Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du jeudi 9 février 2012

N° de pourvoi: 10-25915
Non publié au bulletin Cassation partielle

Sur le moyen unique :

Vu les articles 1382 du code civil, ensemble L. 1111-2 du code de la santé publique ;

Attendu que l'indemnité due à la victime d'un accident médical qui a perdu une chance, du fait d'un défaut d'information sur les risques d'une intervention chirurgicale dans les conditions prévues par le second de ces textes, d'éviter le dommage en refusant définitivement ou temporairement l'intervention projetée, doit être déterminée en fonction de son état et de toutes les conséquences qui en découlent pour elle et correspondre à une fraction, souverainement évaluée, de ses préjudices ;

Attendu que pour évaluer à la somme globale de 5 000 000 francs CPP la somme due par M. X..., chirurgien, à M. Y..., pour avoir pratiqué sur lui, le 3 avril 2002, à l'âge de 48 ans, une arthroplastie du genou sans lui avoir délivré au préalable une information suffisante, tant sur le risque d'une algodystrophie, aléa thérapeutique qui s'était réalisé, que sur celui quasi-certain, compte tenu de son âge, de subir pendant plusieurs années les conséquences d'une usure de la prothèse, lui faisant ainsi perdre une chance de refuser l'intervention ou de la retarder, la cour d'appel, constatant qu'il était impossible d'évaluer le préjudice corporel que M. Y... aurait subi en vieillissant s'il ne s'était pas fait opérer, en a déduit que, faute d'une telle évaluation, il ne pouvait lui être alloué qu'une somme globale ; qu'en ne procédant pas à l'évaluation du préjudice corporel résultant pour M. Y... de l'intervention pratiquée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'elle a évalué à une somme globale de 5 000 000 francs CFP le préjudice résultant de la perte de chance subie par M. Y...

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Monod et Colin, avocat aux Conseils pour M. Y...

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné M. Alain X..., déclaré responsable d'un manquement à son obligation d'information envers M. Y..., à ne lui verser que la somme de 5.000.000 FCP en réparation du préjudice résultant de la perte d'une chance ;

AUX MOTIFS QU'il est constant qu'avant d'être opéré par le chirurgien X..., M. Y... était atteint de gonalgies du genou gauche sur une arthrose fémorotibiale très évoluée du compartiment externe, sur valgum et sur un état antérieur qui avait comporté deux interventions sur le genou gauche ; qu'il est également constant que par suite de l'intervention q'arthroplastie qu'il a subie, l'évolution naturelle qu'il aurait du connaître de son état antérieur à cette opération ne peut être déterminée ; que s'il est fortement à craindre que cette évolution naturelle ne pouvait être que négative, compte tenu des maux dont il souffrait déjà, il n'en demeure pas moins certain que la cour ne peut dire si cette évolution naturelle de son handicap aurait été pire que le handicap qu'il connaît depuis qu'il a été opéré par le docteur X... et ce par suite de l'algodystrophie qu'il connaît depuis l'opération et qui résulte d'un aléa thérapeutique indépendant de la qualité technique de l'opération elle-même ; qu'il est également acquis au vu du rapport de l'expert A..., qu'aucune critique n'a été formulée sur la réalisation technique de l'arthroplastie pratiquée et que le seul grief retenu contre le docteur X... par l'expert résulte du fait que la décision de mise en place d'une arthroplastie chez un adulte jeune doit être longuement et mûrement réfléchie, d'autant que ce type d'intervention est en général réservée à l'adulte âgé, en raison de la durée de vie limitée d'une telle intervention ; qu'ainsi le docteur X... bien qu'ayant fait signer à M. Y... un document de consentement à une intervention chirurgicale sur lequel était mentionné le risque d'un aléa thérapeutique, aurait du fortement attiré l'attention de son patient éventuellement par écrit sur le type d'aléa résultant d'une telle intervention et sur ses inconvénients ainsi que sur son jeune âge et la durée de vie de la prothèse qui lui serait placée ; que si cette information complète avait été donnée à M. Y..., celui-ci aurait été pleinement informé de toutes les conséquences éventuelles d'une arthroplastie et aurait pu éventuellement refuser une telle intervention soit définitivement, soit avant d'avoir un âge avancé ; qu'en ayant privé, du fait d'une information incomplète M. Y... d'avoir. été en mesure de·choisir de manière parfaitement éclairée en fonction de son « jeune âge » de vivre encore pendant plusieurs années avec le handicap relativement lourd qu'il connaissait avant l'opération ou de tenter l'opération avec non seulement le risque de l'aléa thérapeutique en matière arthroplastie, mais encore le risque quasi certain de subir pendant plusieurs années avant sa mort les inconvénients relatifs à l'usure de sa prothèse, le docteur X... a fait perdre à M. Y... une chance de vivre le moins mal possible ; que la cour qui ne peut évaluer le préjudice corporel antérieur que M. Y... aurait subi en vieillissant, s'il ne s'était pas fait opérer, ne peut se baser sur une réparation classique d'un préjudice corporel pour indemniser ce dernier, alors que la réparation d'un préjudice tenant à une perte de chance ne peut se concevoir que par allocation d'une somme globale plus ou moins importante en fonction de l'importance de la chance perdue ; que la somme de 5.000.000 F CFP, correspond à la juste indemnisation de la chance perdue par M. Y... du fait de l'insuffisance des informations que lui a données le docteur X... ;

