Liberté d'expression, satire et caricature
Principes - Limites

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photo : Stéphane Mahé/Reuters

Principe de la liberté d'expression

Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen de 1789

Article 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »

Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme

Article 10 – Liberté d'expression
Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : l'intégralité ici

 

Principe : La parodie et la satire sont autorisées par le droit français, en vertu du principe de liberté d'expression et d'information.


Arrêts Guignols de l'info contre Citroën : Cass. AP 12 juillet 2000 : "les propos mettant en cause les véhicules de la marque s'inscrivaient dans le cadre d'une émission satirique diffusée par une entreprise de communication audiovisuelle et ne pouvaient être dissociés de la caricature faite de M. X..., de sorte que les propos incriminés relevaient de la liberté d'expression sans créer aucun risque de confusion entre la réalité et l'oeuvre satirique"

Cass. 1re civ., 13 janvier 1998 (caricature-pin's de présentateurs TV) : "chacun a le droit de s'opposer à la reproduction de son image, et que cette reproduction sous forme de caricature n'est licite, selon les lois du genre, que pour assurer le plein exercice de la liberté d'expression"

La formulation retenue par la Cour de cassation est proche de celle de l’Art. L. 122-5 , 4° du Code de la propriété intellectuelle : « l’auteur d’une œuvre divulguée ne peut interdire la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ». Les personnes peuvent voir leur image utilisée de façon caricaturale sans que leur autorisation n’ait à être sollicitée.

 

Le blasphème est autorisé

Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui supprime le délit de blasphème

 

Article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »

Le délit de blasphème existe encore en Alsace-Moselle mais est vraisemblablement en voie d'être abandonné, à la demande des représentants des principaux cultes.

Condamnation du blasphème dans

La Bible, le Lévitique (24.1016) "celui qui blasphémera le nom de l’Éternel sera puni de mort, toute l’assemblée le lapidera. Qu’il soit étranger ou indigène, il mourra, pour avoir blasphémé le nom de dieu"
Le Coran : « Ceux qui injurient (offensent) Allah et Son messager, Allah les maudit ici-bas, comme dans l’au-delà et leur prépare un châtiment avilissant » (Sourate Al Ahzab 33:57)

Jurisprudence :

Un film intitulé "La dernière tentation du Christ", de Scorcese a été distribué en France à partir de septembre 1988. Des associations, estimant que ce film portait atteinte au respect dû aux sentiments les plus profonds des chrétiens et, de façon générale, à toutes les convictions religieuses, en ont demandé l'interdiction.
L'émoi a été très important. Le cardinal Lustiger,écrit dans Le Figaro du 31 octobre 1991 : « cet irrespect d’autrui est une atteinte plus grave qu’il n’y paraît au pacte social. De telles pratiques pourraient être passibles des tribunaux ». Le cinéma Saint Michel subit un attentat dans la nuit du 22 au 23 octobre 1988 : un groupe d'intégristes catholiques y dépose un engin incendiaire.
La Cour d'appel refuse l'interdiction, et est approuvée par la Cour de cassation :
Cass. 1re civ, 29 octobre 1990 : le principe de la liberté d'expression, notamment en matière de création artistique, d'une part, comme, d'autre part, celui du respect dû aux croyances et le droit de pratiquer sa religion étant d'égale valeur, il appartenait aux juges du fait de décider des mesures appropriées à faire respecter ce nécessaire équilibre ;
sans nier la possibilité d'abus de droit en de pareils domaines, qui constitueraient alors des troubles manifestement illicites, la cour d'appel, - qui a relevé qu'il y avait lieu d'éviter " que quiconque se trouve, parce que non prévenu, en situation d'être atteint dans ses convictions profondes " au même titre que de ne pas porter atteinte à la liberté d'expression - a pu estimer qu'il n'y avait pas eu, en la circonstance, trouble manifestement illicite et décider souverainement des mesures les plus appropriées à préserver le juste équilibre des droits et libertés en cause ; que,
ce faisant, elle n'a pas pris en considération la subjectivité personnelle de tel ou tel spectateur et qu'elle a répondu, par la généralité des mesures prises, aux préoccupations exprimées dans les conclusions invoquées

Procès de Charlie-Hebdo, après les publications des caricatures de Mahomet :
TGI de Paris, 22 mars 2007 : "Attendu que Charlie Hebdo est un journal satirique, contenant de nombreuses caricatures que nul n'est obligé d'acheter ou de lire, à la différence d'autres supports tels que des affiches exposées sur la voie publique; Attendu que toute caricature s'analyse en un portrait qui s'affranchit du bon goût pour remplir une fonction parodique (...)
Attendu que le genre littéraire de la caricature, bien que délibérément provocant, participe à ce titre à la liberté d'expression et de communication des pensées et des opinions (...)
Sur ce procès et son récit, voir le blog de Pascale Robert-Diard

..

Sur la laïcité, voir la loi du 9 décembre 1905, en intégralité ici.

