Les méandres de la perte de chance en droit médical

V. Wester-Ouisse,
RLDCiv 2013, n° 1 p. 17

 

L’étude de la jurisprudence montre que la perte de chance est invoquée dans les hypothèses les plus diverses, que le dommage ait une ou plusieurs causes. Les prédispositions du patient jouent un rôle très perturbateur : parfois le juge en tient compte, parfois il affirme que ces prédispositions ne doivent pas être prises en considération. Comment démêler cet écheveau ? Distinguons les cas où le préjudice n’est provoqué que par une cause unique (I), des cas où des causes multiples expliquent le dommage (II).


I– Cause unique du dommage : les infortunes de la perte de chance

A – L’aléa thérapeutique ou la faute, cause unique

Cass. 1re civ., 28 janvier 2010 : le droit de la victime à obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est issue n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable

B – La perte de chance et le biais du défaut d’information

Cass. 1re civ., 29 juin 1999 : la faute du médecin a fait perdre au patient la chance d'échapper à une atteinte à son intégrité physique

Cass. 1re civ, 6 décembre 2007 : perte de chance et information ; le seul préjudice indemnisable à la suite du non-respect de l'obligation d'information du médecin, laquelle a pour objet d'obtenir le consentement éclairé du patient, est la perte d'une chance d'échapper au risque qui s'est finalement réalisé

Cass. 1re civ, 3 juin 2010 : revirement ; obs Houtcieff ; préjudice d'impréparation
toute personne a le droit d'être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci ; son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n’est pas à même de consentir ; le non-respect du devoir d’information qui en découle, cause à celui auquel l’information était légalement due, un préjudice, qu’en vertu du dernier des textes susvisés, le juge ne peut laisser sans réparation

Cass. 1e civ., 9 février 2012 : l'indemnité due à la victime d'un accident médical qui a perdu une chance, du fait d'un défaut d'information sur les risques d'une intervention chirurgicale dans les conditions prévues par le second de ces textes, d'éviter le dommage en refusant définitivement ou temporairement l'intervention projetée, doit être déterminée en fonction de son état et de toutes les conséquences qui en découlent pour elle et correspondre à une fraction, souverainement évaluée, de ses préjudices

II - Cause multiples du dommage : la bonne fortune de la perte de chance

A - La cause incertaine de l’entier dommage palliée par la perte de chance

Cass. 1re civ., 5 novembre 2009 : perte de chance de la mère car le médecin ne fait pas tous les examens indispensables compte tenu des symptômes

Cass. 1e civ., 28 janvier 2010 : tous les comportements qui ont retardé le diagnostic de souffrance foetale ont contribué directement au préjudice ... ; il en est de même des fautes commises lors de l'accouchement .... M. X..., M. Y... et le CMCM, dont les fautes avaient, au moins pour partie, été à l'origine du dommage, sont responsables in solidum de la perte de chance subie par Vincent A... de voir limiter son infirmité cérébrale, peu important que l'origine première du handicap soit affectée d'un degré d'incertitude

Cass. 1e civ., 17 février 2011 : l'ensemble des fautes commises par le médecin et le personnel de la clinique avait fait perdre à l'enfant des chances certaines d'échapper à la constitution ou à l'aggravation des lésions cérébrales, peu important qu'il eût subsisté une incertitude sur l'origine de la pathologie et notamment sur l'existence possible de facteurs pathogènes anténataux non identifiables

Cass. 1re civ., 22 septembre 2011: en statuant ainsi, sans rechercher si, comme cela le lui était demandé, l'absence d'investigations complémentaires reprochée aux praticiens n'avait pas fait perdre à Roger X... une chance de bénéficier d'un diagnostic et d'un traitement qui auraient pu éviter son décès, peu important que la cause de celui-ci demeure indéterminée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé

B – La cause incertaine de la perte de chance

Cass. 1e civ., 14 octobre 2010 : la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable, de sorte que ni l'incertitude relative à l'évolution de la pathologie, ni l'indétermination de la cause du syndrome de détresse respiratoire aiguë ayant entraîné le décès n'étaient de nature à faire écarter le lien de causalité entre la faute commise par M. Y..., laquelle avait eu pour effet de retarder la prise en charge de Claire X..., et la perte d'une chance de survie pour cette dernière.

Cass. 1e civ., 7 juillet 2011 ; les fautes avaient fait perdre à Alain X... une chance de retarder l'échéance fatale que comportait sa maladie et d'avoir une fin de vie meilleure et moins douloureuse, ce qui constituait une éventualité favorable

Cass. 1e civ., 6 octobre 2011 : Mme Y... avait commis une faute de surveillance ayant entraîné une perte de chance pour M. X... de recevoir un traitement au laser plus précoce et d'éviter les séquelles dont il était atteint

Cass. crim, 3 novembre 2010 : il n'est pas établi avec certitude que les agissements de MM. Y... et Z... ont fait perdre toute chance de survie à Mme X... ; il n'existe pas de relation certaine de causalité entre les agissements reprochés et le décès

Evaluation du préjudice :
Cass. 1re civ., 9 février 2012 : l'indemnité due à la victime d'un accident médical qui a perdu une chance, du fait d'un défaut d'information sur les risques d'une intervention chirurgicale dans les conditions prévues par le second de ces textes, d'éviter le dommage en refusant définitivement ou temporairement l'intervention projetée, doit être déterminée en fonction de son état et de toutes les conséquences qui en découlent pour elle et correspondre à une fraction, souverainement évaluée, de ses préjudices
Cass. 1re civ., 18 juillet 2000 : l'indemnité de réparation de la perte de chance d'obtenir une amélioration de son état ou d'échapper à une infirmité, ne saurait présenter un caractère forfaitaire ; cette indemnité, qui doit correspondre à une fraction des différents chefs de préjudice supportés par la victime