Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 3 novembre 1998
Rejet
REJET du pourvoi formé par L. Pierre, contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, du 3 avril 1997, qui, sur renvoi après cassation, l'a condamné, pour infraction à la réglementation des conditions de travail dans les transports routiers, à 3 mois d'emprisonnement avec sursis et à 15 000 francs d'amende.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1er, 3 et 3 bis de l'ordonnance n° 58-1310 modifiée du 23 décembre 1958, 15 du règlement CEE n° 3820-85 du 20 décembre 1985 13 du règlement CEE n° 3821-85 du 20 décembre 1985, 121-1 et 121-3, alinéa 3, du Code pénal, 388, 427, 485, 551, 591 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Pierre L. coupable d'avoir laissé faire un emploi irrégulier du dispositif destiné à contrôler les conditions de travail ;
" aux motifs qu'il appartient au chef d'entreprise d'organiser le travail de façon que le conducteur puisse l'effectuer dans les conditions légales et réglementaires, et de veiller au bon fonctionnement et à la bonne utilisation de l'appareil de contrôle ; qu'en l'espèce le prévenu ne rapporte pas cette preuve ; qu'en effet s'il résulte des pièces versées que la note de service remise aux chauffeurs rappelait la réglementation, il n'est pas établi que le prévenu procédait à des contrôles réguliers et, en cas de fautes, sanctionnait ces manquements (le licenciement du chauffeur interviendra ultérieurement pour autre cause) ; qu'il résulte par ailleurs de l'avis de l'inspecteur du Travail qu'il ne s'agit pas d'une infraction isolée au sein de cette société, preuve que le chef d'entreprise n'était pas lui-même suffisamment sensibilisé aux problèmes de la réglementation sociale ;
" 1o alors que la charge de la preuve incombe à la partie poursuivante ; qu'ainsi c'est au ministère public qu'il appartenait de rapporter la preuve que le prévenu n'avait pas satisfait à ses obligations légales, et non au prévenu de démontrer qu'il s'était conformé aux dites obligations ; que dès lors, en déduisant la culpabilité de Pierre L. de ce que celui-ci ne rapportait pas la preuve qu'il avait organisé le travail de façon que le conducteur puisse l'effectuer dans les conditions légales et réglementaires, et qu'il avait veillé au bon fonctionnement et à la bonne utilisation de l'appareil de contrôle, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les textes visés au moyen ;
" 2o alors que les juges ne peuvent légalement statuer que sur les faits relevés par l'acte qui les saisit ; qu'en l'espèce Pierre L. était poursuivi uniquement pour "avoir, à Anvers, le 6 novembre 1992, étant chargé de la direction d'une entreprise de transports routiers, laissé faire un emploi irrégulier du dispositif destiné à contrôler les conditions de travail", fait prévu et réprimé par l'ordonnance 58-1310 du 23 décembre 1958 ; que dès lors en déclarant le prévenu coupable de n'avoir pas respecté la réglementation communautaire en ce qu'elle impose au chef d'entreprise d'une part d'organiser le travail de façon que les conducteurs puissent l'effectuer dans les conditions légales et réglementaires, d'autre part de procéder à des contrôles réguliers de l'activité des salariés et, en cas d'infractions, de prendre les mesures nécessaires pour éviter leur renouvellement, la cour d'appel, qui a statué sur des faits non visés par la prévention, a excédé ses pouvoirs et violé les textes visés au moyen ;
" 3o alors, en toute hypothèse, que nul n'est responsable que de son fait personnel ; que le chef d'entreprise ne peut être condamné pour une infraction matériellement commise par un préposé que dans la mesure où il s'est abstenu d'accomplir les diligences qui lui incombaient compte tenu des compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ; qu'en l'espèce il ressort des pièces du dossier que la réglementation communautaire relative au fractionnement des périodes de travail et de repos, ainsi que l'interdiction de manipuler l'appareil contrôlographe, ont été rappelées à maintes reprises aux chauffeurs de l'entreprise, lesquels ont été expressément informés que tous manquements à ces règles entraîneraient des sanctions disciplinaires ; que des sanctions pouvant aller jusqu'au licenciement étaient effectivement prononcées à l'encontre des contrevenants ; que Pierre L. apparaît ainsi comme ayant satisfait à l'obligation qui lui incombe de veiller à la bonne utilisation de l'appareil de contrôle ; qu'en retenant néanmoins sa responsabilité pénale sans rechercher ce que concrètement il pouvait faire pour empêcher le chauffeur Turbeaux de falsifier le disque contrôlographe, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;
" 4o alors au surplus qu'en ne s'expliquant pas sur les diligences précédemment rappelées, qui démontrent que le prévenu faisait tout ce qui était en son pouvoir pour assurer le respect de la réglementation par ses subordonnés, la cour d'appel a entaché sa décision d'une insuffisance de motifs et violé les textes visés au moyen " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, lors du contrôle d'un ensemble routier appartenant à la société ATL, dont Pierre L. est le gérant, les policiers ont constaté que le conducteur avait falsifié le disque chronotachygraphe en mentionnant le nom d'un second chauffeur de manière à dissimuler plusieurs infractions à la réglementation relative aux durées de conduite et de repos ; qu'à la suite de ces faits, Pierre L. a été poursuivi, sur le fondement des articles 3 et 3 bis de l'ordonnance n° 58-1310 du 23 décembre 1958 pour avoir laissé faire, par l'un de ses préposés, un emploi irrégulier du dispositif destiné au contrôle des conditions de travail ;
Attendu que, pour le déclarer coupable de ce chef, la cour d'appel, après avoir rappelé les termes de l'article 15 du règlement CEE n° 3820-85 du 20 décembre 1985, retient que le prévenu n'établit pas avoir pris toutes les dispositions de nature à assurer le respect des prescriptions relatives " au bon fonctionnement et à la bonne utilisation de l'appareil de contrôle " ; que les juges précisent qu'il n'apparaît pas que l'intéressé ait procédé à des vérifications régulières à cet effet ou qu'il ait sanctionné, chaque fois que nécessaire, les manquements commis par ses préposés ; qu'après avoir relevé que l'infraction constatée n'était pas isolée, les juges énoncent enfin que le prévenu n'a pas manifesté suffisamment le souci de respecter la réglementation sociale ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction, la cour d'appel a, sans excéder sa saisine ou inverser la charge de la preuve, caractérisé en tous ses éléments constitutifs l'infraction reprochée au prévenu ;
Que, contrairement à ce qui est soutenu au moyen, c'est à bon droit que les juges se sont référés aux dispositions de l'article 15 du règlement CEE n° 3820-85 du 20 décembre 1985, pour apprécier le contenu de l'obligation du chef d'entreprise, sanctionnée à l'article 3 bis de l'ordonnance du 23 décembre 1958, de faire respecter par ses préposés la réglementation des conditions de travail dans les transports routiers ;
Que, par ailleurs, dès lors que le ministère public a rapporté la preuve, dont il a la charge, de l'existence d'une infraction à ladite réglementation, il appartient au chef d'entreprise, pour s'exonérer de sa responsabilité pénale, d'établir qu'il s'est acquitté de l'obligation prescrite par les textes précités ;
D'où il suit que le moyen, qui pour le surplus revient à remettre en cause l'appréciation souveraine par les juges du second degré des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus, doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.
Publication : Bulletin criminel 1998 N° 284

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