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En l'affaire C.R. c. Royaume-Uni (1),

PROCEDURE

(...)

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

7. Le requérant, ressortissant britannique, est né en 1952 et habite Leicester.

8. Il se maria le 11 août 1984. De cette union naquit un fils, en
1985. Le 11 novembre 1987, les époux se séparèrent mais se
réconcilièrent environ deux semaines plus tard.

9. Le 21 octobre 1989, en raison de nouveaux problèmes du couple,
l'épouse quitta le foyer conjugal avec l'enfant et revint vivre chez
ses parents. Elle avait déjà, à cette époque, consulté des avocats au
sujet de ses déboires conjugaux et avait laissé au requérant une lettre
lui indiquant qu'elle projetait de demander le divorce. Elle n'avait
toutefois engagé aucune procédure avant que ne se produisît l'événement
qui donna lieu à des poursuites pénales. Le 23 octobre 1989, le
requérant avait eu une conversation téléphonique avec son épouse, lui
annonc¸ant qu'il était également dans ses intentions de "faire des
démarches en vue d'un divorce".

10. Peu avant 21 heures, le 12 novembre 1989, vingt-deux jours après
que l'épouse fut retournée vivre chez ses parents, et alors que ceux-ci
étaient absents, le requérant s'introduisit de force à leur domicile
et tenta d'abuser de sa femme. Durant cette tentative, il la
brutalisa, notamment en lui serrant le cou des deux mains.

11. L'intéressé fut inculpé de tentative de viol ainsi que de coups
et blessures. Lors de son procès devant la Crown Court de Leicester,
le 30 juillet 1990, il allégua que le chef d'inculpation de viol était
inconnu en droit, du fait qu'il était l'époux de la prétendue victime.
Il se fondait sur la thèse exposée par Sir Matthew Hale, Chief Justice,
dans son ouvrage History of the Pleas of the Crown, publié en 1736:

"Mais l'époux ne peut être coupable d'un viol commis par
lui-même sur sa femme légitime, car de par leur consentement et
leur contrat de mariage, l'épouse s'est livrée à son époux, et
elle ne peut se rétracter."

12. Dans son jugement (All England Law Reports 1991, vol. 1,
p. 747), le juge Owen releva qu'il s'agissait là d'une affirmation
faite en termes généraux à une époque où le mariage était indissoluble.
Le juge Hale avait exposé la common law telle qu'elle lui apparaissait
à ce moment-là, et ce dans un ouvrage et non en se référant à un
ensemble particulier de circonstances dont il aurait eu à connaître
dans le cadre d'une procédure. Cette déclaration sans ambages se
trouvait reproduite dans la première édition de Archbold on Criminal
Pleadings, Evidence and Practice (1822, p. 259), dans les termes
suivants: "Un mari ne peut pas davantage se rendre coupable du viol de
sa femme."

Le juge Owen examina en outre plusieurs décisions judiciaires
(R. v. Clarence, Queen's Bench Division 1888, vol. 22, p. 23, et All
England Law Reports 1886-1890, p. 113; R. v. Clarke, All England Law
Reports 1949, vol. 2, p. 448; R. v. Miller, All England Law Reports
1954, vol. 2, p. 529; R. v. Reid, All England Law Reports 1972, vol. 2,
p. 1350; R. v. O'Brien, All England Law Reports 1974, vol. 3, p. 663;
R. v. Steele, Criminal Appeal Reports 1976, vol. 65, p. 22;
R. v. Roberts, Criminal Law Reports 1986, p. 188; paragraphes 19-22
ci-dessous), reconnaissant qu'en se mariant une femme consent
tacitement à avoir des rapports sexuels avec son mari et que ledit
consentement peut être révoqué sous certaines conditions. Il ajouta:

"On m'invite à admettre que le consentement tacite de
l'épouse à des relations sexuelles avec son mari doit se
présumer; je n'ai pas de mal à en convenir. Je trouve en
revanche difficile de (...) croire que la common law ait jamais
voulu qu'un mari puisse avoir le droit de battre sa femme pour
l'obliger à avoir des relations sexuelles. (...) S'il en était
ainsi, ce serait une bien triste observation sur la loi et sur
les juges censés en être les gardiens. Je dois néanmoins
admettre qu'il existe bien quant aux relations sexuelles un
consentement tacite qui me commande de rechercher si l'accusé
en l'espèce peut être reconnu coupable de viol."

Quant aux circonstances qui suffiraient en droit pour révoquer
ce consentement, le juge Owen nota qu'il peut être mis fin à celui-ci,
d'abord par une décision judiciaire ou un équivalent. En second lieu,
releva-t-il, il ressortait de l'arrêt de la Court of Appeal dans
l'affaire R. v. Steele (Criminal Appeal Reports 1976, vol. 65, p. 22)
que le consentement tacite pouvait être retiré par accord entre les
parties. Cet accord pouvait assurément être implicite; rien dans la
jurisprudence ne donnait à penser le contraire. Enfin, selon lui, la
common law reconnaissait que la rupture de la vie commune par l'une ou
l'autre partie, assortie d'un signe clair qu'il n'y avait plus
consentement aux relations sexuelles, reviendrait à révoquer tacitement
ledit consentement. Il concluait que les deuxième et troisième
exceptions à la dérogation, dans le mariage, aux poursuites pour viol
s'appliquaient en l'occurrence.

