Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mercredi 1 décembre 2010

N° de pourvoi: 09-13303
Publié au bulletin Rejet

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses cinq branches :

Attendu que les époux X..., de nationalité américaine et vivant aux Etats-Unis, ont demandé en France, l'exequatur d'une décision rendue le 26 février 2003 par la Cour suprême de Californie (comté de Alameda) ayant condamné la société française Fountaine Pajot, à leur verser une somme de 3 253 734,45 USD, se décomposant en 1 391 650,12 USD, pour la remise en état du bateau fabriqué par la société française qu'ils avaient acheté 826 009 USD, 402 084,33 USD pour les frais d'avocats et 1 460 000 USD, à titre de dommages-intérêts punitifs ;

Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt attaqué (Poitiers, 26 février 2009), rendu sur renvoi après cassation (Civ. 1re, 22 mai 2007, pourvoi n° 05-20.473) d'avoir dit que la décision contrevenait à l'ordre public international de fond et de les avoir déboutés de leur demande en exequatur, alors, selon le moyen :

1°/ qu'une décision étrangère condamnant une partie à paiement de dommages-intérêts punitifs n'est pas, par principe, contraire à l'ordre public international de fond ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 3 et 15 du code civil, 509 du code de procédure civile et les principes régissant la procédure d'exequatur ;

2°/ que la cour d'appel a expressément relevé que le choix de la loi californienne désigné au contrat n'est pas frauduleux et s'impose à M. et Mme X... et à la société Fountaine Pajot ; qu'en se fondant, pour dire que la décision de la Superior Court of California - County of Alameda du 26 février 2003 contrevient à l'ordre public international de fond, sur les termes de l'article 74 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé, par refus d'application, les articles 3 et 15 du code civil, 509 du code de procédure civile et les principes régissant la procédure d'exequatur, et, par fausse application, l'article 74 de la Convention de Vienne ;

Section II
Dommages-intérêts
Art. 74
Les dommages-intérêts pour une contravention au contrat commise par une partie sont égaux à la perte subie et au gain manqué par l’autre partie par suite de la contravention. Ces dommages-intérêts ne peuvent être supérieurs à la perte subie et au gain manqué que la partie en défaut avait prévus ou aurait dû prévoir au moment de la conclusion du contrat, en considérant les faits dont elle avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance, comme étant des conséquences possibles de la contravention au contrat.

3°/ qu'en toute hypothèse, la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises n'est pas applicable aux ventes de marchandises achetées pour un usage personnel ou familial ni à la vente de bateaux ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que M. et Mme X... ont acheté un catamaran pour un usage privé et familial ; qu'en se fondant sur la Convention de Vienne pour dire que la décision de la Superior Court of California - County of Alameda du 26 février 2003 contrevient à l'ordre public international de fond, la cour d'appel a violé par fausse application les articles 25 et 74 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises ;

4°/ que le contrôle de la conformité de la décision étrangère à l'ordre public international est exclusif de sa révision au fond ; qu'en se fondant sur le droit commun français de la responsabilité civile et du droit des contrats pour dire que la décision de la Superior Court of California - County of Alameda du 26 février 2003 contrevient à l'ordre public international de fond, la cour d'appel a violé les articles 3 et 15 du code civil, 509 du code de procédure civile et les principes régissant la procédure d'exequatur ;

5°/ qu'en affirmant qu'une indemnité, allouée par une décision étrangère à l'acheteur d'un bateau, dépassant largement son prix d'achat, est disproportionnée en ce qu'elle lui procure un enrichissement sans cause sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée (conclusions récapitulatives d'appel signifiées le 16 décembre 2008, p.18 et s.), si, compte tenu de l'impossibilité absolue pour M. et Mme X... d'utiliser un bateau acquis dix ans auparavant moyennant un prix versé en totalité de 690.000 $, du comportement dolosif de la société Fountaine Pajot, vendeur et fabricant du bateau, qui leur a dissimulé les avaries l'affectant, faisant courir aux acheteurs et à leurs enfants des risques pour leur vie évidents, a été définitivement condamnée pour cela et s'est abstenue de faire exécuter toute réparation, la condamnation du vendeur à paiement d'une indemnité dépassant le prix du navire n'était finalement pas justifiée et partant proportionnée, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 3 et 15 du code civil, 509 du code de procédure civile et des principes régissant la procédure d'exequatur ;

Mais attendu que
si le principe d'une condamnation à des dommages-intérêts punitifs, n'est pas, en soi, contraire à l'ordre public,
il en est autrement lorsque le montant alloué est disproportionné au regard du préjudice subi et des manquements aux obligations contractuelles du débiteur
;
qu'en l'espèce, l'arrêt relève que la décision étrangère a accordé à l'acquéreur, en plus du remboursement du prix du bateau et du montant des réparations, une indemnité qui dépasse très largement cette somme ; que la cour d'appel a pu en déduire que le montant des dommages-intérêts était manifestement disproportionné au regard du préjudice subi et du manquement aux obligations contractuelles de sorte que le jugement étranger ne pouvait être reconnu en France ; que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi éventuel :

REJETTE le pourvoi principal ;

