Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mardi 16 juillet 1991

N° de pourvoi: 90-14645
Publié au bulletin Cassation partielle.

Attendu qu'en mai 1978, Mme X... faisait l'objet d'un examen prénuptial par M. Gosse-Gardet, docteur en médecine, qui s'abstenait de lui prescrire l'examen sérologique de rubéole qui est obligatoire ; que le 19 mai 1982, elle consultait le médecin généraliste Laffereyrie pour une manifestation allergique ; qu'à la fin du même mois, Mme Larrat, gynécologue faisait procéder à un dosage des anticorps rubéoliques mais n'en tirait aucune conséquence ; que le 19 janvier 1983, Mme X... donnait naissance à une fille présentant une cataracte bilatérale, une surdité et une malformation cardiaque, anomalies caractéristiques d'une infection rubéolique contractée par la mère en début de grossesse ; que par jugement du 15 avril 1986, le Tribunal a constaté que M. Gosse-Gardet et Mme Larrat avaient commis des fautes qui se sont traduites par la perte d'une chance ; que par arrêt du 8 mars 1990, le docteur Larrat a été mis hors de cause et le docteur Gosse-Gardet condamné à payer une somme de 800 000 francs ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal, de M. Gosse-Gardet, pris en ses première, deuxième, troisième et cinquième branches :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir condamné M. Gosse-Gardet à payer aux époux X..., pris en qualité d'administrateurs légaux de leur fille Aurore, la somme de 800 000 francs
alors que, d'une part, la responsabilité d'un médecin ne peut être retenue que s'il existe un lien de causalité direct et certain entre la faute qui lui est imputée et le dommage à réparer ; qu'ayant elle-même constaté que le comportement fautif de M. Gosse-Gardet n'avait pas de relation directe avec le dommage, la cour d'appel devait exclure toute responsabilité de ce dernier ; qu'en décidant le contraire, au mépris de ses propres constatations, elle a violé l'article 1147 du Code civil ;
alors que, d'autre part, la réparation du préjudice constitué par la perte d'une chance suppose que soit caractérisé un lien de causalité direct et certain entre la faute constatée et le dommage ; que, dès lors, en se bornant à affirmer que la participation indirecte de la faute de M. Gosse-Gardet au dommage subi par la fillette établissait la contribution du médecin à la perte, pour l'enfant, d'une chance de naître indemne des handicaps causés par la rubéole, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre la faute de M. Gosse-Gardet et les séquelles dont l'enfant reste atteinte, et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
alors, ensuite, qu'il résulte des constatations de la cour d'appel que d'autres médecins auraient pu, durant les 4 années écoulées entre l'examen prénuptial et la grossesse de Mme X..., prodiguer à cette dernière l'information dont le défaut était reproché à M. Gosse-Gardet ; que dès lors, en déclarant que celui-ci seul avait contribué de manière manifeste et non équivoque à la perte, pour l'enfant, de la chance de naître indemne des handicaps causés par la rubéole, la cour d'appel n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient et a violé l'article 1147 du Code civil ;
alors enfin, que dans leurs conclusions d'appel, les époux X... s'étaient bornés à demander, en réparation de l'intégralité du préjudice subi par l'enfant, une provision d'attente d'un montant de 500 000 francs ; que dès lors, en déclarant que le dommage, constitué par la perte d'une chance, devait être évalué à 800 000 francs, les juges d'appel ont méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel, qui a pu estimer que le médecin qui n'avait pas demandé la sérologie de la rubéole lors de l'examen prénuptial avait commis une faute professionnelle, en a exactement déduit qu'il existait un lien de causalité entre l'abstention fautive de ce médecin et la perte d'une chance pour l'enfant d'éviter de supporter les conséquences de la rubéole contractée par sa mère en début de grossesse ;

...

REJETTE le pourvoi principal, pris en ses première, deuxième, troisième et cinquième branches ;

Mais sur le pourvoi principal, pris en sa quatrième branche et sur le pourvoi incident des époux X... :

Vu l'article 1147 du Code civil ;

