Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 7 décembre 2005
Rejet
Statuant sur les pourvois formés par : - X... William, - Y... Jean,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, en date du 21 septembre 2005, qui, dans l'information suivie contre eux pour infractions à la législation sur les stupéfiants en bande organisée, association de malfaiteurs, contrebande en bande organisée, a prononcé sur leurs demandes d'annulation d'actes de la procédure ;
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Attendu que, saisi d'une information n° 03/15, ouverte à la suite d'un rapport de police faisant état d'un important trafic de stupéfiants portant, notamment, sur l'importation imminente de grandes quantités de cannabis en provenance du Maroc, le juge d'instruction de Marseille a fait procéder, sur commission rogatoire, à l'interception des conversations téléphoniques de certaines personnes soupçonnées d'appartenir à ce réseau ; que les surveillances ont permis d'identifier Jean Y... comme l'un des participants supposés de ce trafic ; que, par commission rogatoire, le juge d'instruction a prescrit le placement sous écoutes de la ligne téléphonique attribuée à ce dernier ; que ses conversations avec l'un de ses interlocuteurs, dont l'identité n'était pas mentionnée par la procédure, paraissant avoir trait à une livraison de stupéfiants, une surveillance physique effectuée à l'occasion d'un rendez-vous entre ces deux personnes a permis d'identifier William X..., déjà condamné à plusieurs reprises pour trafic de stupéfiants, comme l'interlocuteur de Jean Y... ; que, cependant, William X... n'a pas été mis en examen dans ce dossier ;
Attendu que le même magistrat a été également saisi d'une information distincte n° 03/26, portant sur un important trafic international de cocaïne susceptible d'impliquer certains protagonistes du dossier précédent ; que les investigations, notamment les surveillances et écoutes téléphoniques opérées sur commission rogatoire, ont confirmé l'existence de livraisons par véhicules équipés de cachettes ainsi que d'importantes importations de cocaïne en cours ou en préparation en provenance du Venezuela via les Antilles ; qu'elles ont permis d'identifier de nombreux participants à ces opérations et de procéder à leurs interpellations, dont celles de Jean Y... et de William X... ; que le magistrat a ordonné le versement, dans le dossier de la procédure n° 03/26, d'éléments de la procédure n° 03/15, notamment la transcription des conversations téléphoniques échangées entre Jean Y... et William X... ;
Attendu que, saisie, dans le cadre de l'information n° 03/26, d'une requête en annulation présentée par William X..., visant l'irrégularité de l'interception de sa conversation téléphonique, de sa transcription et de son versement dans une procédure distincte, la chambre de l'instruction, après avoir ordonné la production de certains actes de l'information n° 03/15, a procédé à l'examen de la régularité des actes litigieux dans chacune des procédures, au regard tant des articles 100 et suivants du Code de procédure pénale que des principes conventionnels, notamment de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 171, 802, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête en nullité présentée par William X..., ainsi que les demandes formées par Jean Y... ;
"aux motifs que, dans la rédaction de son procès-verbal d'annexion de pièces, le juge d'instruction précisait que cette annexion apparaissait utile à la manifestation de la vérité ; qu'il convient de vérifier si l'annexion du dossier 2003/15 et le contenu des pièces sont conformes aux dispositions de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le versement par le juge d'instruction de constatations effectuées dans une procédure, dans le dossier d'une autre information pénale, correspond à l'un des actes utiles à la manifestation de la vérité, tel que prévu par l'article 81 du Code de procédure pénale et n'est pas contraire à la Convention sus-citée ( ) puisque les parties peuvent, en application de l'article 173 du Code de procédure pénale, solliciter auprès de la chambre de l'instruction l'annulation du procès-verbal d'annexion à la seconde procédure, des pièces qui y sont versées, ainsi que le retrait de ces pièces ; ( ) que n'ont été retranscrites que les communications qui font apparaître un lien avec le trafic, en l'occurrence l'organisation de rendez-vous aux fins de livraison ; que William X... entend soutenir que, n'ayant pas fait l'objet d'une décision d'écoute téléphonique par le magistrat instructeur, sa conversation avec Jean Y... ne pouvait être enregistrée ni retranscrite ; que, cependant, l'interception d'une conversation téléphonique n'a d'utilité que si la signification peut en être comprise, et qu'il est inconcevable de n'enregistrer ou ne retranscrire que les questions, réponses ou bribes de phrases prononcées par un seul interlocuteur ; que la chambre de l'instruction ne peut pousser le raisonnement jusqu'à l'absurde en censurant la moitié de la conversation, sinon la conversation interceptée n'a plus aucun sens ; qu'au demeurant, l'identification de l'interlocuteur de la personne écoutée fait partie des investigations nécessaires à la recherche des auteurs du trafic de stupéfiants ; que, dans la procédure initiale, la retranscription des écoutes ne mentionne pas le nom de William X..., les interlocuteurs de Jean Y... étant désignés sous l'abréviation "HX" ;
que, toutefois, les conversations enregistrées apparaissant avoir trait à la livraison de stupéfiants, les enquêteurs ont été amenés à identifier l'interlocuteur de Jean Y... ; qu'il convient de constater que William X..., qui s'est donc révélé être l'interlocuteur de Jean Y..., personne écoutée, a parfaitement usé du droit de contester, comme ce dernier pouvait lui-même le faire, la validité de l'écoute téléphonique versée au dossier qui le concerne ; que les constatations ci-dessus permettent de rejeter la demande de nullité du versement des pièces du dossier 2003/15 dans le dossier 2003/26 présentée par Jean Y... ;
"alors que l'ingérence de l'autorité publique dans l'exercice des droits garantis par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être "prévue par la loi" ; que le Code de procédure pénale française, qui ne règle pas de façon précise et détaillée les conditions dans lesquelles l'interlocuteur de la personne titulaire de la ligne écoutée, entendu "par hasard", en qualité de "participant nécessaire" à une conversation téléphonique enregistrée par les autorités, peut voir ses propos retranscrits, qui ne précise pas les précautions à prendre à son égard, ni ne règle de manière précise la situation des personnes qui ont été écoutées dans le cadre d'une procédure à laquelle elles sont étrangères, ne satisfait pas à cette exigence, que le soit-transmis et les pièces versées en exécution de cet ordre, relatives à des écoutes de William X... non prévues par la loi, devaient donc être annulées" ;

