du code civil ; qu'en n'ayant pas recherché, comme elle y était invitée, si l'absence chez Mme X... de tout antécédent personnel ou familial de cette pathologie ne constituait pas une présomption grave et concordante du lien de causalité entre le défaut du vaccin et le dommage subi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1353 et 1382 du code civil ;

3°/ qu'après avoir relevé que Mme X... ne présentait aucun antécédent personnel ou familial en relation avec la sclérose en plaques, qu'elle n'avait effectué aucun voyage à l'étranger l'exposant au risque de contracter cette maladie, qu'elle était en bonne santé avant les injections et que la maladie n'avait été diagnostiquée que quelques mois après la vaccination, la cour d'appel qui a débouté Mme X... de sa demande au motif qu'elle ne rapportait pas la preuve d'un lien causal entre le vaccin anti hépatite B et la sclérose en plaques diagnostiquée n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé l'article 1382 du code civil interprété à la lumière de la directive n° 85 374 du 25 juillet 1985 ;

4°/ que l'existence du lien de causalité entre le défaut d'un produit et le dommage peut être établie au moyen de présomptions précises, graves et concordantes conformément aux dispositions de l'article 1353 du code civil ; en s'étant bornée à retenir que, prises isolément les unes des autres, ni la proximité temporelle entre la vaccination et le dommage, ni le bon état de santé de la victime avant les injections, ni les mentions du dictionnaire médical Vidal, ni la modification par le laboratoire de la notice du produit ne constituaient de telles présomptions, sans avoir recherché si ces circonstances réunies ne caractérisaient pas des présomptions graves et précises et concordantes du lien de causalité entre le défaut du vaccin et le dommage subi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1353 et 1382 du code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a souverainement retenu que les données scientifiques et les présomptions invoquées ne constituaient pas la preuve d'un lien de causalité entre la vaccination et l'apparition de la maladie, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;

Publication : Bulletin 2009, I, n° 185

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par Me Blanc, avocat aux Conseils, pour Mme X....

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Madame X... de sa demande d'indemnisation des préjudices liés aux injections du vaccin contre l'hépatite B produit par la société Laboratoire Pasteur Meyrieux MSD, aux droits de laquelle se trouve désormais la société Sanofi Pasteur MSD ;

Aux motifs que Madame X..., qui ne présentait aucun antécédent personnel ou familial en relation avec la sclérose en plaques, n'a pas effectué de séjour à l'étranger l'exposant au risque de contracter cette maladie ; que les vaccinations du produit Genhevac B ont été effectuées les 24 avril, 30 mai et 17 juillet 1992, avec un rappel en octobre 1993 ; que les 5 et 23 novembre 1993, Madame X... a fait deux chutes, à l'occasion desquelles elle a signalé un épisode de fourmillement ; que le 30 mars 1994, elle a été victime d'une nouvelle chute suivie de douleurs diffuses sur l'ensemble du corps ; que la sclérose en plaques a été diagnostiquée au mois d'avril 1994 ; que les conclusions de l'expert, qui excluent l'existence d'un lien de causalité certain et direct entre la vaccination et la maladie, ne sont pas contredites par les documents postérieurs produits par Madame X... ; que les données scientifiques ne peuvent fournir à Madame X... la preuve qui lui incombe ; que la preuve par présomption ne peut davantage venir au soutien des demandes et prétentions de Madame X... ; qu'une telle présomption ne peut être tirée de ce qu'il est admis par l'expert judiciaire et les spécialistes de la matière que la possibilité d'un lien entre vaccination et maladie ne peut être radicalement éliminée, la preuve à fournir par le patient étant celle d'un lien causal certain et direct ; que la simple proximité temporelle entre la vaccination et le dommage, de même que le bon état de santé de la victime avant les injections, ne peuvent non plus se voir reconnaître le caractère d'une présomption grave, précise et concordante ; qu'une présomption conforme aux dispositions légales ne peut non plus être trouvée à partir des mentions figurant dans le dictionnaire Vidal, ni dans le fait que le laboratoire concerné ait modifié la notice accompagnant son produit pour faire apparaître qu'un risque faible de développer la sclérose en plaques ne peut être totalement éliminée chez certaines populations particulières, étant remarqué que en l'espèce il n'est pas allégué ni prouvé que Madame X... faisait partie d'une telle population à risques ; que la preuve d'une aptitude même faible du produit à engendrer le dommage n'étant pas rapportée, tant de façon générale que dans le cadre de ce litige, l'existence d'un défaut du produit ne peut dès lors être recherchée, ce défaut ne pouvait être déduit ou présumé à partir d'un seul dommage effectivement souffert par la victime ; que les critères énoncés par les dispositions concordantes du droit communautaire et du droit national pour voir qualifier un produit de défectueux – lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu de toutes les circonstances, notamment de sa présentation, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation – n'impliquent pas qu'une telle qualification puisse être apportée à un produit du seul fait de la proximité de date entre l'apparition de la maladie et l'injection du vaccin ; que par suite l'obligation de sécurité de résultat existant à la charge du fabricant est regardée comme ne comportant pas une garantie de plein droit de tous les dommages pouvant résulter pour l'utilisateur de l'usage des produits concernés ;

