Critique d’une notion imprécise :
la faute du dirigeant de société séparable de ses fonctions.


V. Wester-Ouisse, Dalloz affaires 1999, n° 161.

Cette notion inspirée du droit administratif permet de limiter à l’extrême la responsabilité personnelle des dirigeants de société. La responsabilité des personnes morales, décidément très en vogue, est alors accrue, grâce à un critère flou, parfois suspect, et difficilement compatible avec le droit positif : la faute séparable des fonctions. La responsabilité civile et le droit classique des affaires s’accommodent mal de cette nouvelle solution.



La responsabilité des personnes morales, consacrée en droit pénal, fait des émules en droit privé de la responsabilité, dans quelques décisions de la chambre commerciale. Afin de limiter les cas de responsabilité personnelle du dirigeant en y substituant celle de la personne morale, ces décisions utilisent un critère malléable et difficile d’utilisation (I) qui met en cause l’harmonie du droit positif (II).

Cass. com., 27 janvier 1998 ;
Cass. com., 28 avril 1998 ;
Cass. com., 20 octobre 1998
;

I – La faute séparable des fonctions : un critère aux contours imprécis.
A – Critères flous de la faute détachable du service
B – Des motivations suspectes.
II – La faute séparable des fonctions : un critère discutable au regard du droit environnant.
A – Divergences avec le droit des sociétés
1 – Contradictions avec les textes cités.
2 – Incompatibilité avec d’autres solutions du droit des affaires.
B – Divergences avec le droit de la responsabilité.
1 – Impossible rapprochement avec la responsabilité du fait d’autrui.
2 – La faute personnelle.
a – La faute de la personne morale.
b – La faute du dirigeant.


Code de commerce

SARL

Article L223-22
Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.

SA

Article L225-251
Modifié par Loi n°2001-420 du 15 mai 2001 - art. 107
Les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.

Si plusieurs administrateurs ou plusieurs administrateurs et le directeur général ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage.


 

Actualisation jurisprudentielle :

Les fautes pénales sont séparables des fonctions sociales :

Cour de cassation
chambre commerciale
Audience publique du mardi 28 septembre 2010

N° de pourvoi: 09-66255
Publié au bulletin Cassation

Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :

Vu l'article L. 223-22 du code de commerce, ensemble l'article L. 243-3 du code des assurances ;

Attendu que le gérant d'une société à responsabilité limitée qui commet une faute constitutive d'une infraction pénale intentionnelle, séparable comme telle de ses fonctions sociales, engage sa responsabilité civile à l'égard des tiers à qui cette faute a porté préjudice ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. et Mme X... ont confié à la société STS, entreprise de bâtiment qui avait Mme Y... pour gérante, la réalisation de travaux de rénovation, y compris le gros oeuvre, dans un immeuble leur appartenant ; que les travaux ont commencé au cours de la première semaine d'octobre 2000 ; que des malfaçons et inexécutions diverses ayant été constatées, M. et Mme X..., faisant valoir que Mme Y... avait engagé sa responsabilité à leur égard en ne faisant pas souscrire à la société qu'elle dirigeait une assurance couvrant sa garantie décennale, l'ont assignée en paiement de dommages-intérêts après la mise en liquidation judiciaire de la société STS ;

Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que, même constitutif du délit prévu et réprimé par les articles L. 111-34 du code de la construction et de l'habitation et L. 243-3 du code des assurances, et caractérisant une abstention fautive imputable à la gérante de la société STS assujettie à l'obligation d'assurance, le défaut de souscription des assurances obligatoires de dommages et de responsabilité n'était pas séparable des fonctions de dirigeant ; qu'il ajoute que la société STS a négocié avec une compagnie d'assurances pour être garantie au point qu'elle a pu penser-fût-ce de façon erronée qu'elle était couverte ou à la veille de l'être au moment où elle a entrepris le chantier X... et que seul le contrat finalement signé en novembre 2000 a caractérisé qu'il n'y avait pas de reprise du passé ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que Mme Y... avait sciemment accepté d'ouvrir le chantier litigieux sans que la société STS fût couverte par une assurance garantissant la responsabilité décennale des constructeurs, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE

Publication : Bulletin 2010, IV, n° 146

Responsabilité personnelle des des administrateurs et du directeur général
à l'égard des actionnaires qui demandent indemnisation de leurs préjudices personnels

Cour de cassation
chambre commerciale
Audience publique du mardi 9 mars 2010

N° de pourvoi: 08-21547 08-21793
Publié au bulletin

Sur le troisième moyen du pourvoi n° M 08-21.547, pris en sa seconde branche, et le troisième moyen du pourvoi n° D 08-21.793, réunis :

Attendu que la société EPF Partners et MM. X..., Y... et Z... font encore grief à l'arrêt d'avoir déclaré fondées les demandes des actionnaires de la société, alors, selon le moyen :

1°/ que la responsabilité personnelle d'un dirigeant à l'égard des tiers ne peut être retenue que s'il a commis une faute séparable de ses fonctions et qui lui soit imputable personnellement ; que la faute est séparable lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d'une gravité particulière incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales ; qu'en l'espèce, pour condamner la société EPF Partners et M. X... à indemniser les actionnaires de la société Y... de la perte de valeur de leurs titres, l'arrêt attaqué retient une carence des administrateurs à apprécier si la méthode de comptabilisation des travaux en cours était adaptée aux activités de la société Y... et si des outils de gestion fiables pouvaient être mis en place dans un délai raisonnable, ainsi que leur inaction face aux communiqués de presse trompeurs publiés par le président de la société Y... ; qu'en se déterminant par tels motifs, impropres à établir que la société EPF Partners et M. X... avaient commis intentionnellement des fautes d'une gravité particulière incompatibles avec l'exercice normal des fonctions sociales, la cour d'appel a violé les articles L. 225-251 et L. 225-252 du code de commerce ;

2°/ que la faute du dirigeant est séparable de ses fonctions et permet d'engager sa responsabilité personnelle lorsque celui-ci a intentionnellement commis une faute d'une gravité particulière incompatible avec l'exercice des fonctions sociales ; que la cour d'appel, qui a énoncé que la faute prétendument commise par les dirigeants sociaux était «intentionnelle », sans caractériser en quoi celle-ci était par ailleurs d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice des fonctions sociales, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 225-252, L. 651-2 et L. 651-3 du code de commerce ;

3° / qu'il était en l'espèce constant et non contesté que les réserves émises par les commissaires au comptes avaient fait l'objet, en application de l'article R. 232-11 du code de commerce, d'une publication régulière au BALO. tandis que celles-ci figuraient, à titre d'avertissement, en première page de tous les documents de référence de la société Y... ; qu'en retenant que le fait de ne pas avoir rappelé l'existence de ces réserves dans les communiqués rédigés à l'attention du marché, constituait une faute intentionnelle en ce que M. Y... et les administrateurs de la société auraient ainsi cherché à en dissimuler l'existence quand ces réserves étaient déjà connues ou, à tout le moins, accessibles au public par l'intermédiaire des documents de référence et des publications effectuées au BALO, ce dont il résultait qu'elles ne pouvaient plus être dissimulées, la cour d'appel a violé les articles L. 225-252, L. 651-2 et L. 651-3 du code de commerce ;

4°/ que MM. Y... et Z... avaient fait valoir, dans leurs conclusions d'appel respectives (cf. conclusions de M. Y..., p. 17-18 ; conclusions de M. Z..., p. 17 § 2 et 3), que si les réserves des commissaires aux comptes n'avaient pas été systématiquement rappelées dans chacun des communiqués rédigés à l'attention du marché, ces communiqués n'avaient pour autant fait état d'aucune information fallacieuse, les données y figurant ayant toujours été conformes à celles dont disposait alors la société Y... ; qu'en affirmant que ces communiqués étaient révélateurs d'une volonté de dissimulation et de tromperie constitutive d'une faute intentionnelle sans s'être seulement prononcée sur le point de savoir si les informations qui y figuraient étaient ou non exactes et correspondaient à la réalité des données dont disposait la société Y... au moment où ils avaient été rédigés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 225-252, L. 651-2 et L. 651-3 du code de commerce ;