A la suite de cette décision du juge, le requérant plaida
coupable de tentative de viol et d'atteinte à l'intégrité physique.
Il fut condamné à trois ans d'emprisonnement.

13. Il interjeta appel devant la Court of Appeal, (chambre
criminelle), au motif que le juge Owen avait fait une erreur de droit
en estimant qu'un homme peut violer sa femme alors que le consentement
aux rapports sexuels donné par l'épouse en se mariant n'a été révoqué
ni par une ordonnance judiciaire ni par un accord entre les parties.

14. Le 14 mars 1991, la Court of Appeal (chambre criminelle)
(Lord Lane, président, et Sir Stephen Brown P., Watkins, Neill et
Russell, juges) écarta le recours à l'unanimité (All England Law
Reports 1991, vol. 2, p. 257). Lord Lane nota que le principe énoncé
par Sir Matthew Hale dans son History of the Pleas of the Crown (1736)
(paragraphe 11 ci-dessus) - un homme ne peut violer sa femme - passait
en général pour bien refléter la common law à l'époque. Par ailleurs,
Lord Lane procéda à une analyse des décisions judiciaires antérieures;
il en ressort que dans l'affaire R. v. Clarence (1888), la première de
ce genre publiée, certains magistrats de la Court for Crown Cases
Reserved s'étaient élevés contre le principe. Dans l'affaire publiée
suivante, R. v. Clarke (1949), le juge du fond s'était écarté du
principe: il avait estimé que le mari ne pouvait exciper de son
immunité dans le cas où une décision de justice avait dégagé l'épouse
de l'obligation de vie commune. Presque toutes les décisions
ultérieures ménagèrent d'importantes exceptions à l'immunité conjugale
(paragraphe 22 ci-dessous). Dans R. v. Steele (1976), la Court of
Appeal avait admis qu'un accord pouvait mettre fin au consentement
tacite aux rapports sexuels. Ce qu'elle confirma dans R. v. Roberts
(1986) où elle dit que l'absence d'une clause de non-molestation dans
un acte de séparation conclu à l'expiration d'une ordonnance de
non-molestation, ne ressuscitait pas le consentement auxdits rapports.

Lord Lane ajouta:

"Depuis la décision du juge Byrne dans R. v. Clarke en 1949,
les tribunaux paraissent souscrire en apparence à la thèse du
juge Hale, mais dans le même temps multiplient les exceptions,
les situations dans lesquelles elle ne s'applique pas. C'est
là faire un usage légitime de la souplesse de la common law,
qui peut et doit s'adapter à l'évolution de la société.

Vient un moment où les changements sont si grands qu'il ne
suffit plus d'énoncer de nouvelles exceptions restreignant
l'effet de cette thèse, un moment où celle-ci commande
elle-même d'examiner si ses termes concordent avec ce que l'on
tient aujourd'hui généralement pour une conduite acceptable.

(...)

Il nous apparaît que lorsque la règle de la common law ne
représente plus en rien la véritable position d'une épouse dans
la société d'aujourd'hui, le tribunal a le devoir de prendre
des mesures pour modifier la règle s'il peut légitimement le
faire, eu égard aux dispositions pertinentes adoptées par le
parlement. Ce qui revient pour finir à envisager le terme
"illégitime" dans la loi de 1976."

Lord Lane examina alors d'un oeil critique les différents
courants d'interprétation de l'article 1 par. 1 a) de la loi de 1976
dans la jurisprudence, notamment l'argument d'après lequel le terme
"illégitime" (paragraphe 17 ci-dessous) excluait du viol les rapports
sexuels dans le mariage. Il conclut:

"(...) [N]ous n'estimons pas que la loi de 1976 nous empêche
de dire que l'immunité dont jouissait l'époux selon le juge
Hale n'a plus cours. Nous estimons que le moment est venu pour
la loi de déclarer qu'un violeur demeure un violeur, relevant
du droit pénal, quelles que soient ses relations avec sa
victime."