Attendu que, pour rejeter les moyens de nullité présentés par William X..., l'arrêt attaqué relève que le placement sous écoutes de la ligne téléphonique attribuée à Jean Y..., l'interception de ses conversations échangées avec William X... et la transcription dans la procédure dans laquelle cette mesure a été légalement ordonnée des seules conversations révélant un lien avec les infractions poursuivies, ont été justifiés par la nécessité de vérifier l'existence d'un trafic international de stupéfiants, d'en rechercher l'organisation, d'en identifier les participants à quelque titre que ce soit et de prévenir la commission de nouvelles infractions ; que les juges ajoutent que le contenu des propos enregistrés étant de nature à faire présumer l'implication de l'un et de l'autre dans les infractions dont était saisi le magistrat instructeur, l'ingérence ainsi opérée dans la vie privée de Jean Y... et de William X... a donc été prévue par la loi, en l'espèce les articles 81, 100 et suivants du Code de procédure pénale, qu'elle a été placée sous l'autorité et le contrôle d'un juge, qu'elle a répondu à une finalité légitime, qu'elle a été proportionnée à la gravité des infractions commises et en cours de commission au regard de l'ordre public ainsi que de la protection de la santé et qu'elle a été strictement limitée aux nécessités de la manifestation de la vérité ;

Attendu qu'en prononçant par ces motifs, qui établissent la régularité de l'interception, de l'enregistrement et de la transcription des conversations téléphoniques des demandeurs, la chambre de l'instruction, qui a satisfait, tant aux dispositions de droit interne qu'aux exigences de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme en assurant à William X... et à Jean Y..., s'agissant de l'atteinte à leur vie privée, un contrôle effectif sur la régularité des actes accomplis dans la procédure dont elle a été saisie comme sur celle des actes dépendant d'une procédure distincte, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ; (...)
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Publication : Bulletin criminel 2005 N° 327 p. 1123

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