Discours préliminaire du premier projet de Code civil
Un arrêté
des Consuls, du 24 thermidor an VIII, a chargé le Ministre de la justice
de nous réunir chez lui pour "comparer l'ordre suivi dans la rédaction
des projets de code civil publiés jusqu'à ce jour, déterminer
le plan qu'il nous paraîtrait le plus convenable d'adopter, et discuter
ensuite les principales bases de la législation en matière civile".
Cet arrêté est conforme au voeu manifesté par toutes nos
assemblées nationales et législatives.
Nos conférences sont terminées.
Nous sommes comptables à la patrie et au Gouvernement, de l'idée
que nous nous sommes formée de notre importante mission, et de la manière
dont nous avons cru devoir la remplir.
La France, ainsi que les autres grands Etats de l'Europe, s'est successivement
agrandie par la conquête et par la réunion libre de différents
peuples.
Les peuples conquis et les peuples demeurés libres ont toujours
stipulé, dans leurs capitulations, et dans leurs traités, le maintien
de leur législation civile. L'expérience prouve
que les hommes changent plus facilement de domination que de lois.
De là cette prodigieuse diversité de coutumes que l'on rencontrait
dans le même empire : on eût dit que la France n'était qu'une
société de sociétés. La patrie était commune
; et les Etats, particuliers et distincts : le territoire était un ;
et les nations diverses.
Des magistrats recommandables avaient, plus d'une fois conçu le projet
d'établir une législation uniforme. L'uniformité est un
genre de perfection qui, selon le mot d'un auteur célèbre, saisit
quelquefois les grands esprits, et frappe infailliblement les petits.
Mais, comment donner les mêmes lois à des hommes qui, quoique soumis
au même gouvernement, ne vivaient pas sous le même climat, et avaient
des habitudes si différentes ? Comment extirper des coutumes auxquelles
on était attachés comme à des privilèges, et que
l'on regardait comme autant de barrières contre les volontés mobiles
d'un pouvoir arbitraire ? On eût craint d'affaiblir, ou même de
détruire, par des mesures violentes, les liens communs de l'autorité
et de l'obéissance.
Tout à coup une grande révolution s'opère. On attaque tous
les abus ; on interroge toutes les institutions. A la simple voix d'un orateur,
les établissements, en apparence les plus inébranlables, s'écroulent
; ils n'avaient plus de racine dans les moeurs ni dans l'opinion. Ces succès
encouragent ; et bientôt la prudence qui tolérait tout, fait place
au désir de tout détruire.
Alors on revient aux idées d'uniformité dans la législation,
parce qu'on entrevoit la possibilité de les réaliser.
Mais un bon code civil pouvait-il naître au milieu des crises politiques
qui agitaient la France ?
Toute révolution est une conquête. Fait-on des lois dans le passage
de l'ancien gouvernement au nouveau ? Par la seule force des choses, ces lois
sont nécessairement hostiles, partiales, éversives. On est emporté
par le besoin de rompre toutes les habitudes, d'affaiblir tous les liens, d'écarter
tous les mécontents. On ne s'occupe plus des relations privées
des hommes entre eux : on ne voit que l'objet politique et général
; on cherche des confédérés plutôt que des concitoyens.
Tout devient droit public.
Si l'on
fixe son attention sur les lois civiles, c'est moins pour les rendre plus sages
ou plus justes, que pour les rendre plus favorables à ceux auxquels il
importe de faire goûter le régime qu'il s'agit d'établir.
On renverse le pouvoir des pères, parce que les enfants se prêtent
davantage aux nouveautés. L'autorité maritale n'est pas respectée,
parce que c'est par une plus grande liberté donnée aux femmes,
que l'on parvient à introduire de nouvelles formes et un nouveau ton
dans le commerce de la vie. On a besoin de boulverser tout le système
de successions, parce qu'il est expédient de préparer un nouvel
ordre de citoyens par un nouvel ordre de propriétaires. A chaque instant,
les changements naissent des changements ; et les circonstances des circonstances.
Les institutions se succèdent avec rapidité, sans qu'on puisse
se fixer à aucune ; et l'esprit révolutionnaire se glisse dans
toutes. Nous appelons esprit révolutionnaire, le désir
exalté de sacrifier violemment tous les droits à un but politique,
et de ne plus admettre d'autres considération que celle d'un mystérieux
et variable inérêt d'Etat.
Ce n'est pas dans un tel moment que l'on peut se promettre de régler
les choses et les hommes, avec cette sagesse qui préside aux établissements
durables, et d'après
les principes de cette équité naturelle dont les législateurs
humains ne doivent être que les respectueux interprètes.
Aujourd'hui
la France respire ; et la constitution, qui garantit son repos, lui permet de
penser à sa prospérité.
De bonnes lois civiles sont le plus grand bien que les hommes puissent donner
et recevoir ; elles sont la source des moeurs, le palladium de la propriété,
et la garantie de toute paix publique et particulière : si elles ne fondent
pas le gouvernement, elles le maintiennent ; elle modèrent la puissance,
et contribuent à la faire respecter, comme si elle était la justice
même. Elles atteingnent chaque individu, elles se mêlent aux principales
actions de sa vie, elles le suivent partout ; elles sont souvent l'unique morale
du peuple, et toujours elles font parties de sa liberté : enfin, elles
consolent chaque citoyen des sacrifices que la loi politique lui commande pour
la cité, en le protégeant, quand il le faut, dans sa personne
et dans ses biens, comme s'il était, lui seul, la cité tout entière.
Aussi, la rédaction du Code civil a d'abord fixé la sollicitude
du héros que la notion a établi son premier magitrat, qui anime
tout par son génie, et qui croira toujours avoir à travailler
pour sa gloire, tant qu'il lui restera quelque chose à faire pour notre
bonheur.
Mais quelle tâche que la rédaction d'une législation civile
pour un grand peuple ! L'ouvrage serait au-dessus des forces humaines, s'il
s'agissait de donner à ce peuple une institution absolument nouvelle,
et si, oubliant qu'il occupe le premier rang parmi les nations policées,
on dédaignait de profiter de l'expérience du passé, et
de cette tradition de bon sens, de règles et de maximes, qui est parvenue
jusqu'à nous, et qui forme l'esprit des siècles.
Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse,
de justice et de raison. Le législateur exerce moins une autorité
qu'un sacerdoce. Il ne doit point perdre de vue que les lois sont faites pour
les hommes, et non les hommes pour les lois ; qu'elles doivent être adaptées
au caractère, aux habitudes, à la situation du peuple pour lequel
elles sont faites ; qu'il faut être sobre de nouveautés
en matière de législation, parce qu'il est possible, dans une
institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre,
il ne l'est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique
seule peut découvrir ; qu'il faut laisser le bien, si on est
en doute du mieux ; qu'en corrigeant un abus, il faut encore voir les dangers
de la correction même, qu'il serait absurde de se livrer à des
idées absolues de perfection, dans des choses qui ne sont susceptibles
que d'une bonté relative ; qu'au lieu de changer les lois, il est presque
toujours plus utile de présenter aux citoyens de nouveaux motifs de les
aimer ; que l'histoire nous offre à peine la promulgation de deux ou
trois bonnes lois dans l'espace de plusieurs siècles ; qu'enfin, il
n'appartient de proposer des changements, qu'à ceux qui sont assez heureusement
nés pour pénétrer, d'un coup de génie, et par une
sorte d'illumination soudaine, toute la constitution d'un Etat.
Le consul Cambacérès publia, il y a quelques années, un
Projet de code dans lequel les matières se trouvent classées avec
autant de précision que de méthode. Ce magistrat, aussi sage qu'éclairé,
ne nous eût rien laissé à faire, s'il aût pu donner
un libre essor à ses lumières et à ses principes, et si
les circonstances impérieuses et passagères n'eussent érigé
en axiomes de droits, des erreurs qu'il ne partageait pas.
Après le 18 brumaire, une commission composée d'hommes que le
voeu national a placés dans diverses autorités constituées,
fut établie pour achever un ouvrage déjà trop souvent repris
et abandonné. Les utiles travaux de cette commission ont dirigé
et abrégé les nôtres.
A l'ouverture
de nos conférences, nous avons été frappés de l'opinion,
si généralement répandue, que, dans la rédaction
d'un Code civil, quelques textes bien précis sur chaque matière
peuvent suffire, et que le grand art est de tout simplifier en prévoyant
tout.
Tout simplifier, est une opération sur laquelle on a besoin
de s'entendre. Tout prévoir, est un but qu'il est impossible
d'atteindre.
Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires
; elles compromettraient la certitude et la majesté de la législation.
Mais un grand Etat comme la France, qui est à la fois agricole et commerçant,
qui renferme tant de professions différentes, et qui offre tant de genres
divers d'industrie, ne saurait comporter des lois aussi simples que celles d'une
société pauvre et plus réduite.
Les lois des douzes Tables sont sans cesse proposées pour modèle
: mais peut-on comparer les institutions d'un peuple naissant, avec celles d'un
peuple parvenu au plus haut degré de richesse et de civilisation ? Rome,
née pour la grandeur, et destinée, pour ainsi dire, à
être la ville éternelle, tarda-t-elle à reconnaître
l'insuffisance de ses premières lois ? Les changements survenus insensiblement
dans ses moeurs, n'en produisirent-ils pas dans la législation ? ne commença-t-on
pas bientôt à distinguer le droit écrit du droit non écrit
? ne vit-on pas naître successivement les sénatus-consultes, les
plébicites, les édits des préteurs, les ordonnances des
consuls, les règlements des édiles, les réponses ou les
désisions des jurisconsultes, les pragmatiques-sanctions, les rescrits,
les édits, les novelles des empereurs ? L'histoire de la législation
de Rome est, à peu près, celle de la législation de tous
les peuples.
Dans les Etats despotiques, où le prince est propriétaire de tout
le territoire, où tout le commerce se fait au nom du chef de l'Etat et
à son profit, où les particuliers n'ont ni liberté, ni
volonté, ni propriété, il y a plus de juges et de bourreaux
que de lois : mais partout où les citoyens ont des biens à conserver
et à défendre ; partout où ils ont des droits politiques
et civils ; partout où l'honneur est compté pour quelque chose,
il faut nécessairement un certain nombre de lois pour faire face à
tout. Les diverses espèces de biens, les divers genres d'industrie, les
diverses situations de la vie humaine, demandent des règles différentes.
La sollicitude du législateur est obligée de se proportionner
à la multiplicité et à l'importance des objets sur lesquels
il faut statuer. De là, dans les Codes des nations policées, cette
prévoyance scrupuleuse qui multiplie les cas particuliers, et semble
faire un art de la raison même.
Nous n'avons donc pas cru devoir simplifier les lois, au point de laisser les
citoyens sans règle et sans garantie sur leurs plus grands intérêts.
Nous nous sommes également préservé de la dangereuse
ambition de vouloir tout régler et tout prévoir. Qui pourrait
penser que ce sont ceux même auxquels un code paraît toujours trop
volumineux, qui osent prescrire impérieusement au législateur,
la terrible tâche de ne rien abandonner à la décision du
juge ?
Quoi que l'on fasse, les lois positives ne sauraient jamais entièrement
remplacer l'usage de la raison naturelle dans les affaires de la vie. Les besoins
d'une société sont si variés, la communication des hommes
est si active, leurs intérêts sont si multipliés, et leurs
rapports si étendus, qu'il est impossible au législateur de pourvoir
à tout.
Dans les matières mêmes qui fixent particulièrement son
attention, il est une foule de détails qui lui échappent, ou qui
sont trop contentieux et trop mobiles pour pouvoir devenir l'objet d'un texte
de loi.
D'ailleurs, comment enchaîner l'action du temps ? comment s'opposer au
cours des événements, ou à la pente insensible des moeurs
? comment connaître et calculer d'avance ce que l'expérience seule
peut nous révéler ? La prévoyance peut-elle jamais s'étendre
à des objets que la pensée ne peut atteindre ?
Un code, quelque complet qu'il puisse paraître, n'est pas plutôt
achevé, que mille questions inattendues viennent s'offrir aux magistrats.
Car les lois une fois rédigées demeurent telles qu'elles ont été
écrites. Les hommes, au contraire, ne se reposent jamais ; ils agissent
toujours : et ce mouvement, qui ne s'arrête pas, et dont les effets sont
diversement modifiés par les circonstances, produit, à chaque
instant, quelque combinaison nouvelle, quelque nouveau fait, quelques résultat
nouveau.
Une foule de choses sont donc nécessairement abandonnées à
l'empire de l'usage, à la discussion des hommes instruits, à l'arbitrage
des juges.
L'office de la loi est de fixer, par grandes vues, les maximes générales
du droit : d'établir des principes féconds en conséquences,
et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître
sur chaque matière.
C'est au magistrat et au jurisconsulte, pénétrés de l'esprit
général des lois, à en diriger l'application.
De là, chez toutes les nations policées, on voit toujours se former,
à côté du sanctuaire des lois, et sous la surveillance du
législateur, un dépôt de maximes, de décisions et
de doctrine qui s'épure journelleent par la pratique et par le choc des
débats judiciaires, qui s'accroît sans cesse de toutes mes connaissances
acquises, et qui a constamment été regardé comme le vrai
supplément de la législation.
On fait à ceux qui professent la jurisprudence le reproche d'avoir multiplié
les subtilités, les compilations et les commentaires. Ce reproche peut
être fondé. Mais dans quel art, dans quelle science ne s'est-on
pas exposé à la mériter ? Doit-on accuser une classe particulière
d'hommes, de ce qui n'est qu'une maladie générale de l'esprit
humain ? Il est des temps où l'on est condamné à l'ignorance,
parce qu'on manque de livres ; il en est d'autres où il est difficile
de s'instruire, parce qu'on en a trop.
Si l'on peut pardonner à l'intempérance de commenter, de discuter
et d'écrire, c'est surtout en jurisprudence. On n'hésitera point
à le croire, si l'on réfléchit sur les fils innombrables
qui lient les citoyens, sur le développement et la progression successive
des objets dont le magistrat et le jurisconsulte sont obligés de s'occuper,
sur le cours des événements et des circonstances qui modifient
de tant de manières les relations sociales, enfin sur l'action et la
réaction continue de toutes les passions et de tous les intérêts
divers. Tel blâme les subtilités et les commentaires, qui devient,
dans une cause personnelle, le commentateur le plus subtil et le plus fastidieux.