15. La Court of Appeal autorisa le condamné à saisir la Chambre des
lords. Celle-ci confirma à l'unanimité l'arrêt de la Court of Appeal
le 23 octobre 1991 (All England Law Reports 1991, vol. 4, p. 481).
Lord Keith of Kinkel, rejoint par Lord Brandon of Oakbrook, Lord
Griffiths, Lord Ackner et Lord Lowry, exposa, entre autres, les motifs
suivants:

"Durant les 150 et quelques années qui ont suivi la
publication de l'ouvrage de Hale, il semble n'y avoir eu aucune
affaire publiée dans laquelle sa thèse ait fait l'objet d'un
examen judiciaire. La première de ce genre fut la cause
R. v. Clarence (Queen's Bench Division 1888, vol. 22, p. 23, et
All England Law Reports 1886-1890, p. 133) (...) L'on pourrait
en déduire que cette thèse était généralement considérée comme
un exposé fidèle de la common law anglaise. La common law est
cependant susceptible d'évoluer, à la lumière des changements
sociaux, économiques et culturels. La thèse de Hale reflétait
l'air du temps, à l'époque où elle fut énoncée. Depuis, la
condition des femmes, et notamment des femmes mariées, a changé
du tout au tout, de diverses manières qui nous sont familières
et dans le détail desquelles il n'est pas nécessaire d'entrer.
Outre les questions patrimoniales et l'existence de recours en
matière conjugale, l'un des changements les plus notables est
que le mariage est désormais considéré, dans la société
contemporaine, comme un partenariat entre pairs et non comme
une relation dans laquelle la femme est le bien subalterne du
mari. La thèse de Hale impliquait que par le mariage, une
femme consentait de manière irrévocable aux relations sexuelles
avec son mari, en toutes circonstances et quel que soit son
état de santé ou sa disposition d'esprit. De nos jours, toute
personne sensée doit considérer cette conception comme
totalement inacceptable.

(...)

La réalité est donc que l'on a dérogé dans une série
d'affaires judiciaires à la partie de la thèse de Hale d'après
laquelle une femme ne peut rétracter le consentement aux
rapports sexuels qu'elle donne en se mariant. Sur le plan des
principes, il n'existe pas de raison valable de ne pas tenir
pour inapplicable de nos jours l'ensemble de cette thèse. La
seule question consiste à savoir si l'article 1 par. 1 de la
loi de 1976 représente un obstacle infranchissable à cette
attitude raisonnable. L'argument est que le terme "illégitime"
figurant dans ce paragraphe signifie "hors mariage".

(...) Le fait est que d'avoir des relations sexuelles avec
une femme, quelle qu'elle soit, sans son consentement est
totalement illégitime, et que l'emploi du terme dans le
paragraphe dont il s'agit n'ajoute rien. A mon sens, il
n'existe aucun motif rationnel pour donner à ce terme
l'interprétation suggérée et on devrait le traiter comme une
simple redondance de la législation (...)

J'estime donc que l'article 1 par. 1 de la loi de 1976
n'empêche nullement la présente chambre de déclarer que de nos
jours, la dérogation conjugale prétendue en matière de viol ne
fait pas partie intégrante du droit anglais. La Court of
Appeal, chambre criminelle, a adopté une position analogue [en
l'occurrence]. Vers la fin de l'arrêt, Lord Lane dit ceci
(...):

"La question qui demeure, et qui n'est pas moins
difficile, est de savoir si, malgré cela, c'est là un
domaine où le tribunal doit s'effacer pour laisser place
au processus parlementaire. Il ne s'agit pas d'ériger
une nouvelle infraction, mais de supprimer une fiction
de la common law devenue anachronique et offensante;
parvenus à cette conclusion, nous estimons de notre
devoir de lui donner les suites qu'elle comporte."

J'approuve respectueusement."

II. Le droit et la pratique internes pertinents

A. L'infraction de viol

16. En common law, l'infraction de viol se définissait
traditionnellement comme des rapports sexuels illégitimes avec une
femme sans son consentement et obtenus par la force, la peur ou le dol.
Aux termes de l'article 1 de la loi de 1956 sur les délits sexuels, "le
viol d'une femme par un homme constitue un crime".

17. Pour autant qu'il s'applique ici, l'article 1 par. 1 de la loi
modificative de 1976 sur les délits sexuels (Sexual Offences
(Amendment) Act) est ainsi libellé:

"Aux fins de l'article 1 de la loi de 1956 sur les délits
sexuels (relatif au viol), commet un viol l'homme qui

- a) a des rapports sexuels illégitimes avec une femme
non consentante au moment desdits rapports (...)"

18. Le 3 novembre 1994, la loi de 1994 sur la justice pénale et
l'ordre public (Criminal Justice and Public Order Act 1994) a remplacé
les dispositions ci-dessus en insérant de nouveaux alinéas à
l'article 1 de la loi de 1956 sur les délits sexuels, dont l'un a eu
pour effet de supprimer le mot "illégitime":

"1. 1) Un homme violant une femme ou un autre homme commet
une infraction.

2) Un homme commet un viol si - a) il a des rapports sexuels
avec une personne (...) non consentante au moment desdits
rapports (...)"