ALORS QUE le médecin qui omet d'attirer l'attention de son patient sur les aléas et les inconvénients résultant de l'intervention qu'il lui propose engage sa responsabilité ; que l'indemnisation du préjudice corporel de la victime résultant des conséquences d'une telle opération consiste en la perte d'une chance d'échapper au risque dont le patient n'a pas été avisé ; que cette perte de la chance doit s'évaluer non pas au regard du préjudice corporel que le patient aurait enduré s'il n'avait pas été opéré, mais en proportion du préjudice corporel résultant de l'opération ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté que le docteur X... avait failli à son obligation d'informer M. Y... des conséquences de l'opération et qu'il lui avait, ainsi, fait perdre une chance de vivre le moins mal possible ; qu'en fixant le montant de la réparation due par le médecin à M. Y... à une somme globale de 5.000.000 FCP sans procéder à l'évaluation du préjudice corporel résultant de l'opération, la cour d'appel a entaché sa décision d'un manque de base légale au regard de l'article 1382 du code civil.

Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du jeudi 12 janvier 2012

N° de pourvoi: 10-24447
Non publié au bulletin Cassation partielle

Met hors de cause sur sa demande le centre hospitalier régional universitaire de la Guadeloupe ;

Sur le moyen unique :

Vu les articles 16 et 16-3 du code civil, ensemble l'article L. 1111-2 du code de la santé publique ;

Attendu que, pour débouter M. X..., opéré, à la suite d'un traumatisme au genou droit, par M. Y..., chirurgien, de son action en responsabilité à l'égard de ce dernier, la cour d'appel, adoptant expressément les motifs des premiers juges, a constaté que les séquelles subies par le patient étaient une conséquence de l'évolution naturelle de son état et non des actes pratiqués et que, bien que ne soit pas contesté le fait qu'il n'avait reçu aucune information lors des interventions litigieuses, l'acte médical non consenti n'avait pas produit de conséquences dommageables autres que la simple méconnaissance de sa volonté ;

Qu'en statuant ainsi, alors que toute personne a le droit d'être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci, et que son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n'est pas à même de consentir, de sorte que le non-respect du devoir d'information qui en découle, cause à celui auquel l'information était légalement due, un préjudice, que le juge ne peut laisser sans réparation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche : CASSE ET ANNULE

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Brouchot, avocat aux Conseils pour M. X....