5°/ que ne constitue pas une faute intentionnelle d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice des fonctions sociales, le fait d'avoir mis en place, sur une recommandation de la COB, une nouvelle méthode de comptabilisation du chiffre d'affaires dite « à l'avancement » alors que la société ne disposait pas des outils de gestion nécessaires à sa mise en oeuvre ; qu'en affirmant l'inverse, la cour d'appel a violé les articles L. 225-252, L. 651-2 et L. 651-3 du code de commerce ;

Mais attendu que la mise en oeuvre de la responsabilité des administrateurs et du directeur général à l'égard des actionnaires agissant en réparation du préjudice qu'ils ont personnellement subi n'est pas soumise à la condition que les fautes imputées à ces dirigeants soient intentionnelles, d'une particulière gravité et incompatibles avec l'exercice normal des fonctions sociales ; que le moyen, qui fait grief à la cour d'appel de ne pas avoir caractérisé de telles fautes, est inopérant ;

Définition de la faute séparable des fonctions :

Cour de Cassation Chambre commerciale
Audience publique du 20 mai 2003 Rejet.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Saint Denis de La Réunion, 4 mai 1999), que Mme X..., agissant en qualité de gérante de la société SBTR, a cédé à la Société d'application de techniques de l'industrie (société SATI) deux créances qu'elle avait déjà cédées à la Banque de La Réunion ; que la société SATI a demandé que Mme X... soit condamnée à réparer le préjudice résultant du défaut de paiement de ces créances ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt d'avoir retenu sa responsabilité, alors, selon le moyen, que la responsabilité personnelle d'un dirigeant ne peut être retenue que s'il a commis une faute séparable de ses fonctions et qui lui soit imputable personnellement ; qu'il résulte seulement des constatations de l'arrêt attaqué que la société SBTR, représentée par son gérant Mme X..., a cédé à la société SATI en règlement de livraisons de matériaux deux créances qu'elle détenait respectivement sur la SEMADER et la SHLMR après les avoir cédées une première fois à la Banque de La Réunion ; qu'en décidant, pour condamner Mme X... personnellement à réparer le préjudice résultant du non règlement des créances cédées en second lieu, que Mme X... avait ainsi commis une faute détachable de ses fonctions sans caractériser le moindre agissement de cette dernière étranger aux cessions de créances consenties par elle au nom et pour le compte de la société SBTR dans l'exercice de ses fonctions de gérant, la cour d'appel a violé l'article 52 de la loi du 24 juillet 1966 ;

Mais attendu que la responsabilité personnelle d'un dirigeant à l'égard des tiers ne peut être retenue que s'il a commis une faute séparable de ses fonctions ; qu'il en est ainsi lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales ;
Attendu qu'ayant constaté que Mme X... avait volontairement trompé la société SATI sur la solvabilité de la société SBTR qu'elle dirigeait, ce qui lui a permis de bénéficier de livraisons que sans de telles manoeuvres elle n'aurait pu obtenir, la cour d'appel en a exactement déduit que Mme X... avait commis une faute séparable de ses fonctions engageant sa responsabilité personnelle ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS : REJETTE

Cour de Cassation Assemblée plénière
Audience publique du 25 février 2000 Cassation partielle.

(…)
Attendu que M. Girard fait grief à l'arrêt d'avoir mis hors de cause les époux Reynier, alors, selon le moyen, d'une part, que les prétentions des parties sont fixées par leurs conclusions, si bien qu'en mettant hors de cause M. et Mme Reynier pour une raison qui n'était pas invoquée par ceux-ci, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ; et, d'autre part, qu'en soulevant d'office le moyen tiré de la qualité de cogérant des époux Reynier de la SCA du Mas de Jacquines pour les mettre hors de cause, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'il résulte des énonciations des juges du fond que les époux Reynier ont été assignés en qualité de cogérants de la société civile agricole et qu'aucun agissement ne leur était reproché à titre personnel, que dans ces conditions, l'arrêt a décidé, sans encourir les griefs du moyen, qu'ils n'avaient été attraits dans l'instance qu'en leur qualité de représentants légaux de la société et qu'ils devaient être mis hors de cause ;
Qu'ainsi le moyen n'est pas fondé ;