B. L'immunité conjugale

19. Avant la procédure concernant le requérant, les tribunaux
anglais, dans les rares occasions où ils avaient eu à examiner le
problème, directement ou indirectement, avaient toujours reconnu au
moins une certaine forme d'immunité de l'époux contre toute accusation
de viol ou de tentative de viol, en raison de la théorie ou de la
fiction du consentement aux relations sexuelles, censé avoir été
accordé par l'épouse au moment du mariage. La thèse précitée de
Sir Matthew Hale (paragraphe 11 ci-dessus) a été retenue jusqu'à
récemment, par exemple dans l'affaire R. v. Kowalski (Criminal Appeal
Reports 1987, vol. 86, p. 339), laquelle concernait le point de savoir
si une épouse avait ou non tacitement consenti à des actes qui, s'ils
lui étaient imposés contre son gré, constitueraient des sévices.
Rendant le jugement du tribunal, le juge Ian Kennedy déclara, obiter:

"Selon un droit clair, bien établi et ancien, un homme ne
peut, en tant qu'auteur, être coupable de viol sur sa femme."

Et il ajouta que ce principe

"dépendait du consentement tacite aux rapports sexuels, qui
découle de l'état de mariage et se poursuit jusqu'à ce que le
consentement soit retiré par un jugement provisoire, par une
ordonnance de séparation de corps ou, dans certaines
circonstances, par un accord de séparation".

Dans une autre affaire, R. v. Roberts (Criminal Law Reports
1986, p. 188), Lord Justice O'Connor dit:

"L'état de mariage implique que la femme ait consenti à avoir
des rapports sexuels avec son mari tant que dure le mariage
(...) elle ne peut retirer son consentement unilatéralement."

20. Cependant, le 5 novembre 1990, dans l'affaire R. v. C. (All
England Law Reports 1991, vol. 1, p. 755), le juge Simon Brown perc¸ut
toute la notion d'immunité conjugale comme une idée fausse:

"N'était la conséquence fort fâcheuse d'en arriver à une
autre conclusion sur ce point, je m'abstiendrais, quoiqu'à
regret, d'adopter cette position radicale sur la véritable
situation en droit. Mais je l'adopte. Du point de vue de la
logique, je la considère comme la seule défendable, compte tenu
de l'évolution du droit et de son état en cette fin de
XXe siècle. D'après moi, la position actuelle du droit est
celle déjà établie en Ecosse, à savoir qu'il n'existe aucune
immunité conjugale en matière de viol. C'est ainsi que je
statue."

En revanche, le 20 novembre 1990, dans l'affaire R. v. J. (All
England Law Reports 1991, vol. 1, p. 759), le juge Rougier défendit la
règle générale de la common law, estimant que l'article 1 par. 1 a) de
la loi de 1976 avait pour effet de maintenir la dérogation conjugale
consacrée par la thèse de Hale, sous réserve des exceptions établies
par des affaires tranchées avant l'adoption de ladite loi. Il ajouta
ceci:

"(...) il nous faut étudier ici un principe général
important, à savoir que le droit, et particulièrement le droit
pénal, devrait être assez clair pour qu'un homme sache où il se
situe par rapport à lui. Je n'ai pas suffisamment
d'imagination pour supposer que le défendeur en l'espèce a
soigneusement étudié les précédents et pris le conseil d'un
avocat avant de se comporter comme on le prétend, mais le
principe de base dépasse de loin les limites de la présente
affaire, et devrait opérer de manière qu'un homme ne puisse
être reconnu coupable au moyen de décisions judiciaires a
posteriori."

Le 15 janvier 1991, dans l'affaire R. v. S., le juge Swinton
Thomas suivit le juge Rougier, tout en considérant que les juges
pouvaient définir d'autres exceptions.

Le juge Rougier comme le juge Swinton Thomas regrettèrent que
l'article 1 par. 1 a) de la loi de 1976 les empêchât d'adopter la même
position que le juge Simon Brown dans R. v. C.

21. Dans son document de travail 116, Rape within Marriage (Le viol
au sein du mariage), achevé le 17 septembre 1990, la Law Commission
déclara:

"2.8 Il est généralement admis que, sous réserve d'exceptions
(considérées ci-dessous (...)), un mari ne peut être reconnu
coupable du viol de sa femme (...). Il semble en effet
qu'avant 1949, il n'y ait eu aucun cas de poursuites engagées
contre un mari pour le viol de sa femme (...)

(...)

2.11 L'immunité a donné naissance à une jurisprudence
importante sur les affaires particulières dans lesquelles la
dérogation ne s'applique pas. Les limites de cette loi sont
difficiles à déterminer avec certitude. Une grande partie
repose sur des décisions de première instance qui n'ont jamais
été totalement contro^lées en appel (...)"