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR débouté M. X... de l'ensemble de ses prétentions ;

AUX MOTIFS QUE le Dr Z..., commis en qualité d'expert, par décision du tribunal de grande instance de Pointe à Pitre, dans le cadre du présent litige, a conclu son rapport déposé le 10 avril 2003, en indiquant que « les lésions que M. X... impute aux interventions du Dr Y..., ne sont pas la conséquence de l'intervention du Dr Y..., l'évolution naturelle de son traumatisme au genou droit. Les soins du Dr Y... ont été effectués suivant les règles de l'art, on ne peut relever aucune faute à l'égard de ce praticien » ; que l'expert a précisé, aux termes de son rapport, que le traumatisme de la rotule peut évoluer sans raison vers une chondropathie de la rotule qui se manifeste surtout par des douleurs entraînant une impotence fonctionnelle du membre atteint et a conclu que dans le cas de M. X..., il s'agissait de l'évolution naturelle de cette forme d'affectation, son état n'ayant pas été aggravé lors des interventions subies ; que M. X..., qui ne formule aucune critique de ce rapport, ne produit aucun élément permettant de remettre en cause ces conclusions basées sur un examen attentif de la victime ainsi que des pièces médicales du dossier ; que s'agissant de l'obligation d'informer le patient sur la nature de l'acte médical envisagé, sur ses risques et d'éventuelles alternatives thérapeutiques, c'est par des motifs tout à fait pertinents qui méritent adoption que les juges du premier degré ont dit et jugé que l'acte médical non consenti n'a pas produit de conséquences dommageables au regard des conclusions de l'expert ; que la responsabilité du praticien ne saurait dès lors être engagée ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE le Dr Y... oppose que l'arthroscopie du 9 octobre 1990 consistait en un examen à but simplement diagnostique et que l'intervention du 9 mars 1994, une arthrotomie pratiquée dans le même temps qu'une arthroscopie, n'a consisté que dans une régularisation au bistouri et à la curette, intervention à laquelle M. X... a forcément donné implicitement son consentement ; qu'il est certain que selon les termes de l'article L. 1111-2 alinéa 2 du code de la santé publique, l'information du patient incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables ; que l'obligation pour le médecin d'informer son patient sur la nature de l'acte médical entrepris est acquise depuis un arrêt de principe de la chambre des requêtes de la Cour de cassation du 28 janvier 1942 ; qu'au terme d'une jurisprudence aujourd'hui constante, le patient doit ainsi être averti de la nature exacte de l'acte exécuté, de ses risques, ainsi que d'éventuelles alternatives thérapeutiques ; que dans cette dernière hypothèse, le devoir du médecin dépasse d'ailleurs la simple obligation d'information, pour se doubler d'un véritable devoir de conseil, le praticien devant ainsi exposer au patient les risques et avantages des différentes techniques envisageables, avant de conseiller celle qui lui paraît la plus adéquate ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté qu'aucune information n'a été donnée au patient par le praticien ; que cependant et conformément à un arrêt de principe de la première chambre civile de la Cour de cassation du 7 février 1990 (Cass. 1ère civ., 7 février 1990, Bull. civ. I n° 39), le médecin qui n'a pas recueilli le consentement libre et éclairé de son patient, n'a pas à être condamné à réparer l'entier préjudice corporel de ce dernier puisqu'il l'a seulement privé de la chance de refuser l'acte dommageable ; que M. X..., qui réclame réparation de son entier préjudice corporel, ne peut qu'être débouté de toute ses demandes indemnitaires ; que de surcroît, l'acte médical non consenti n'a pas produit de conséquences dommageables autres que la simple méconnaissance de la volonté de M. X... ; qu'en effet, l'expert a expliqué que le traumatisme de la rotule peut évoluer sans raison vers une chondropathie de la rotule chondropathie qui se manifeste surtout par des douleurs entraînant une impotence fonctionnelle du membre atteint et il a conclu que dans le cas de M. X..., il s'agissait donc de l'évolution naturelle de cette forme d'affectation et que son état n'a pas été aggravé lors des interventions subies ;

ALORS, D'UNE PART, QUE le manquement d'un médecin à son obligation légale et contractuelle d'information de son patient sur les risques et les conséquences d'une intervention chirurgicale cause nécessairement à celui-ci un préjudice que le juge est tenu de réparer ; que tout en retenant la faute du Dr Y... à raison de son manquement avéré à son obligation d'informer M. X..., la cour d'appel a considéré que cette faute n'avait causé aucun préjudice prouvé à ce patient qui a seulement été privé de la chance de refuser l'acte dommageable ; qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel a méconnu le principe de la présomption d'existence d'un préjudice causé par le manquement du médecin à son obligation d'informer son patient, violant ainsi les articles 16, 16-3 et 1382 du code civil et L. 1111-6 du code de la santé publique pris ensemble ;

ALORS, D'AUTRE PART, QU'en toute hypothèse, à tout le moins, tout patient qui n'a pas été informé préalablement aux soins ou à l'intervention chirurgicale des risques et conséquences de ceux-ci, perd une chance, constitutive d'un préjudice, de refuser l'acte dommageable ; que tout en retenant que le Dr Y... avait fait perdre à M. X... la chance de refuser l'acte dommageable, la cour d'appel qui l'a cependant débouté de toute demande indemnitaire, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations desquelles il résultait l'existence d'un préjudice indemnisable né de cette perte de chance au regard des articles 16, 16-3 et 1382 du code civil et L. 1111-6 du code de la santé publique qu'elle a ainsi violés.

 

 

Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du jeudi 28 janvier 2010

N° de pourvoi: 09-10992
Publié au bulletin Cassation partielle

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, ensemble l'article 16-3 du code civil ;

Attendu qu'en vertu du premier de ces textes, le médecin répond, en cas de faute, des conséquences dommageables des actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'il accomplit et, en vertu du second, qu'il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui ;

Attendu que pour limiter la condamnation de M. X... à l'indemnisation de certains dommages subis par Mme Y..., la cour d'appel retient qu'en raison de la violation de son devoir d'information par le médecin, celle-ci a perdu une chance d'éviter l'opération chirurgicale incriminée ;

Qu'en statuant ainsi alors qu'elle avait retenu que les préjudices dont Mme Y... avait été victime découlaient de façon directe, certaine et exclusive d'une intervention chirurgicale mutilante, non justifiée et non adaptée, de sorte qu'ils ouvraient aussi droit à réparation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Blanc, avocat aux Conseils pour Mme Y....

Il est reproché à l'arrêt d'avoir réformé le jugement en ce qu'il avait condamné le docteur X... à payer à Madame Y... diverses sommes en réparation de son incapacité temporaire totale et partielle, de son pretium doloris et de son incapacité permanente,

Aux motifs que le professeur A...avait estimé que le docteur X... avait fait une intervention mutilante, inutile, inadaptée à la pathologie et avait réuni toutes les conditions opératoires d'un échec ; qu'à la suite de cette intervention non justifiée et inadaptée, Madame Y... avait subi un certain nombre de préjudices ; que de l'intervention chirurgicale incriminée découlaient directement, certainement et de manière exclusive une incapacité temporaire d'un mois et une incapacité temporaire partielle de 15 %, une incapacité permanente partielle et un pretium doloris chiffré à 3 / 7 ; que le docteur X... n'avait pas démontré avoir informé Madame Y... des risques de l'opération pratiquée ; que le préjudice subi par Madame Y... en raison de la violation de son devoir d'information par le docteur X... devait s'analyser en une perte de chance d'éviter l'opération chirurgicale ; que le premier juge ne pouvait donc, sans procéder à une double indemnisation, lui allouer à la fois la somme de 5000 euros en réparation de la perte de chance liée au défaut d'information et celle de 10600 euros au titre de la réparation intégrale de son préjudice corporel ; que pour parvenir à l'indemnisation du préjudice de Madame Y..., il convenait de reconstituer celui-ci en tous ses éléments et d'y affecter la proportion de perte de chance d'en éviter la réalisation ; qu'au vu des circonstances, la réparation de la perte de chance serait fixée à 16. 000 euros ;

Alors que 1°) le chirurgien répond de toutes les conséquences dommageables de ses fautes ; qu'en n'ayant pas ordonné la réparation des préjudices causés par « l'intervention mutilante, inutile et inadaptée à la pathologie » pratiquée par le docteur X..., à l'origine de fautes distinctes de celle tirée du manquement au devoir d'information, la cour d'appel a violé les articles L 1142-1 du code de la santé publique et 1147 du code civil ;

Alors que 2°) le juge doit assurer à la victime l'indemnisation intégrale des préjudices dont il a constaté l'existence ; que la cour d'appel, qui a constaté que « de l'intervention chirurgicale incriminée découlaient de façon directe, certaine et exclusive » des dommages à hauteur de 17. 000 euros, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1149 du code civil ;

Publication : Bulletin 2010, I, n° 20