Il serait, sans
doute, désirable que toutes les matières pussent être réglées
par des lois.
Mais à défaut de texte précis sur chaque matière,
un usage ancien, constant et bien établi, une suite non interrompue de
décisions semblables, une opinion ou une maxime reçue, tiennent
lieu de loi. Quand on n'est dirigé par rien de ce qui est établi
ou connu, quand il s'agit d'un fait absolument nouveau, on remonte aux principes
du droit naturel. Car,
si la prévoyance des législateurs est limitée, la nature
est infinie ; elle s'applique à tout ce qui peut intéresser les
hommes.
Tout cela suppose des compilations, des recueils, des traités, de nombreux
volumes de recherches et de dissertations.
Le peuple, dit-on, ne peut, dans ce dédale, démêler ce qu'il
doit éviter ou ce qu'il doit faire pour avoir la sûreté
de ses possessions et de ses droits.
Mais le code, même le plus simple, serait-il à la portée
de toutes les classes de la société ? Les passions ne seraient-elles
pas perpétuellement occupées à en détourner le vrai
sens? Ne faut-il pas une certaine expérience pour faire une sage application
des lois ? Quelle est d'ailleurs la nation à laquelle des lois simples
et en petit nombre aient longtemps suffi ?
Ce serait donc une
erreur de penser qu'il pût exister un corps de lois qui eût d'avance
pourvu à tous les cas possibles, et qui cependant fût à
la portée du moindre citoyen.
Dans l'état
de nos sociétés, il est trop heureux que la jurisprudence forme
une science qui puisse fixer le talent, flatter l'amour-propre et réveiller
l'émulation. Une classe entière d'hommes se voue dès lors
à cette science, et cette classe, consacrée à l'étude
des lois, offre des conseils et des défenseurs aux citoyens qui ne pourraient
se diriger et se défendre eux-mêmes, et devient comme le séminaire
de la magistrature.
Il est trop heureux
qu'il y ait des recueils, et une tradition suivie d'usages, de maximes et de
règles, pour que l'on soit, en quelque sorte, nécessité
à juger aujourd'hui, comme on a jugé hier, et qu'il n'y ait d'autres
variations dans les jugements publics, que celles qui sont amenées par
le progrès des lumières et par la force des circonstances.
Il est trop heureux
que la nécessité où est le juge de s'instruire, de faire
des recherches, d'approfondir les questions qui s'offrent à lui, ne lui
permette jamais d'oublier que, s'il est des choses qui sont arbitraires à
sa raison, il n'en est point qui le soient purement à son caprice ou
à sa volonté.
En Turquie, où
la jurisprudence n'est point un art, où le bacha peut prononcer comme
il le veut, quand des ordres supérieurs ne le gênent pas, on voit
les justiciables ne demander et ne recevoir justice qu'avec effroi. Pourquoi
n'a-t-on pas les mêmes inquiétudes auprès de nos juges ?
C'est qu'ils sont rompus aux affaires, qu'ils ont des lumières, des connaissances,
et qu'ils se croient sans cesse obligés de consulter celles des autres.
On ne saurait comprendre combien cette habitude de science et de raison adoucit
et règle le pouvoir.
Pour combattre l'autorité
que nous reconnaissons dans les juges, de statuer sur les choses qui ne sont
pas déterminées par les lois, on invoque le droit qu'à
tout citoyen de n'être jugé que d'après une loi antérieure
et constante.
Ce droit
ne peut être méconnu. Mais, pour son application, il faut distinguer
les matières criminelles d'avec les matières civiles.
Les matières
criminelles, qui ne roulent que sur certaines actions, sont circonscrites :
les matières civiles ne le sont pas. Elles embrassent indéfiniment
toutes les actions et tous les intérêts compliqués et variables
qui peuvent devenir un objet de litige entre des hommes vivant en société.
Conséquemment, les matières criminelles peuvent devenir l'objet
d'une prévoyance dont les matières civiles ne sont pas susceptibles.
En second lieu, dans
les matières civiles, le débat existe toujours entre deux ou plusieurs
citoyens. Une question de propriété, ou toute autre question semblable,
ne peut rester indécise entre eux. On est forcé de prononcer ;
de quelque manière que ce soit, il faut terminer le litige. Si les parties
ne peuvent pas s'accorder elles-mêmes, que fait alors l'État ?
Dans l'impossibilité de leur donner des lois sur tous les objets, il
leur offre, dans le magistrat public, un arbitre éclairé et impartial
dont la décision les empêche d'en venir aux mains, et leur est
certainement plus profitable qu'un litige prolongé, dont elles ne pourraient
prévoir ni les suites ni le terme. L'arbitraire apparent de l'équité
vaut encore mieux que le tumulte des passions.
Mais,
dans les matières criminelles, le débat est entre le citoyen et
le public. La volonté du public ne peut être représentée
que par celle de la loi. Le citoyen dont les actions ne violent point la loi,
ne saurait donc être inquiété ni accusé au nom du
public. Non seulement alors on n'est pas forcé de juger mais il n'y a
pas même matière à jugement.
La loi qui sert de titre à l'accusation doit être antérieure
à l'action pour laquelle on accuse. Le législateur ne doit point
frapper sans avertir : s'il en était autrement, la loi, contre son objet
essentiel, ne se proposerait donc pas de rendre les hommes meilleurs, mais seulement
de les rendre plus malheureux ; ce qui serait contraire à l'essence même
des choses.
Ainsi, en matière criminelle, où il n'y a qu'un texte
formel et préexistant qui puisse fonder l'action du juge, il faut des
lois précises et point de jurisprudence. Il en est autrement en matière
civile : là, il faut une jurisprudence, parce qu'il est impossible de
régler tous les objets civils par des lois, et qu'il est nécessaire
de terminer, entre particuliers, des contestations qu'on ne pourrait laisser
indécises, sans forcer chaque citoyen à devenir juge dans sa propre
cause, et sans oublier que la justice est la première dette de la souveraineté.
Sur le
fondement de la maxime que les juges doivent obéir aux lois, et qu'il
leur est défendu de les interpréter, les tribunaux, dans ces dernières
années, renvoyaient par des référés les justiciables
au pouvoir législatif, toutes les fois qu'ils manquaient de loi, ou que
la loi existante leur paraissait obscure. Le tribunal de cassation a constamment
réprimé cet abus comme un déni de justice.
Il est deux sortes d'interprétations : l'une par voie de doctrine,
et l'autre par voie d'autorité.
L'interprétation par voie de doctrine, consiste à saisir le vrai
sens des lois, à les appliquer avec discernement, et à les suppléer
dans les cas qu'elles n'ont pas réglés. Sans cette espèce
d'interprétation pourrait-on concevoir la possibilité de remplir
l'office de juge?
L'interprétation par voie d'autorité consiste à résoudre
les questions et les doutes, par voie de règlements ou de dispositions
générales. Ce mode d'interprétation est le seul qui soit
interdit au juge.
Quand la loi est claire, il faut la suivre ; quand elle est obscure,
il faut en approfondir les dispositions. Si l'on manque de loi, il faut consulter
l'usage ou l'équité. L'équité est le retour à
la loi naturelle, dans le silence, l'opposition ou l'obscurité des lois
positives.
Forcer le magistrat de recourir au législateur, ce serait admettre le
plus funeste des principes ; ce serait renouveler parmi nous la désastreuse
législation des rescrits. Car, lorsque le législateur intervient
pour prononcer sur des affaires nées et vivement agitées entre
particuliers, il n'est pas plus à l'abri des surprises que les tribunaux.
On a moins à redouter l'arbitraire réglé, timide et circonspect
d'un magistrat qui peut être réformé, et qui est soumis
à l'action en forfaiture, que l'arbitraire absolu d'un pouvoir indépendant
qui n'est jamais responsable.
Les parties qui traitent entre elles sur une matière que la loi positive
n'a pas définie, se soumettent aux usages reçus ou à l'équité
universelle, à défaut de tout usage. Or, constater un point d'usage
et l'appliquer à une contestation privée, c'est faire un acte
judiciaire, et non un acte législatif. L'application même de cette
équité ou de cette justice distributive, qui suit et qui doit
suivre, dans chaque cas particulier, tous les petits fils par lesquels une des
parties litigeantes tient à l'autre, ne peut jamais appartenir au législateur,
uniquement ministre de cette justice ou de cette équité générale,
qui, sans égard à aucune circonstance particulière, embrasse
l'universalité des choses et des personnes. Des lois intervenues sur
des affaires privées seraient donc souvent suspectes de partialités,
et toujours elles seraient rétroactives et injustes pour ceux dont le
litige aurait précédé l'intervention de ces lois.
De plus, le recours au législateur entraînerait des longueurs fatales
au justiciable ; et, ce qui est pire, il compromettrait la sagesse et la sainteté
des lois.
En effet, la loi statue sur tous : elle considère les hommes
en masse, jamais comme particuliers ; elle ne doit point se mêler des
faits individuels ni des litiges qui divisent les citoyens. S'il en était
autrement, il faudrait journellement faire de nouvelles lois : leur multitude
étoufferait leur dignité et nuirait à leur observation.
Le jurisconsulte serait sans fonctions, et le législateur, entraîné
par les détails, ne serait bientôt plus que jurisconsulte. Les
intérêts particuliers assiégeraient la puissance législative
; ils la détourneraient, à chaque instant, de l'intérêt
général de la société.
Il y a une science pour les législateurs, comme il y en a une pour les
magistrats ; et l'une ne ressemble pas à l'autre. La science du législateur
consiste à trouver dans chaque matière, les principes les plus
favorables au bien commun : la science du magistrat est de mettre ces principes
en action, de les ramifier, de les étendre, par une application sage
et raisonnée, aux hypothèses privées ; d'étudier
l'esprit de la loi quand la lettre tue, et de ne pas s'exposer au risque d'être,
tour à tour, esclave et rebelle, et de désobéir par esprit
de servitude.
Il faut
que le législateur veille sur la jurisprudence ; il peut être éclairé
par elle, et il peut, de son côté, la corriger ; mais il faut qu'il
y en ait une. Dans cette immensité d'objets divers, qui composent les
matières civiles, et dont le jugement, dans le plus grand nombre des
cas, est moins l'application d'un texte précis, que la combinaison de
plusieurs textes qui conduisent à la décision bien plus qu'ils
ne la renferment, on ne peut pas plus se passer de jurisprudence que de lois.
Or, c'est à la jurisprudence que nous abandonnons les cas rares et extraordinaires
qui ne sauraient entrer dans le plan d'une législation raisonnable, les
détails trop variables et trop contentieux qui ne doivent point occuper
le législateur, et tous les objets que l'on s'efforcerait inutilement
de prévoir, ou qu'une prévoyance précipitée ne pourrait
définir sans danger. C'est à l'expérience à
combler successivement les vides que nous laissons. Les codes des peuples se
font avec le temps ; mais, à proprement parler, on ne les fait pas.
Il
nous a paru utile de commencer nos travaux par un livre préliminaire,
Du droit et des lois en général.
Le droit est la raison universelle, la suprême raison fondée
sur la nature même des choses. Les lois sont ou ne doivent être
que le droit réduit en règles positives, en préceptes particuliers.
Le droit est moralement obligatoire ; mais par lui-même il n'emporte aucune
contrainte ; il dirige, les lois commandent ; il sert de boussole, et les lois
de compas.
Les divers peuples entre eux ne vivent que sous l'empire du droit ; les membres
de chaque cité sont régis, comme hommes, par le droit, et comme
citoyens, par des lois.
Le droit naturel et le droit des gens ne diffèrent point dans leur substance,
mais seulement dans leur application. La raison, en tant qu'elle gouverne
indéfiniment tous les hommes, s'appelle droit naturel ; et elle
est appelée droit des gens, dans les relations de peuple à peuple.
Si l'on parle d'un droit des gens naturel et d'un droit des gens positif, c'est
pour distinguer les principes éternels de justice que les peuples n'ont
point faits, et auxquels les divers corps de nations sont soumis comme les moindres
individus, d'avec les capitulations, les traités et les coutumes, qui
sont l'ouvrage des peuples.
En jetant les yeux sur les définitions que la plupart des jurisconsultes
ont données de la loi, nous nous sommes aperçus combien ces définitions
sont défectueuses. Elles ne nous mettent point à portée
d'apprécier la différence qui existe entre un principe de morale
et une loi d'État.
Dans chaque cité, la loi est une déclaration solennelle de la
volonté du souverain sur un objet d'intérêt commun.
Toutes les lois se rapportent aux personnes ou aux biens, et aux biens pour
l'utilité des personnes.
Il importe, même en traitant uniquement des matières civiles, de
donner une notion générale des diverses espèces de lois
qui régissent un peuple ; car toutes les lois, de quelque ordre qu'elles
soient, ont entre elles des rapports nécessaires. Il n'est point de question
privée dans laquelle il n'entre quelque vue d'administration publique
; comme il n'est aucun objet public qui ne touche plus ou moins aux principes
de cette justice distributive qui règle les intérêts privés.
Pour connaître les divers ordres de lois, il suffit d'observer les diverses
espèces de rapports qui existent entre des hommes vivant dans la même
société.
Les rapports de ceux qui gouvernent avec ceux qui sont gouvernés, et
de chaque citoyen avec tous, sont la matière des lois constitutionnelles
et politiques.
Les lois civiles disposent sur les rapports naturels ou conventionnels, forcés
ou volontaires, de rigueur ou de simple convenance, qui lient tout individu
à un autre individu ou à plusieurs.
Le code civil est sous la tutelle des lois politiques ; il doit leur être
assorti. Ce serait un grand mal qu'il y eût de la contradiction dans les
maximes qui gouvernent les hommes.
Les lois pénales
ou criminelles sont moins une espèce particulière de lois que
la sanction de toutes les autres.
Elles ne règlent
pas, à proprement parler, les rapports des hommes entre eux, mais ceux
de chaque homme avec les lois qui veillent pour tous.