22. La Law Commission a défini les exceptions suivantes à l'immunité
d'un époux:

- une décision judiciaire a été rendue, en particulier:

a) une injonction du tribunal dispose qu'une épouse n'est plus
tenue de cohabiter avec son mari (R. v. Clarke, Criminal Appeal
Reports 1949, vol. 33, p. 216);

b) il y a eu jugement de séparation de corps ou un jugement
provisoire de divorce au motif qu'"entre le prononcé du
jugement provisoire et l'obtention d'une décision définitive,
un mariage subsiste simplement en théorie" (R. v. O'Brien, All
England Law Reports 1974, vol. 3, p. 663);

c) un tribunal a rendu une ordonnance faisant interdiction au
mari de molester sa femme, ou le mari s'est engagé auprès du
tribunal à ne pas la molester (R. v. Steele, Criminal Appeal
Reports 1976, vol. 65, p. 22);

d) dans l'affaire R. v. Roberts (Criminal Law Reports 1986,
p. 188), la Court of Appeal a conclu que lorsqu'une ordonnance
de non-molestation de deux mois avait été rendue en faveur de
l'épouse, le consentement présumé de celle-ci n'était pas
rétabli à échéance de l'ordonnance;

- aucune décision judiciaire n'a été rendue:

e) le juge Lynskey releva, obiter, dans l'affaire R. v. Miller
(Queen's Bench Division 1954, vol. 2, p. 282), que le
consentement d'une épouse serait révoqué par un accord de
séparation, en particulier s'il contenait une clause de
non-molestation;

f) Lord Justice Geoffrey Lane déclara, obiter, dans l'affaire
R. v. Steele, qu'un accord de séparation contenant une clause
de résidence séparée aurait cet effet.

23. La Law Commission nota qu'il avait été dit dans l'affaire
R. v. Miller, puis confirmé par la Court of Appeal dans l'affaire
R. v. Steele, que l'introduction d'une demande en divorce ne suffirait
pas.

Elle mentionna également la décision du juge Owen dans la
présente affaire, lequel estimait un accord tacite de séparation
suffisant pour lever l'immunité, et déclarant que même en l'absence
d'un accord, la rupture de la vie commune par l'une ou l'autre partie,
accompagnée d'un signe clair qu'il n'y avait plus consentement aux
rapports sexuels, exclurait l'immunité. Elle jugea difficile de
concilier cette opinion avec la position adoptée dans Steele et d'après
laquelle une demande en divorce n'était "manifestement" pas suffisante.
La décision rendue en l'occurrence semblait élargir notablement ce qui
apparaissait préalablement comme la loi, bien qu'elle soulignât la
nécessité d'une séparation de fait - le simple retrait du consentement
aux rapports sexuels ne suffisant pas - pour que l'immunité fût levée.

24. La Law Commission souligna que son enquête revêtait un caractère
inhabituel sur un aspect important. La pratique voulait que lorsqu'on
envisage la réforme de règles de common law, on étudiât les motifs des
décisions judiciaires ou de la doctrine d'où se dégage l'état actuel
du droit, afin d'analyser si lesdits motifs sont bien fondés.
Toutefois, cette démarche n'était guère utile ici, en partie parce
qu'il y avait peu de jurisprudence en la matière, mais surtout parce
qu'il ne prêtait guère à controverse qu'on ne pouvait souscrire à la
raison avancée dans les décisions formant le droit actuel
(paragraphe 4.1 du document de travail). Le droit reposait sur l'idée
que des rapports sexuels contre le gré de l'épouse échappaient au droit
du viol par cela que dans son dictum, Sir Matthew Hale adhérait à la
fiction du consentement présumé aux rapports sexuels. Cette notion
était tout à fait artificielle et, dans la société moderne en tout cas,
totalement anormale. En vérité il était difficile de trouver une
décision récente ou un commentateur la jugeant tant soit peu digne
d'être appuyée. On pouvait percevoir le caractère artificiel et
anormal de l'immunité conjugale en la comparant à l'état actuel du
droit sur les effets juridiques du mariage (paragraphe 4.2).

La notion de consentement présumé était artificielle parce que
les conséquences juridiques du mariage ne résultaient pas de l'accord
réciproque des parties. Bien qu'il faille que celles-ci aient la
capacité juridique de contracter mariage et en observent les formalités
nécessaires, elles ne pouvaient décider des clauses du contrat; le
mariage était pluto^t une condition qui entraînait certains droits et
obligations dont de temps à autre la loi déterminait la teneur. Le
juge Hawkins l'avait souligné dans l'affaire R. v. Clarence (1988) en
ces termes: "Les rapports sexuels qui ont lieu entre mari et femme
après le mariage ne tiennent pas à un consentement particulier de sa
part à elle, mais résultent simplement de la soumission à une
obligation que la loi lui impose" (paragraphe 4.3).

La Law Commission souligna à cet égard que "les droits et
devoirs découlant du mariage ont toutefois évolué au fil des années,
de même que le droit s'est adapté aux changements de la société et des
valeurs. A l'époque moderne, on considère le mariage comme un
partenariat entre pairs" (paragraphe 4.4). Elle donna alors quelques
exemples de changements de la loi et ajouta:

"4.11 Cette reconnaissance progressive de droits et
obligations réciproques au sein du mariage, décrite aux
paragraphes 4.3-4.10 ci-dessus, montre clairement à notre avis
que, quels que puissent être les arguments en faveur de
l'immunité, on ne saurait tenir celle-ci pour justifiée en quoi
que ce soit par la nature du mariage moderne ou par la loi qui
le régit."

25. Ladite commission proposa notamment, à titre provisoire,
d'"abolir l'actuelle immunité conjugale dans tous les cas"
(paragraphe 5.2 de son document de travail).

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

26. Dans sa requête du 31 mars 1992 (n° 20190/92) à la Commission,
le requérant se plaignait de sa condamnation, au mépris de l'article 7
(art. 7) de la Convention, pour une conduite - la tentative de viol sur
sa femme - qui, à l'époque des faits, ne constituait pas, selon lui,
une infraction pénale.

27. La Commission a retenu la requête le 14 janvier 1994. Dans son
rapport du 27 juin 1994 (article 31) (art. 31), elle formule l'avis
qu'il n'y a pas eu violation de l'article 7 par. 1 (art. 7-1) de la
Convention (quatorze voix contre trois). Le texte intégral de son avis
et des trois opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe
au présent arrêt (1).
_______________
1. Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera
que dans l'édition imprimée (volume 335-C de la série A des
publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du
greffe.
_______________

CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR

28. A l'audience du 20 juin 1995, comme il l'avait fait dans son
mémoire, le Gouvernement a invité la Cour à dire qu'il n'y avait pas
eu violation de l'article 7 (art. 7) de la Convention.

29. A la même occasion, le requérant a, comme dans son mémoire, prié
la Cour de dire qu'il y avait eu violation de l'article 7 (art. 7) et
de lui octroyer une satisfaction équitable au titre de l'article 50
(art. 50) de la Convention.

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 7 (art. 7) DE LA CONVENTION

30. Selon le requérant, sa condamnation pour tentative de viol a
constitué une peine rétroactive contraire à l'article 7 (art. 7) de la
Convention, ainsi libellé:

"1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une
omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait
pas une infraction d'après le droit national ou international.
De même, il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui
était applicable au moment où l'infraction a été commise.

2. Le présent article (art. 7) ne portera pas atteinte au
jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action
ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était
criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par
les nations civilisées."

31. Le Gouvernement et la Commission marquent leur désaccord avec
cette thèse.

A. Principes généraux

32. La garantie que consacre l'article 7 (art. 7), élément essentiel
de la prééminence du droit, occupe une place primordiale dans le
système de protection de la Convention, comme l'atteste le fait que
l'article 15 (art. 15) n'y autorise aucune dérogation en temps de
guerre ou autre danger public. Ainsi qu'il découle de son objet et de
son but, on doit l'interpréter et l'appliquer de manière à assurer une
protection effective contre les poursuites, les condamnations et
sanctions arbitraires.

33. Comme la Cour l'a dit dans son arrêt Kokkinakis c. Grèce du
25 mai 1993 (série A n° 260-A, p. 22, par. 52), l'article 7 (art. 7)
ne se borne donc pas à prohiber l'application rétroactive du droit
pénal au désavantage de l'accusé: il consacre aussi, de manière plus
générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum
crimen, nulla poena sine lege) et celui qui commande de ne pas
appliquer la loi pénale de manière extensive au désavantage de
l'accusé, notamment par analogie. Il en résulte qu'une infraction doit
être clairement définie par la loi.
Dans son arrêt précité, la Cour
a ajouté que cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable
peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au
besoin, à l'aide de son interprétation par les tribunaux, quels actes
et omissions engagent sa responsabilité pénale. La Cour a donc indiqué
que la notion de "droit" ("law") utilisée à l'article 7 (art. 7)
correspond à celle de "loi" qui figure dans d'autres articles de la
Convention, notion qui englobe le droit écrit et non écrit et implique
des conditions qualitatives, entre autres celles d'accessibilité et de
prévisibilité
(voir, comme exemple récent, l'arrêt Tolstoy Miloslavsky
c. Royaume-Uni du 13 juillet 1995, série A n° 316-B, pp. 71-72,
par. 37).

34. Aussi clair que le libellé d'une disposition légale puisse être,
dans quelque système juridique que ce soit, y compris le droit pénal,
il existe immanquablement un élément d'interprétation judiciaire. Il
faudra toujours élucider les points douteux et s'adapter aux
changements de situation. D'ailleurs il est solidement établi dans la
tradition juridique du Royaume-Uni comme des autres Etats parties à la
Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue
nécessairement à l'évolution progressive du droit pénal. On ne saurait
interpréter l'article 7 (art. 7) de la Convention comme proscrivant la
clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par
l'interprétation judiciaire d'une affaire à l'autre, à condition que
le résultat soit cohérent avec la substance de l'infraction et
raisonnablement prévisible
.

B. Application de ces principes

35. D'après le requérant, sous réserve de certaines limites, le
principe général de la common law d'après lequel un mari ne peut se
voir déclaré coupable du viol de sa femme, demeurait valable le
12 novembre 1989, date où il a commis les actes ayant débouché sur
l'accusation de tentative de viol (paragraphe 10 ci-dessus). Une série
de décisions judiciaires avant ainsi qu'après cette date, par exemple
celle du 20 novembre 1990 dans l'affaire R. v. J. (paragraphe 20
ci-dessus), auraient énoncé le principe général de l'immunité. Il
serait manifestement hors de doute qu'au 12 novembre 1989, la loi
n'avait subi aucun changement, même si on l'avait envisagé. La levée
de l'immunité par la Court of Appeal le 14 mars 1991 puis par la
Chambre des lords le 23 octobre 1991 se serait produite par la voie
d'un renversement radical et non d'une élucidation de la loi.

Lors du débat de la Chambre des communes sur le projet qui
allait devenir la loi modificative de 1976 sur les délits sexuels
(paragraphe 17 ci-dessus), différentes vues furent exprimées sur
l'immunité conjugale. Le ministre ayant conseillé d'attendre le
rapport du Criminal Law Revision Committee, un amendement qui aurait
aboli l'immunité fut retiré et ne fit jamais l'objet d'un vote. Dans
son rapport, qu'il présenta seulement en 1984, ledit comité recommanda
de maintenir l'immunité et de créer une nouvelle exception.

En 1988, alors qu'il considérait certains amendements à la loi
de 1976, le parlement avait la possibilité de supprimer le mot
"illégitime" à l'article 1 par. 1 a) (paragraphe 17 ci-dessus) ou
d'introduire une nouvelle disposition sur les relations conjugales,
mais ne prit aucune décision en la matière.

Le 17 septembre 1990, la Law Commission recommanda à titre
provisoire la suppression de la règle sur l'immunité (paragraphes 24
et 25 ci-dessus). Or les arrêts de la Court of Appeal puis de la
Chambre des lords dans la cause du requérant (paragraphes 14 et 15
ci-dessus) devancèrent le débat. Selon l'intéressé, ces décisions ont
modifié la loi rétroactivement, ce qui n'eût pas été le cas si le
parlement avait suivi la proposition de la Law Commission. En
conséquence, conclut-il, lorsqu'en 1994 il a supprimé le terme
"illégitime" à l'article 1 de la loi de 1976 (paragraphe 18 ci-dessus),
le parlement ne se serait pas borné à reformuler la loi comme elle se
trouvait libellée en 1976.

36. L'intéressé fait valoir de plus qu'en examinant son grief sur
le terrain de l'article 7 par. 1(art. 7-1) de la Convention, la Cour
ne devrait pas envisager sa conduite par rapport à l'une ou l'autre des
exceptions à la règle sur l'immunité. Les tribunaux nationaux
n'auraient jamais tranché la question, puisque le verdict de
culpabilité du requérant tiendrait à cela seul que la Court of Appeal
et la Chambre des lords avaient aboli la fiction de la common law.

37. Si un critère de prévisibilité semblable à celui opérant sur le
terrain de l'article 10 par. 2 (art. 10-2) s'applique en l'espèce, le
requérant estime qu'il n'a pas été rempli. Certes, la Court of Appeal
et la Chambre des lords n'ont pas érigé de nouvelle infraction ni
modifié les éléments constitutifs du délit de viol; elles auraient
adapté une infraction existante de manière à y englober une conduite
que la common law en excluait jusqu'alors. Elles n'auraient pas adapté
la loi à un nouveau type de comportement, mais à un changement
d'attitudes sociales. Etendre le droit pénal sur cette seule base à
une conduite licite auparavant serait précisément ce que l'article 7
(art. 7) de la Convention viserait à empêcher. D'ailleurs, souligne
le requérant, il serait impossible de préciser quand le changement dont
il s'agit se serait produit. En novembre 1989, la Law Commission
n'avait pas prévu de changement par la jurisprudence; elle estimait que
le parlement aurait à légiférer.

38. Le Gouvernement et la Commission considèrent qu'en
novembre 1989, de sérieux doutes planaient sur la validité de la
prétendue immunité conjugale en cas de viol. Il s'agirait là d'un
domaine où la loi avait fait l'objet d'une évolution progressive et il
y avait fort à penser que les tribunaux donneraient une interprétation
encore plus large des tempéraments à apporter à la loi. En
particulier, l'égalité de la condition des femmes et des hommes dans
le mariage et en-dehors ainsi que la liberté de disposer de leur corps
ayant été reconnues, le requérant, en s'entourant de conseils
juridiques éclairés, pouvait raisonnablement prévoir l'adaptation à son
cas des éléments constitutifs de l'infraction de viol. Il ne fut pas
jugé coupable d'une conduite qui ne constituait pas une infraction
pénale au moment où il l'a commise.

D'ailleurs, souligne le Gouvernement, d'après les faits admis
par les parties le juge Owen avait constaté un accord tacite entre
l'intéressé et son épouse quant à une séparation et au retrait du
consentement à des rapports sexuels. Les circonstances de l'affaire
entraient donc dans le champ des exceptions au principe de l'immunité
que les tribunaux anglais avaient déjà énoncées.

39. La Cour note que la condamnation du requérant pour tentative de
viol reposait sur l'infraction de viol définie par la loi, à savoir
l'article 1 de la loi de 1956, précisé par l'article 1 par. 1 de la loi
de 1976 (paragraphes 16 et 17 ci-dessus). L'intéressé ne conteste pas
que la conduite qui lui a valu sa condamnation aurait constitué une
tentative de viol au sens de la définition légale du viol applicable
à l'époque, si la victime n'avait pas été sa femme. Le grief qu'il
tire de l'article 7 (art. 7) de la Convention porte uniquement sur le
fait qu'il n'a pu exciper de l'immunité conjugale selon la common law
car, d'après lui, elle aurait été abolie rétroactivement.

40. Il échet de relever qu'un élément clé de l'arrêt de la Court of
Appeal (résumé au paragraphe 14 ci-dessus) concernait la définition du
viol à l'article 1 par. 1 a) de la loi de 1976: "rapports sexuels
illégitimes avec une femme non consentante au moment desdits rapports".
La question était de savoir si la "suppression" de l'immunité conjugale
se heurterait à la définition légale du viol, en particulier si le
terme "illégitime" y ferait obstacle. La Court of Appeal examina de
près divers courants d'interprétation de la disposition dans la
jurisprudence, dont l'argument d'après lequel le terme "illégitime"
excluait de la définition du viol les rapports sexuels dans le mariage.
La Cour rappelle à ce propos qu'il incombe au premier chef aux
autorités nationales, notamment aux tribunaux, d'interpréter et
d'appliquer le droit interne (voir, par exemple, l'arrêt Kemmache
c. France (n° 3) du 24 novembre 1994, série A n° 296-C, pp. 86-87,
par. 37). Elle n'aperc¸oit aucune raison de se démarquer de la
conclusion de la Court of Appeal, confirmée ultérieurement par la
Chambre des lords (paragraphe 15 ci-dessus), et d'après laquelle le mot
"illégitime" dans la définition du viol constituait une simple
redondance et n'empêchait pas de "supprimer une fiction de la common
law devenue anachronique et offensante" et de déclarer qu'"un violeur
demeure un violeur, relevant du droit pénal, quelles que soient ses
relations avec sa victime" (paragraphe 14 ci-dessus).

41. Les décisions de la Court of Appeal et de la Chambre des lords
ne faisaient que poursuivre une tendance perceptible dans l'évolution
de la jurisprudence et démantelant l'immunité qui mettait un mari à
l'abri de poursuites pour le viol de sa femme (pour une description de
cette évolution, voir les paragraphes 14 et 20 à 25 ci-dessus). Nul
doute en l'état de la loi au 12 novembre 1989 qu'un mari ayant de force
des rapports sexuels avec son épouse pouvait, dans diverses
circonstances, être convaincu de viol. De plus, l'interprétation
jurisprudentielle opérait une évolution manifeste, cohérente avec la
substance même de l'infraction, du droit pénal qui tendait à traiter
d'une manière générale pareille conduite comme relevant de l'infraction
de viol. Cette évolution était telle que la reconnaissance judiciaire
de l'absence d'immunité constituait désormais une étape raisonnablement
prévisible de la loi (paragraphe 34 ci-dessus).

42. Le caractère par essence avilissant du viol est si manifeste
qu'on ne saurait tenir le résultat des décisions de la Court of Appeal
et de la Chambre des lords - d'après lesquelles le requérant pouvait
être reconnu coupable de tentative de viol quelles que fussent ses
relations avec la victime - pour contraires à l'objet et au but de
l'article 7 (art. 7) de la Convention, qui veut que nul ne soit soumis
à des poursuites, des condamnations ou des sanctions arbitraires
(paragraphe 32 ci-dessus). De surcroît, l'abandon de l'idée
inacceptable qu'un mari ne pourrait être poursuivi pour le viol de sa
femme était conforme non seulement à une notion civilisée du mariage
mais encore et surtout aux objectifs fondamentaux de la Convention dont
l'essence même est le respect de la dignité et de la liberté humaines.

43. Parvenue à cette conclusion, la Cour ne juge pas devoir examiner
si les faits de la cause entraient dans le champ des exceptions au
principe d'immunité déjà énoncées par les tribunaux anglais avant le
12 novembre 1989.

44. En résumé, la Cour, comme le Gouvernement et la Commission,
estime que les décisions des juridictions nationales d'après lesquelles
le requérant ne pouvait exciper de l'immunité pour échapper à une
condamnation pour tentative de viol sur sa femme, n'ont pas enfreint
les droits de l'intéressé au titre de l'article 7 par. 1 (art. 7-1) de
la Convention
.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,

Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 7 par. 1
(art. 7-1) de la Convention.

Fait en franc¸ais et en anglais, puis prononcé en audience
publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le
22 novembre 1995.

Signé: Rolv RYSSDAL
Président

Signé: Herbert PETZOLD
Greffier

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