Attendu que, le 5 août 1998, Jean-Louis X... a été opéré par M. Y..., en raison de lésions sténosantes majeures à l'origine d'une carotidie interne droite ; qu'une hémiplégie s'installait dès l'après midi du 5 août ; que l'état de santé du patient ne cessait de se détériorer jusqu'à son décès survenu le 23 novembre 2001 ; que sa veuve et son fils (les consorts X...) ayant assigné M. Y... en responsabilité et indemnisation, la cour d'appel a partiellement accueilli leurs demandes ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal des consorts X... :
Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt, qui constate que M. Y... n'avait pas rempli son devoir d'information envers eux, d'avoir dit que le préjudice subi par eux était exclusivement un préjudice moral et d'avoir, en conséquence, condamné M. Y... à leur payer des indemnités de ce seul chef, alors, selon le moyen :
1°) que la cour d'appel a constaté, d'une part, que M. Y... avait manqué à son devoir d'information en n'indiquant pas le risque qui s'est réalisé et qui, d'après les experts, était un risque connu même s'il était rare, et, d'autre part, qu'il n'y avait pas un caractère d'urgence ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations d'où il résultait que le patient avait été privé d'une chance de remettre l'opération et de ne pas subir, le 5 août 1998, jour de l'intervention litigieuse, le risque encouru, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
2°) qu'en énonçant que Jean-Louis X... se serait fait opérer même s'il avait été avisé de la possibilité de la complication, la cour d'appel a procédé par voie d'affirmation, en violation de l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient que si le médecin traitant du
patient avait établi une attestation indiquant que l'opération
n'avait pas un caractère d'urgence, il n'en restait pas moins qu'il avait
adressé son patient quatre jours après ses derniers examens à
M. Y..., alors même que l'on était en pleine période d'été,
ce qui démontrait son inquiétude ; que l'on devait considérer
que, compte tenu de la gravité du problème cardiaque, de son évolution
rapide, et du caractère relativement faible du risque encouru, présenté
par les experts comme un risque rare, le patient se serait fait opérer,
même si M. Y... l'avait avisé d'une possibilité de complication;
qu'il ne pouvait donc être soutenu que le défaut d'information
avait fait perdre au patient une chance de ne pas subir la pathologie dont il
a été atteint en rappelant que son affection mettait
sa vie à plus ou moins longue échéance en danger et que
le temps passé n'était pas pour lui un facteur d'amélioration
; que la cour d'appel a pu en déduire l'absence de lien causal
entre la perte de chance alléguée et la faute de M. Y...
;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait dans sa seconde branche,
n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi incident de M. Y..., pris en sa première
branche :
Vu les articles R. 4127-36 du code de la santé publique et 1382 du code
civil ;
Attendu que le médecin n'est tenu d'informer les proches du malade et
de recueillir leur consentement que lorsque celui-ci est dans l'impossibilité
de donner son accord ;
Attendu que, pour condamner M. Y... à payer aux consorts X... une certaine somme à titre de dommages-intérêts, afin de réparer le préjudice moral subi par eux, à titre personnel, en raison du manquement, par M. Y..., à son obligation d'information, l'arrêt retient que le préjudice de la veuve et du fils de Jean-Louis X... aurait été moindre s'ils avaient, eux aussi, été avisés des risques encourus par celui-ci, et qu'eu égard à la nature de ces risques, ils auraient dû l'être par M. Y... ;
Qu'en statuant ainsi, alors que Jean-Louis X... étant en mesure de recevoir l'information et de consentir de façon éclairée aux soins proposés, le médecin n'avait pas à donner l'information litigieuse à l'entourage familial, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen du pourvoi incident de M. Y... :
Vu les articles R. 4127-36 du code de la santé publique et 1382 du code
civil ;
Attendu que l'arrêt retient que le manquement, par M. Y..., à son devoir d'information à l'égard de Jean-Louis X... avait été la source d'un préjudice moral ;
Qu'en statuant ainsi, quand le seul préjudice indemnisable à la suite du non-respect de l'obligation d'information du médecin, laquelle a pour objet d'obtenir le consentement éclairé du patient, est la perte de chance d'échapper au risque qui s'est finalement réalisé, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, CASSE ET ANNULE
Publication : Bulletin 2007, I, N° 380
D. 2008. Jur. 192, note P. Sargos, Pan. 2894, et obs. P. Brun et P. Jourdain
;
RTD civ. 2008. 303, obs. P. Jourdain, et 272, obs. J. Hauser ;
L. Neyret, La Cour de cassation neutralise l'obligation d'information de certains
professionnels, D. 2008. Chron. 804 ;
M. Bacache, Le défaut d'information sur les risques de l'intervention
: quelles sanctions ?, D. 2008. Chron. 1908 ;
JCP 2008. II. 125, n° 3, obs. P. Stoffel-Munck ;
RLDC 2008. 3016, obs. C. Corgas-Bernard