Les affaires militaires, le commerce, le fisc, et plusieurs autres objets, supposent des rapports particuliers qui n'appartiennent exclusivement à aucune des divisions précédentes.
Les lois, proprement dites,
diffèrent des simples règlements. C'est aux lois à poser,
dans chaque matière, les règles fondamentales, et à déterminer
les formes essentielles. Les détails d'exécution, les précautions
provisoires ou accidentelles, les objets instantanés ou variables, en
un mot, toutes les choses qui sollicitent bien plus la surveillance de l'autorité
qui administre que l'intervention de la puissance qui institue ou qui crée,
sont du ressort des règlements. Les règlements sont des
actes de magistrature, et les lois des actes de souveraineté.
Les lois ne pouvant obliger sans être connues, nous nous sommes
occupés de la forme de leur promulgation. Elles ne peuvent être
notifiées à chaque individu. On est forcé de se contenter
d'une publicité relative, qui, si elle ne peut produire à temps,
dans chaque citoyen, la connaissance de la loi à laquelle il doit se
conformer, suffit au moins pour prévenir tout arbitraire sur le moment
où la loi doit être exécutée.
Nous avons déterminé les divers effets de la loi. Elle permet
ou elle défend ; elle ordonne, elle établit, elle corrige, elle
punit ou elle récompense. Elle oblige indistinctement tous ceux qui vivent
sous son empire ; les étrangers même, pendant leur résidence,
sont les sujets casuels des lois de l'État. Habiter le territoire, c'est
se soumettre à la souveraineté.
Ce qui n'est
pas contraire aux lois, est licite. Mais ce qui leur est conforme, n'est pas
toujours honnête ; car les lois s'occupent plus du bien politique de la
société que de la perfection morale de l'homme.
En général,
les lois n'ont point d'effet rétroactif. Le principe est incontestable.
Nous avons pourtant limité ce principe aux lois nouvelles, nous ne l'avons
point étendu à celles qui ne font que rappeler ou expliquer les
anciennes lois. Les erreurs ou les abus intermédiaires ne font point
droit, à moins que, dans l'intervalle d'une loi à l'autre, elles
n'aient été consacrées par des transactions, par des jugements
en dernier ressort, ou par des décisions arbitrales passées en
force de chose jugée.
Les lois conservent
leur effet, tant qu'elles ne sont point abrogées par d'autres lois, ou
qu'elles ne sont point tombées en désuétude. Si nous n'avons
pas formellement autorisé le mode d'abrogation par la désuétude
ou le non-usage, c'est qu'il eût peut-être été dangereux
de le faire. Mais peut-on se dissimuler l'influence et l'utilité de ce
concert indélibéré, de cette puissance invisible, par laquelle,
sans secousse et sans commotion, les peuples se font justice des mauvaises lois,
et qui semblent protéger la société contre les surprises
faites au législateur, et le législateur contre lui-même.
Le pouvoir judiciaire,
établi pour appliquer les lois, a besoin d'être dirigé,
dans cette application, par certaines règles. Nous les avons tracées
: elles sont telles, que la raison particulière d'aucun homme ne puisse
jamais prévaloir sur la loi, raison publique.
Après
avoir rédigé le livre préliminaire Du droit et des
lois en général, nous avons passé aux objets que les
lois civiles sont chargées de définir et de régler.
La France, autrefois
divisée en pays coutumiers et en pays de droit écrit, était
régie, en partie par des coutumes, et en partie par le droit écrit.
Il y avait quelques ordonnances royales communes à tout l'empire.
Depuis la révolution,
la législation française a subi, sur des points importants, des
changements considérables. Faut-il écarter tout ce qui est nouveau
? Faut-il dédaigner tout ce qui est ancien ?
Le droit écrit,
qui se compose des lois romaines, a civilisé l'Europe. La découverte
que nos aïeux firent de la compilation de Justinien, fut pour eux une sorte
de révélation. C'est à cette époque que nos tribunaux
prirent une forme plus régulière, et que le terrible pouvoir de
juger fut soumis à des principes.
La plupart des auteurs
qui censurent le droit romain avec autant d'amertume que de légèreté,
blasphèment ce qu'ils ignorent. On en sera bientôt convaincu, si,
dans les collections qui nous ont transmis ce droit, on sait distinguer les
lois qui ont mérité d'être appelées la raison écrite,
d'avec celles qui ne tenaient qu'à des institutions particulières,
étrangères à notre situation et à nos usages ; si
l'on sait distinguer encore les sénatus-consultes, les plébiscites,
les édits des bons princes, d'avec les rescrits des empereurs, espèce
de législation mendiée, accordée au crédit ou à
l'importunité, et fabriquée dans les cours de tant de monstres
qui ont désolé Rome, et qui vendaient publiquement les jugements
et les lois.
Dans le nombre de
nos coutumes, il en est, sans doute, qui portent l'empreinte de notre première
barbarie ; mais il en est aussi qui font honneur à la sagesse de nos
pères, qui ont formé le caractère national, et qui sont
dignes des meilleurs temps. Nous n'avons renoncé qu'à celles dont
l'esprit a disparu devant un autre esprit, dont la lettre n'est qu'une source
journalière de controverses interminables, et qui répugnent autant
à la raison qu'à nos mœurs.
En examinant les
dernières ordonnances royales, nous en avons conservé tout ce
qui tient à l'ordre essentiel des sociétés, au maintien
de la décence publique, à la sûreté des patrimoines,
à la prospérité générale.
Nous avons respecté,
dans les lois publiées par nos assemblées nationales sur les matières
civiles, toutes celles qui sont liées aux grands changements opérés
dans l'ordre politique, ou qui, par elles-mêmes, nous ont paru évidemment
préférables à des institutions usées et défectueuses.
Il faut changer, quand la plus funeste de toutes les innovations serait, pour
ainsi dire, de ne pas innover. On ne doit point céder à des préventions
aveugles. Tout ce qui est ancien a été nouveau. L'essentiel
est d'imprimer aux institutions nouvelles ce caractère de permanence
et de stabilité qui puisse leur garantir le droit de devenir anciennes.
Nous avons
fait, s'il est permis de s'exprimer ainsi, une transaction entre le droit écrit
et les coutumes, toutes les fois qu'il nous a été possible de
concilier leurs dispositions, ou de les modifier les unes par les autres, sans
rompre l'unité du système, et sans choquer l'esprit général.
Il est utile de conserver tout ce qu'il n'est pas nécessaire
de détruire : les lois doivent ménager les habitudes, quand ces
habitudes ne sont pas des vices. On raisonne trop souvent comme si
le genre humain finissait et commençait à chaque instant, sans
aucune sorte de communication entre une génération et celle qui
la remplace. Les générations, en se succédant, se mêlent,
s'entrelacent et se confondent. Un législateur isolerait ses institutions
de tout ce qui peut les naturaliser sur la terre, s'il n'observait avec soin
les rapports naturels qui lient toujours, plus ou moins, le présent au
passé, et l'avenir au présent, et qui font qu'un peuple, à
moins qu'il ne soit exterminé, ou qu'il ne tombe dans une dégradation
pire que l'anéantissement, ne cesse jamais, jusqu'à un certain
point, de se ressembler à lui-même. Nous avons trop aimé,
dans nos temps modernes, les changements et les réformes ; si, en matière
d'institutions et de lois, les siècles d'ignorance sont le théâtre
des abus, les siècles de philosophie et de lumières ne sont que
trop souvent le théâtre des excès.
Le mariage, le gouvernement des familles, l'état des enfants, les tutelles, les questions de domicile, les droits des absents, la différente nature des biens, les divers moyens d'acquérir, de conserver ou d'accroître sa fortune, les successions, les contrats, sont les principaux objets d'un Code civil. Nous devons exposer les principes qui ont motivé nos projets de loi sur ces objets importants, et indiquer les rapports que ces projets peuvent avoir avec le bien général, avec les mœurs publiques, avec le bonheur des particuliers, et avec l'état présent de toutes choses.
Ce n'est que dans ces derniers
temps que l'on a eu des idées précises sur le
mariage. Le mélange des institutions civiles et des institutions
religieuses avait obscurci les premières notions. Quelques théologiens
ne voyaient dans le mariage, que le sacrement ; la plupart des jurisconsultes
n'y voyaient que le contrat civil. Quelques auteurs faisaient du mariage une
espèce d'acte mixte, qui renferme à la fois et un contrat civil
et un contrat ecclésiastique. La loi naturelle n'était comptée
pour rien dans le premier et le plus grand acte de la nature.
Les idées
confuses que l'on avait sur l'essence et sur les caractères de l'union
conjugale, produisaient des embarras journaliers dans la législation
et dans la jurisprudence. Il y avait toujours conflit entre le sacerdoce et
l'empire, quand il s'agissait de faire des lois ou de prononcer des jugements
sur cette importante matière. On ignorait ce que c'est que le mariage
en soi, ce que les lois civiles ont ajouté aux lois naturelles, ce que
les lois religieuses ont ajouté aux lois civiles, et jusqu'où
peut s'étendre l'autorité de ces diverses espèces de lois.
Toutes ces incertitudes
se sont évanouies, tous ces embarras se sont dissipés, à
mesure que l'on est remonté à la véritable origine du mariage,
dont la date est celle même de la création.
Nous nous sommes
convaincus que le mariage, qui existait avant l'établissement du christianisme,
qui a précédé toute loi positive, et qui dérive
de la constitution même de notre être, n'est ni un acte civil, ni
un acte religieux, mais un acte naturel qui a fixé l'attention des législateurs,
et que la religion a sanctifié.
Les jurisconsultes
romains, en parlant du mariage, ont souvent confondu l'ordre physique de la
nature, qui est commun à tous les êtres animés, avec le
droit naturel, qui régit particulièrement les hommes, et qui est
fondé sur les rapports que des êtres intelligents et libres ont
avec leurs semblables. De là on a mis en question s'il y avait quelque
caractère de moralité dans le mariage considéré
dans l'ordre purement naturel.
On conçoit
que les êtres dépourvus d'intelligence, qui ne cèdent qu'à
un mouvement ou à un penchant aveugle, n'ont entre eux que des rencontres
fortuites, ou des rapprochements périodiques, dénués de
toute moralité. Mais chez les hommes, la raison se mêle toujours,
plus ou moins, à tous les actes de leur vie, le sentiment est à
côté de l'appétit, le droit succède à l'instinct
et tout s'épure ou s'ennoblit.
Sans doute, le désir
général qui porte un sexe vers l'autre, appartient uniquement
à l'ordre physique de la nature : mais le choix, la préférence,
l'amour, qui détermine ce désir, et le fixe sur un seul objet,
ou qui, du moins, lui donne sur l'objet préféré un plus
grand degré d'énergie ; les égards mutuels, les devoirs
et les obligations réciproques qui naissent de l'union une fois formée,
et qui s'établissent entre des êtres raisonnables et sensibles
; tout cela appartient au droit naturel. Dès lors, ce n'est plus une
simple rencontre que nous apercevons, c'est un véritable contrat.
L'amour, ou le sentiment
de préférence qui forme ce contrat, nous donne la solution de
tous les problèmes proposés sur la pluralité des femmes
ou des hommes dans le mariage ; car, tel est l'empire de l'amour, qu'à
l'exception de l'objet aimé, un sexe n'est plus rien pour l'autre. La
préférence que l'on accorde, on veut l'obtenir ; l'engagement
doit être réciproque. Bénissons la nature, qui, en nous
donnant des penchants irrésistibles, a placé dans notre propre
coeur, la règle et le frein de ces penchants. On a pu dire que, sous
certains climats et dans certaines circonstances, la polygamie est une chose
moins révoltante que dans d'autres circonstances et sous d'autres climats.
Mais, dans tous les pays, elle est inconciliable avec l'essence d'un engagement
par lequel on se donne tout, le corps et le coeur. Nous avons donc posé
la maxime, que le mariage ne peut être que l'engagement de deux individus,
et que, tant qu'un premier mariage subsiste, il n'est pas permis d'en contracter
un second.
Le rapprochement
de deux sexes que la nature n'a faits si différents que pour les unir,
a bientôt des effets sensibles. La femme devient mère : un nouvel
instinct se développe, de nouveaux sentiments, de nouveaux devoirs fortifient
les premiers. La fécondité de la femme ne tarde pas à se
manifester encore. La nature étend insensiblement la durée de
l'union conjugale, en cimentant chaque année cette union par des jouissances
nouvelles, et par de nouvelles obligations. Elle met à profit chaque
situation, chaque événement, pour en faire sortir un nouvel ordre
de plaisir et de vertus.
L'éducation
des enfants exige, pendant une longue suite d'années, les soins communs
des auteurs de leurs jours. Les hommes existent longtemps avant de savoir vivre
; comme, vers la fin de leur carrière, souvent ils cessent de vivre avant
de cesser d'exister. Il faut protéger le berceau de l'enfance contre
les maladies et les besoins qui l'assiègent. Dans un âge plus avancé,
l'esprit a besoin de culture. Il importe de veiller sur les premiers développements
du cœur, de réprimer ou de diriger les premières saillies
des passions, de protéger les efforts d'une raison naissante, contre
toutes les espèces de séductions qui l'environnent, d'épier
la nature pour n'en pas contrarier les opérations, afin d'achever avec
elle le grand ouvrage auquel elle daigne nous associer.
Pendant tout ce temps,
le mari, la femme, les enfants réunis sous le même toit et par
les plus chers intérêts, contractent l'habitude des plus douces
affections. Les deux époux sentent le besoin de s'aimer, et la nécessité
de s'aimer toujours. On voit naître et s'affermir les plus doux sentiments
qui soient connus des hommes, l'amour conjugal et l'amour paternel.
La vieillesse, s'il
est permis de le dire, n'arrive jamais pour des époux fidèles
et vertueux. Au milieu des infirmités de cet âge, le fardeau d'une
vie languissante est adouci par les souvenirs les plus touchants, et par les
soins si nécessaires de la jeune famille dans laquelle on se voit renaître,
et qui semble nous arrêter sur les bords du tombeau.
