Responsabilité du fait des produits défectueux :
causalité et risque de développement

In La responsabilité du fait des produits défectueux
IRJS Editions 2013, p. 239

V. Wester-Ouisse,
Actes du Colloque
GRERCA, Saint Jacques de Compostelle, 30-31 mai 2012


Les débats intenses sur les différents aspects de cette loi ont dès lors eu des retombées très enrichissantes pour le droit commun de la responsabilité, et principalement pour l’énigme de la causalité : les solutions jurisprudentielles dégagées en matière de produits défectueux n’ont pas de caractère spécifique (I). Question plus spécifique en revanche : le producteur peut tenter de s’exonérer grâce à ce que l’on nomme communément le « risque de développement ». Il peut démontrer que l’état des connaissances scientifiques, lors de la mise en circulation, ne lui permettait pas de déceler le défaut. Cette possibilité d’exonération a fait l’objet d’importants débats en France, suscitant l’hostilité des associations de consommateurs, et retardant l’intégration de la directive européenne ; les juges ne se montrent guère favorables (II).

I - Causalité et produits défectueux

A – Causalité et obligation à la dette

Cass. 1re civ. 25 juin 2009 :

En exigeant une preuve scientifique certaine quand le rôle causal peut résulter de simples présomptions, pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes, la cour d'appel a violé les textes

Vaccin hépatite B et sclérose en plaque :

Cass. 1re civ, 23 septembre 2003 : la responsabilité du producteur est soumise à la condition que le demandeur prouve, outre le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre le défaut et le dommage ; le défaut du vaccin comme le lien de causalité entre la vaccination et la maladie ne pouvaient être établis

Cass. 27 février 2007 : la responsabilité du fait d'un produit de santé suppose que soit rapportée la preuve d'un dommage, de l'imputabilité d'un dommage à l'administration du produit, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage.
- En l'état des connaissances scientifiques actuelles le risque lié à la vaccination contre l'hépatite B n'est pas avéré.
- Le rapport d'expertise rendait compte des études faites en France et à l'étranger sur l'étiologie de la sclérose en plaques et relevé que les experts étaient formels pour indiquer qu'il n'existait aucune démonstration de l'induction de cas de sclérose en plaques par la vaccination contre l'hépatite B ni de la révélation des troubles, les experts estimant hautement improbable cette hypothèse.
- L'existence d'un lien causal entre la vaccination de Mlle X... contre l'hépatite B et la survenue de sa sclérose en plaques et d'un éventuel défaut de sécurité du vaccin ne pouvait se déduire du seul fait que l'hypothèse d'un risque vaccinal non démontrée ne pouvait être exclue.

Cass. 1re civ., 22 mai 2008, 05-20317, 06-10967 : si l'action en responsabilité du fait d'un produit défectueux exige la preuve du dommage, du défaut et du lien de causalité entre le défaut et le dommage, une telle preuve peut résulter de présomptions, pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes.
En se déterminant en référence à une approche probabiliste, déduite exclusivement de l'absence de lien scientifique et statistique entre vaccination et développement de la maladie, sans rechercher si les éléments de preuve qui lui étaient soumis constituaient, ou non, des présomptions graves, précises et concordantes du caractère défectueux du vaccin litigieux, comme du lien de causalité entre un éventuel défaut et le dommage subi par M. X, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Cass. 1re civ., 22 mai 2008, 06-14952 : en se déterminant ainsi tout en relevant que l'édition pour 1994 du dictionnaire Vidal mentionnait au titre des effets indésirables la survenue exceptionnelle de sclérose en plaques, de sorte qu'il lui incombait d'apprécier la relation causale prétendue entre le vaccin et l'aggravation de la maladie à l'époque du dernier rappel de vaccination, en recherchant si, à cette époque, la présentation du vaccin mentionnait l'existence de ce risque, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision .
Cass. 1re civ., 22 mai 2008, 05-10593 : aucune des études examinées par les experts judiciaires ou produites aux débats par les parties après le dépôt du rapport d'expertise n'avait conclu à un lien évident entre la vaccination et la pathologie dont souffre Mme Y... ; elle a pu en déduire l'absence de lien causal entre la maladie et la vaccination
06-18848 : Mme X... ne rapportait pas la preuve d'un lien causal entre l'injection qu'elle a reçue et l'apparition de la sclérose en plaques, excluant ainsi l'imputabilité de la maladie à la vaccination ; l'absence de certitude scientifique sur l'innocuité du vaccin n'emporte pas de présomption de défaut.

Cass. 1re civ., 22 janvier 2009 : plusieurs facteurs pouvaient être à l'origine de la maladie, dont une cause infectieuse telle que celle ayant pu justifier la cholécystectomie pratiquée à la même époque. Les deux rapports d'expertise judiciaire avaient conclu à l'absence de relation entre la vaccination et l'apparition de la maladie. Ceci exclue l'existence de présomptions graves, précises et concordantes. Mme Y... n'avait pas rapporté la preuve de l'imputabilité de la maladie à l'injection reçue.

Cass. 1re civ., 9 juillet 2009 :
les études scientifiques versées aux débats par la société Sanofi Pasteur MSD n'ont pas permis de mettre en évidence une augmentation statistiquement significative du risque relatif de sclérose en plaque ou de démyélinisation après vaccination contre l'hépatite B, elles n'excluent pas, pour autant, un lien possible entre cette vaccination et la survenance d'une démyélinisation de type sclérose en plaque
Les premières manifestations de la sclérose en plaque avaient eu lieu moins de deux mois après la dernière injection du produit
Ni Mme X... ni aucun membre de sa famille n'avaient souffert d'antécédents neurologiques, dès lors aucune autre cause ne pouvait expliquer cette maladie, dont le lien avec la vaccination relevait de l'évidence selon le médecin traitant de Mme X..
Ces faits constituaient des présomptions graves, précises et concordantes, la CA a pu en déduire un lien causal entre la vaccination de Mme X..., et le préjudice subi par elle.

Cass. 1re civ., 24 septembre 2009 : les données scientifiques et les présomptions invoquées ne constituaient pas la preuve d'un lien de causalité entre la vaccination et l'apparition de la maladie

Cass. 1re civ., 25 novembre 2010 : En l'absence de consensus scientifique en faveur d'un lien de causalité entre la vaccination et les affections démyélinisantes,
le fait que Mme X... ne présentait aucun antécédent personnel ou familial
et le fait que les premiers symptômes étaient apparus quinze jours après la dernière injection
ne constituaient pas des présomptions graves, précises et concordantes en sorte que n'était pas établie une corrélation entre l'affection de Mme X... et la vaccination

Cass. 1re civ., 26 septembre 2012 : en se déterminant ainsi, par une considération générale sur le rapport bénéfice/risque de la vaccination, après avoir admis, en raison de l'excellent état de santé antérieur de Jack X..., de l'absence d'antécédents familiaux et du lien temporel entre la vaccination et l'apparition de la maladie, qu'il existait des présomptions graves, précises et concordantes permettant de dire que le lien causal entre la maladie et la prise du produit était suffisamment établi, sans examiner si les circonstances particulières qu'elle avait ainsi retenues ne constituaient pas des présomptions graves, précises et concordantes de nature à établir le caractère défectueux des trois doses administrées à l'intéressé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision

CE, 21 novembre 2012 ;

zyloric et le colchimax / Syndrome de Lyell :
Cass. 1e civ., 5 avril 2005
: le lien de causalité entre l'absorption du médicament et le dommage subi par M. X

- M. X... avait bien absorbé les médicaments litigieux qui lui avaient été prescrits ; qu'ensuite, en ayant relevé par motifs propres et adoptés que
- l'expert avait souligné que le lien entre l'absorption du médicament en cause et l'apparition du syndrome de Lyell était scientifiquement reconnu,
- M. X... avait développé ce syndrome dans un délai de 7 à 21 jours après l'administration du colchimax ce qui correspondait au délai habituellement constaté entre l'administration du produit et la survenance de l'effet toxique
- la cessation du trouble coïncidait avec l'arrêt de la prise du médicament,
- il n'était établi l'existence, ni d'une erreur de prescription, ni d'une prédisposition du patient à ce syndrome, ni d'une association avec d'autres médicaments

Isoméride :
Cass. 1re civ., 24 janvier 2006
: il existait des présomptions graves, précises et concordantes permettant, dans le cas de Mme Y..., d'imputer l'apparition de l'HTAPP à la prise d'Isoméride

- il ressortait des études épidémiologiques et de pharmaco-vigilance que la dexfenfluramine constituait un facteur favorisant l'HTAPP même si elle n'en était pas la cause exclusive
- Mme Y... avait un état de santé satisfaisant avant 1993,
- les experts avaient écarté les autres causes possibles d'HTAPP et estimé que l'Isoméride était une cause directe et partielle dans la mesure où il y avait une prédisposition de la patiente comme pour tout malade présentant une affection très rare, et une cause adéquate, en l'absence de tout autre motif de nature à l'expliquer

B – Contribution à la dette en cas pluralité de responsables

Distilbène

Cass. 1re civ., 24 septembre 2009 ; arrêts 2 et 3
Cass. 1re civ., 28 janvier 2010 ;
Cass. 1re civ., 6 octobre 2011 ;

II - Exonération et risque de développement

A – Risque de développement : renforcement ou exonération de responsabilité ?

B – Le domaine réduit de l’exonération pour risque de développement

1 - Risque de développement et produits mis en circulation avant 1998
2 - Risque de développement et produits mis en circulation après 1998

Suppression de l'obligation de suivi
dans la loi n°2004-1343 de 2004, cf CJCE 25 avril 2002
Article 1386-12
Le producteur ne peut invoquer la cause d'exonération prévue au 4° de l'article 1386-11 lorsque le dommage a été causé par un élément du corps humain ou par les produits issus de celui-ci.

(Abrogé) Le producteur ne peut invoquer les causes d'exonération prévu es aux 4° et 5° de l'article 1386-11 si, en présence d'un défaut qui s'est révélé dans un délai de dix ans après la mise en circulation du produit, il n'a pas pris les dispositions propres à en prévenir les conséquences dommageables.

Risque de développement : mise en circulation antérieure à la transposition
Cass. 1re civ. 9 juillet 2009, 15 mai 2007, 28 novembre 2001 ; 9 juillet 1996

amiante et risque de développement
Cass. 2e civ., 6 avril 2004 : en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise

Cass. 1re civ. 17 juin 2010 ;
Article 102, Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé
En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur.
Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable.