Mais attendu que la cour d'appel a retenu à bon droit que le
propriétaire de l'immeuble auteur des nuisances, et les constructeurs
à l'origine de celles-ci sont responsables de plein droit vis-à-vis
des voisins victimes, sur le fondement de la prohibition du trouble anormal
de voisinage, ces constructeurs étant, pendant le chantier, les voisins
occasionnels des propriétaires lésés ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal n° D 03-20.991 et sur le moyen
unique des pourvois incidents, réunis, ci-après annexé
:
Attendu qu'ayant relevé que, du fait des troubles de voisinage,
et aux termes du rapport d'experts judiciaires critiqués par les parties
de manière peu convaincante, le préjudice de l'Hôtel Prince
de Galles était, en pourcentage du chiffre d'affaire estimé perdu
relativement peu au-dessus de la normale, mais s'appliquait à des montants
nettement plus conséquents, et que, pour le préjudice subi par
l'Hôtel Queen Elisabeth, les pourcentages estimés de pertes de
gains, 11 et 34 % et la baisse des taux d'occupation, étaient significatifs,
la perte anormale étant caractérisée, la cour d'appel,
qui n'était pas tenue, dans les rapports entre l'entrepreneur principal
et le maître de l'ouvrage, de procéder à des recherches
sur les troubles pouvant éventuellement provenir de sous-traitants, et
qui a statué en se fondant sur des estimations de pertes de gains, a
exactement retenu, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs,
que les troubles graves subis par les hôtels du voisinage engageaient
la responsabilité de plein droit non seulement de la société
Hôtel George V, mais également de l'entreprise chargée d'exécuter
les travaux, et, sans accorder le plein des demandes, a souverainement déterminé
le montant de la réparation du préjudice ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi principal n° A 03-20.068 et le second moyen
du pourvoi principal n° D 03-20.991, réunis :
Attendu que la société Duminvest et la société Bouygues
font grief à l'arrêt de les condamner à garantir la société
Hôtel George V du paiement des sommes mises à la charge de cette
dernière au profit des propriétaires voisins, alors, selon le
moyen :
1 / que l'affirmation d'une responsabilité des constructeurs à
l'égard des voisins victimes de troubles de voisinage ne libère
pas le maître de l'ouvrage, seul instigateur du chantier et des risques
de gêne qu'il engendre, de l'obligation de supporter la charge définitive
de l'indemnisation des victimes, sauf pour ce dernier à rapporter la
preuve de manquements contractuels des constructeurs de nature à le libérer
soit partiellement soit totalement ; qu'en accueillant le recours du maître
de l'ouvrage contre les constructeurs "sans qu'il soit nécessaire
de caractériser de faute à leur encontre", la cour d'appel
a violé l'article 1147 du Code civil ;
2 / qu'en statuant comme elle l'a fait sans davantage caractériser un
engagement spécial que les constructeurs auraient expressément
souscrit à l'égard du maître de l'ouvrage de le tenir indemne
de toute condamnation pour les troubles de voisinage que le chantier pourrait
occasionner, la cour d'appel a privé sa décision de base légale
au regard des articles 1134 et 1792 et suivants du Code civil ;
3 / que le codébiteur d'une obligation in solidum ne peut répéter
contre les autres que la part et portion de chacun d'eux ; qu'il s'ensuit que
le juge saisi de recours récursoires entre coobligés in solidum
est tenu de déterminer la part contributive de chacun d'eux, en fonction
de la gravité des fautes et de leur rôle causal dans la production
du dommage ou, à tout le moins, par parts viriles ; qu'en jugeant que
l'Hôtel George V était fondé à exercer un recours
subrogatoire intégral contre ses coobligés in solidum au motif
inopérant qu'il était subrogé dans le bénéfice
d'une responsabilité objective, la cour d'appel a violé l'article
1214 du Code civil ;
4 / qu'en affirmant qu'il n'était pas soutenu que le maître de
l'ouvrage ait été pleinement informé des risques de troubles
de voisinage, cependant que les conclusions de la société Duminvest
ainsi que celles des deux hôtels victimes des troubles le soutenaient
on ne peut plus clairement, la cour d'appel a dénaturé leurs écritures,
en violation de l'article 1134 du Code civil ;
5 / que le rapport d'expertise avait relevé que, de par sa constitution
même, les bâtiments de l'Hôtel George V avaient vocation à
se comporter comme une véritable caisse de résonance propageant
et amplifiant les bruits jusqu'aux murs et planchers mitoyens, que "cette
situation était parfaitement connue par chacun des participants à
la rénovation de l'hôtel bien avant l'entreprise du chantier puisque
plusieurs campagnes avaient été entreprises à l'avance"
; que les experts concluaient leur rapport en observant que, "pour éviter
au maximum la gêne apportée aux voisins pendant 18 mois, il eut
fallu que le maître de l'ouvrage accepte de prendre en charge d'importants
surcoûts de construction (désolidarisation de la structure et des
mitoyens)", que "ces surcoûts n'ayant pas été
admis par le maître de l'ouvrage, il revenait à la maîtrise
d'oeuvre et à l'entreprise d'essayer de minimiser les nuisances",
avec une marge de manoeuvre réduite, est-il précisé ; qu'en
affirmant qu'il ne résultait pas du rapport d'expertise que le maître
de l'ouvrage ait été pleinement informé des risques de
troubles au voisinage et qu'il ait néanmoins prescrit la poursuite du
chantier, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis
de ce rapport, en violation de l'article 1134 du Code civil ;
6 / que le subrogé ne peut exercer un recours pour le tout à l'encontre
de l'un de ses codébiteurs qu'à la condition de démontrer
qu'il était tenu pour celui-ci et non pas seulement avec celui-ci ; que,
par ailleurs, l'entreprise n'est pas responsable de plein droit envers le maître
de l'ouvrage des troubles excédant les inconvénients normaux de
voisinage que les travaux ont causés au propriétaire voisin ;
qu'il appartenait en conséquence au maître de l'ouvrage de démontrer
que la dette qu'il avait payée incombait exclusivement aux entreprises
à raison des fautes par elles commises ; qu'en accueillant entièrement
le recours subrogatoire du maître de l'ouvrage contre les entreprises
et en rejetant intégralement le recours de celles-ci à l'encontre
de celui-là pour la raison qu'une telle action ne pouvait prospérer
que s'il avait été démontré que le maître
de l'ouvrage, pleinement informé des risques de troubles au voisinage
existants et de leurs conséquences, avait entendu expressément
décharger les constructeurs de toute responsabilité à cet
égard, dispensant par là même le maître de l'ouvrage
de justifier qu'il avait indemnisé les propriétaires voisins victimes
de troubles anormaux de voisinage parce qu'il était tenu non avec les
entreprises mais pour elles à cette indemnisation, la cour d'appel a
violé les articles 1251-3 et 1315 du Code civil ;
7 / qu'en outre, en considérant qu'il appartenait à l'entreprise
de démontrer que le maître de l'ouvrage, pleinement informé
des risques de troubles au voisinage et de leurs conséquences, avait
entendu expressément décharger les constructeurs de toute responsabilité,
retenant ainsi à tort à l'encontre de ces derniers une présomption
de responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage
à raison des dommages que les travaux auraient causés aux voisins,
la cour d'appel a violé les articles 544, 1147, 1382 et suivants ainsi
que 1792 et suivants du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que l'Hôtel George V avait
exécuté le jugement et payé les dédommagements accordés
aux voisins par le Tribunal, et retenu qu'il n'était pas démontré
par les contrats, les correspondances échangées et le rapport
des experts que le maître de l'ouvrage ait été pleinement
informé des risques de troubles au voisinage, ait entendu décharger
les entreprises de leurs responsabilités, et ait prescrit dans ces conditions
la poursuite du chantier, la cour d'appel en a déduit à bon droit,
sans dénaturation, que du fait de la subrogation dont elle était
bénéficiaire dans les droits des victimes, la société
George V était fondée à obtenir la garantie totale des
locateurs d'ouvrage auteurs du trouble, dont la responsabilité vis-à-vis
du maître de l'ouvrage n'exigeait pas la caractérisation d'une
faute ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Publication : Bulletin 2005 III N° 136 p. 124 ; Revue de droit immobilier, 2005-09, n° 5, chroniques, p. 339-342, observations Philippe MALINVAUD. Revue trimestrielle de droit civil, 2005-10, n° 4, chroniques, p. 788-790, observations Patrice JOURDAIN.