Tel est le mariage,
considéré en lui-même et dans ses effets naturels, indépendamment
de toute loi positive. Il nous offre l'idée fondamentale d'un contrat
proprement dit, et d'un contrat perpétuel par sa destination.
Comme ce contrat,
d'après les observations que nous venons de présenter, soumet
les époux, l'un envers l'autre, à des obligations respectives,
comme il les soumet à des obligations communes envers ceux auxquels ils
ont donné l'être, les lois de tous les peuples policés ont
cru devoir établir des formes qui puissent faire reconnaître ceux
qui sont tenus à ces obligations. Nous avons déterminé
ces formes.
La publicité,
la solennité des mariages, peuvent seules prévenir ces conjonctions
vagues et illicites qui sont si peu favorables à la propagation de l'espèce.
Les lois civiles
doivent interposer leur autorité entre les époux, entre les pères
et les enfants ; elles doivent régler le gouvernement de la famille.
Nous avons cherché dans les indications de la nature le plan de ce gouvernement.
L'autorité maritale est fondée sur la nécessité
de donner, dans une société de deux individus, la voix pondérative
à l'un des associés, et sur la prééminence du sexe
auquel cet avantage est attribué. L'autorité des pères
est motivée par leur tendresse, par leur expérience, par la maturité
de leur raison, et par la faiblesse de celle de leurs enfants. Cette autorité
est une sorte de magistrature à laquelle il importe surtout, dans les
États libres, de donner une certaine étendue. Oui, on a besoin
que les pères soient de vrais magistrats, partout où le maintien
de la liberté demande que les magistrats ne soient que des pères.
Quand on connaît
l'essence, les caractères et la fin du mariage, on découvre sans
peine quels sont les empêchements qui, par leur propre force, rendent
une personne incapable de le contracter, et quels sont, parmi ces empêchements,
ceux qui dérivent de la loi positive, et ceux qui sont établis
par la nature elle-même. Dans ceux établis par la nature, on doit
ranger le défaut d'âge. En général, le mariage est
permis à tous ceux qui peuvent remplir le vœu de son institution.
Il n'y a d'exception naturelle à cette règle de droit naturel,
que pour les personnes parentes jusqu'à certains degrés. Le mariage
doit être prohibé entre tous les ascendants et descendants en ligne
directe : nous n'avons pas besoin d'en donner les raisons ; elles ont frappé
tous les législateurs. Le mariage doit encore être prohibé
entre frères et soeurs, parce que la famille est le sanctuaire des mœurs,
et que les mœurs seraient menacées par tous les préliminaires
d'amour, de désir et de séduction qui précèdent
et préparent le mariage. Quand la prohibition est étendue à
des degrés plus éloignés, ce ne peut être que par
des vues politiques.
Le défaut
de liberté, le rapt, l'erreur sur la personne, sont pareillement des
empêchements naturels, parce qu'ils excluent l'idée d'un véritable
consentement. L'intervention des pères, des tuteurs, n'est qu'une condition
prescrite par la loi positive. Le défaut de cette intervention n'opère
qu'une nullité civile. Le législateur peut, par des vues d'ordre
public, établir tels empêchements qu'il juge convenables ; mais
ces empêchements ne sont alors que de pur droit positif.
En pesant les empêchements
opposés au mariage, les formes et les conditions requises pour sa validité,
nous avons marqué les cas où il est plus expédient de réparer
le mal que de le punir, et nous avons distingué les occurrences dans
lesquelles les nullités peuvent être couvertes par la conduite
des parties où par le seul laps du temps, d'avec celles où l'abus
appelle toujours la vindicte des lois.
Il résulte de ce
que nous avons dit, que le mariage est un contrat perpétuel par sa destination.
Des lois récentes autorisent le divorce
; faut-il maintenir ces lois?
En admettant le divorce, le législateur n'entend point contrarier le
dogme religieux de l'indissolubilité, ni décider un point de conscience.
Il suppose seulement que les passions les plus violentes, celles qui ont fait
et qui font encore tant de ravages dans le monde, peuvent détruire l'harmonie
qui doit régner entre deux époux ; il suppose que les excès
peuvent être assez graves pour rendre à ces époux leur vie
commune insupportable. Alors, s'occupant avec sollicitude de leur tranquillité,
de leur sûreté et de leur bonheur présent, dont il est uniquement
chargé, il s'abstient de les contraindre à demeurer inséparablement
liés l'un à l'autre malgré tous les motifs qui les divisent.
Sans offenser les vues de la religion qui continue sur cet objet, comme sur
tant d'autres, à gouverner les hommes dans l'ordre du mérite et
de la liberté, le législateur n'emploie alors lui-même le
pouvoir coactif que pour prévenir les désordres les plus funestes
à la société, et prescrire des limites à des passions
et à des abus dont on n'ose se promettre de tarir entièrement
la source. Sous ce rapport, la question du divorce devient une pure question
civile dont il faut chercher la solution dans les inconvénients ou dans
les avantages qui peuvent résulter du divorce même, considéré
sous un point de vue politique.
On a compris, dans tous les temps, qu'il est aussi dangereux qu'inhumain d'attacher,
sans aucune espèce de retour, deux époux accablés l'un
de l'autre. De là, chez les peuples mêmes où l'indissolubilité
du mariage est consacrée par les lois civiles, l'usage des séparations
qui relâchent le lien du mariage sans le rompre.
Les avantages et les inconvénients du divorce ont été diversement
présentés par les différents auteurs qui ont écrit
sur cette matière.
On a dit, pour le divorce, qu'on ôte toute la douceur du mariage en déclarant
son indissolubilité ; que pour vouloir trop resserrer le nœud conjugal,
on l'affaiblit ; que les peines domestiques sont affreuses, quand on n'a rien
de plus consolant devant les yeux que leur éternité ; que la vie
de deux époux qui ne s'entendent pas, et qui sont inséparablement
unis, est perdue pour la postérité ; que les mœurs sont compromises
par des mariages mal assortis qu'il est impossible de rompre ; qu'un époux,
dégoûté d'une femme éternelle, se livre à
un commerce qui, sans remplir l'objet du mariage, n'en représente tout
au plus que les plaisirs ; que les enfants n'ont pas plus à souffrir
du divorce, que des discordes qui déchirent un mariage malheureux ; qu'enfin,
l'indissolubilité absolue est aussi contraire au bien réel des
familles, qu'au bien général de l'État.
On répond, d'autre part, qu'il est dangereux d'abandonner le cœur
à ses caprices et à son inconstance ; que l'on se résigne
à supporter les dégoûts domestiques, et que l'on travaille
même à les prévenir, quand on sait que l'on n'a pas la faculté
du divorce ; qu'il n'y a plus d'autorité maritale, d'autorité
paternelle, de gouvernement domestique, là où cette faculté
est admise ; que la séparation suffit pour alléger les désagréments
de la vie commune ; que le divorce est peu favorable aux femmes et aux enfants
; qu'il menace les mœurs, en donnant un trop libre essor aux passions ;
qu'il n'y a rien de sacré et de religieux parmi les hommes, si le lien
du mariage n'est point inviolable ; que la propagation régulière
de l'espèce humaine est bien plus assurée par la confiance de
deux époux fidèles, que par des unions que des goûts passagers
peuvent rendre variables et incertaines ; enfin, que la durée et le bon
ordre de la société générale tiennent essentiellement
à la stabilité des familles, qui sont les premières de
toutes les sociétés, le germe et le fondement des empires.
Telles sont les considérations qui ont été proposées
pour et contre le divorce. Il en résulte que c'est sur le danger et la
violence des passions que l'on fonde l'utilité du divorce, et qu'il n'y
a qu'une extrême modération dans les désirs, que la pratique
des plus austères vertus, qui pourraient écarter, de l'indissolubilité
absolue, les inconvénients qu'on en croit inséparables.
Que doit faire le législateur ? Ses lois ne doivent jamais être
plus parfaites que les hommes à qui elles sont destinées ne peuvent
le comporter. Il doit consulter les mœurs, le caractère, la situation
politique et religieuse de la nation qu'il représente.
Y a-t-il une religion dominante ? Quels sont les dogmes de cette religion ?
Ou bien tous les cultes sont-ils indistinctement autorisés ? Est-on dans
une société naissante ou dans une société vieillie
? Quelle est la forme du gouvernement ? Toutes ces questions influent, plus
qu'on ne pense, sur celle du divorce.
N'oublions point qu'il ne s'agit pas de savoir si le divorce est bon en soi,
mais s'il est convenable que les lois fassent intervenir le pouvoir coactif
dans une chose qui est naturellement si libre, et à laquelle le cœur
doit avoir tant de part.
Dans une société naissante, le mariage n'est guère considéré
que dans ses rapports avec la propagation de l'espèce, parce qu'un peuple
nouveau a besoin de croître et de se multiplier.
Il n'est point incommode à des hommes simples et grossiers d'avoir beaucoup
d'enfants ; ils craindraient de n'en avoir pas assez : on voit sans scandale
une femme passer successivement dans les bras de plusieurs maris ; on permet
l'exposition des enfants faibles ou mal conformés ; on interdit la faculté
de se marier aux personnes qui, par leur âge, ne sont plus propres aux
desseins de la nature. Le mariage est alors régi par quelques lois politiques,
plutôt que par des lois civiles et par les lois naturelles. L'ancien usage
qui autorisait un citoyen romain à prêter sa femme à un
autre pour en avoir des enfants d'une meilleure espèce, était
une loi politique.
Quand une nation est formée, on a assez de peuple ; l'intérêt
de la propagation devient moins sensible ; on s'occupe plus des douceurs et
de la dignité du mariage que de sa fin ; on cherche à établir
un ordre constant dans les familles, et à donner à l'amour un
empire si réglé qu'il ne puisse jamais troubler cet ordre.
Alors la faculté du divorce est proscrite ou laissée, selon les
moeurs et les idées reçues dans chaque pays, selon le plus ou
le moins de liberté que l'on croit devoir laisser aux femmes, selon que
les maris sont plus ou moins monarques, selon que l'on a intérêt
de resserrer le gouvernement domestique ou de le rendre moins réprimant,
de favoriser l'égalité des fortunes ou d'en empêcher la
trop grande division.
Dans nos temps modernes, ce sont surtout les doctrines religieuses qui ont influé
sur les lois du divorce.
Le divorce était admis chez les Romains : la religion chrétienne
s'établit dans l'empire ; le divorce eut encore lieu jusqu'au IXe siècle
; mais il céda aux nouveaux principes qui furent proclamés sur
la nature du mariage.
Tant que la religion catholique a été dominante en France ; tant
que les institutions religieuses ont été inséparablement
unies avec les institutions civiles, il était impossible que la loi civile
ne déclarât pas indissoluble un engagement déclaré
tel par la religion, qui était elle-même une loi de l'État
: il faut nécessairement qu'il y ait de l'harmonie entre les principes
qui gouvernent les hommes.
Aujourd'hui la liberté des cultes est une loi fondamentale ; et la plupart
des doctrines religieuses autorisent le divorce : la faculté du divorce
se trouve donc liée parmi nous à la liberté de conscience.
Les citoyens peuvent professer diverses religions ; mais il faut des lois pour
tous.
Nous avons donc cru qu'il ne fallait pas prohiber le divorce parmi nous, parce
que nos lois seraient trop formellement en contradiction avec les différents
cultes qui l'autorisent, et qu'elles ne pourraient espérer, pour les
hommes qui professent ces cultes, de faire du mariage un lien plus fort que
la religion même.
D'ailleurs, indépendamment de la considération déduite
de la diversité des cultes, la loi civile peut fort bien, dans la crainte
des plus grands maux, ne pas user de coaction et de contrainte, pour obliger
deux époux malheureux à demeurer réunis, ou à vivre
dans un célibat forcé, aussi funeste aux mœurs qu'à
la société.
La loi qui laisse la faculté du divorce à tous les citoyens indistinctement,
sans gêner les époux qui ont une croyance contraire au divorce,
est une suite, une conséquence de notre régime, c'est-à-dire,
de la situation politique et religieuse de la France.
Mais le vœu de la perpétuité dans le mariage, étant
le vœu même de la nature, il faut que les lois opposent un frein
salutaire aux passions ; il faut qu'elles empêchent que le plus saint
des contrats ne devienne le jouet du caprice, de l'inconstance, ou qu'il ne
devienne même l'objet de toutes les honteuses spéculations d'une
basse avidité.
Depuis nos lois nouvelles, la simple allégation de l'incompatibilité
d'humeur et de caractère pouvait opérer la dissolution du mariage.
Alléguer n'est pas prouver : l'incompatibilité d'humeur et de
caractère n'est pas même susceptible d'une preuve rigoureuse et
légale. Donc, en dernière analyse, autoriser le divorce sur un
tel motif, c'est donner à chacun des époux le funeste droit de
dissoudre le mariage à sa volonté. Existe-t-il un seul contrat
dans le monde qu'un seul des contractants puisse arbitrairement et capricieusement
dissoudre, sans l'aveu de la partie avec laquelle il a traité ?
On observe que l'allégation de l'incompatibilité d'humeur et de
caractère peut cacher des causes très réelles dont la discussion
publique serait la honte des familles, et deviendrait un scandale pour la société.
On ajoute que la vie commune de deux époux peut devenir insupportable
par une multitude de procédés hostiles, de reproches amers, de
mépris journaliers, de contradictions suivies, piquantes et opiniâtres,
en un mot, par une foule d'actes dont aucun ne peut être réputé
grave, et dont l'ensemble fait le malheur et le tourment de l'époux qui
les souffre.
Tout cela peut être ; mais il est également vrai que la simple
allégation de l'incompatibilité d'humeur et de caractère
peut ne cacher que l'absence de tout motif raisonnable. Qui nous garantira qu'il
existe des causes suffisantes de divorce, dans un cas ou l'on n'en exprime aucune
?
Le mariage n'est point une situation, mais un état. Il ne doit point
ressembler à ces unions passagères et fugitives que le plaisir
forme, qui finissent avec le plaisir, et qui ont été réprouvées
par les lois de tous les peuples policés.
Il est nécessaire, dit-on, de venir au secours de deux époux mal
assortis. On accuse nos mœurs et nos usages de favoriser les mauvais mariages.
On trouve l'unique remède à ces maux dans la facilité du
divorce.
Il n'est que trop vrai que deux époux s'unissent souvent sans se connaître,
et sont condamnés à vivre ensemble sans s'aimer. Il n'est que
trop vrai que des vues d'ambition et de fortune et souvent les fantaisies et
la légèreté, président à la formation des
alliances et à la destinée des familles. Les convenances morales
et naturelles sont ordinairement sacrifiées aux convenances civiles.
Mais ces abus doivent-ils en appeler d'autres ? Faut-il ajouter la corruption
des lois à celle des hommes ? De ce qu'il y a des mariages mal assortis,
en conclura-t-on qu'il ne doit point y en avoir de sacrés et d'inviolables
? Quand les abus ne sont que l'ouvrage des passions, ils peuvent être
corrigés par les lois ; mais quand ils sont l'ouvrage des lois, le mal
est incurable, parce qu'il est dans le remède même.
Les lois font tout ce qui est en leur pouvoir pour prévenir, dans les
mariages, des erreurs et des méprises qui pourraient être irréparables
; elles garantissent aux contractants la plus grande liberté ; elles
donnent la plus grande publicité au contrat ; elles exigent le consentement
des pères, consentement si bien motivé par la considération
touchante que la prudence paternelle, éclairée par les plus tendres
sentiments, est au-dessus de toute autre prudence. Si, malgré ces précautions,
les lois n'atteignent pas toujours l'objet qu'elles se proposent, n'en accusons
que les faiblesses inséparables de l'humanité.
Dans quel moment vient-on réclamer l'extrême facilité du
divorce, en faveur des mariages mal assortis ? Lorsque les mariages vont devenir
plus libres que jamais, lorsque l'égalité politique ayant fait
disparaître l'extrême inégalité des conditions, deux
époux pourront céder aux douces inspirations de la nature, et
n'auront plus à lutter contre les préjugés de l'orgueil,
contre toutes ces vanités sociales qui mettaient, dans les alliances
et dans les mariages, la gêne, la nécessité, et, nous osons
le dire, la fatalité du destin même.
Ce qu'il faut craindre aujourd'hui, c'est que la licence des mœurs ne remplace
l'ancienne gêne des mariages, et que, par la trop grande facilité
des divorces, un libertinage, pour ainsi dire régulier, fruit d'une inconstance
autorisée, ne soit mis à la place du mariage même.
Mais, dit-on, si on ne laisse pas subsister la simple allégation de l'incompatibilité
d'humeur et de caractère, on ôte au divorce tous ses avantages.
Nous disons, au contraire, qu'on ne fait que multiplier et aggraver les abus
du divorce, si on laisse subsister le moyen déduit de l'incompatibilité
d'humeur et de caractère.
L'allégation de cette incompatibilité sera le moyen de tous ceux
qui n'en ont point. Le plus important, le plus auguste des contrats, n'aura
aucune consistance et n'obtiendra aucune sorte de respect ; les moeurs seront
sans cesse violées par les lois.
Le divorce pouvait encore être opéré par le consentement
mutuel, sur le fondement que le mariage est une société, et qu'une
société ne saurait être éternelle.
Mais peut-on assimiler le mariage aux sociétés ordinaires ?
Le mariage est une société, mais la plus naturelle, la plus sainte,
la plus inviolable de toutes.
Le mariage est nécessaire ; les autres contrats de société
ne le sont pas.
Les objets qui deviennent la matière des sociétés ordinaires,
sont déterminés arbitrairement par la volonté de l'homme
; l'objet du mariage est déterminé par la nature même.
Dans les sociétés ordinaires, il ne s'agit guère que de
la communication plus ou moins limitée des biens ou de l'industrie. Les
biens n'entrent que par accident dans le mariage : l'essence de ce contrat est
l'union des personnes.
Dans les sociétés ordinaires, on stipule pour soi, sur des intérêts
obscurs et privés, et comme arbitre souverain de sa propre fortune. Dans
le mariage, on ne stipule pas seulement pour soi, mais pour autrui ; on s'engage
à devenir comme la providence de la nouvelle famille à laquelle
on va donner l'être ; on stipule pour l'État, on stipule pour la
société générale du genre humain.
Le public est donc toujours partie dans les questions de mariage ; et, indépendamment
du public, il y a toujours des tiers qui méritent la plus grande faveur,
et dont on ne peut avoir ni la volonté ni le pouvoir de faire le préjudice.
La société conjugale ne ressemble donc à aucune autre.
Le consentement mutuel ne peut donc dissoudre le mariage, quoiqu'il puisse dissoudre
toute autre société.
Les maladies, les infirmités, ne nous ont pas paru non plus pouvoir fournir
des causes légitimes de divorce. Les deux époux ne sont-ils pas
associés à leur bonne comme à leur mauvaise fortune ? Doivent-ils
s'abandonner, lorsque tout leur impose l'obligation de se secourir ? Les devoirs
finissent-ils avec les agréments et avec les plaisirs ? Selon la belle
expression des lois romaines, le mariage n'est-il pas une société
entière et parfaite, qui suppose, entre deux époux, la participation
aux biens et aux maux de la vie, la communication de toutes les choses divines
et humaines ?
L'infirmité de l'époux que l'on voudrait être autorisé
à répudier, a peut-être été contractée
dans le mariage même : comment pourrait-elle devenir une occasion raisonnable
de divorce ? La pitié, la reconnaissance, ne doivent-elles pas alors
devenir les auxiliaires de l'amour ?
La nature, qui a distingué les hommes par le sentiment et par la raison,
a voulu que, chez eux, les obligations qui naissent de l'union des deux sexes,
fussent toujours dirigées par la raison et par le sentiment.
On a prétendu, dans certains écrits, que tout ce qui autorise
la séparation de biens, doit autoriser le divorce, et que l'une de ces
deux choses ne doit pas marcher sans l'autre. Pourquoi donc les moyens qui peuvent
légitimer la séparation de biens, pourraient-ils dissoudre le
mariage ? Le mariage n'est que l'union des personnes ; les époux sont
libres de ne pas engager leur fortune. Pourquoi donc faire dépendre le
mariage d'une chose qui lui est proprement étrangère ?
La séparation de corps entraînait autrefois la séparation
de biens, mais la séparation de biens n'avait jamais entraîné
celle de corps.
Un homme peut être un mauvais administrateur, sans être un mauvais
mari. Il peut avoir des droits à l'attachement de son épouse,
sans en avoir, sur certains objets, à sa confiance. Cette épouse
sera-t-elle donc forcée de faire violence à son cœur, pour
conserver son patrimoine, ou d'abandonner son patrimoine, pour suivre les mouvements
de son cœur ?
En général, le divorce ne doit point être prononcé
sans cause. Les causes du divorce doivent être des infractions manifestes
du contrat. De là, nous n'admettons, pour causes légales, que
la mort civile, qui imite la mort naturelle, et les crimes ou délits
dont un époux peut se plaindre contre l'autre. Nous n'avons pas cru qu'il
fût tolérable de rendre le divorce plus facile que ne l'étaient
autrefois les séparations.
Les questions de divorce étaient attribuées à des conseils
de famille ; nous les avons rendues aux tribunaux. L'intervention de la justice
est indispensable, lorsqu'il s'agit d'objets de cette importance. Un conseil
de famille, communément formé de personnes préparées
d'avance à consentir à tout ce qu'on exigeait d'elles, n'offrait
qu'une troupe d'affidés ou de complaisants toujours prêts à
colluder avec les époux contre les lois. Des parents peuvent d'ailleurs
être facilement soupçonnés d'amour ou de haine contre l'une
ou l'autre partie : leur intérêt influe beaucoup sur leur opinion.
Ils conservent rarement, dans des affaires que les coteries traitent avec tant
de légèreté, la gravité qui est commandée
par la morale dans tout ce qui touche aux mœurs. Une triste expérience
a trop bien démontré que des amis ou des alliés que l'on
assemblait pour un divorce, ne croient pouvoir mieux remplir la mission qu'ils
reçoivent, qu'en signant une délibération rédigée
à leur insu, et en se montrant indifférents à tout ce qui
se passe.
De plus, tout ce qui intéresse l'état civil des hommes, leurs
conventions et leurs droits respectifs, appartient essentiellement à
l'ordre judiciaire.
Si le divorce ne peut plus être prononcé que sur des causes, il
faut que ces causes soient vérifiées. On sent que les points de
fait et les points de droit que cette vérification peut entraîner,
ne peuvent être sérieusement discutés que dans un tribunal.
Pour écarter le danger des discussions, nous avons tracé une forme
particulière de procéder, capable de les rendre solides et suffisantes,
sans les rendre publiques. Toutes les questions de divorce doivent être
traitées à huis clos, si l'on veut qu'elles le soient sans scandale.
Nous avons laissé toutes les issues convenables à la réconciliation,
au rapprochement des époux.
L'époux qui obtient le divorce, doit conserver, à titre d'indemnité,
quelques-uns des avantages stipulés dans le contrat de mariage. Car nous
supposons qu'il ne peut l'obtenir que pour des causes fondées ; et dès
lors son action, en mettant un terme à ses maux, lui ôte pourtant
son état, et laisse conséquemment un grand préjudice à
réparer. Il n'y a point à balancer entre la personne qui fait
prononcer le divorce, et celle qui l'a rendu nécessaire.
Nous avons cru, pour l'honnêteté publique, devoir ménager
un intervalle entre le divorce et un second mariage.
Le juge a le droit de n'ordonner qu'une séparation momentanée,
s'il a l'espoir du rétablissement de la paix dans le ménage. Il
exhorte, il invite tant qu'il n'est pas forcé de prononcer.
En général, notre but, dans les lois projetées sur le divorce,
a été d'en prévenir l'abus, et de défendre le mariage
contre le débordement des mœurs. On va au mal par une pente rapide
; on ne retourne au bien qu'avec effort.
Les familles se forment par le mariage, et elles sont la pépinière
de l'État. Chaque famille est une société particulière
et distincte dont le gouvernement importe à la grande famille qui les
comprend toutes.
D'autre part, d'après les idées que nous avons données du contrat de mariage, il est évident que c'est le consentement des parties qui constitue ce contrat. C'est la fidélité, c'est la foi promise, qui mérite à la compagne qu'un homme s'associe, la qualité d'épouse, qualité si honorable, que, suivant l'expression des anciens, ce n'est point la volupté, mais la vertu, l'honneur même qui la fait appeler de ce nom. Mais il est également évident que l'on avait besoin d'être rassuré, sur la véritable intention de l'homme et de la femme qui s'unissent, par des conditions et des formes qui puissent faire connaître la nature et garantir les effets de cette union. De là toutes les précautions dont nous avons déjà parlé, et qui ont été prises pour l'honnêteté et la certitude du mariage.
Par ces précautions, les époux sont connus. Leur engagement est mis sous la protection des lois, des tribunaux, de tous les gens de bien. On apprend à distinguer l'incontinence d'avec la foi conjugale, et les écarts des passions d'avec l'usage réglé des droits les plus précieux de l'humanité.
Les opérations de
la nature dans le mystère de la génération, sont impénétrables
; il nous serait impossible de soulever le voile qui nous les dérobe
: sans un mariage public et solennel, toutes les questions de filiation
resteraient dans le nuage ; la maternité pourrait être certaine,
la paternité ne le serait jamais. Y a-t-il un mariage en forme, avoué
par la loi, et reconnu par la société? Le père est fixé
: c'est celui que le mariage démontre. La présomption de la loi,
fondée sur la cohabitation des époux, sur l'intérêt
et la surveillance du mari, sur l'obligation de supposer l'innocence de la femme
plutôt que son crime, fait cesser toutes les incertitudes du magistrat,
et garantit l'état des personnes et la tranquillité des familles.
La règle que
le père est celui qui est démontré par le mariage, est
si favorable, qu'elle ne peut céder qu'à la preuve évidente
du contraire.
Les enfants qui naissent
d'un mariage régulier sont appelés légitimes, parce qu'ils
sont le fruit d'un engagement dont la légitimité et la validité
ne peuvent être incertaines aux yeux des lois.
Dans le cas d'un
mariage nul, mais contracté avec bonne foi par les deux conjoints ou
par l'un d'eux, l'état des enfants n'est pas compromis. Les lois positives,
qui ne s'écartent jamais entièrement de la loi naturelle, et qui,
lorsqu'elles paraissent s'en éloigner, ne le font que pour mieux assortir
les vues de cette loi aux besoins de la société, ont rendu hommage
au principe naturel que l'essence du mariage consiste dans la foi que les époux
se donnent. De là, quoique régulièrement le seul mariage
fait dans les formes prescrites et conformément au droit établi
soit capable de légitimer les enfants, on avoue cependant pour enfants
légitimes ceux nés d'un mariage putatif, c'est-à-dire,
d'un mariage que les conjoints ont cru légitime, qui a été
contracté librement entre les parties, dans l'intention de remplir les
devoirs inséparables de leur état, et de vivre avec suite, sous
les auspices de la vertu et dans la pureté de l'amour conjugal.
Deux motifs principaux
ont fait adopter ce principe : le premier est la faveur attachée au nom
du mariage, nom si puissant que son ombre même suffit pour purifier, dans
les enfants, le principe de leur naissance. Le second est la bonne foi de ceux
qui ont contracté un semblable engagement : la patrie leur tient compte
de l'intention qu'ils avaient de lui donner des enfants légitimes. Ils
ont formé un engagement honnête ; ils ont cru suivre l'ordre prescrit
par la loi, pour laisser une postérité légitime. Un empêchement
secret, un événement imprévu trompe leur prévoyance
: on ne laisse pas de récompenser en eux le vœu, l'apparence, le
nom de mariage, et on regarde moins ce que les enfants sont, que ce que les
pères et mères avaient voulu qu'ils fussent.
On a porté
si loin la faveur du droit commun, qu'on a jugé que la bonne foi d'un
seul des contractants suffit pour légitimer les enfants qui naissent
de leur mariage. Quelques anciens jurisconsultes avaient bien pensé que,
dans ce cas, les enfants devaient être légitimes par rapport à
l'un des conjoints, et illégitimes par rapport à l'autre ; mais
on a rejeté leur opinion, sur le fondement que l'état des hommes
est indivisible, et que, dans le concours, il fallait se décider entièrement
pour la légitimité.
On a mis en question
si le mariage subséquent doit légitimer les enfants nés
avant le mariage. Les lois anglaises n'admettent point la légitimation
par mariage subséquent ; elles regardent cette sorte de légitimation
comme capable de favoriser la licence des mœurs, et de troubler l'ordre
des familles. En France, on a plus consulté l'équité naturelle,
qui parlait en faveur des enfants, que cette raison d'État qui sacrifie
tout à l'intérêt de la société générale.
Nos lois présument que les pères et les mères, qui se marient
après avoir vécu dans un commerce illicite, ont toujours eu l'intention
de s'engager par les liens d'un mariage solennel ; elles supposent que le mariage
a été contracté, au moins de vœu et de désir,
dès le temps de la naissance des enfants ; et par une fiction équitable,
elles donnent un effet rétroactif au mariage.
Nous n'avons pas
cru devoir changer cette disposition que l'équité de nos pères
semble nous avoir recommandée ; mais nous avons rappelé les précautions
qui l'empêchent de devenir dangereuse.
L'état des
enfants nés hors le mariage est toujours plus ou moins incertain, parce
que, n'étant aidé d'aucune présomption de droit, il ne
repose que sur des faits obscurs dont la preuve est souvent impossible. Il arrivait
qu'à la faveur de la légitimation par mariage subséquent,
des êtres mystérieux, qui ne pouvaient se dissimuler le vice de
leur origine, venaient, par des réclamations artificieuses, compromettre
la tranquillité des familles. Ces réclamations, qui n'étaient
presque toujours formées qu'après la mort de tous ceux qui auraient
pu efficacement les repousser, faisaient retentir les tribunaux de discussions
dont le scandale et le danger ébranlaient la société entière.
Ces inconvénients
seront prévenus, si la loi n'applique la légitimation par mariage
subséquent, qu'à des enfants légalement reconnus dans le
moment même du mariage.
La loi ne présumant
rien, et ne pouvant rien présumer pour des enfants nés d'une conjonction
qu'elle n'avoue pas, il faut que ces enfants soient reconnus par les auteurs
de leurs jours, pour pouvoir réclamer des droits. S'il en était
autrement, l'honneur des femmes, la paix des ménages, la fortune des
citoyens, seraient continuellement en péril. Les lois nouvelles ont pourvu
au mal, et nous conservons à cet égard les dispositions de ces
lois.
La possession a été
la première, et pendant longtemps, l'unique preuve de l'état des
hommes. Celui-là était réputé époux, enfant,
qui vivait publiquement, sous l'un ou l'autre de ces rapports, dans une famille
déterminée. Depuis la découverte de l'écriture,
tout a changé : les mariages, les naissances, les décès
sont constatés par des registres. En conséquence, la preuve la
plus légitime dans les questions d'état, est celle qui se tire
des registres publics. Ce principe est une espèce de droit des gens commun
à toutes les nations policées.
Mais cette preuve,
quelque authentique et quelque légitime qu'elle puisse paraître,
n'est pas néanmoins la seule ; et comme il n'est pas juste que la négligence
des parents, la prévarication de ceux qui conservent les registres publics,
les malheurs et l'injure des temps, puissent réduire un homme à
l'impossibilité de prouver son état, il est de l'équité
de la loi d'accorder, en tous ces cas, une autre preuve qui puisse suppléer
le défaut et réparer la perte des registres ; et cette preuve
ne peut être que celle qui se tire des autres titres, et de la déposition
des témoins.
Observons pourtant
que, dans les questions d'état, la preuve testimoniale ne doit point
être admise sans précaution ; elle ne l'a jamais été
sans un commencement de preuve par écrit. On a besoin d'être rassuré
contre un genre de preuve qui inspire tant de méfiance : des témoins
peuvent être corrompus ou séduits ; leur mémoire peut les
tromper ; ils peuvent, à leur propre insu, se laisser entraîner
par des inspirations étrangères. Tout nous avertit qu'il faut
se tenir en garde contre de simples témoignages.
Ce serait mal raisonner
que d'argumenter, dans les matières d'État, de la facilité
avec laquelle la preuve par témoins est accueillie dans les matières
criminelles.
En matière criminelle, la loi se mettrait dans l'impuissance de connaître
le crime qu'elle veut réprimer, si elle n'admettait la preuve testimoniale
; car les crimes sont des faits dans lesquels l'écriture n'intervient
que par accident, et bien rarement : or, les purs faits ne peuvent se prouver
que par témoins. L'accueil que l'on fait à la preuve testimoniale
dans la recherche et l'instruction des crimes dérive donc de la nécessité.
La même nécessité ne se rencontre point dans les questions d'état. La loi veut que l'état des hommes soit constaté par des monuments publics : elle est plus occupée des familles que des individus ; le sort obscur d'un citoyen qui peut être injustement compromis dans son état, la touche moins que le danger dont la société entière serait menacée, si, avec quelques témoignages mendiés ou suspects, on pouvait naturaliser dans une famille des êtres obscurs qui ne lui appartiennent pas.
En second lieu, dans la recherche d'un crime, il s'agit d'un fait qui ne remonte pas à une époque reculée, et qui est, pour ainsi dire, sous nos yeux. Or, la preuve testimoniale est la preuve naturelle des faits récents. Ce genre de preuve est moins convenable dans des affaires dont l'origine se perd presque toujours dans des temps éloignés, et qui, par les circonstances dont elles se compliquent, n'offrent communément ni certitude ni repos à l'esprit.
Enfin, dans l'instruction d'un crime, la preuve par témoins est épurée par la contradiction, par les reproches de l'accusé, et par toutes les formes qui garantissent à cet accusé le droit de se défendre : au lieu que, dans les questions d'état, le litige ne s'engage presque jamais qu'après le décès des personnes qui pourraient éclaircir le mystère ou repousser la calomnie : on n'a aucune des ressources qui, en matière criminelle, servent si bien à déjouer le mensonge et l'imposture.
Nous avons donc consacré la maxime que, dans les questions d'état, la preuve par témoins n'est admissible qu'autant qu'elle est soutenue par un commencement de preuve plus imposante, c'est-à-dire, par des documents domestiques, par des écrits de personnes décédées et non suspectes, par des lettres missives envoyées et reçues dans un temps opportun, enfin par un certain concours de faits qui aient laissé des traces permanentes que l'on puisse recueillir avec succès pour l'éclaircissement de la vérité.
Après avoir fixé
les preuves qui garantissent l'état civil des personnes, nous sommes
entrés dans les détails du gouvernement
de la famille. Le mari est le chef de ce gouvernement. La femme ne peut
avoir d'autre domicile que celui du mari. Celui-ci administre tout, il surveille
tout, les biens et les mœurs de sa compagne. Mais l'administration du mari
doit être sage, et sa surveillance modérée ; l'influence
du mari se résout bien plus en protection qu'en autorité : c'est
le plus fort qui est appelé à défendre et à soutenir
le plus faible. Un empire illimité sur les femmes, tel que nous le trouvons
établi dans certaines contrées, répugnerait autant au caractère
de la nation qu'à la douceur de nos lois. Nous souffrons dans un sexe
aimable des indiscrétions et des légèretés qui sont
des grâces ; et sans encourager les actions qui pourraient troubler l'ordre
et offenser la décence, nous écartons toute mesure qui serait
incompatible avec la liberté publique.
Les enfants doivent
être soumis au père ; mais celui-ci ne doit écouter que
la voix de la nature, la plus douce et la plus tendre de toutes les voix. Son
nom est à la fois un nom d'amour, de dignité et de puissance ;
et sa magistrature, qui a été si religieusement appelée
piété paternelle, ne comporte d'autre sévérité
que celle qui peut ramener le repentir dans un coeur égaré, et
qui a moins pour objet d'infliger une peine que de faire mériter le pardon.
Avec la majorité
des enfants, la puissance des pères cesse ; mais elle ne cesse que dans
ses effets civils : le respect et la reconnaissance continuent à exiger
des égards et des devoirs que le législateur ne commande plus
; et la déférence des enfants pour les auteurs de leurs jours
est alors l'ouvrage des mœurs plutôt que celui des lois.
Dans le cours de la révolution, la majorité a été fixée à vingt et un ans. Nous n'avons pas cru devoir réformer cette fixation, que tant de raisons peuvent motiver. Dans notre siècle, mille causes concourent à former plus tôt la jeunesse ; trop souvent même elle tombe dans la caducité au sortir de l'enfance. L'esprit de société et l'esprit d'industrie, aujourd'hui si généralement répandus, donnent un ressort aux âmes, qui supplée aux leçons de l'expérience, et qui dispose chaque individu à porter plus tôt le poids de sa propre destinée. Cependant, malgré ces considérations, nous avons prorogé jusqu'à vingt-cinq ans la nécessité de rapporter le consentement paternel pour le mariage. Un acte tel que le mariage décide du bonheur de toute la vie : il serait peu sage, quand il s'agit d'une chose qui tient de si près à l'empire des passions les plus terribles, de trop abréger le temps pendant lequel les lois associent la prudence des pères aux résolutions des enfants.
La tutelle est, dans le gouvernement domestique, une sorte de magistrature subsidiaire, dont nous avons déterminé la durée et les fonctions d'après des règles qui sont presque communes à toutes les nations policées. Un tuteur est préposé à la personne et aux biens ; il doit être choisi par la famille et dans la famille : car il faut qu'il ait un intérêt réel à conserver les biens, et un intérêt d'honneur et d'affection à veiller sur l'éducation et le salut de la personne. Il ne peut aliéner, sans cause et sans formes, le patrimoine confié à ses soins ; il doit administrer avec intelligence, et gérer avec fidélité ; il est comptable, puisqu'il est administrateur ; il répond de sa conduite ; il ne peut mal faire, sans être tenu de réparer le mal qu'il fait. Voilà toute la théorie des tutelles.
Les questions de domicile
sont, pour la plupart, liées aux questions sur l'état des personnes.
Ainsi, comme le domicile de la femme est celui du mari, le domicile des enfants
mineurs est celui de leur père ou de leur tuteur.
Le domicile civil
n'a rien de commun avec le domicile politique. L'un peut exister sans l'autre
; car les femmes et les mineurs ont un domicile civil, sans avoir un domicile
politique. Cette dernière sorte de domicile est une dépendance
du droit de cité, puisqu'elle désigne le lieu dans lequel, en
remplissant les conditions prescrites par les lois constitutionnelles, on est
autorisé à exercer les droits politiques attachés à
la qualité de citoyen.
Le domicile civil
est le lieu où l'on a transporté le siège de ses affaires,
de sa fortune, de sa demeure habituelle. La simple absence n'interrompt pas
le domicile. On peut changer de domicile quand on veut. Toute question de domicile
est mêlée de droit et de fait. Nous avons fixé les règles
d'après lesquelles on peut juger du vrai domicile d'un homme, parce que,
dans toutes les actions judiciaires, et même dans le commerce ordinaire
de la vie, il importe de savoir où une personne est domiciliée,
pour pouvoir l'atteindre.
L'absence est une situation momentanée. On peut être absent pour son intérêt propre, ou pour celui de la république. Les absents, et surtout ceux qui le sont pour cause publique, ont des droits particuliers à la protection des lois : nous avons déterminé ces droits. Il a fallu déterminer encore la vie présumée d'un absent dont on n'a point de nouvelles, pour ne pas laisser les familles et les propriétés dans une funeste incertitude. Nous avons confronté les diverses jurisprudences sur les différents points qui concernent les absents ; et nous avons opté pour les principes qui nous ont paru les plus équitables, et les moins susceptibles d'inconvénients.
On verra que dans tous
les projets de loi relatifs à l'état des personnes, nous nous
sommes uniquement occupés de l'état civil ; l'état politique
des hommes est fixé par la constitution. Nous avons pourtant parlé
des étrangers, pour marquer jusqu'à
quel point ils peuvent, dans les choses civiles, être assimilés
aux Français, et jusqu'à quel point ils en diffèrent.
Il faut convenir
qu'anciennement les divers peuples communiquaient peu entre eux ; qu'il n'y
avait point de relations entre les États, et que l'on ne se rapprochait
que par la guerre, c'est-à-dire pour s'exterminer. C'est à ces
époques que l'auteur de l'Esprit des lois fait remonter l'origine
des droits insensés d'aubaine et de naufrage. Les hommes,
dit-il, pensèrent que les étrangers ne leur étant unis
par aucune communication du droit civil, ils ne leur devaient, d'un côté,
aucune sorte de justice, et, de l'autre, aucune sorte de pitié.
Le commerce, en se
développant, nous a guéris des préjugés barbares
et destructeurs ; il a uni et mêlé les hommes de tous les pays
et de toutes les contrées. La boussole ouvrit l'univers ; le commerce
l'a rendu sociable.
Alors les étrangers
ont été traités avec justice et avec humanité. Les
rapports entre les peuples se sont multipliés, et on a compris que si,
comme citoyen, on ne peut appartenir qu'à une société particulière,
on appartient, comme homme, à la société générale
du genre humain. En conséquence, si les institutions politiques continuent
d'être propres aux membres de chaque État, les étrangers
sont admis à participer plus ou moins aux institutions civiles, qui affectent
bien plus les droits privés de l'homme que l'état public du citoyen.
Après avoir parcouru tout ce qui est relatif aux personnes, nous nous sommes occupés des biens.
Il est diverses espèces
de biens ; il est diverses manières de les acquérir et d'en disposer.
Les biens se divisent
en meubles et immeubles. C'est la division la plus générale et
la plus naturelle.
Les immeubles de
chaque pays sont communément possédés par ses habitants.
Jusqu'ici la plupart des États ont eu des lois qui dégoûtaient
les étrangers de l'acquisition de leurs terres ; il n'y a même
que la présence du maître qui les fasse valoir : ce genre de richesse
appartient donc à chaque État en particulier. Mais les effets
mobiliers, comme l'argent, les billets, les lettres de change, les actions dans
les banques ou sur les compagnies, les vaisseaux, toutes les marchandises, appartiennent
au monde entier, qui, dans ce rapport, ne compose qu'un seul État dont
toutes les sociétés sont les membres. Le peuple qui possède
le plus de ces effets mobiliers, est le plus riche. Chaque État les acquiert
par l'exportation de ses denrées, par le travail de ses manufactures,
par l'industrie et les découvertes de ses négociants, par le hasard
même.