(Mais sur le moyen unique du pourvoi n° 97-17.378, pris en sa première branche :
Vu les articles 1382 et 1384, alinéa 5, du Code civil ;
Attendu que n'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ;
Attendu que, pour retenir la responsabilité de M. Costedoat, l'arrêt énonce qu'il aurait dû, en raison des conditions météorologiques, s'abstenir de procéder ce jour-là à des épandages de produits toxiques ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il n'était pas prétendu que M. Costedoat eût excédé les limites de la mission dont l'avait chargé la société Gyrafrance, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE)



Brève bibliographie :

B. Petit, Y. Reinhard, Responsabilité civile des dirigeants, RTD com. 1997, p. 282
D. Ohl, note sous Cass. com. 28 avril 1998, JCP 1998, II, 10177
G. Auzero, L’application de la notion de faute personnelle détachable des fonctions en droit privé, D. Affaires 1998, p. 502.
D. Gibirila, note sous Cass. com. 27 janvier 1998, D. 1998, p. 605 ;
C. Freyria, Libres propos sur la responsabilité civile dans la gestion d’une entreprise, Mélanges L. Boyer, Presses de l’université des sciences sociales de Toulouse 1996, p. 178.
G. Braibant, B. Stirn, Le droit administratif français, Presses de sciences po et Dalloz, 4ème éd. 1997
A. Pirovano, La « boussole » de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise ?, D. 1997, chron. p. 189.
A. Roger, La notion d’avantage injustifié, JCP 1998, I, 102.
E. Gaillard, Le pouvoir en droit privé, Economica 1985.
B. Pacteau, note sous CE 18 novembre 1988, Raszewski, JCP 1989, II, 21211.
A. L., obs. sous Cass. com. 28 avril 1998, D. affaires 1998, p. 1008.
F. Pollaud-Dulian, De quelques avatars de l’action en responsabilité civile dans le droit des affaires, RTD com. 1997, p. 349
B. Puill, Les fautes du préposé : s’inspirer de certaines solutions du droit administratif ? JCP 1996, I, 3939.
Cass. Ass. plén. 19 mai 1988, D. 1988, p. 513, note C. Larroumet, GP 1988, 2, p. 640, concl. M. Dorwling-Cartier, Defrénois 1988, 1097, obs. J.-L. Aubert, RTD civ. 1989, p. 89, obs. P. Jourdain.
A. Sayag, Mandat social et contrat de travail : attraits, limites et fictions, Revue des sociétés 1981, p. 1.
J.-P. Metivet, Les articles 52 alinéa 1 et 244 de la loi du 24 juillet 1966 et la responsabilité du dirigeant social envers les tiers, Rapp. C. cass. pour l’année 1998, p.111

Plus récemment :
S. Hadji-Artinian, La faute de gestion en droit des sociétés, Litec, 2001, préface A. Viandier
F. Descorps Declère, Pour une réhabilitation de la responsabilité civile des dirigeants sociaux, RTDcom, janvier/mars 2003, p. 25
A. Couret, Entreprise et responsabilité civile, rapport de synthèse, Droit & Patrimoine n° 118- septembre 2003
Cass.com , 20 mai 2003, Rév. Sociétés, 2003, p. 479, note J-P. Barbièri ; D. 2003, p. 2623, note B. Dondero ; JCP 2003, II. 10178, note S. Reifegerste
P. Bissara, Corporate governance, loi NRE et redéfinition de la faute civile des dirigeants : le point de vue du dirigeant d’entreprise. Rév. Sociétés. Avril-juin 2003
S. Messai, La responsabilité civile des dirigeants sociaux, thèse, 2005, université Paris I
H. Aubry, La responsabilité des dirigeants dans la société par actions simplifiée, Revue des sociétés, n° 4 / 2005, p. 796.
J.-F. Barbiery, Responsabilité de la personne morale ou responsabilité des dirigeants ? La responsabilité personnelle à la dérive, Mélanges Guyon, Dalloz, 2003, p.41

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