Contrôle d’un ancien règlement,
devenu loi par erreur (!) suite à une codification
Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 19 octobre 2004 Rejet
Statuant sur les pourvois formés par :
- LA SOCIETE PEUGEOT CITROEN POISSY,
- X... Alain,
contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 9ème chambre, en
date du 26 février 2004, qui, pour délit de pollution des eaux,
les a respectivement condamnés à 20 000 euros et à 2 250
euros d'amende et a ordonné une mesure de publication et d'affichage ;
(…)
Sur le deuxième moyen proposé pour la société Peugeot
Citroën Poissy, pris de la violation des articles 111-3, 112-1, 121-2 du
Code pénal, 22 et 28-1 de la loi du 3 janvier 1992, 5-I-30 de l'ordonnance
du 18 septembre 2000, 31-I-4 de la loi 2003-591 du 2 juillet 2003, 38 de la Constitution
du 4 octobre 1958, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
de 1789, 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 6, 591 et
593 du Code de procédure pénale, défaut, insuffisance et
contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré légales
les poursuites contre la personne morale SNC Peugeot Citroën Poissy ;
"aux motifs qu'il n'est pas contesté qu'à l'époque des
faits, la responsabilité de la personne morale, pour l'infraction à
l'article 22 de la loi du 3 janvier 1992, pouvait être mise en cause, sur
le fondement de l'article 28 de la loi ; que cette responsabilité est aujourd'hui
prévue par l'article L. 216-12 du Code de l'environnement, pour les infractions
mentionnées à l'article L. 216-5, lequel cite l'article L. 211-2
tendant, de manière générale, à garantir la pureté
des eaux ; qu'or, l'article L. 216-6 qui prévoit une sanction pour le délit
de pollution de l'eau, ne constitue qu'une application particulière de
l'article L. 211-2 ; que la responsabilité pénale de la personne
morale peut donc toujours être engagée, pour infraction à
l'article L. 216-6 du Code de l'environnement ; qu'au demeurant, la Cour fait
sienne l'argumentation du tribunal sur les effets de la codification à
droit constant, laquelle est confirmée par la loi du 3 juillet 2003 ;
"et aux motifs adoptés que la codification à droit constant
permet d'élaborer un code sans examen et débats sur le fond et vise
à rendre des dispositions plus accessibles et intelligibles au citoyen
; que dès lors, le principe de la codification par voie réglementaire
de textes législatifs suppose que le code ne procède qu'à
des aménagements de forme sans toucher au fond ; que "les dispositions
codifiées sont celles en vigueur au moment de la publication des ordonnances
sous la seule réserve des modifications qui seraient rendues nécessaires
pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence
rédactionnelle des textes ainsi rassemblés et harmoniser l'état
du droit", dispose l'article 1 de la loi du 16 décembre 1999 portant
habilitation du Gouvernement à procéder par ordonnances à
l'adoption de la partie législative de certains codes ; que l'abrogation
d'une loi à la suite de sa codification à droit constant ne modifie
donc ni la teneur des dispositions transférées ni leur portée,
la codification à droit constant ne pouvant entraîner une modification
de l'état du droit ;
qu'ainsi, l'ordonnance du 18 septembre 2000 relative à la partie législative
du Code de l'environnement opère une codification à droit constant
des dispositions législatives et réglementaires applicables au domaine
de l'environnement, et, comme le rappelle le rapport au président de la
République relatif à cette ordonnance, seules "des adaptations
mineures ont été réalisées dans le but d'accroître
la cohérence et la clarté de l'ensemble" ; que néanmoins,
l'article L. 216-5 du Code de l'environnement qui énumère les numéros
des articles visant les infractions susceptibles d'entraîner la responsabilité
pénale des personnes morales, ne fait pas mention du délit de pollution
des personnes morales prévue et réprimé par l'article L.
216-6 alors que la responsabilité des personnes morales en ce qui concerne
ce délit était prévue à l'article 28-1 de la loi du
3 janvier 1992 ; que le cantonnement aux adaptations mineures n'interdit pas au
pouvoir réglementaire de procéder à des modifications plus
importantes dès lors que la disposition en cause a été abrogée
implicitement ou qu'elle relève de sa compétence ; qu'en l'occurrence,
il ne peut être considéré que la responsabilité pénale
des personnes morales dans le délit de pollution a été implicitement
abrogée avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 18 septembre
2000, ni que la suppression de cette responsabilité pénale instaurée
par une loi relevait du pouvoir réglementaire ; que la suppression de la
responsabilité des personnes morales dans la commission du délit
de pollution ne pouvait donc intervenir dans le cadre d'une codification à
droit constant par ordonnance ;
que tant que la loi de ratification de l'ordonnance du 18 septembre 2000 n'a pas
été adoptée par le parlement, la loi du 3 janvier 1992 a
seule valeur législative dans l'ordonnancement juridique et doit primer
sur le Code de l'environnement ;
"1 - alors que la loi pénale est d'interprétation stricte ;
que la responsabilité pénale des personnes morales ne peut être
mise en oeuvre que si elle est expressément prévue par une disposition
spéciale pour l'infraction considérée ; qu'en l'espèce,
la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître les principes précités,
considérer que la responsabilité pénale de la personne morale
demanderesse pouvait être engagée du moment que l'article L. 216-6
du Code de l'environnement incriminant le délit de pollution n'aurait été
qu'une application particulière de l'article L. 211-2 tendant de manière
générale à garantir la pureté de l'eau, quant à
lui visé par le texte prévoyant la responsabilité des personnes
morales, quand il était constant et du reste admis par les juges du fond
eux-mêmes qu'aucun texte du Code de l'environnement ne prévoyait
spécialement la responsabilité des personnes morales pour le délit
de pollution prévu à l'article L. 216-6 du Code de l'environnement
;
"2 - alors que la codification à droit constant suppose que les dispositions
légales soient codifiées en l'état, et en tout cas sans modification
majeure ; qu'en l'espèce, les juges du fond ne pouvaient donc, sans entacher
leur décision de contradiction, affirmer qu'il avait été
procédé à une codification à droit constant, tout
en constatant par ailleurs explicitement que, contrairement aux dispositions de
la loi du 3 janvier 1992 avant codification, le texte codifié ne prévoyait
plus la responsabilité des personnes morales pour le délit de pollution
;
"3 - alors que les ordonnances prises en vertu de l'article 38 de la Constitution
du 4 octobre 1958 ont par nature pour objet d'intervenir en matière législative,
et partant de modifier ou d'abroger des dispositions légales ; qu'en vertu
des dispositions constitutionnelles expresses, elles entrent en vigueur dès
leur publication, et non à compter de leur ratification ; qu'en l'espèce,
les juges du fond ne pouvaient donc, sans méconnaître ces principes,
affirmer que jusqu'à la ratification de l'ordonnance du 18 septembre 2000,
la loi du 3 janvier 1992, pourtant abrogée par ladite ordonnance qui était
entrée en vigueur dès sa publication, devait primer sur le Code
de l'environnement résultant de cette ordonnance ;
"4 - alors que le principe de la légalité des délits
et des peines interdit toute poursuite sur le fondement d'une incrimination qui
n'est pas clairement et précisément prévue dans l'ordonnancement
juridique au moment de l'engagement des poursuites ; qu'en outre, aucune peine
ne peut être prononcée lorsque les faits poursuivis, bien qu'entrant
dans les prévisions de deux textes répressifs successifs, applicables
respectivement à la date de la commission desdits faits et à celle
de leur jugement, ont échappé à toute incrimination entre
l'abrogation du premier de ces textes et l'entrée en vigueur du second
; qu'en l'espèce, à considérer même que l'ordonnance
de codification n'ait pu sans excéder l'habilitation donnée par
le législateur supprimer l'incrimination des personnes morales dans le
délit de pollution, il ressortait néanmoins des constatations des
juges du fond que les poursuites avaient été engagées sur
le fondement de textes abrogés, et qu'à l'époque de l'engagement
de ces poursuites, l'incrimination des personnes morales dans le délit
de pollution n'était plus prévue de façon claire et précise
; qu'ils ne pouvaient dès lors valider ces poursuites, reposant sur une
base légale à tout le moins marquée d'imprécision
et de doute sur l'existence même de l'infraction poursuivie ;
"5 - alors qu'une fois ratifiée par la loi, l'ordonnance prise en
vertu de l'article 38 de la Constitution du 4 octobre 1958 acquiert une valeur
pleinement législative, qui interdit que sa validité soit discutée
au contentieux, et notamment devant le juge pénal ; qu'en l'espèce,
dans la mesure où la loi de ratification était, intervenue postérieurement
au jugement mais avant que la cour d'appel ne statue, cette dernière ne
pouvait, sans excéder gravement ses pouvoirs, faire sienne l'argumentation
des premiers juges reposant sur une prétendue impossibilité pour
un texte réglementaire de supprimer une incrimination légale dans
le cadre d'une codification à droit constant, la ratification ayant eu
en tout état de cause pour effet de valider définitivement tout
dépassement éventuel de l'habilitation législative, et de
conférer rétroactivement à l'ordonnance, à compter
de sa signature, rang législatif dans la hiérarchie des normes,
en la faisant désormais échapper à tout contrôle de
légalité de la part du juge pénal ;
"6 - alors que la loi pénale plus douce est d'application immédiate,
en particulier au procès en cours ; qu'au contraire, dès lors qu'elle
tend à instituer à nouveau une incrimination qui avait disparu de
l'ordonnancement juridique, la loi pénale, nécessairement plus sévère,
ne peut rétroagir ;
qu'aucune peine ne peut ainsi être prononcée lorsque les faits poursuivis,
bien qu'entrant dans les prévisions de deux textes répressifs successifs,
applicables respectivement à la date de la commission desdits faits et
à celle de leur jugement, ont échappé à toute incrimination
entre l'abrogation du premier de ces textes et l'entrée en vigueur du second
; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait donc, sans méconnaître
les principes précités, déduire la validité des poursuites
exercées contre la personne morale demanderesse de l'intervention de la
loi de ratification en date du 2 juillet 2003, laquelle a certes modifié
pour l'avenir le texte de l'ordonnance ratifiée en prévoyant à
nouveau la responsabilité des personnes morales dans le délit de
pollution, mais n'a pu néanmoins combler rétroactivement l'absence
de toute incrimination des personnes morales entre l'entrée en vigueur
de l'ordonnance du 18 septembre 2000 ayant abrogé la loi du 3 janvier 1992,
et l'entrée en vigueur de la loi de ratification ayant eu pour effet de
conférer pleine valeur législative à l'ordonnance abrogative
dès sa publication en 2000" ;
Attendu que la demanderesse, pénalement poursuivie en tant que personne
morale, pour des faits de pollution commis avant l'abrogation des articles 18
à 27 et de l'article 28-1 de la loi du 3 janvier 1992 par l'article 5-I
de l'ordonnance du 18 septembre 2000 relative à la partie législative
du Code de l'environnement, ne saurait reprocher aux juges du fond d'avoir refusé
de tenir compte d'une erreur affectant la codification, par cette ordonnance,
de l'article 21 devenu l'article L. 216- du Code précité dés
lors que, d'une part , ces juges avant la ratification de ladite ordonnance
par le législateur, tenaient de l'article 111-5 du Code pénal
la faculté de vérifier si la codification était intervenue
à droit constant dans les conditions prévues par l'article 1er
de la loi du 16 décembre 1999 et que, d'autre part, l'article 31 de la
loi du 2 juillet 2003 "habilitant le Gouvernement à simplifier le
droit", entrée en vigueur au cours de l'instance d'appel, a ratifié
cette ordonnance compte tenu des modifications prévues au paragraphe
III qui porte rectification de l'erreur commise par l'autorité réglementaire
;
Qu'en effet, l'abrogation d'une loi à la suite de sa codification à
droit constant ne modifie ni la teneur ni la portée des dispositions
transférées ;
D'ou il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
(…)
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Publication : Bulletin criminel
2004 N° 247 p. 920
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