Revirement de jurisprudence en matière de vente à domicile

Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 19 février 1997
Cassation
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la société " Saint Eloi ", qui commercialise de la porcelaine de Limoges, a organisé, notamment dans des hôtels, des expositions au cours desquelles un " animateur " a recueilli ou tenté de recueillir auprès de diverses personnes, présentes sur invitation, des commandes de services de table de 72 pièces pour un prix de 12 800 francs ; que M. B, gérant de la société, est poursuivi pour infraction à la réglementation sur les ventes au déballage, démarchage irrégulier, abus de faiblesse, publicité mensongère et tromperie ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation : (sans intérêt) ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 7 de la loi n° 72-1137 du 22 décembre 1972, 388 du Code de procédure pénale, 485 et 593 du même Code, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. B coupable d'avoir à Bergerac abusé de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne pour lui faire souscrire, par le moyen de visite à domicile, des engagements au comptant ou au crédit, sous quelque forme que ce soit, à la suite d'une sollicitation personnalisée, sans que cette sollicitation soit nécessairement nominative, à se rendre sur un lieu de vente, soit à l'occasion de réunions ou d'excursions organisées par l'auteur de l'infraction ou à son profit, et ce alors que les circonstances montrent que ces personnes n'étaient pas en mesure d'apprécier la portée des engagements qu'elles prenaient ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour les convaincre d'y souscrire ;
" après avoir pourtant constaté que les plaignants de Bergerac n'ont souscrit aucun bon de commande et que la personne âgée d'environ 72 ans qui a souscrit un bon de commande n'a pu être identifiée, ni entendue ;
" aux motifs que Mme D, de profession agent hospitalier, qui a déféré à "l'invitation personnelle" de se rendre à "la présentation" de produits artisanaux à Trélissac, le 16 septembre 1993, a eu conscience de s'être fait manipuler, que le fait que la société, après avoir tenté de conserver le chèque de 4 800 francs immédiatement remis à Mme D, en lui laissant la marchandise emportée, ait finalement accepté l'annulation de tout, ne fait pas disparaître l'infraction précédemment commise ;
" alors, en premier lieu, qu'ayant constaté qu'aucune personne dans la clientèle de M. B n'avait été abusée à Bergerac par les pratiques de vente de celui-ci la cour d'appel, en l'absence d'un des éléments constitutifs du délit reproché d'abus de faiblesse, aurait dû relaxer le prévenu des fins de la poursuite ; qu'en statuant comme elle l'a fait elle a violé l'article 7 de la loi du 22 décembre 1992 ;
" et alors, d'autre part, que les juges correctionnels ne peuvent statuer légalement que sur les faits relevés dans l'ordonnance de renvoi ou la citation ; qu'en déclarant M. B coupable d'avoir abusé de la faiblesse de Mme D à Trélissac, bien qu'il lui était reproché des faits d'abus de faiblesse commis à Bergerac, la cour d'appel a violé l'article 388 du Code de procédure pénale " ;
Attendu que, pour écarter l'argumentation du prévenu, qui soutenait qu'à défaut d'engagement souscrit par les personnes sollicitées le délit d'abus de faiblesse prévu par l'article L. 122-9 du Code de la consommation n'était pas caractérisé, les juges relèvent, par motifs adoptés, que la circonstance que la vente conclue au cours de l'exposition réalisée à Trélissac ait été annulée, et que la cliente abusée se soit vu restituer l'acompte qu'elle avait versé, ne fait pas disparaître l'infraction ;
Qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance ou de contradiction, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître l'étendue de sa saisine ;
D'où il suit que le moyen qui, pris en sa première branche, repose sur une allégation inexacte, ne peut qu'être écarté ;