Quelques extraits :
Article 1
La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.
Article 2
La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes.
Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.
Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l'article 3.
Article 27
Les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d'un culte, sont réglées en conformité de l'article L2212-2 du code général des collectivités territoriales.
Les sonneries des cloches seront réglées par arrêté municipal, et, en cas de désaccord entre le maire et le président ou directeur de l'association cultuelle, par arrêté préfectoral.
Le décret en Conseil d'Etat prévu par l'article 43 de la présente loi déterminera les conditions et les cas dans lesquels les sonneries civiles pourront avoir lieu.
Article 28
Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions.
Article 31
Sont punis de la peine d'amende prévue pour les contraventions de la 5ème classe et d'un emprisonnement de six jours à deux mois ou de l'une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l'auront déterminé à exercer ou à s'abstenir d'exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d'une association cultuelle, à contribuer ou à s'abstenir de contribuer aux frais d'un culte.
Article 34
Tout ministre d'un culte qui, dans les lieux où s'exerce ce culte, aura publiquement par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d'un service public, sera puni d'une amende de 3 750 euros. et d'un emprisonnement d'un an, ou de l'une de ces deux peines seulement.
La vérité du fait diffamatoire, mais seulement s'il est relatif aux fonctions, pourra être établi devant le tribunal correctionnel dans les formes prévues par l'article 52 de la loi du 29 juillet 1881. Les prescriptions édictées par l'article 65 de la même loi s'appliquent aux délits du présent article et de l'article qui suit.
Article 35
Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s'exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique, ou s'il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s'en sera rendu coupable sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d'une sédition, révolte ou guerre civile.

 

 

Limites à la liberté d'expression, à la satire et à la caricature : une certaine censure, indispensable, demeure

Le trouble à l'ordre public évoqué par l'art. 10 de la DDHC est difficilement admis (voir plus haut l'affaire la dernière tentation du Christ).

Il a pourtant été retenu par le Conseil d'Etat pour fonder l'interdiction du spectable de Dieudonné, "Le mur" ;
CE, 9 janvier 2014
:
"le spectacle " Le Mur ", précédemment interprété au théâtre de la Main d'Or à Paris, le préfet de la Loire-Atlantique a relevé que ce spectacle, tel qu'il est conçu, contient des propos de caractère antisémite, qui incitent à la haine raciale, et font, en méconnaissance de la dignité de la personne humaine, l'apologie des discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la Seconde Guerre mondiale ; que l'arrêté contesté du préfet rappelle que M. B...D...a fait l'objet de neuf condamnations pénales, dont sept sont définitives, pour des propos de même nature ; qu'il indique enfin que les réactions à la tenue du spectacle du 9 janvier font apparaître, dans un climat de vive tension, des risques sérieux de troubles à l'ordre public qu'il serait très difficile aux forces de police de maîtriser"

Le respect de la vie privée limite la caricature, la satire, et de façon générale, la liberté d'expression. Les enfants des célébrités (ou les enfants célèbres) sont particulièrement protégés.

Par exemple, RTL a été condamné (au civil, à indemnisation) suite à un sketch de Laurent Gerra, mettant en scène la petite fille d'un homme politique (le sketch est restitué dans l'arrêt).
Cass. 1re civ, 20 mars 2014 : "le droit de chacun au respect de sa vie privée et familiale s'oppose à ce que l'animateur d'une émission radiophonique, même à dessein satirique, utilise la personne de l'enfant et exploite sa filiation pour lui faire tenir des propos imaginaires et caricaturaux à l'encontre de son grand-père ou de sa mère, fussent-ils l'un et l'autre des personnalités notoires et dès lors légitimement exposées à la libre critique et à la caricature incisive. L'arrêt, qui relève que, si les noms de B... et de Z... n'étaient pas cités, l'enfant était identifiable en raison de la référence à son âge, à son prénom exact, à celui de sa mère Marine et d'un tic de langage de son grand-père"

Des limites à la caricature et à la satire sont également posées par des infractions pénales prévues dans la loi de 1881 ou dans le Code pénal :

Loi de 1881

Les provocations aux crimes ou délits

loi de 1881, art. 23 : provocation suivie d'effet à un crime ou délit,
loi de 1881, 24 : provocation non suivie d'effet à commettre
des atteintes à la vie,
des vols, extorsion...
provocation à la haine raciale, ETC

Exemples :
Condamnation de Dieudonné, Cass. Assemblée plénière, 16 février 2007 : "l'affirmation " les juifs, c'est une secte, une escroquerie. C'est une des plus graves parce que c'est la première ", ne relève pas de la libre critique du fait religieux, participant d'un débat d'intérêt général mais constitue une injure visant un groupe de personnes en raison de son origine, dont la répression est une restriction nécessaire à la liberté d'expression dans une société démocratique"
En novembre 2012, le tribunal correctionnel de Paris condamne Dieudonné à 28 000 € d'amende pour « diffamation, injure et provocation à la haine raciale » dans deux vidéos publiées sur Internet, l'une concernant la chanson d'Annie Cordy "Chaud cacao" transformée en Shoananas, l'autre contenant la déclaration « les gros escrocs de la planète, ce sont des Juifs ».
Le 12 février 2014, la justice le condamne, pour « contestation de crimes contre l'humanité, diffamation raciale, provocation à la haine raciale et injure publique », à retirer deux passages de la vidéo 2014 sera l'année de la quenelle, qu'il avait postée sur YouTube

négation de crime contre l'humanité, art. 24 bis de la loi de 1881

diffusion de fausses nouvelles troublant la paix publique, art. 27 loi de 1881

l'injure, la diffamation, art. 29 à 35 quater Loi 1881 ; On notera à l'art. 32 l'incrimination de la diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée

Exemples :
Refus de condamnation
: cass. 1re civ., 12 juillet 2006 : "les propos poursuivis, isolés au sein d'un article critiquant la politique menée par le gouvernement d'Israël à l'égard des palestiniens, n'imputent aucun fait précis de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la communauté juive dans son ensemble en raison de son appartenance à une nation ou à une religion, mais sont l'expression d'une opinion qui relève du seul débat d'idées"

Refus de condamner Charlie Hebdo : Cass. 22 novembre 2011 : "l'article incriminé, portant sur un sujet d'intérêt général relatif aux mutilations sexuelles subies par les femmes et relatant une polémique préexistante, ne dépassait pas les limites admissibles de la liberté d'expression dans la critique des écrits publics d'un professeur de médecine, dans le contexte politique d'une campagne électorale"

Refus de condamner Charlie Hebdo : Cass. 26 avril 2001 : "ces propos ne sont pas révélateurs de la diffamation poursuivie en l'absence d'allégations de faits précis pouvant être imputés à un groupe religieux déterminé et de nature à porter atteinte à l'honneur et à la réputation de celui-ci, qu'il s'agit non d'attaques contre les fidèles d'une religion mais de critiques dont la virulence ne peut être appréciée qu'au regard du caractère ouvertement anticlérical et grossièrement satirique du journal Charlie hebdo, et qui, portant sur le rôle et les positions à travers l'histoire de l'Eglise catholique, en tant qu'institution représentée par le pape, relèvent d'un débat d'opinions qu'il n'appartient pas aux tribunaux d'arbitrer"

Condamnation : En juin 2010, le tribunal correctionnel de Reims condamne Dieudonné à 5 000 € d'amende et 10 000 € de dommages et intérêts pour diffamation envers la LICRA qu'il avait qualifiée « d'officine israélienne », en la rangeant parmi les « associations mafieuses qui organisent la censure » et « nient tous les concepts du racisme à part celui qui concerne les Juifs ».

+ quelques autres incriminations de publications liées à la justice (voir la loi de 1881)

 

Code pénal :

incrimination de l'apologie des actes de terrorismes
Article 421-2-5
Créé par LOI n°2014-1353 du 13 novembre 2014 - art. 5
Le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende.
Les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 € d'amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne.
Lorsque les faits sont commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle ou de la communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.

Exemple :

Affaires en cours : poursuite d'internautes et de Dieudonné pour apologie d'actes de terrorisme

 

Utilisation de l'image caricaturée ou satirique d'autrui, sans autorisation, à des fins commerciales

Cette autorisation de caricaturer ou de faire la satire d'autrui est limitée par la cour de cassation au domaine de la liberté d’expression.
Les juges l'excluent donc si l'unique but de la satire est la publicité commerciale ou la commercialisation d'un produit. La situation n’est pourtant pas clarifiée :
• le Président Sarkozy n’a pas obtenu gain de cause, alors qu’il agissait contre la commercialisation d’une Poupée vaudou à son effigie (CA de Paris, 28 novembre 2008), les juges ont considéré qu’un retrait des poupée du commerce était une sanction trop importante : seule l’apposition d’un bandeau sur les boites mentionnant la condamnation a été imposé. On note que cette décision impose cette sanction en raison de l’atteinte à la dignité de la personne, qui, on le voit, ne suffit pas, non plus à interdire la publication de l’image caricaturée.
• En revanche, l’épouse du même Président de la République a pu obtenir la cessation d’une publicité de Ryanair, utilisant son image (TGI Paris, 5 février 2008).
• la publicité pour un site internet de rencontres "Ashley et Madison" montrant les photos des 4 derniers présidents de la Rébublique française avec une trace de rouge à lèvre sur la joue a été interdite par l'ARPP (organe qui contrôle les publicités)
• Les innombrables masques de carnaval caricaturant les hommes politiques n'ont jamais été remis en cause : la liberté d'expression.


Hommage : les derniers dessins des victimes de l'attentat Charlie Hebdo

...photo de Martin Argyroglo

 

 

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