Attendu que pour écarter la responsabilité de Mmes Laffereyrie et Larrat, la cour d'appel a énoncé, après avoir constaté que Mme Laffereyrie n'avait pas prescrit pour l'établissement d'un certificat de grossesse de test de recherche de la rubéole et que Mme Larrat n'avait pas prescrit un deuxième examen après avoir eu connaissance d'un taux d'anticorps antirubéoleux, qu'il résultait notamment des rapports d'expertise que la rubéole dont a été atteinte Mme X... a été contractée au début de sa grossesse et que les deux médecins qui l'ont alors suivie ne disposaient, aux dates auxquelles Mme X... les a consultés, en dépit des carences dont ils ont fait preuve, d'aucun moyen de prévenir les malformations dues à une rubéole congénitale ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'en ne procédant pas aux examens qui leur auraient permis d'informer les époux X... des risques que présentait l'état de grossesse de l'épouse, Mmes Laffereyrie et Larrat n'ont pas rempli l'obligation de renseignement dont elles étaient tenues à l'égard de leur patiente et qui aurait permis aux époux X... de prendre une décision éclairée quant à la possiblité de recourir à une interruption de grossesse thérapeutique, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE

Publication : Bulletin 1991 I N° 248 p. 162
Gaz. Pal. 1999, n° 128, 16, obs. F. Chabas
JCP G 1992, II, 394, Note A. Dorsner-Dolivet

Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mardi 29 juin 1999

N° de pourvoi: 97-14254
Publié au bulletin Cassation partielle.

Attendu que M. Y..., qui souffrait d'une arthrose tricompartimentale du genou gauche, a été opéré le 29 janvier 1988 dans un établissement de santé, la Clinique Ambroise-Paré, par le docteur X..., qui lui a posé une prothèse totale de ce genou ; qu'après cette intervention, M. Y... a souffert d'une infection nosocomiale due à des staphylocoques dorés dont l'éradication a nécessité plusieurs interventions chirurgicales et des changements de prothèse, la consolidation n'intervenant que le 31 décembre 1990 et M. Y... étant atteint d'une IPP lui interdisant la poursuite de son activité professionnelle ; qu'il a engagé une action tant contre l'établissement de santé que contre M. X..., mais que l'arrêt attaqué, estimant que ces derniers n'avaient commis aucune faute à l'occasion de l'apparition de l'infection nosocomiale, les a mis hors de cause de ce chef ; que la cour d'appel a toutefois retenu que M. X... n'avait pas informé son patient du risque d'infection nosocomiale inhérent à la pose de la prothèse et évalué le préjudice en résultant pour M. Y... à la somme de 70 000 francs ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident de M. X... : (sans intérêt) ;

Mais sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches du pourvoi principal de la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis :

Vu les articles 1147 du Code civil et L. 376-1 du Code de la sécurité sociale ;

Attendu que pour rejeter le recours de la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis tendant au remboursement des prestations qu'elle avait servies à M. Y..., l'arrêt attaqué a énoncé qu'elle ne pouvait exciper utilement de la faute d'information retenue à l'encontre du docteur X... pour prétendre à quelque indemnisation que ce soit, dès lors que cette faute est étrangère à l'affection elle-même ayant entraîné les débours de cette Caisse et qu'en outre, le préjudice qui en a résulté pour M. Y..., de nature morale, lui est personnel ;

Attendu, cependant, que dans le cas où la faute du médecin a fait perdre au patient la chance d'échapper à une atteinte à son intégrité physique, le dommage qui en résulte pour lui est fonction de la gravité de son état réel et de toutes les conséquence en découlant ; que sa réparation ne se limite pas au préjudice moral mais correspond à une fraction des différents chefs de préjudice qu'il a subis, de sorte qu'au titre des prestations qu'ils ont versées en relation directe avec le fait dommageable, les tiers payeurs peuvent exercer leur recours sur la somme allouée à la victime en réparation de la perte de chance d'éviter une atteinte à son intégrité physique, à l'exclusion de la part d'indemnité de caractère personnel ;

D'où il suit qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur la troisième branche du même moyen :

Vu l'article 1147 du Code civil ;

Attendu que le contrat d'hospitalisation et de soins conclu entre un patient et un établissement de santé met à la charge de ce dernier, en matière d'infection nosocomiale, une obligation de sécurité de résultat dont il ne peut se libérer qu'en rapportant la preuve d'une cause étrangère ;

Attendu que pour débouter M. Y... de sa demande formée contre la Clinique Ambroise-Paré à raison de la survenance de l'infection nosocomiale, la cour d'appel a énoncé quaucune négligence ou défaillance fautive ne pouvait être reprochée à cet établissement de santé pendant la phase pré et postopératoire ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce que qu'il a décidé que M. X... était responsable, en raison de l'absence d'information sur le risque d'infection nosocomiale, de la perte de chance subie par M. Y..., l'arrêt rendu le 19 décembre 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.

Publication : Bulletin 1999 I N° 220 p. 141