Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du jeudi 8 décembre 2016

N° de pourvoi: 15-16929
Non publié au bulletin Rejet


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 18 février 2015), que M. X... et Mme Y... ont signé avec la société Atlanti concept un contrat intitulé « délégation de mission » en vue de la construction d'une maison sur un terrain à acquérir ; qu'ils ont souscrit une offre de prêt auprès de la caisse de Crédit mutuel de Chaillé les Marais (la caisse de Crédit mutuel) ; que M. A..., notaire, a rédigé l'acte de vente du terrain et a authentifié l'acte de prêt ; qu'après avoir procédé à divers appels de fonds, la société Atlanti concept a été placée en redressement puis en liquidation judiciaire ; que, soutenant que le terrain était resté nu, sans réalisation des travaux malgré paiement de factures, M. X... et Mme Y... ont assigné en responsabilité et en indemnisation M. A..., et son assureur, la société Mutuelles du Mans assurances IARD (société MMA), et la caisse de Crédit mutuel ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal de M. A... et de la société MMA, pris en sa deuxième branche, et sur le moyen unique du pourvoi incident de la caisse de Crédit mutuel, pris en ses première et troisième branches, réunis ;

Attendu que M. A..., la société MMA et la caisse de Crédit mutuel font grief à l'arrêt de dire que le contrat présenté par la société Atlanti concept est un contrat de construction de maison individuelle, que M. A... et la caisse de Crédit mutuel ont commis des fautes ayant entraîné un préjudice pour Mme Y... et M. X..., que, dans leurs rapports entre eux, M. A..., garanti par la société MMA, et la caisse de Crédit mutuel sont responsables chacun à hauteur de 50 % du préjudice subi, de les condamner à se garantir dans ces limites et de condamner in solidum M. A... et la caisse de Crédit mutuel à payer une certaine somme à M. X... et Mme Y... en réparation de leur préjudice matériel, alors, selon le moyen :

1°/ que seule la personne qui s'engage contractuellement à exécuter tout ou partie des travaux de construction d'une maison individuelle est tenue de conclure avec le maître de l'ouvrage un contrat conforme aux prévisions des articles L. 231-2 et suivants du code de la construction et de l'habitation ; qu'en jugeant que la prestation de la société Atlanti concept « entrait nécessairement dans le cadre des dispositions de l'article L. 231-1 et L. 231-2 du code de la construction et de l'habitation » dans la mesure où « elle était chargée de la construction de l'immeuble », sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la société Atlanti concept, qui n'était pas contractuellement chargée de la maîtrise d'oeuvre, avait réalisé un quelconque acte de construction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 231-1 et L. 231-2 du code de la construction et de l'habitation ;

2°/ que la convention « de délégation » signée par M. X... et Mme Y... et la société Atlanti concept indique que la société Atlanti concept « aura recours à toutes entreprises de maîtrise d'oeuvre », « n'étant pas chargée de la maîtrise d'oeuvre stricto sensu » (article 5), et veillera à l'établissement d'une déclaration d'ouverture de chantier par le constructeur de maisons individuelles en charge de la construction (article 11) ; qu'elle lui fait obligation de « déposer » ou « transmettre » certains documents aux intervenants, sans mettre à sa charge l'obligation de les établir elle-même (articles 9 et 10) ; qu'aucune clause ne lui impose de construire elle-même tout ou partie de la maison ou d'en réaliser les plans, ni ne l'autorise à encaisser les honoraires d'architecte ; qu'en affirmant qu'à la seule lecture de la convention, il apparaissait que la société Atlanti concept agissait comme constructeur de maison individuelle, la cour d'appel l'a dénaturée et a violé l'article 1134 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant souverainement retenu qu'il résultait du contrat litigieux que la société Atlanti concept, qui avait apporté indirectement le terrain, devait obtenir le permis de construire, établir la notice descriptive du bien immobilier, les factures pour la construction de la maison, les aménagements extérieurs et intérieurs, la fourniture d'eau et d'électricité, transmettre aux organismes et intervenants les documents nécessaires à la réalisation de l'investissement, sélectionner les entreprises, percevoir les honoraires de l'architecte, et encaisser le prix des travaux, et que la clause selon laquelle « Atlanti concept n'était pas chargée de la maîtrise d'oeuvre complète stricto sensu », nécessitait une interprétation, et était contredite par les autres stipulations, la cour d'appel, qui, sans dénaturation et procédant à la recherche prétendument omise, en a exactement déduit que la convention de délégation devait être requalifiée en contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plan, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal de M. A... et de la société MMA, pris en ses première et troisième branches :