La distinction des
immeubles et des richesses mobilières, nous donne l'idée des choses
purement civiles et des choses commerciales. Les richesses mobilières
sont le partage du commerce ; les immeubles sont particulièrement du
ressort de la loi civile.
Il est pourtant des
effets mobiliers qui sont réputés immeubles, parce qu'on peut
les regarder comme des dépendances ou des accessoires des fonds et autres
objets civils.
Dans l'ancien régime,
la distinction des personnes privilégiées et non privilégiées,
nobles ou roturières, entraînait, par rapport aux biens, une foule
de distinctions qui ont disparu et qui ne peuvent plus revivre.
On peut dire que
les choses étaient classées comme les personnes mêmes. Il
y avait des biens féodaux et non féodaux, des biens servants et
des biens libres. Tout cela n'est plus : nous n'avons conservé que les
servitudes urbaines et rurales, que le rapprochement des hommes rend indispensables,
et qui dérivent des devoirs et des égards qui seuls peuvent rendre
la société possible.
En parlant des différentes
natures des biens, nous avons distingué le simple usage d'avec l'usufruit,
et l'usufruit d'avec la propriété. Nous avons énuméré
les diverses espèces de rentes et de droits qui peuvent entrer dans le
patrimoine d'un particulier.
Les règles
que nous avons posées sur ces différents objets, dont il serait
inutile de présenter ici le détail, sont conformes à ce
qui s'est pratiqué dans tous les temps. Nous n'avons changé ou
modifié que celles qui n'étaient plus assorties à l'ordre
actuel des choses, ou dont l'expérience avait montré les inconvénients.
Les contrats
et les successions sont
les grands moyens d'acquérir ce qu'on n'a point encore, et de disposer
de ce que l'on a.
En traitant des contrats, nous avons d'abord développé
les principes de droit naturel qui sont applicables à tous.
Nous avons ensuite parlé des formes dans lesquelles ils doivent être
rédigés.
L'écriture est, chez toutes les nations policées, la preuve naturelle
des contrats. Cependant, en nous conformant à toutes les lois précédentes,
nous autorisons la preuve par témoins dans les cas où il existe
un commencement de preuve par écrit. Ce commencement de preuve par écrit
n'est pas même nécessaire dans les affaires mercantiles, qui se
consomment souvent à la Bourse, sur la place publique, ou dans une conversation
imprévue.
En général, les hommes doivent pouvoir traiter librement sur tout
ce qui les intéresse. Leurs besoins les rapprochent ; leurs contrats
se multiplient autant que leurs besoins. Il n'y a point de législation
dans le monde qui ait pu déterminer le nombre et fixer la diversité
des conventions dont les affaires humaines sont susceptibles. De là cette
foule de contrats connus, dans les lois romaines, sous le titre de contrats
innommés. La liberté de contracter ne peut être limitée
que par la justice, par les bonnes mœurs, par l'utilité publique.
Mais c'est précisément lorsqu'il s'agit de fixer ces limites,
que les difficultés naissent de toutes parts.
Il est des objets sur lesquels la justice se manifeste clairement. Un associé,
par exemple, veut partager tous les profits d'une société, sans
en partager les risques : la prétention est révoltante ; il ne
faut pas chercher hors d'un tel pacte, une iniquité consommée
par la lettre même de ce pacte. Mais il est des choses sur lesquelles
la question de justice se complique avec d'autres questions, souvent étrangères
à la jurisprudence. Ainsi, c'est dans nos connaissances acquises sur
l'agriculture que nous devons chercher la justice ou l'injustice, l'utilité
ou le danger de certaines clauses ou de certains pactes stipulés dans
les baux à ferme. Ce sont nos connaissances commerciales qui ont terminé
nos interminables discussions sur le prêt à intérêt,
sur le monopole, sur la légitimité des conditions apposées
dans les contrats maritimes, et sur plusieurs objets semblables. On s'est aperçu
que, dans ces matières, la question de droit ou de morale se trouve subordonnée
à la question de calcul ou d'administration.
L'argent
est le signe de toutes
les valeurs ; il procure tout ce qui donne des profits ou des fruits : pourquoi
donc celui qui a besoin de ce signe n'en paierait-il pas l'usage, comme il paye
l'usage de tous les objets dont il a besoin? À l'instar de toutes les
autres choses, l'argent peut être donné, prêté, loué,
vendu. La rente à fonds perdu est une aliénation ; le prêt
à intérêt est un acte de louage ; l'usage gratuit que l'on
cède d'une somme d'argent est un simple prêt ; la libéralité
sans stipulation d'intérêt et sans espoir de retour, est un don.
Le don et le prêt sont des actes généreux ; mais le louage
et l'aliénation ne sont point des actes injustes.
Pour que les affaires
de la société puissent aller, il faut que l'argent ait un prix
; sans cela, il n'y a point de prêteurs, ou, pour mieux dire, il y en
a, mais qui savent se venger de l'ineptie des lois par des stipulations simulées,
et en faisant payer très chèrement le péril de la contravention.
Jamais les usures n'ont été plus effroyables que lorsque l'intérêt
a été prohibé. En défendant une chose honnête
et nécessaire, on ne fait qu'avilir ceux qui la font, et les rendre malhonnêtes
gens.
S'il faut que l'argent
ait un prix, il faut aussi que ce prix soit peu considérable. L'intérêt
modéré de l'argent encourage toutes les entreprises utiles ; il
donne aux propriétaires de terre qui veulent se livrer à de nouvelles
cultures, l'espoir fondé d'obtenir des secours à un prix raisonnable
; il met les négociants et les manufacturiers à portée
de lutter avec succès contre l'industrie étrangère.
Les rapports qui
déterminent le prix de l'argent sont indépendants de l'autorité
; les gouvernements ne peuvent jamais espérer de le fixer par des lois
impérieuses. Cependant on a toujours adopté un intérêt
légal pour les contrats d'hypothèques et pour tous les actes publics.
On n'a pas cru, dans les affaires civiles ordinaires, dont les rapports peuvent
être appréciés avec une certaine fixité, devoir abandonner
le cours de l'intérêt aux écarts de l'avarice, aux combinaisons
particulières et à la licence des prêteurs. Mais indépendamment
de l'intérêt légal qui régit l'ordre civil, il existe
dans le commerce un intérêt courant qui ne peut devenir l'objet
d'une loi constante et précise.
Nous n'avons pas
touché à la fixation de l'intérêt légal. Cette
fixation ne peut appartenir qu'au gouvernement ; et les mesures que le gouvernement
peut prendre à cet égard ne doivent pas être précipitées.
L'intérêt
légal ne peut être respecté qu'autant qu'il se trouve en
harmonie avec le taux de l'argent dans le commerce. Dans le moment actuel, mille
causes connues rompent cette harmonie. La paix, en donnant un nouvel essor au
commerce, en diminuant les dépenses de l'État, et en mettant un
terme aux opérations forcées du gouvernement, rétablira
l'équilibre, et fera rentrer les affaires dans le sein de la probité.
Les lois civiles
peuvent pourtant préparer cette heureuse révolution, en donnant
aux prêteurs une sûreté capable de les engager à se
contenter d'une rétribution modérée. Ainsi, des institutions
qui puissent inspirer de la confiance, de bons règlements sur les obligations
solidaires ou non solidaires des cautions, des lois sages qui assurent la stabilité
des hypothèques, et qui, simplifiant l'action des créanciers contre
leurs débiteurs, la rendent plus rapide et moins dispendieuse, sont bien
propres à maintenir cette activité de circulation dont l'influence
est si grande sur le taux de l'intérêt et sur la prospérité
nationale.
Ce qui est certain,
c'est que le taux de l'intérêt est le pouls de l'État :
il marque toutes les maladies du corps politique. La modération dans
ce taux est le signe le moins équivoque de la véritable richesse
et du bonheur public.
L'argent règle
le prix de toutes les autres choses tant mobilières qu'immobilières.
Ce prix est fondé sur la comparaison de l'abondance et de la rareté
relative de l'argent, avec la rareté ou l'abondance relative des objets
ou des marchandises que l'on achète. Il ne peut être fixé
par des règlements. Le grand principe sur ces matières, est de
s'abandonner à la concurrence et à la liberté.
Avant l'usage de
la monnaie, toutes les affaires de la société se faisaient par
simple prêt ou par échange. Depuis l'usage de la monnaie, on procède
par ventes, par achats, et par une multitude d'actes qui constituent ce que
nous appelons le commerce de la vie civile, et auxquels nous avons assigné
les principales règles qui les gouvernent.
Le commerce ordinaire
de la vie civile, uniquement réduit aux engagements contractés
entre des individus que leurs besoins mutuels et certaines convenances rapprochent,
ne doit pas être confondu avec le commerce proprement dit, dont le ministère
est de rapprocher les nations et les peuples, de pourvoir aux besoins de la
société universelle des hommes. Cette espèce de commerce,
dont les opérations sont presque toujours liées aux grandes vues
de l'administration et de la politique, doit être régie par des
lois particulières, qui ne peuvent entrer dans le plan d'un code civil.
L'esprit de ces lois diffère
essentiellement de l'esprit des lois civiles.
Sans doute, en matière civile comme en matière
commerciale, il faut de la bonne foi, de la réciprocité
et de l'égalité dans les contrats ; mais, pour garantir cette
bonne foi, cette égalité et cette réciprocité dans
les engagements, on aurait tort de raisonner sur les affaires civiles comme
sur les affaires de commerce.
On fait très sagement, par exemple, d'écarter des affaires de
commerce les actions revendicatoires, parce que ces sortes d'affaires roulent
sur des objets mobiliers qui circulent rapidement, qui ne laissent aucune trace,
et dont il serait presque toujours impossible de vérifier et de reconnaître
l'identité ; mais on ne pourrait, sans injustice et sans absurdité,
refuser d'admettre les actions revendicatoires dans les affaires civiles, presque
toutes relatives à des immeubles qui ont une assiette fixe, que l'on
peut suivre en quelques mains qu'ils passent, et qui, par leur permanence, rendent
possibles, et même faciles, toutes les discussions que l'intérêt
de la justice peut exiger.
Jamais on n'a admis, dans le commerce, l'action rescisoire pour lésion
d'outre-moitié du juste prix, parce que la mobilité des objets
commerciaux, les risques, les incertitudes, les cas fortuits qui environnent
les opérations du commerce, ne sauraient comporter cette action. C'est
même avec raison que, dans le temps du papier-monnaie et de la dégradation
plus ou moins précipitée de ce papier, on avait aboli l'action
rescisoire, même dans les matières civiles, puisque, pendant ce
temps, on rencontrait dans ces matières la même mobilité
et les mêmes incertitudes que dans les matières commerciales ;
mais aujourd'hui nous avons cru devoir la rétablir, parce que la justice
peut, sans inconvénients, reprendre ses droits, et que les contrats privés
ne sont plus menacés, comme ils l'étaient, par le désordre
des affaires publiques.
Dans le commerce, où les plus grandes fortunes sont souvent invisibles,
on suit plutôt la personne que les biens. De là le gage, l'hypothèque,
sont des choses presque inconnues au commerce. Mais dans les matières
civiles, ou l'on suit plutôt les biens que la personne, il faut des lois
hypothécaires, c'est-à-dire, il faut des lois qui puissent donner
sur les biens toute la sûreté que l'on cherche. Il ne faut pourtant
pas outrer les précautions. Nos dernières lois sur cet objet sont
extrêmes ; et le bien politique, comme le bien moral, se trouve toujours
entre deux limites.
On gouverne mal quand on gouverne trop. Un homme qui traite avec un
autre homme, doit être attentif et sage ; il doit veiller à son
intérêt, prendre les informations convenables, et ne pas négliger
ce qui est utile. L'office de la loi est de nous protéger contre la fraude
d'autrui, mais non pas de nous dispenser de faire usage de notre propre raison.
S'il en était autrement, la vie des hommes, sous la surveillance des
lois, ne serait qu'une longue et honteuse minorité ; et cette surveillance
dégénérerait elle-même en inquisition.
C'est un
autre principe, que les lois, faites pour prévenir ou pour réprimer
la méchanceté des hommes, doivent montrer une certaine franchise,
une certaine candeur. Si l'on part de l'idée qu'il faut parer à
tout le mal et à tous les abus dont quelques personnes sont capables,
tout est perdu. On multipliera les formes à l'infini, on n'accordera
qu'une protection ruineuse aux citoyens ; et le remède deviendra pire
que le mal. Quelques hommes sont si méchants, que, pour gouverner
la masse avec sagesse, il faut supposer les plus mauvais d'entre les hommes,
meilleurs qu'ils ne sont.
On paraît avoir entièrement
oublié ces principes en rédigeant nos dernières lois sur
les hypothèques.
Sans doute il ne
faut pas que les hommes puissent se tromper mutuellement en traitant ensemble
; mais il faut laisser quelque latitude à la confiance et à la
bonne foi. Des formes inquiétantes et indiscrètes perdent le crédit,
sans éteindre les fraudes ; elles accablent sans protéger. Nous
nous sommes effectivement convaincus que nos dernières lois sur cette
matière ne pouvaient contribuer qu'à paralyser toutes les affaires
de la société, à fatiguer toutes les parties intéressées,
par des procédures ruineuses ; et qu'avec le but apparent de conserver
l'hypothèque, elles n'étaient propres qu'à la compromettre.
Nous avons cru devoir revenir à un régime moins soupçonneux
et plus modéré.
Nous ne pouvons nous
faire illusion sur la véritable origine des lois relatives à la
conservation des hypothèques : cette origine est toute fiscale, comme
celle des lois du contrôle ou de l'enregistrement des divers actes civils.
Nous savons que la finance peut faire une sage alliance avec la législation,
et que l'intérêt du fisc peut être utilement combiné
avec celui de la police, mais prenons-y garde, craignons toujours que, dans
ces combinaisons, l'intérêt de la législation ou de la police
ne soit sacrifié à celui du fisc. L'enregistrement, par exemple,
est une de ces institutions fiscales qui offrent à la fois et le bien
de la finance et celui des citoyens : il assure la vérité des
contrats et des actes entre particuliers ; mais il cesse d'être utile,
il devient même funeste, quand il devient excessif. L'excès des
droits fait que les hommes, toujours plus frappés d'un bénéfice
présent que d'un danger à venir, deviennent confiants par avarice,
et compromettent leur sûreté par des conventions verbales ou cachées
qui sont incapables de la garantir. C'est un grand mal encore quand les droits
d'enregistrement, indépendamment de leur modération ou de leur
excès, sont perçus d'une manière trop contentieuse ; c'est-à-dire,
quand la levée de ces droits est liée aux questions les plus épineuses
de la jurisprudence, et que le régisseur ou le fermier peut, à
la faveur de cette mystérieuse obscurité, exercer le plus dangereux
de tous les pouvoirs. Ce que nous disons de l'enregistrement, s'applique au
code hypothécaire. Dans toutes ces institutions, évitons les subtilités,
ne multiplions pas les précautions onéreuses ; cherchons à
concilier l'intérêt du fisc avec celui de la législation.
L'expérience démontre que, dans les matières dont il s'agit,
l'excès des droits en diminue la perception, et que le fisc ne peut faire
le préjudice du citoyen sans faire le sien propre.
Nous avons maintenu les réformes salutaires qui, depuis la révolution, ont été opérées dans les ventes d'immeubles. Ces ventes ne sont plus entravées par cette foule de droits, de rachats statutaires qui avaient le terrible inconvénient de laisser, pendant une ou plusieurs années, le bien vendu sans propriétaire assuré : ce qui était très nuisible à l'agriculture. Mais nous avons pensé qu'on avait été trop loin, quand, sous prétexte d'effacer jusqu'aux moindres traces de la féodalité, on avait proscrit le bail emphytéotique et le bail à rente foncière, qui n'ont jamais été un contrat féodal, qui encourageaient les défrichements, qui engageaient les grands propriétaires à vendre les fonds qu'ils ne pouvaient cultiver avec soin, et qui donnaient à des cultivateurs laborieux, dont les bras faisaient toute la richesse, les moyens faciles de devenir propriétaires. Cependant nous n'avons pu nous dissimuler les grands inconvénients qui seraient attachés à une législation toute particulière et très compliquée, qu'ont toujours exigée ces sortes de contrats, et nous avons abandonné à la sagesse du gouvernement la question de savoir s'il est convenable d'en provoquer le rétablissement.
Les contrats
de mariage occupent une place particulière dans le projet du code
civil.
Nous avons laissé
la plus grande latitude à ces contrats, qui lient les familles, qui en
forment de nouvelles, et qui contribuent tant à la propagation des hommes.
Le régime
des dots était celui des pays de droit écrit. La communauté
était en usage dans les pays coutumiers.
Les époux
auront la liberté de se former, à cet égard, par leurs
conventions, telle loi particulière qu'ils jugeront à propos.
Quand il n'y aura
point de convention particulière ; les époux seront communs en
biens.
Nous avons réglé
les avantages qu'ils peuvent se faire l'un à l'autre ; nous avons suivi
l'esprit de la société conjugale, qui est la plus douce et la
plus nécessaire de toutes les sociétés.
Quant aux autres contrats, nous nous sommes réduits à retracer les règles communes. Sur cette matière, nous n'irons jamais au-delà des principes qui nous ont été transmis par l'antiquité, et qui sont nés avec le genre humain.
La partie du code civil
qui est destinée à fixer l'ordre des successions,
ne nous a pas paru la moins importante.
Le droit de succéder a-t-il sa base dans la loi naturelle, ou simplement
dans les lois positives? De la solution de ce grand problème dépend
le système que l'on doit établir.
L'homme naît avec des besoins ; il faut qu'il puisse se nourrir
et se vêtir : il a donc droit aux choses nécessaires à sa
subsistance et à son entretien. Voilà l'origine du droit de propriété.
Personne n'aurait planté, semé ni bâti, si les domaines
n'avaient été séparés, et si chaque individu n'eut
été assuré de posséder paisiblement son domaine.
Le droit de propriété en soi est donc une institution directe
de la nature, et la manière dont il s'exerce est un accessoire, un développement,
une conséquence du droit lui-même.
Mais le droit de propriété
finit avec la vie du propriétaire : conséquemment, après
la mort du propriétaire, que deviendront ses biens rendus vacants par
son décès?
Le bon sens, la raison,
le bien public, ne permettent pas qu'ils soient abandonnés ; il y a de
puissants motifs de convenance et d'équité de les laisser à
la famille du propriétaire : mais, à parler exactement, aucun
membre de cette famille ne peut les réclamer à titre rigoureux
de propriété. Comment le partage sera-t-il fait entre les enfants,
et, à défaut d'enfants, entre les proches ? Accordera-t-on plus
de faveur à un sexe qu'à un autre ? Attachera-t-on quelque préférence
à la primogéniture ? Traitera-t-on également les enfants
naturels et les enfants légitimes? S'il n'y a point d'enfants, appellera-t-on
indistinctement tous les collatéraux, à quelque degré qu'ils
soient ? La faculté de tester sera-t-elle admise ? Sera-t-elle proscrite,
ou se contentera-t-on de la limiter ?
Dans toutes ces questions,
l'intervention de l'État est indispensable ; car il faut donner et garantir
à quelqu'un le droit de succéder, et il faut fixer le mode de
partage. Sur des biens rendus vacants par la mort du propriétaire, on
ne voit d'abord d'autre droit proprement dit que le droit même de l'État.
Mais que l'on ne s'y méprenne pas ; ce droit n'est et ne peut être
un droit d'hérédité ; c'est un simple droit d'administration
et de gouvernement. Jamais le droit de succéder aux fortunes privées
n'a fait partie des prérogatives attachées à la puissance
publique ; et l'on peut voir, dans la vie d'Agricola par Tacite, que l'on a
toujours maudit, comme des tyrans, ces empereurs romains que l'on était
obligé d'instituer héritiers dans une partie du bien que l'on
laissait, pour les engager à ne pas devenir usurpateurs de l'autre. L'État
ne succède donc pas ; il n'est établi que pour régler l'ordre
des successions.
Il est nécessaire qu'un tel ordre existe, comme il est nécessaire
qu'il y ait des lois. Le droit de succéder en général est
donc d'institution sociale. Mais tout ce qui regarde le mode du partage dans
les successions n'est que de droit politique ou civil.
La loi politique, qui ne s'arrête point aux convenances particulières
quand elle entrevoit un point de vue plus général, se conduit
plutôt par la raison d'État que par un principe d'équité.
La loi civile, au contraire, dont l'office principal est de régler les
droits et les convenances entre particuliers, incline plutôt vers l'équité
que vers la raison d'État.
Les premiers règlements des Romains sur les successions furent dirigés
par le droit politique : aussi ces règlements renferment des dispositions
qui nous paraissent étranges. On avait fait un partage égal des
terres ; on voulait, autant qu'il était possible, maintenir l'égalité
de ce partage. De là, les filles destinées à passer, par
le mariage, dans des familles étrangères, ne pouvaient rien recueillir
dans leurs propres familles. Une fille unique n'héritait même pas.
Ces règlements sont injustes et révoltants, quand on les juge
d'après la raison civile.
C'est pareillement le droit politique qui avait inspiré nos anciennes
coutumes françaises, toutes relatives à l'esprit de la monarchie,
qui veut partout des distinctions, des privilèges et des préférences.
Les dernières lois de Rome, qui ont été recueillies dans
la compilation de Justinien, sont entièrement rédigées
dans des vues de convenance et d'équité naturelle. La succession
des pères et mères est dévolue par égale part à
tous les enfants, sans distinction de sexe, et, à défaut d'enfants,
aux plus proches.
À moins qu'une nation ne trouve dans sa situation particulière
de puissants motifs pour suivre la raison politique, elle fera sagement de se
diriger par la raison civile, qui ne choque personne, qui prévient les
rivalités et les haines dans les familles, qui propage l'esprit de fraternité
et de justice, et qui maintient plus solidement l'harmonie générale
de la société.
Dans ces derniers temps on a beaucoup déclamé contre la faculté
de tester ; et dans le système de nos nouvelles lois françaises
cette faculté avait été si restreinte, qu'elle n'existait
presque plus.
Nous convenons qu'aucun homme n'a, par un droit naturel et inné, le pouvoir
de commander après sa mort, et de se survivre pour ainsi dire à
lui-même par un testament. Nous convenons que c'est aux lois à
établir l'ordre ou la manière de succéder, et qu'il serait
dérisoire et dangereux de laisser à chaque particulier la faculté
illimitée de renverser arbitrairement l'ouvrage des lois.
Mais les lois, qui ne peuvent gouverner que par des principes généraux,
constants et absolus, ne doivent-elles pas, pour les circonstances variables
de la vie, laisser quelque chose à l'arbitrage du citoyen ? Le pouvoir
qu'un testateur tient de la loi n'est-il pas le pouvoir de la loi même
?
Est-il convenable de priver un homme, dans ses derniers moments, du doux commerce
des bienfaits ? Un collatéral vieux et infirme ne languira-t-il pas sans
secours et sans ressource, si ceux dont il pourrait s'entourer sont sans espérance
? Que deviendra le lien de la parenté dans des degrés éloignés,
s'il n'est fortifié par d'autres liens ? L'intérêt qui divise
si souvent les hommes ne doit-il pas être mis à profit, quand on
le peut, pour les rapprocher et pour les unir ?
Ne faut-il pas une sanction aux vertus domestiques, à l'autorité
paternelle, au gouvernement de famille ? Si l'on craint qu'il y ait des pères
injustes, pourquoi ne craindrait-on pas qu'il y eût des fils dénaturés
? Suivant la position dans laquelle se trouve une famille, le partage égal
des biens entre les enfants ne deviendrait-il pas lui-même la source des
plus monstrueuses inégalités ? Dans les classes laborieuses de
la société, quel est l'enfant qui se résignera à
confondre son travail avec celui des auteurs de ses jours, s'il n'entrevoit
aucune récompense à ses peines, et s'il est menacé d'être
dépouillé du fruit de sa propre industrie ? Et que deviendront
les artisans, les cultivateurs, si, dans leur vieillesse, ils sont abandonnés
par tous ceux auxquels ils ont donné l'être ? De plus, n'y a-t-il
pas des fortunes dont le partage a besoin être dirigé par la sage
destination du père de famille ?
Sans doute on a bien fait, pour la liberté de la circulation et pour
le bien de l'agriculture, de proscrire ces substitutions absurdes qui subordonnent
les intérêts du peuple vivant aux caprices du peuple mort, et dans
lesquelles, par la volonté de la génération qui n'est plus,
la génération qui est se trouve constamment sacrifiée à
celle qui n'est point encore. Il est prudent de soumettre à des règles
la faculté de tester, et de lui donner des bornes. Mais il faut la conserver
et lui laisser une certaine latitude : lorsque la loi, sur des objets qui tiennent
d'aussi près que celui-ci à toutes les affections humaines, ne
laisse aucune liberté aux hommes, les hommes, de leur côté,
ne travaillent qu'à éluder la loi. Les libéralités
déguisées, les simulations remplaceront les testaments si la faculté
de tester est interdite ou trop restreinte ; et les plus horribles fraudes auront
lieu dans les familles, même les plus honnêtes.
Dans la succession
ab intestat, la représentation des collatéraux poussée
trop loin est une chose contraire au bon sens. Elle appelle des inconnus, au
préjudice des plus proches ; elle étend les relations de libéralité
au-delà de tous les rapports présumés d'affection ; elle
entraîne des litiges interminables sur la qualité des personnes,
et des morcellements ridicules dans le partage des biens ; elle blesse toutes
les idées de justice, de convenance et de raison.
La faveur du mariage,
le maintien des bonnes mœurs, l'intérêt de la société,
veulent que les enfants naturels ne soient pas traités à l'égal
des enfants légitimes. Il est d'ailleurs contre l'ordre des choses que
le droit de succéder, qui est considéré, par toutes les
nations policées, non comme un droit de cité, mais comme un droit
de famille, puisse compéter à des êtres qui sont sans doute
membres de la cité, mais que la loi, qui établit les mariages,
ne peut reconnaître comme membres d'aucune famille. Il faut seulement
leur garantir, dans une mesure équitable, les secours que l'humanité
sollicite pour eux. Vainement réclame-t-on en leur faveur les droits
de la nature ; la successibilité n'est point un droit naturel : ce n'est
qu'un droit social qui est entièrement réglé par la loi
politique ou civile, et qui ne doit point contrarier les autres institutions
sociales.
Telles sont les principales bases d'après lesquelles nous sommes partis dans la rédaction du projet de code civil. Notre objet a été de lier les moeurs aux lois, et de propager l'esprit de famille, qui est si favorable, quoi qu'on en dise, à l'esprit de cité. Les sentiments s'affaiblissent en se généralisant : il faut une prise naturelle pour pouvoir former des liens de convention. Les vertus privées peuvent seules garantir les vertus publiques ; et c'est par la petite patrie, qui est la famille, que l'on s'attache à la grande ; ce sont les bons pères, les bons maris, les bons fils qui font les bons citoyens. Or, il appartient essentiellement aux institutions civiles de sanctionner et de protéger toutes les affections honnêtes de la nature. Le plan que nous avons tracé de ces institutions remplira-t-il le but que nous nous sommes proposé ? Nous demandons quelque indulgence pour nos faibles travaux en faveur du zèle qui les a soutenus et encouragés. Nous resterons au-dessous, sans doute, des espérances honorables que l'on avait conçues du résultat de notre mission : mais ce qui nous console, c'est que nos erreurs ne sont point irréparables ; une discussion solennelle, une discussion éclairée, les corrigera ; et la nation française, qui a su conquérir la liberté par les armes, saura la conserver et l'affermir par les lois.
Signé
Portalis, Tronchet,
Bigot-Préameneu, Maleville.