Mais sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 1 de la loi du 1er août 1905, L. 213-1 du Code de la consommation, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. B coupable d'avoir à Bergerac trompé M. X sur la nature de l'opération de vente envisagée dans ses locaux ;
" aux motifs qu'il est visé au titre de la tromperie les faits relatifs à l'hôtel La Flambée qu'exploite M. X ; que le prévenu loue une salle de cet hôtel pour "organiser dans votre établissement une exposition de porcelaine de Limoges, afin de faire mieux connaître mes produits artisanaux" ; qu'il est, à cet égard, insuffisant que la phrase suivante : "une salle de 100 à 150 m2 au rez-de-chaussée permettant la mise en oeuvre d'une animation commerciale avec vente nous conviendrait parfaitement" comporte le mot vente pour que l'hôtelier soit correctement informé ; que le reste du texte est éclairant : "invite les habitants de votre localité à cette présentation, les professionnels présentent les produits dans un contexte commercial et attractif très original (animation micro)" ; qu'enfin les demandes adressées aux mairies démontrent que la SARL B sait s'expliquer, lorsqu'elle le veut, de manière beaucoup plus claire, mais malheureusement inexacte, pour décrire la même activité : mairie de Prigonrieux : "exposition", "présentation à caractère attractif", "salle communale avec électricité pour animation-micro", et "bien entendu, il n'est pas effectué de ventes sur place, mais la réservation pour livraison ultérieure est possible" ; que le délit reproché est constitué : qu'il est imputable au gérant de la SARL signataire ;
" alors que la loi du 1er août 1905 sanctionne la tromperie sur les qualités essentielles de la marchandise vendue commise au préjudice d'un acquéreur ; qu'en retenant à l'encontre de M. B un fait de tromperie portant prétendument sur des procédés de vente commis au préjudice du loueur de la salle où des ventes de marchandises ont été effectuées la cour d'appel a violé les textes visés au moyen " ;

Et sur les moyens de cassation relevés d'office et pris de la violation des articles L. 121-1, L. 122-8 et L. 122-9 du Code de la consommation, violation de la loi, manque de base légale :
Les moyens étant réunis ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que le juge correctionnel ne peut prononcer une peine à raison d'un fait qualifié délit qu'autant qu'il constate dans sa décision l'existence des circonstances exigées par la loi pour que ce fait soit punissable ;
Attendu, en outre, que tout jugement ou arrêt doit contenir des motifs propres à justifier la décision, que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour déclarer M. B coupable du délit d'abus de faiblesse réalisé à la suite d'une sollicitation particulière, dans les termes des articles L. 122-8 et L. 122-9 du Code de la consommation, la cour d'appel relève que la technique de vente mise en oeuvre par les " animateurs " de la société B, auprès d'une assistance présente sur invitation, consistait à sélectionner les acquéreurs potentiels d'après leurs capacités financières, puis à les convaincre, par la remise de cadeaux d'une certaine valeur, qu'ils constituaient une clientèle privilégiée, dans le seul but de les amener à effectuer un achat d'un prix élevé auquel, sans cette mise en scène, ils n'auraient pas consenti ;

Mais attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, qui ne caractérisent pas l'état de faiblesse ou d'ignorance que présentaient les personnes sollicitées, la cour d'appel a méconnu les textes et principes sus-rappelés ;
Attendu que l'arrêt attaqué a également condamné le prévenu des chefs de publicité de nature à induire en erreur et de tromperie pour avoir, d'une part, diffusé des " invitations personnelles " annonçant une exposition alors qu'il s'agissait d'une vente et, d'autre part, trompé le propriétaire des locaux d'exposition qu'il louait sur la nature réelle de l'opération qui s'y déroulait ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, tout en relevant que les invitations incriminées portaient la mention " sans obligation d'achat ", et alors que le non-respect par le prévenu de l'affectation des locaux qu'il prenait en location ne constituait pas une tromperie sur les qualités substantielles, la cour d'appel, qui s'est notamment contredite, a privé sa décision de base légale ;
Que, dès lors, la cassation est derechef encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 11 avril 1995, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Poitiers.
Publication : Bulletin criminel 1997 N° 70 p. 230

Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 4 octobre 2005
Rejet
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Said,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PAU, chambre correctionnelle, en date du 9 décembre 2004, qui, pour démarchage irrégulier, l'a condamné à 3 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 121-15, L. 121-28, L. 121-23, L. 121-24, L. 121-4 à L. 121-6 du Code de la consommation, 493 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Saïd X... coupable d'infractions à la réglementation sur le démarchage à domicile et a statué sur les actions publiques et civiles ;
"aux motifs que le problème posé se résume à déterminer si les deux ventes pratiquées par le prévenu et sa société étaient consécutives à un démarchage à domicile, obligeant au respect des règles et formalités prévues par les articles L. 121-23 à L. 121-26 du Code de la consommation ; que la vente au déballage avait été régulièrement autorisée, elle était annoncée par l'envoi, par la Poste, et en grand nombre, semble-t-il sans enveloppe, en tout cas de manière non nominative d'une invitation à se rendre sur le lieu de la vente, procédé qui paraît ne constituer qu'une simple publicité ; que la notion de " sollicitation personnalisée, sans que cette sollicitation soit nécessairement nominative, à se rendre sur un lieu de vente, effectuée à domicile et assortie de l'offre d'avantages particuliers " bien qu'elle corresponde exactement aux circonstances de la cause, ne peut cependant être retenue, puisqu'elle concerne l'application des dispositions de l'article L.122-8 non visé à la prévention ; qu'on ne peut que noter en premier lieu, la continuité de l'opération entre l'envoi et la réception d'un courrier, certes non nominatif et distribué globalement, quelque peu sibyllin, sur l'opération commerciale annoncée, donnant un rendez-vous très précis, dans un créneau horaire réduit, et la vente elle-même conclue en quelques minutes, après remise de cadeaux, démonstration verbale d'une bonne affaire et réduction très notable du prix annoncé initialement, en définitive un stratagème pour attirer le client depuis son domicilie et en peu de temps le convaincre, sans lui laisser le temps ni la possibilité de comparer ni de s'informer, de contracter l'achat de marchandises précises pourtant non indiquées dans le prospectus, en un lieu éloigné ou dépourvu d'autres commerces ; qu'en second lieu, que le prévenu lui-même s'est placé sur le terrain du démarchage à domicile puisque les contrats souscrits, en réalité de simples factures remises aux clients, comportent au verso des extraits conséquents des lois des 12 décembre 1972 et 23 juin 1989 réglementant spécialement le démarchage à domicilie, les conditions générales de vente énonçant d'ailleurs des interdictions légales de clauses aussitôt portées sur le contrat telle l'attribution de compétence ;
"alors, d'une part, que l'article L. 121-15 du Code de la consommation autorise la publicité non nominative d'une vente au déballage régulièrement autorisée y compris sous la forme d'une invitation à se rendre à une telle vente ; que cette distribution de prospectus publicitaire ne change pas la nature juridique de la vente projetée et ne lui confère pas la qualification de démarchage à domicile tombant sous le coup des dispositions des articles L. 121-23 à L. 121-26 du Code de la consommation ; qu'en décidant autrement la Cour a violé les textes visés au moyen ;
"alors, d'autre part, que la croyance erronée du prévenu en ce que son activité était soumise à la loi sur le démarchage à domicile est sans effet sur la qualification de l'infraction qu'il appartient aux juges saisis in rem, si nécessaire, de requalifier ;
qu'en l'espèce, en considérant applicables les dispositions des articles L. 121-23 à L. 121-26 du Code de la consommation sur le fondement de la croyance du prévenu d'être soumis auxdites dispositions, la Cour n'a pas légalement justifié sa décision"
;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt et des pièces de procédure que la société Charmes de France a obtenu l'autorisation d'organiser une vente au déballage sur une place publique, au cours de laquelle deux personnes ont acheté des lots de vaisselle et de linge de table qu'elles ont aussitôt payés par chèques ; que le dirigeant de la société, Saïd X..., est poursuivi pour avoir commis l'infraction prévue et punie par l'article L. 121-28 du Code de la consommation en obtenant de clients démarchés à domicile la contrepartie de leur achat avant l'expiration du délai de renonciation de sept jours pendant lequel le client a la possibilité de renoncer à la commande et en omettant de les informer de cette faculté et de les mettre en mesure de l'exercer ;

Attendu que, pour caractériser l'existence d'un démarchage au sens de l'article L. 121-21, alinéa 2, du Code de la consommation, l'arrêt relève que les deux clients avaient été conviés, par correspondance en nombre adressée à leur domicile, à se rendre sur les lieux de la vente au déballage, durant un laps de temps réduit, afin de retirer les cadeaux qui leur étaient destinés ;
Attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, d'où il résulte que les consommateurs ont été attirés hors de leur domicile par l'annonce publicitaire reçu dans leur courrier, fût-elle non nominative, pour se rendre dans un lieu non habituellement destiné à la commercialisation du bien proposé, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être rejeté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Publication : Bulletin criminel 2005 N° 249 p. 877
Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2006-01, n° 1, chroniques, 5, p. 88-90, observations Coralie AMBROISE-CASTEROT.

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