Attendu que M. A... et la société MMA font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ que le notaire n'est tenu de conseiller ses clients que dans les limites du mandat qui lui est confié pour la réalisation de l'opération à laquelle il prête son concours ; qu'en jugeant que M. A... aurait dû mettre en garde « Mme Y... et M. X... sur les dangers encourus par la nature juridique de la convention signée [avec la société Atlanti concept] et l'absence de garantie de livraison », quand il résultait de ses propres constatations que « le notaire n'a pas participé à la signature de la convention de délégation », sa mission étant limitée à l'établissement de l'acte d'acquisition du terrain objet de l'opération, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

2°/ que la faute d'un notaire n'est causale que s'il est établi que, sans elle, le préjudice allégué ne se serait pas réalisé ou que la victime aurait eu une chance de l'éviter ; qu'en se bornant à juger que « faute d'être conseillés », les maîtres de l'ouvrage « n'ont pas pu choisir soit de refuser l'opération envisagée, soit de signer un contrat approprié à l'opération envisagée et donc de bénéficier d'une garantie de livraison », en jugeant que M. A... aurait dû mettre en garde « Mme Y... et M. X... sur les dangers encourus par la nature juridique de la convention signée [avec la société Atlanti concept] et l'absence de garantie de livraison », quand il résultait de ses propres constatations que « le notaire n'a pas participé à la signature de la convention de délégation », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;


Mais attendu qu'ayant retenu que M. A..., qui ne contestait pas avoir dressé, pour le compte de la société Atlanti concept, deux cents actes de vente selon le même procédé, ne pouvait ignorer qu'un contrat de construction de maison individuelle aurait dû être souscrit, qu'il avait authentifié l'acte de prêt puis établi l'acte de vente du terrain devant supporter la construction envisagée sans mettre en garde M. X... et Mme Y... sur l'absence de garantie de livraison, et qu'il avait demandé le déblocage de fonds en visant des factures émanant du groupe Atlanti concept, alors que le terrain n'était pas acquis et que l'opération de construction n'avait pas débuté, la cour d'appel qui, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a pu en déduire que M. A... avait engagé sa responsabilité, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident de la caisse de Crédit mutuel, pris en ses deuxième, quatrième et cinquième branches :

Attendu que la caisse de Crédit mutuel fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ que le prêteur de deniers, qui ne peut ni imposer à ses clients le choix d'un contrat, ni s'immiscer dans la convention qu'ils ont conclue pour la réalisation d'une construction immobilière, n'a pas l'obligation de s'interroger sur la véritable nature de cette convention et de la requalifier, s'il y a lieu, en contrat de construction de maison individuelle ; qu'en affirmant que le banquier doit déterminer avec son client le cadre contractuel du projet, que la caisse de Crédit mutuel de Chaillé-les-Marais devait analyser le contrat de « délégation de mission » signé par M. X... et Mme Y... et relever que l'opération entrait dans le cadre du contrat de construction de maison individuelle, et qu'en conséquence, elle avait commis une faute en acceptant de financer cette opération et en débloquant les fonds, la cour d'appel a violé l'article L. 231-10 du code de la construction et de l'habitation, ensemble l'article 1147 du code civil ;

2°/ que le prêteur de deniers ne peut être tenu, au titre de son obligation d'information et de conseil, d'informer l'emprunteur sur les risques de l'opération à financer que s'il est, lui-même, en mesure de déceler ces risques, au moment de l'émission de l'offre, au vu des documents en sa possession ; que c'est donc seulement s'il apparaît de manière claire et évidente que le régime légal du contrat de construction d'une maison individuelle est applicable à cette opération qu'il doit en informer l'emprunteur ; que pour requalifier le contrat intitulé « délégation de mission » et dire qu'il entrait dans le champ d'application du régime légal du contrat de construction de maison individuelle, la cour d'appel a considéré qu'il ne devait pas être tenu compte des clauses de ce contrat qui stipulait expressément que la société Atlanti concept n'était pas chargée de la maîtrise d'oeuvre, elle devait recourir à un constructeur de maison individuelle ou à un maître d'oeuvre avec toutes les garanties y afférentes et procéder à la réception de l'ouvrage et à la consignation des réserves, et d'où résultait qu'elle n'était pas chargée de la construction ; que la cour a même relevé que « ce n'est que par un dévoiement du contrat que la SARL Atlanti concept s'est comportée comme un constructeur » et la banque pouvait se convaincre de sa qualité de constructeur à compter de la réception des factures, soit postérieurement à l'émission des offres de prêt ; que dès lors, en s'abstenant de rechercher si, compte tenu des stipulations de la convention, la caisse de Crédit mutuel n'était pas, au moment de l'émission des offres de prêt, légitimement en droit de croire que la société Atlanti concept n'était pas chargée de construire elle-même la maison, mais devait seulement recourir à un maître d'oeuvre et réceptionner l'ouvrage, et en déduire que le régime du contrat de construction de maison individuelle n'était pas applicable à l'opération, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 1147 du code civil ;

3°/ que le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels ils sont requis de donner la forme authentique ; que la caisse de Crédit mutuel faisait valoir que l'opération, et notamment l'acte de prêt, avaient été conclus avec les conseils et l'assistance de M. A..., notaire, qui n'avait pas appelé l'attention des parties sur le fait que la convention de « délégation » conclue entre M. X... et Mme Y... et la société Atlanti concept entrait dans le champ d'application du régime légal applicable au contrat de construction d'une maison individuelle, et sur les conséquences à en tirer quant à l'absence de garantie de livraison et au déblocage des fonds ; qu'elle indiquait qu'elle avait procédé à ce déblocage, d'abord, à la demande du notaire, et ensuite, au vu de demandes émises conformément à ladite convention de « délégation », dont elle n'avait pas été informé de l'illicéité ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si le notaire n'était pas le mandataire de la banque dans l'acte de prêt et s'il n'avait pas manqué à son obligation de conseil également à son égard, de sorte qu'il devait être condamné à la garantir des condamnations mises à sa charge, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu, d'une part, procédant à la recherche prétendument omise, que la caisse de Crédit mutuel, qui détenait le contrat de délégation, savait que la société Atlanti concept avait apporté le terrain, réalisé les plans et était réglée de ses honoraires, que la notice descriptive était établie sur le modèle propre aux contrats de construction de maison individuelle, que les modalités de paiement révélaient la qualité de sous-traitants des intervenants, d'autre part, que la caisse de Crédit mutuel, qui savait que l'emprunteur n'avait aucune garantie contractuelle, compte tenu du seul contrat de délégation qu'il avait signé, avait accepté de débloquer les deux tiers des fonds dans les jours qui avaient suivi la vente du terrain en paiement de factures qui ne pouvaient correspondre à l'état des travaux engagés, la cour d'appel , qui a pu déduire de ces seuls motifs que la caisse de Crédit mutuel avait commis une faute engageant sa responsabilité envers M. X... et Mme Y..., et qui, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a pu répartir la charge définitive des condamnations entre coobligés dans une proportion qu'elle a souverainement appréciée, a légalement justifié sa décision de ces chefs ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident de la caisse de Crédit mutuel, pris en sa sixième branche, et sur le moyen unique du pourvoi incident de M. X... et de Mme Y..., réunis :

Attendu que M. X..., Mme Y... et la caisse de Crédit mutuel font grief à l'arrêt de fixer à une certaine somme le préjudice matériel subi, après déduction du bénéfice résultant de la vente du terrain, et de condamner in solidum M. A... et la caisse de Crédit mutuel à payer cette somme, alors, selon le moyen :

1°/ qu'un manquement du prêteur de deniers à son obligation d'informer l'emprunteur, lorsqu'il apparaît que l'opération à financer entre dans le champ du régime légal du contrat de construction de maison individuelle, sur les risques liés à la non souscription, par son cocontractant, d'une garantie de livraison, ne peut consister qu'en une perte de chance de ne pas réaliser cette opération ou de la réaliser à de meilleures conditions ; qu'en affirmant que M. X... et Mme Y... pouvaient prétendre à l'indemnisation de l'intégralité du préjudice résultant pour eux du non achèvement de la construction et de l'absence de garantie de livraison susceptible d'en compenser les effets, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

2°/ que l'auteur d'un dommage doit en réparer toutes les conséquences sans que la victime soit tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ; qu'en déduisant du montant du préjudice subi par M. X... et Mme Y... le montant de la plus-value réalisée par cette dernière lors de la revente du terrain, pour limiter la réparation due par le notaire et la banque à un montant inférieur à celui du préjudice matériel dont elle avait constaté l'existence, cependant que cette plus-value ne pouvait être prise en considération sauf à considérer que la victime était tenue de limiter son préjudice, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale ensemble l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu que, s'ils avaient reçu les conseils appropriés, M. X... et Mme Y... auraient pu, soit renoncer à souscrire le prêt, soit régulariser un contrat de construction de maison individuelle avec garantie de livraison, la cour d'appel a exactement déduit de ces seuls motifs que leur préjudice matériel, dont elle a souverainement évalué le montant, avait un caractère certain ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;