Condamne les époux X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier décembre deux mille dix.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard, avocat aux Conseils, pour les époux X... , demandeurs au pourvoi principal

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la décision de la Superior Court of California- County of Alameda du 26 février 2003 contrevient à l'ordre public international de fond et d'AVOIR débouté Monsieur Peter X... et Madame Julie Y... épouse X... de leur demande en exequatur de la décision rendue le février 2003 par la Superior Court of California - County of Alameda condamnant la Société Fountaine Pajot à leur verser la somme de 3.253.734, 45 USD plus les intérêts de 381, 01 USD par jour à compter du 10 février 2003 ;

AUX MOTIFS QUE les intimés opposent à bon droit la contrariété à l'ordre public international d'une telle décision qui, statuant dans un litige né d'une vente internationale à raison des défauts présentés par le bien vendu, condamne le fabricant du navire à payer aux propriétaires de celui-ci, en sus de dommages-intérêts compensatoires en réparation de leur entier préjudice comprenant notamment les réparations de remise en état du navire et leurs honoraires d'avocats, des dommages-intérêts punitifs sanctionnant le fait pour le fabricant d'avoir vendu un navire sans avoir déclaré aux acquéreurs qu'il avait été endommagé et avait fait l'objet de réparations ; qu'au surplus, comme le font valoir les intimés, la cour observe que le montant de ces derniers, calculé comme il a été énoncé, est manifestement disproportionné pour être très largement supérieur, d'une part, au prix de vente, d'autre part, au montant même des dommages-intérêts compensatoires alloués au titre de la réparation de l'entier préjudice subi ; qu'en effet, en premier lieu, aux termes de l'article 74 de la Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980 applicable en la cause, si est retenue la thèse des époux X... selon laquelle la vente est intervenue entre eux et la Société Fountaine Pajot «les dommages-intérêts pour une contravention au contrat commise par une partie sont égaux à la perte subie et au gain manqué par l'autre partie par suite de la contravention. Ces dommages-intérêts ne peuvent être supérieurs à la perte subie et au gain manqué que la partie en défaut avait prévu ou aurait dû prévoir au moment de la conclusion du contrat, en considérant les faits dont elle avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance, comme étant des conséquences possibles de la contravention au contrat» ; qu'en l'espèce, les dommages-intérêts punitifs prononcés dépassent la perte subie ou le gain manqué ainsi définis ; qu'en second lieu, en droit français, le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommages et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ; qu'à cet égard, le montant de l'indemnité ne peut être déterminé par l'importance de la faute, pas plus que par la situation financière de l'auteur du dommage ; qu'enfin, une décision étrangère qui accorde à un acquéreur les sommes nécessaires à la réparation des défauts du navire qu'il a acheté, qui compense les diverses sources de préjudices subis à raison de ces défauts et de l'instance qui a été nécessaire pour en obtenir réparation, et qui, en sus, alloue, à titre de sanction, une indemnité qui dépasse largement le prix du navire objet de la vente, permet à cette victime de s'enrichir d'une manière telle que cet enrichissement est dépourvu de cause et que la partie qui supporte une telle sanction civile peut justement faire valoir qu'est atteint le principe de proportionnalité des délits et peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; que si les époux X... font exactement valoir que la Société Fountaine Pajot connaissait le risque de subir une telle sanction aux Etats-Unis d'Amérique, puisque la prise en charge des dommages punitifs prononcés aux USA était expressément exclue des risques garantis par la police de responsabilité civile qu'elle avait souscrite auprès de la Société Allianz, ce qui n'avait pu qu'attirer son attention sur le droit local prévoyant une telle mesure, il n'en demeure pas moins que le principe ou le montant d'une telle sanction dépassant la réparation du préjudice subi, n'était pas accepté contractuellement ; qu'il y a lieu de confirmer le jugement qui a refusé l'exequatur d'une telle décision ; que le sens de la présente décision dispense la cour de se prononcer sur la demande de garantie présentée par la Société Fountaine Pajot et la demande portant sur les intérêts de la condamnation prononcée par la décision présentée à l'exequatur ;

ALORS QUE, D'UNE PART, une décision étrangère condamnant une partie à paiement de dommages-intérêts punitifs n'est pas, par principe, contraire à l'ordre public international de fond ; qu'en jugeant le contraire, la Cour d'appel a violé les articles 3 et 15 du code civil, 509 du code de procédure civile et les principes régissant la procédure d'exequatur ;

ALORS QUE, D'AUTRE PART, la Cour d'appel a expressément relevé que le choix de la loi californienne désigné au contrat n'est pas frauduleux et s'impose à Monsieur et Madame X... et à la Société Fountaine Pajot ; qu'en se fondant, pour dire que la décision de la Superior Court of California - County of Alameda du 26 février 2003 contrevient à l'ordre public international de fond, sur les termes de l'article 74 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises, la Cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé, par refus d'application, les articles 3 et 15 du code civil, 509 du code de procédure civile et les principes régissant la procédure d'exequatur, et, par fausse application, l'article 74 de la Convention de Vienne ;

ALORS QUE, DE TROISIEME PART, en toute hypothèse, la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises n'est pas applicable aux ventes de marchandises achetées pour un usage personnel ou familial ni à la vente de bateaux ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que Monsieur et Madame X... ont acheté un catamaran pour un usage privé et familial ; qu'en se fondant sur la Convention de Vienne pour dire que la décision de la Superior Court of California - County of Alameda du 26 février 2003 contrevient à l'ordre public international de fond, la Cour d'appel a violé par fausse application les articles 25 et 74 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises ;

ALORS QUE, DE QUATRIEME PART, le contrôle de la conformité de la décision étrangère à l'ordre public international est exclusif de sa révision au fond ; qu'en se fondant sur le droit commun français de la responsabilité civile et du droit des contrats pour dire que la décision de la Superior Court of California - County of Alameda du 26 février 2003 contrevient à l'ordre public international de fond, la Cour d'appel a violé les articles 3 et 15 du code civil, 509 du code de procédure civile et les principes régissant la procédure d'exequatur ;

ALORS, ENFIN, QU'en affirmant qu'une indemnité, allouée par une décision étrangère à l'acheteur d'un bateau, dépassant largement son prix d'achat, est disproportionnée en ce qu'elle lui procure un enrichissement sans cause sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée (conclusions récapitulatives d'appel signifiées le 16 décembre 2008, p.18 et s.), si, compte tenu de l'impossibilité absolue pour Monsieur et Madame X... d'utiliser un bateau acquis dix ans auparavant moyennant un prix versé en totalité de 690.000 $, du comportement dolosif de la Société Fountaine Pajot, vendeur et fabricant du bateau, qui leur a dissimulé les avaries l'affectant, faisant courir aux acheteurs et à leurs enfants des risques pour leur vie évidents, a été définitivement condamné pour cela et s'est abstenue de faire exécuter toute réparation, la condamnation du vendeur à paiement d'une indemnité dépassant le prix du navire n'était finalement pas justifiée et partant proportionnée, la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 3 et 15 du code civil, 509 du code de procédure civile et des principes régissant la procédure d'exequatur.

Moyen produit par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat de la société AGF-IART, devenue la société Allianz IARD, demanderesse au pourvoi incident éventuel

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le litige opposant le fabricant du catamaran, la société Fountaine Pajot, aux sous-acquéreurs du navire, les époux X..., se rattachait à l'Etat de Californie de manière caractérisée ;

Aux motifs que les demandeurs à l'action ont leur domicile en Californie et la nationalité américaine; qu'ils ont attrait devant le juge de son propre domicile, lieu de son activité, la société de droit américain CRUISING CATS et son animateur ou représentant, M. Rob Z..., dont ils étaient fondés à croire qu'il n'avait agi qu'en qualité d'agent de la société FOUTAINE PAJOT, simple intermédiaire ayant pris la commande pour le compte du fabricant ; qu'à cet égard, le contrat de vente signé le 14 juillet 1999 en Californie par les acquéreurs énonce des obligations pesant sur le fabricant au bénéfice direct des acquéreurs, notamment la fourniture d'un dessin professionnel de l'aménagement dans la semaine suivant la réception par lui du contrat de vente ; que les acquéreurs ont eu des rapports directs avec le fabricant comme le démontre la pièce intitulé «order notification» datée du 8 juin 0999 du siège de la société FOUTAINE PAJOT et adressée à «Peter & Julie» leurs prénoms ; qu'il ressort d'ailleurs notamment de la pièce intitulée «1999 Marquises 56 Options list» du 28 juin 1999 que le catamaran était construit sur mesure pour les époux X... et que ceux-ci ont entendu choisir des options dont le prix était négocié par eux avec le chantier, l'agent se bornant à transmettre les offres ; qu'il a d'ailleurs été convenu d'une remise sur le prix en contrepartie de l'engagement des acquéreurs de rendre le violier disponible pour le salon nautique de Miami en février 2000 ; qu'enfin ,les parties au contrat ont entendu expressément soumettre celui-ci au droit de l'Etat de Californie et la convention jointe au contrat, intitulée «Limited Warranty» qui définit l'étendue de la garantie et en organise les conditions de mise en oeuvre, attribue compétence aux tribunaux de l'Etat de Californie ;

Alors qu'en vertu d'une règle matérielle du droit international privé français, l'insertion d'une clause attributive de juridiction dans un contrat international fait partie de l'économie de la convention et s'impose tant aux parties qu'à leurs ayants cause ; qu'ainsi que le faisait valoir la société AGF IART, en l'espèce, le contrat du 23 novembre 1999 conclu entre la société Fountaine Pajot et son revendeur américain, la société Cruising Cats, comportait une clause attributive de juridiction au profit du tribunal de commerce de La Rochelle (France), clause dont la société Fountaine Pajot s'était prévalue expressément ; qu'en se dispensant de rechercher, comme l'y invitait pourtant la société AGF IART, si cette clause, opposable aux époux X..., sous-acquéreurs du catamaran fabriqué par la société Fountaine Pajot et vendu par celle-ci à la société Cruising Cats, n'avait pas eu pour effet de conférer compétence exclusive au juge français pour connaître du litige les opposant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil