L’étude
de la jurisprudence montre que la perte de chance est invoquée
dans les hypothèses les plus diverses, que le dommage ait une
ou plusieurs causes. Les prédispositions du patient jouent
un rôle très perturbateur : parfois le juge en tient
compte, parfois il affirme que ces prédispositions ne doivent
pas être prises en considération. Comment démêler
cet écheveau ? Distinguons les cas où le préjudice
n’est provoqué que par une cause unique (I), des cas
où des causes multiples expliquent le dommage (II).
I– Cause unique du dommage : les
infortunes de la perte de chance
A
– L’aléa thérapeutique ou la faute, cause
unique
Cass.
1re civ., 28 janvier 2010 : le droit de la victime à obtenir
l'indemnisation de son préjudice corporel ne saurait
être réduit en raison d'une prédisposition pathologique
lorsque l'affection qui en est issue n'a été provoquée
ou révélée que par le fait dommageable
B
– La perte de chance et le biais du défaut d’information
Cass.
1re civ., 29 juin 1999 : la faute du médecin a fait perdre
au patient la chance d'échapper
à une atteinte à son intégrité physique
Cass.
1re civ, 6 décembre 2007 : perte de chance et information
; le seul préjudice indemnisable à la suite du non-respect
de l'obligation d'information du médecin, laquelle a pour objet
d'obtenir le consentement éclairé du patient, est la
perte d'une chance d'échapper au risque qui s'est finalement
réalisé
Cass.
1re civ, 3 juin 2010 : revirement ; obs Houtcieff
; préjudice d'impréparation
toute personne a le droit d'être informée, préalablement
aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés,
des risques inhérents à ceux-ci ; son consentement doit
être recueilli par le praticien, hors le cas où son état
rend nécessaire une intervention thérapeutique à
laquelle elle n’est pas à même de consentir ; le
non-respect du devoir d’information qui en découle, cause
à celui auquel l’information était légalement
due, un préjudice, qu’en vertu du dernier des textes
susvisés, le juge ne peut laisser sans réparation
Cass.
1e civ., 9 février 2012 : l'indemnité
due à la victime d'un accident médical qui a perdu une
chance, du fait d'un défaut d'information sur les risques d'une
intervention chirurgicale dans les conditions prévues par le
second de ces textes, d'éviter le dommage en refusant définitivement
ou temporairement l'intervention projetée, doit être
déterminée en fonction de son état et de toutes
les conséquences qui en découlent pour elle et correspondre
à une fraction, souverainement évaluée, de ses
préjudices
II
- Cause multiples du dommage : la bonne fortune de la perte de chance
A
- La cause incertaine de l’entier dommage palliée par
la perte de chance
Cass.
1re civ., 5 novembre 2009 : perte de chance de la mère
car le médecin ne fait pas tous les examens indispensables
compte tenu des symptômes
Cass.
1e civ., 28 janvier 2010 : tous les comportements qui ont retardé
le diagnostic de souffrance foetale ont contribué directement
au préjudice ... ; il en est de même des fautes commises
lors de l'accouchement .... M. X..., M. Y... et le CMCM, dont les
fautes avaient, au moins pour partie, été à l'origine
du dommage, sont responsables in solidum de la perte de chance subie
par Vincent A... de voir limiter son infirmité cérébrale,
peu important que l'origine première du handicap soit affectée
d'un degré d'incertitude
Cass.
1e civ., 17 février 2011 : l'ensemble des fautes commises
par le médecin et le personnel de la clinique avait fait perdre
à l'enfant des chances certaines d'échapper à
la constitution ou à l'aggravation des lésions cérébrales,
peu important qu'il eût subsisté une incertitude sur
l'origine de la pathologie et notamment sur l'existence possible de
facteurs pathogènes anténataux non identifiables
Cass.
1re civ., 22 septembre 2011: en statuant ainsi, sans rechercher
si, comme cela le lui était demandé, l'absence d'investigations
complémentaires reprochée aux praticiens n'avait pas
fait perdre à Roger X... une chance de bénéficier
d'un diagnostic et d'un traitement qui auraient pu éviter son
décès, peu important que la cause de celui-ci demeure
indéterminée, la cour d'appel a privé sa décision
de base légale au regard du texte susvisé
B
– La cause incertaine de la perte de chance
Cass.
1e civ., 14 octobre 2010 : la perte de chance présente
un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée
la disparition d'une éventualité favorable, de sorte
que ni l'incertitude relative à l'évolution de la pathologie,
ni l'indétermination de la cause du syndrome de détresse
respiratoire aiguë ayant entraîné le décès
n'étaient de nature à faire écarter le lien de
causalité entre la faute commise par M. Y..., laquelle avait
eu pour effet de retarder la prise en charge de Claire X..., et la
perte d'une chance de survie pour cette dernière.
Cass.
1e civ., 7 juillet 2011 ; les fautes avaient fait perdre à
Alain X... une chance de retarder l'échéance fatale
que comportait sa maladie et d'avoir une fin de vie meilleure et moins
douloureuse, ce qui constituait une éventualité favorable
Cass.
1e civ., 6 octobre 2011 : Mme Y... avait commis une faute de surveillance
ayant entraîné une perte de chance pour M. X... de recevoir
un traitement au laser plus précoce et d'éviter les
séquelles dont il était atteint
Cass.
crim, 3 novembre 2010 : il
n'est pas établi avec certitude que les agissements de MM.
Y... et Z... ont fait perdre toute chance de survie à Mme X...
; il n'existe pas de relation certaine de causalité entre les
agissements reprochés et le décès
Evaluation
du préjudice :
Cass.
1re civ., 9 février 2012 : l'indemnité
due à la victime d'un accident médical qui a perdu une
chance, du fait d'un défaut d'information sur les risques d'une
intervention chirurgicale dans les conditions prévues par le
second de ces textes, d'éviter le dommage en refusant définitivement
ou temporairement l'intervention projetée, doit être
déterminée en fonction de son état et de toutes
les conséquences qui en découlent pour elle et correspondre
à une fraction, souverainement évaluée, de ses
préjudices
Cass.
1re civ., 18 juillet 2000 : l'indemnité de réparation
de la perte de chance d'obtenir une amélioration de son état
ou d'échapper à une infirmité, ne saurait présenter
un caractère forfaitaire ; cette indemnité, qui doit
correspondre à une fraction des différents chefs de
préjudice supportés par la victime