Alors que 1°) la présentation du produit de santé doit mentionner les risques inhérents à celui-ci ; qu'est défectueux le produit qui ne satisfait pas à cette exigence ; qu'en n'ayant pas recherché, comme elle y était invitée, si la présentation du vaccin Genhevac B n'aurait pas dû mentionner l'existence du risque de survenue de sclérose en plaques, quand l'édition 1994 du dictionnaire Vidal signalait cet effet secondaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil interprété à la lumière de la directive n° 85-374 du 25 juillet 1985 ;

Alors que 2°) l'existence du lien de causalité entre le défaut d'un produit et le dommage peut être établie au moyen de présomptions précises, graves et concordantes conformément aux dispositions de l'article 1353 du Code civil ; qu'en n'ayant pas recherché, comme elle y était invitée, si l'absence chez Madame X... de tout antécédent personnel ou familial de cette pathologie ne constituait pas une présomption grave et concordante du lien de causalité entre le défaut du vaccin et le dommage subi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1353 et 1382 du Code civil ;

Alors que 3°) après avoir relevé que Madame X... ne présentait aucun antécédent personnel ou familial en relation avec la sclérose en plaques, qu'elle n'avait effectué aucun voyage à l'étranger l'exposant au risque de contracter cette maladie, qu'elle était en bonne santé avant les injections et que la maladie n'avait été diagnostiquée que quelques mois après la vaccination, la cour d'appel qui a débouté Madame X... de sa demande au motif qu'elle ne rapportait pas la preuve d'un lien causal entre le vaccin anti hépatite B et la sclérose en plaques diagnostiquée n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé l'article 1382 du Code civil interprété à la lumière de la directive n° 85 374 du 25 juillet 1985 ;

Alors que 4°) l'existence du lien de causalité entre le défaut d'un produit et le dommage peut être établie au moyen de présomptions précises, graves et concordantes conformément aux dispositions de l'article 1353 du Code civil ; qu'en s'étant bornée à retenir que, prises isolément les unes des autres, ni la proximité temporelle entre la vaccination et le dommage, ni le bon état de santé de la victime avant les injections, ni les mentions du dictionnaire médical Vidal, ni la modification par le laboratoire de la notice du produit ne constituaient de telles présomptions, sans avoir recherché si ces circonstances réunies ne caractérisaient pas des présomptions graves et précises et concordantes du lien de causalité entre le défaut du vaccin et le dommage subi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1353 et 1382 du Code civil.

Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du jeudi 24 septembre 2009

N° de pourvoi: 08-10081
Publié au bulletin Rejet

Sur le moyen unique :

Attendu que Mme X..., atteinte d'un adénocarcinome à cellules claires du col utérin qu'elle imputait à la prise, par sa propre mère, durant sa grossesse, de l'hormone de synthèse dénommée diéthylstilbestrol (DES), a assigné la société UCB Pharma et la société Novartis santé familiale, toutes deux fabricantes de la même molécule distribuée sous deux appellations différentes ;

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt attaqué (Versailles, 29 novembre 2007), de l'avoir déboutée de ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que lorsque la demanderesse établit que la pathologie ou la malformation dont elle est atteinte est attribuée communément au DES, qu'elle a été conçue en France à une période où ce principe actif y était prescrit aux femmes enceintes et qu'il n'existe pas d'autre cause connue de ses dommages qui lui soit propre, il appartient alors au laboratoire, dont la responsabilité est recherchée, de prouver que celle-ci n'a pas été exposée au produit qu'il a mis sur le marché français à cette époque ; que Mme X... faisait valoir qu'elle était née en 1965, soit à une époque où le DES était habituellement prescrit, et qu'elle présentait une pathologie cancéreuse caractéristique d'une exposition au DES ; qu'en lui imposant en toute circonstance d'apporter la preuve de ce que sa mère s'était fait prescrire du DES durant sa grossesse, malgré l'impossibilité constatée dans laquelle elle était d'obtenir le dossier médical de sa mère ou un certificat médical de prescription eu égard à l'ancienneté des faits, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1382 du code civil ;

2°/ que celui qui par sa faute crée un risque pour la santé humaine doit répondre des dommages qui apparaissent comme la réalisation normale et prévisible du risque ainsi créé ; que Mme X... soutenait que les laboratoires avaient manqué à leur obligation de vigilance en ne procédant pas à une surveillance des risques pesant sur les enfants par l'administration à leur mère du DES, lesquels risques étaient identifiés depuis les années cinquante, soit antérieurement à sa naissance, et qu'elle souffrait d'une pathologie symptomatique d'une exposition au DES ; qu'il en résultait que les laboratoires engageaient leur responsabilité par la création fautive d'un risque à laquelle elle avait été exposée et dont les dommages qu'elle subissait apparaissaient comme étant la réalisation évidente ; qu'en se bornant cependant à affirmer qu'il lui appartenait de prouver son exposition au DES durant la grosses de sa mère, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

3°/ que lorsqu'un dommage est causé par un membre indéterminé d'un groupe, tous les membres identifiés en répondent solidairement sauf pour chacun d'eux à démontrer qu'il ne peut en être l'auteur ; que forment en ce sens un groupe les laboratoires qui ont mis sur le même marché et à une même époque sous des noms différents une même molécule à laquelle il est reproché d'avoir causé des dommages à la santé ; Mme X... faisait valoir qu'elle était née en 1965, soit à une époque où le DES était habituellement prescrit en France, et qu'elle présentait une pathologie cancéreuse caractéristique d'une exposition au DES ; que l'arrêt constate que les deux laboratoires ont mis le DES sur le marché français à l'époque concernée en écartant la responsabilité solidaire des sociétés UCB et Novartis au prétexte que la preuve n'était pas rapportée par la demanderesse que le DES que ces laboratoires fabriquaient lui avait été concurremment administré, quand la circonstance qu'ils l'avaient exposée in utero aux risques induits par cette molécule était établi, ce dont il résultait qu'ils formaient entre eux un groupe identifié susceptible d'être l'auteur des dommages litigieux, à supposer l'exposition au DES acquise, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1382 du code civil ;

Mais attendu qu'après avoir, à bon droit, retenu qu'il appartenait à Mme X... de prouver qu'elle avait été exposée au médicament litigieux dès lors qu'il n'était pas établi que le diéthylstimbestrol était la seule cause possible de la pathologie dont elle souffrait, la cour d'appel a constaté qu'elle ne rapportait pas une telle preuve ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;

Publication : Bulletin 2009, I, n° 186


MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux conseils pour Mme X... ;


MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir écarté les demandes d'indemnisation et d'expertise de Mme X... formées à l'encontre des laboratoires UCB Pharma et Novartis ;

AUX MOTIFS, D'UNE PART, QU'il incombe à Mme X... de rapporter la preuve des faits qu'elle allègue tendant à dire que l'adénocarcinome à cellules claires du col utérin qu'elle a présenté en 1988 est consécutif à la prise du Distilbène ou du Stilboestrol Borne pendant la grossesse de sa mère en 1965 et à l'exposition in utero de l'enfant et à déclarer le ou les laboratoires en cause responsables du dommage subi par elle et tenus de le réparer ; que pour que l'action intentée par Mme X... puisse prospérer, il faut qu'elle établisse cumulativement qu'elle a été exposée à l'oestrogène de synthèse dénommée diéthylstilbestrol ou DES sous la spécialité pharmaceutique fabriquée par l'un au moins des laboratoires en la cause et que cette hormone de synthèse est à l'origine de son dommage, à savoir sa pathologie et à l'origine d'une stérilité définitive (hystérectomie pratiquée en octobre 1988) ; que la preuve du rôle causal de la molécule DES dans la pathologie de Mme X... peut valablement résulter des analyses et avis des experts au cours de l'expertise qui est demandée ; que seul reste donc à rapporter la preuve que Mme X... a été exposée soit à l'un des deux produits fabriqués par la société UCB Pharma et la société Novartis, le distilbène pour la société UCB Pharma et le stilbestrol pour la société Novartis, soit à ces deux produits concomitamment ou successivement ; que le dossier médical de Mme Mauricette X... n'ayant pas été retrouvé près de quarante ans après les faits, aucun certificat médical de prescription n'est produit ; que Mme X... entend néanmoins et en premier lieu rapporter la preuve de son exposition au seul produit de la société UCB Pharma le distilbène, et pour ce faire invoque diverses attestations et pièces qu'il convient d'examiner (...); que la société UCB Pharma produit des éléments de preuve de ce que le terme distilbène était employé même par des spécialistes, au sens générique, au lieu de celui de diethylstilbestrol ou DES, à savoir des articles de doctrine, et des éléments du dossier d'une demoiselle Berthoumieu, notamment en raison de la position dominante sur le marché de cette hormone, soit 80% selon elle et 90 % selon la société Novartis, de sorte que cette mention n'est pas significative de la marque administrée ; que les attestations et lettres produites en demande ne peuvent donc pas constituer des preuves certaines de l'exposition de Mme X... au distilbène durant la grossesse de sa mère, ni davantage les présomptions graves précises et concordantes exigées par l'article 1353 du code civil ;

ALORS, D'UNE PART, QUE lorsque la demanderesse établit que la pathologie ou la malformation dont elle est atteinte est attribuée communément au DES, qu'elle a été conçue en France à une période où ce principe actif y était prescrit aux femmes enceintes et qu'il n'existe pas d'autre cause connue de ses dommages qui lui soit propre, il appartient alors au laboratoire, dont la responsabilité est recherchée, de prouver que celle-ci n'a pas été exposée au produit qu'il a mis sur le marché français à cette époque ; que Mme X... faisait valoir qu'elle était née en 1965, soit à une époque le DES était habituellement prescrit, et qu'elle présentait une pathologie cancéreuse caractéristique d'une exposition au DES ; qu'en lui imposant en toute circonstance d'apporter la preuve de ce que sa mère s'était faite prescrire du DES durant sa grossesse, malgré l'impossibilité constatée dans laquelle elle était d'obtenir le dossier médical de sa mère ou un certificat médical de prescription eu égard à l'ancienneté des faits, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1382 du Code civil ;

ALORS, D'AUTRE PART, QUE celui qui par sa faute crée un risque pour la santé humaine doit répondre des dommages qui apparaissent comme la réalisation normale et prévisible du risque ainsi créé ; que Mme X... soutenait que les laboratoires avaient manqué à leur obligation de vigilance en ne procédant pas à une surveillance des risques pesant sur les enfants par l'administration à leur mère du DES, lesquels risques étaient identifiés depuis les années cinquante, soit antérieurement à sa naissance, et qu'elle souffrait d'une pathologie symptomatique d'une exposition au DES ; qu'il en résultait que les laboratoires engageaient leur responsabilité par la création fautive d'un risque à laquelle elle avait été exposée et dont les dommages qu'elle subissait apparaissaient comme étant la réalisation évidente ; qu'en se bornant cependant à affirmer qu'il lui appartenait de prouver son exposition au DES durant la grosses de sa mère, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

ET AUX MOTIFS, D'AUTRE PART, QUE Mme X... soulève le moyen tiré de la responsabilité solidaires des participants à une action collective ou commune ; mais que la notion d'action collective ou commune ne peut trouver à s'appliquer que dans les cas où tous les participants ont commis des fautes indissociables ou des fautes connexes ou une action concertée, chacun ayant contribué à la réalisation du dommage ou en d'autres termes en relation avec le dommage ; qu'il n'existe aucune présomption de lien de causalité ; qu'il incombe en conséquence à la cour de rechercher les éléments de preuve certaine d'une action collective ; qu'il n'est pas fait état par Mme X... de fautes connexes ou indissociables, ni d'une concertation des laboratoires en relation avec le dommage ; que le fait qu'ils ont tous deux mis sur le marché la molécule à l'origine du dommage, fait non contesté, ne peut pas en tenir lieu, ce fait n'était pas en relation avec le dommage subi par Mme X... ; qu'il faudrait qu'il soit établi en plus que les molécules DES qu'ils produisent ont toutes deux concouru au dommage particulier subi par Mme X..., c'est à dire qu'elles lui ont toutes deux été administrées, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, aucun élément de preuve d'une administration du produit de la société Novartis n'étant versé aux débats, et la cour ayant jugé ci-avant que les éléments de preuve de l'administration du distilbène de la société UCB Pharma produits aux débats étaient insuffisants ; que la preuve d'une action collective ou concertée n'étant pas rapportée par Mme X..., ce second moyen doit donc être jugé mal fondé ; que Mme X... ne rapportant donc nullement la preuve de la prescription et de la délivrance de distilbène à Mme Mauricette X... lors de sa grossesse et corrélativement la preuve de son exposition in intero au DES, condition préalable de l'engagement de la responsabilité des laboratoires, elle ne peut qu'être déboutée de ses demandes ;

ALORS QUE lorsqu'un dommage est causé par un membre indéterminé d'un groupe, tous les membres identifiés en répondent solidairement sauf pour chacun d'eux à démontrer qu'il ne peut en être l'auteur ; que forment en ce sens un groupe les laboratoires qui ont mis sur le même marché et à une même époque sous des noms différents une même molécule à laquelle il est reproché d'avoir causé des dommages à la santé ; Mme X... faisait valoir qu'elle était née en 1965, soit à une époque le DES était habituellement prescrit en France, et qu'elle présentait une pathologie cancéreuse caractéristique d'une exposition au DES ; que l'arrêt constate que les deux laboratoires ont mis le DES sur le marché français à l'époque concernée ; qu'en écartant la responsabilité solidaire des sociétés UCB et Novartis au prétexte que la preuve n'était pas rapportée par la demanderesse que le DES que ces laboratoires fabriquaient lui avait été concurremment administré, quand la circonstance qu'ils l'avaient exposée in utero aux risques induits par cette molécule était établi, ce dont il résultait qu'ils formaient entre eux un groupe identifié susceptible d'être l'auteur des dommages litigieux, à supposer l'exposition au DES acquise, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1382 du code civil.


Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du jeudi 24 septembre 2009

N° de pourvoi: 08-16305
Publié au bulletin Cassation

Sur le second moyen :

Vu l'article 1382 du code civil, ensemble l'article 1315 du même code ;

Attendu que Mme X..., épouse Y..., atteinte d'un adénocarcinome à cellulaires claires du col utérin qu'elle imputait à la prise, par sa propre mère, durant sa grossesse, de l'hormone de synthèse dénommée diéthylstilbestrol (DES), a assigné la société UCB pharma et la société Novartis santé familiale, toutes deux fabricantes de la même molécule distribuée sous deux appellations différentes ;

Attendu que pour débouter les consorts X... Y... de leur demande en réparation de leurs préjudices dirigée contre les deux laboratoires, l'arrêt retient que le fait que ceux ci aient tous deux mis sur le marché la molécule à l'origine du dommage, fait non contesté, ne peut fonder une action collective, ce fait n'étant pas en relation directe avec le dommage subi par Mme Y..., et qu'aucun élément de preuve n'établissait l'administration à celle ci du distilbène (R) fabriqué par la société UCB pharma ni du Stilboestrol Borne fabriqué par la société Novartis santé familiale ;

Qu'en se déterminant ainsi, après avoir constaté que le DES avait bien été la cause directe de la pathologie tumorale, partant que Mme Y... avait été exposée in utero à la molécule litigieuse, de sorte qu'il appartenait alors à chacun des laboratoires de prouver que son produit n'était pas à l'origine du dommage, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 avril 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Publication : Bulletin 2009, I, n° 187


MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyens produits par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils, pour les consorts X... Y....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté une victime du diéthylstilboestrol (Mme Marie-Elise X... épouse Y..., exposante) ainsi que certains membres de sa famille (les consorts X... et Y..., également exposants) de leur demande en réparation de leurs préjudices par le laboratoire (la société UCB PHARMA) ayant commercialisé cette molécule sous le nom de distilbène ;

AUX MOTIFS QUE la preuve du rôle causal de la molécule DES dans la pathologie de Mme Marie-Elise X...- Y... pouvait valablement résulter des analyses et avis du collège expertal qui avait affirmé de façon formelle que le DES était la cause directe de la pathologie tumorale ; qu'il restait en conséquence à Mme Marie-Elise X... Y... à démontrer qu'elle avait été exposée au distilbène, produit fabriqué par la société UCB PHARMA dont elle recherchait à titre principal la responsabilité ; que s'agissant d'un fait juridique, la preuve en était libre ; que le dossier médical de Mme A... épouse X... n'ayant pas été retrouvé près de quarante ans après les faits, aucun certificat médical de prescription n'avait été produit ; qu'en effet, en réponse à la demande du conseil de sa fille, Mme A... épouse X... avait indiqué qu'il lui était impossible de fournir son dossier gynécologique du fait du décès du docteur B... et qu'elle n'avait gardé aucune ordonnance du médecin ; que bien qu'ayant adressé le 8 mars 2004 une lettre à la pharmacie MAIREY-LORETZ à LUXEUIL LES BAINS, Mme Marie Elise Y... ne produisait aucun justificatif de prescription de distilbène durant la grossesse dont elle était issue ; qu'elle ne pouvait utilement se prévaloir de la copie de son carnet de santé rédigé par sa mère et n'ayant en conséquence pas de force probante ; que Mme Marie Elise X...- Y... se référait à deux attestations rédigées par sa mère, l'une datée du 18 février 2003, soit dans les six mois précédents l'assignation, la seconde établie le 20 janvier 2004, soit en cours de procédure ; qu'il convenait d'estimer que ces deux documents étaient à eux seuls d'une faible force probante dès lors qu'ils émanaient de la propre mère de Mme Marie-Elise X... Y..., qui, de surcroît, était elle même partie à la procédure, et en raison de leurs dates de rédaction par rapport à la procédure en cours ; que Mme Marie-Elise X...- Y... se fondait ensuite sur deux attestations établies par le docteur C..., l'une datant du 15 avril 2007, soit postérieurement au prononcé du jugement, selon laquelle ce praticien certifiait que, depuis sa première consultation en 1980, Mme Raymonde A... épouse X... lui avait déclaré avoir pris du distilbène pendant la grossesse de sa fille Marie-Elise, la seconde établie le 15 janvier 2008, soit l'avant-veille du prononcé de l'ordonnance de clôture, document reprenant les mêmes termes et ajoutant : « prescription que son médecin traitant m'a confirmée par la suite » ; qu'il convenait d'estimer que ces attestations, qui ne faisaient que reprendre les propos de Mme Raymonde A... épouse X... tenus une quinzaine d'années après sa grossesse, et qui n'émanaient pas du médecin prescripteur, étaient dépourvues de force probante ; que, s'agissant plus précisément de la seconde attestation, il convenait de relever, outre l'interrogation soulevée par sa particulière tardiveté, que la circonstance selon laquelle le docteur C... ajoutait que les dires de Mme Raymonde A... épouse X... lui avaient été confirmés par le médecin traitant de cette dernière ne permettait pas davantage d'établir la réalité de la prescription du produit incriminé au cours de sa grossesse, dès lors que, en l'absence de précision du nom du médecin traitant, il pouvait s'agir d'un médecin généraliste devant lequel Mme Raymonde A... épouse X... aurait elle-même fait état de cette prescription et que, de plus, cet ajout ne précisait en aucun cas qu'il s'agissait du médecin gynécologue ayant suivi Mme Raymonde A... épouse X... durant sa grossesse ; que Mme Marie Elise X...- Y... versait également un document émanant du docteur D..., gynécologue obstétricien, lequel déclarait avoir suivi en 1986 Mme Marie-Elise X... Y... et l'avoir opérée d'un adénocarcinome à cellules claires et ajoutait : « cette pathologie, découverte chez une jeune femme de 21 ans, est une pathologie iatrogène. Elle est liée à la prise de distilbène que la mère avait absorbé dans les premiers mois de gestation de Marie-Elise. Toute cette partie des antécédents de la mère avait été documenté par le docteur E... qui m'avait confié cette patiente en m'expliquant ses antécédents » ; qu'aux termes d'un autre écrit du 5 janvier 2008, ce médecin déclarait n'avoir eu connaissance d'aucun générique du distilbène dans sa pratique professionnelle et l'enseignement qu'il avait pu recevoir au niveau de la faculté de Strasbourg puis de Besançon ; que les seules prescriptions et explications faites concernaient le distilbène et qu'il n'avait découvert l'autre générique de l'époque que lorsque l'avocat de Mme X... avait pris contact avec lui ; qu'il convenait d'estimer que ces éléments qui se référaient aux dires du docteur E..., fondés sur les propres assertions de Mme Raymonde A... épouse X..., non contemporaines de sa grossesse, et qui n'émanaient pas du médecin prescripteur, étaient dépourvus de force probante ; que le dossier de suivi médical de Mme Marie Elise X...- Y... faisait mention à plusieurs reprises de son exposition in utero au distilbène ; que l'analyse de ces documents démontrait qu'ils ne s'étaient fondés sur aucune source contemporaine de la grossesse de Mme Raymonde A... épouse X..., mais sur les seuls propos tenus par cette dernière et rapportés ensuite par le docteur D... dont il n'était pas contesté qu'il ne l'avait pas suivie au cours de cette grossesse ; qu'en conséquence, les éléments contenus dans le dossier médical de Mme Marie-Elise X... étaient dépourvus de toute force probante de son exposition in utero au distilbène ; qu'au surplus, la société UCB PHARMA produisait des éléments de preuve de ce que la marque distilbène, par sa notoriété, était souvent assimilée au terme générique du produit, le diéthylstilboestrol ou DES, et que le terme distilbène était employé même par des spécialistes au sens générique ; que des articles de presse, même spécialisée, faisaient référence au distilbène pour désigner l'un ou l'autre des deux produits, notamment en raison de la position dominante sur le marché de cette hormone, soit entre 80 et 90 %, quand à la même époque les produits des deux laboratoires étaient concurremment commercialisés, de sorte que cette mention n'était pas significative de la marque administrée ; qu'au demeurant, il n'était pas indifférent d'observer que, dans son attestation du 20 janvier 2004, Mme Raymonde A... épouse X... se référait précisément à la lecture d'un article sur le distilbène et les risques occasionnés par ce produit ; qu'il ne pouvait être déduit des observations émises par les experts, sur la base d'éléments que la cour avait écartés comme étant dépourvus de force probante, aucune preuve à l'exposition effective de Mme Marie-Elise X... Y... au distilbène ; que les attestations et pièces versées aux débats ne constituaient donc pas des preuves certaines de l'exposition de Mme X...- Y... au distilbène durant la grossesse de sa mère, ni davantage des présomptions précises et concordantes (arrêt attaqué, p. 8, alinéas 1 à 3 ; pp. 9 à 11 ; p. 12, alinéas 1 et 2) ;

ALORS QUE, d'une part, la preuve des faits juridiques est libre ; qu'en retenant que la preuve d'une exposition in utero au distilbène de la victime ne pouvait être administrée que par des documents médicaux contemporains de la grossesse et émanant du médecin prescripteur, tout en constatant que, quarante ans après l'administration de diéthylstilboestrol, molécule à l'origine de la pathologie tumorale dont elle avait souffert, la victime était dans l'impossibilité de fournir une telle preuve, la cour d'appel a violé les articles 1315 et 1382 du Code civil ;

ALORS QUE, d'autre part, en écartant l'ensemble des éléments produits en preuve de la prescription de distilbène au prétexte qu'ils étaient fondés sur les déclarations de la mère de la victime, partie à la procédure, et non pas sur des documents médicaux contemporains de sa grossesse, tout en relevant que, dès l'année 1980, c'est-à-dire six ans avant toute manifestation d'un adénocarcinome à cellules claires chez sa fille, et vingt-quatre ans avant l'engagement de ladite procédure, c'est-à-dire à une époque où aucune motivation contentieuse ne pouvait l'avoir animée, elle avait indiqué à son médecin gynécologue, lors d'une première consultation, que du distilbène lui avait été administré pendant sa grossesse, la cour d'appel a violé les articles 1315 et 1382 du Code civil ;

ALORS QUE, enfin, en retenant qu'en raison de la position dominante du distilbène sur le marché, le nom de ce médicament était communément employé en lieu et place du terme générique de l'hormone de synthèse, à savoir le diéthylstilboestrol, par ailleurs commercialisé par un autre laboratoire sous le nom de stilboestrol-borne, sans vérifier concrètement que la mère de la victime, à qui des hormones de synthèse avaient été prescrites quotidiennement pendant sept mois, aurait commis une telle confusion, se prononçant ainsi par un motif d'ordre général et abstrait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles susvisés.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté une victime du diéthylstilboestrol (Mme Marie-Elise X... épouse Y..., exposante), ainsi que certains membres de sa famille (les consorts X... et Y..., également exposants) de leur demande en réparation de leurs préjudices par les deux laboratoires (les sociétés UCB PHARMA et NOVARTIS SANTE FAMILIALE) ayant commercialisé cette molécule respectivement sous les noms de distilbène et de stilboestrol-borne ;

AUX MOTIFS QUE la preuve du rôle causal de la molécule DES dans la pathologie de Mme X...- Y... résultait de l'analyse des experts ; que Mme X... Y... soulevait le moyen tiré de la responsabilité solidaire des participants à une action collective ou commune ; qu'elle ne versait aux débats aucun élément de nature à justifier de son exposition in utero au stilboestrol-borne commercialisé par la société NOVARTIS SANTE FAMILIALE ; que, en droit, la notion d'action collective ou commune ne pouvait trouver à s'appliquer que dans les cas où tous les participants avaient commis des fautes indissociables ou des fautes connexes, ou une action concertée, chacun ayant contribué à la réalisation du dommage ; qu'il n'existait aucune présomption de lien de causalité en cette matière ; qu'ainsi, si plusieurs chasseurs avaient pu être reconnus solidairement responsables pour avoir causé un dommage unique dans leur action commune de tir, c'était en raison de l'existence d'une gerbe unique de plombs ayant causé le dommage ; qu'il incombait en conséquence de rechercher la preuve certaine d'une action collective ; qu'il n'était pas fait état par Mme X...- Y... de fautes connexes ou indissociables, ni d'une concertation des laboratoires en relation avec son dommage ; que le fait qu'ils eussent tous deux mis sur le marché la molécule à l'origine du dommage, fait non contesté, ne pouvait en tenir lieu, ce fait n'étant pas en relation directe avec le dommage subi par Mme X...- Y... ; qu'il aurait convenu qu'il fût de plus établi que les molécules DES qu'ils produisaient eussent toutes deux concouru au dommage particulier subi par Mme X...- Y..., c'est-à-dire qu'elles lui avaient été toutes deux administrées, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, aucun élément de preuve d'une administration du produit de la société NOVARTIS SANTE FAMILIALE n'étant versé aux débats, et la cour ayant estimé que les éléments de preuve de l'administration de distilbène de la société UCB PHARMA étaient insuffisants (arrêt attaqué, p. 8, alinéas 1 à 3 ; p. 12, alinéas 3 à 7 ; p. 13) ;

ALORS QU'en écartant la faute collective de deux laboratoires pour la raison que la victime ne rapportait par la preuve que l'un et l'autre des médicaments concurremment commercialisés par ces derniers lui avaient été administrés, tout en constatant qu'ils avaient tous deux mis sur le marché la molécule à l'origine du dommage et que la victime ne parvenait pas à prouver, quarante ans après les faits, lequel des deux médicaments lui avait été effectivement administré, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil.