Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 19 juin 2007 Rejet
N° de pourvoi : 06-88014
Publié au bulletin
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Franz-Olivier X...,
- LA SOCIETE D'EXPLOITATION DE L'HEBDOMADAIRE LE POINT, civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 13e chambre, en date du 2 octobre
2006, qui, dans la procédure suivie contre le premier du chef de publicité
illicite en faveur du tabac, a prononcé sur les intérêts civils
;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
(…)
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles
10 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales, L. 3511-3 et L. 3512-2 du code de la santé
publique et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale,
défaut de base légale, violation de la loi ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a dit que Franz-Olivier
X... et la société Sebdo avaient commis les faits constitutifs de
publicité illicite en faveur du tabac et les a condamnés à
réparer le préjudice subi par l'association les Droits des Non-Fumeurs
;
"aux motifs qu'il appartient à la cour d'apprécier les faits
dans le cadre de la prévention pour se déterminer sur le mérite
des demandes civiles qui lui sont présentées par la partie civile
appelante ; que sur les photos litigieuses apparaissent sur les tenues de champions
célèbres de Formule 1, de façon claire et lisible, les noms
et logos des marques de cigarettes "Mild Seven" d'une part et "Marlboro"
d'autre part, et ce dans les couleurs caractéristiques identifiant ces
marques ; que l'article L. 3511-3 du code de la santé publique interdit
la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac
; que cette interdiction est générale et indépendante du
caractère connu ou peu connu de la marque du produit considéré,
même si s'agissant de "Mild Seven", elle n'est pas distribuée
en France dès lors que la publicité en est faite sur le territoire
national ; que l'élément matériel du délit de publicité
indirecte résulte en l'espèce de la diffusion, par illustration
photographique, d'une image positive du tabac, le message associant des champions
automobiles vainqueurs (dans le premier cas Fernando Y... et Michael Z..., souriants,
avec en légende " leur palmarès à 23 ans " - dans
le second cas Jean A... félicité par " B... l'intraitable ")
et une marque de cigarettes ; que l'objectif de la loi étant de prévenir
les dangers du tabagisme, il suffit pour caractériser la publicité
de tenir compte du message diffusé et de son impact sur le public, peu
important l'absence de lien commercial entre le diffuseur et le fabricant de tabac
; que même en l'absence de volonté promotionnelle avérée
de la part du dirigeant du Point, l'élément intentionnel de l'infraction
est au cas présent caractérisé par le fait que le dirigeant
de la société éditrice de l'hebdomadaire en outre directeur
de la publication, qui ne pouvait ignorer les dispositions de la loi Evin, ni
le rapport existant entre les fabricants de tabac et le milieu de la compétition
automobile, a au minimum manqué de vigilance en laissant diffuser les photos
incriminées ; qu'à cet égard, sans entrer dans le débat
sur la pertinence du choix effectué, la Cour observe que les marques de
cigarettes apparaissent de la façon la plus évidente et la plus
lisible et que l'argument selon lequel seuls ces clichés pouvaient illustrer
les articles présentés, est démenti par les autres photos
publiées dans les pages suivantes qui présentent les mêmes
personnes (Fernando Y..., d'une part, Lionel B..., d'autre part), sans les mêmes
"accompagnements" ;
que la restriction apportée en l'espèce à la liberté
d'information, est nécessaire au but légitime de protection de la
santé publique contre le tabagisme et proportionnée à ce
but, qu'elle n'est donc pas contraire à l'article 10 de la Convention européenne
des droits de l'homme ; qu'il n'est pas non plus porté atteinte au principe
d'égalité de traitement garanti par l'article 14 de la Convention
précitée, le fait pour la presse écrite de ne pas bénéficier
de la dérogation autorisée par la loi au bénéfice
des médias audiovisuels pour les compétitions automobiles qui se
déroulent dans un pays où la publicité pour le tabac est
autorisée, étant en l'état justifiée par des considérations
objectives tenant à la nature respective et à l'impact de chaque
support, à savoir la pérennité de l'image reproduite dans
un hebdomadaire par rapport à la fugacité des images télévisuelles
surtout lors de retransmissions en direct qui empêchent d'utiliser des moyens
techniques de "floutage" ;
"alors que, d'une part, la liberté d'expression comprend la liberté
d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations
ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités
publiques ; que les exceptions dont peut être assortie la liberté
d'expression appellent une interprétation étroite et doivent répondre
à une stricte nécessité ; que la liberté d'illustrer
les propos tenus par un journaliste de presse écrite par des photographies
procède de la liberté d'informer ; qu'en décidant pourtant
que la simple illustration des propos des journalistes par des photographies sur
lesquelles apparaissaient des marques de cigarettes devait être sanctionnée
pénalement, sans caractériser concrètement en quoi cette
sanction était nécessaire au regard de la liberté d'informer,
la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard
des textes visés au moyen ;
"alors que, d'autre part, la liberté d'expression comprend la liberté
d'opinion et la liberté de recevoir et de communiquer des informations
ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités
publiques ; que la photographie de presse procède de l'exercice de cette
liberté d'informer et que sa diffusion ne doit donc être restreinte
qu'en cas de nécessité absolue ; qu'en décidant pourtant
qu'il était nécessaire de porter atteinte tout à la fois
à la liberté d'expression de l'auteur des photographies et à
son droit d'auteur sur son oeuvre en "floutant" les clichés avant
de les diffuser, sans caractériser la nécessité absolue de
cette restriction apportée à la liberté d'expression, la
cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"alors, enfin, que la jouissance des droits et libertés reconnus dans
la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme, au nombre
desquels figure la liberté d'expression garantie par l'article 10 de cette
convention, doit être assurée sans distinction aucune ; qu'en décidant
pourtant que les restrictions apportées à la liberté d'expression
des médias autres que la télévision s'agissant de la reproduction
d'images de compétition de sport mécanique se déroulant dans
des pays autorisant la publicité pour le tabac était justifiée
pour des raisons objectives, la cour d'appel a violé les textes visés
au moyen" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces
de procédure que, dans ses numéros datés des 21 et 28 avril
2005, l'hebdomadaire Le point a publié des reportages illustrés
par des photographies de pilotes de courses automobiles sur les combinaisons
desquels apparaissaient le nom et le logo de marques de cigarettes; que Franz-Olivier
X..., directeur de la publication, et la société d'exploitation
de l'hebdomadaire Le point, éditrice de ce magazine, ont été,
la seconde en qualité de civilement responsable, cités devant
le tribunal correctionnel par l'association Les Droits des non-fumeurs du chef
de publicité illicite en faveur du tabac; que sur le seul appel de la
partie civile du jugement de relaxe, les juges du second degré ont constaté
que le délit était caractérisé ;
Attendu que, pour décider que les éléments constitutifs
de l'infraction étaient réunis, l'arrêt prononce par les
motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui retiennent que la
réglementation de la publicité en faveur du tabac constitue une
mesure nécessaire à la protection de la santé, au sens
du paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits
de l'homme, et que la différence de traitement introduite entre la presse
écrite et les chaînes de télévision par l'article
L. 3511-5 du code de la santé publique, qui autorise ces dernières
à retransmettre les compétitions de sport mécanique se
déroulant dans des pays où la publicité en faveur du tabac
est licite, procède d'une distinction objective et proportionnée
aux buts légitimes poursuivis par la loi, la cour d'appel, qui n'avait
pas à répondre mieux qu'elle n'a fait, et qui a, par ailleurs,
sans insuffisance ni contradiction, caractérisé l'infraction en
tous ses éléments matériels et intentionnel, a justifié
sa décision au regard des articles 121-3 du code pénal, L. 3511-3
et L. 3512-2 du code de la santé publique ;
D'où il suit que les moyens ne peuvent être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 000 euros la somme que Franz-Olivier X... devra payer à
l'association Les Droits des non-fumeurs au titre de l'article 618-1 du code
de procédure pénale ;
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