MAIS
Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 5 octobre 2010
N° de pourvoi: 10-81743
Non publié au bulletin Rejet
Statuant sur les pourvois formés par :- M. Christophe X...,
agissant tant à titre personnel qu'en qualité de représentant
légal de sa fille Capucine X... ,
- Mme Laurence X... ,
- Mme Marie-Rose Y..., parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle,
en date du 8 janvier 2010, qui, dans la procédure suivie contre
Mme Michèle Z..., épouse A..., pour homicide involontaire,
a prononcé sur les intérêts civils ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation du premier
alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, des articles
1382 du code civil, 464, 591 et 593 du code de procédure pénale
;
"en ce que l'arrêt attaqué a refusé l'indemnisation
d'un quelconque préjudice de survie qui aurait été
transmis par M. X... à ses héritiers ;
"aux motifs que le tribunal a considéré, comme
le demandait les consorts X..., que M. X..., décédé
à l'âge de 57 ans, a perdu une chance de voir sa vie prolongée
conformément à l'espérance de vie d'une personne
de son âge ; que Mme A... et le Gan contestent que M. X..., qui
est resté dans le coma jusqu'à son décès,
ait pu avoir conscience de son état et du préjudice évoqué
par ses ayants droit ; que, selon eux, il s'agit donc d'un préjudice
hypothétique qui ne peut être indemnisé ; que les
consorts X... maintiennent que le fait que M. X... se soit trouvé
dans un état végétatif ne permet pas d'exclure
toute conscience de sa part ; qu'ils concluent à la confirmation
du jugement qui a admis le principe de leur demande, mais qu'ils sollicitent
une indemnité de 150 000 euros ; que seul est indemnisable un
préjudice certain, en relation directe avec le fait dommageable,
et c'est au demandeur de rapporter la preuve de l'existence qu'il entend
réparer ; que M. X... est décédé quinze
jours après l'accident, sans avoir jamais repris connaissance
; que les consorts X... n'apportent aucun élément médical
permettant de retenir qu'à un moment quelconque de cette période
il aurait été en mesure de prendre conscience d'une perte
de chance de survie ; que le préjudice allégué
n'est donc pas démontré ; qu'aucun droit à réparation
n'a donc pu entrer dans son patrimoine avant son décès
et être transmis à ses héritiers ;
"1) alors que l'auteur d'un délit ou d'un quasi-délit
est tenu à la réparation intégrale du préjudice
qu'il a causé ; que l'état d'inconscience d'une personne
humaine n'excluant aucun chef d'indemnisation, son préjudice
doit être réparé dans tous ses éléments
; qu'il s'en déduit que le préjudice causé par
la perte de l'espérance de vie qui peut être objectivement
apprécié en fonction de l'âge de la victime, voire
de la période pendant laquelle elle a subi un tel préjudice
jusqu'à son décès, doit être indemnisée,
que la victime ait été immédiatement inconsciente
après l'accident ou pas ; que, dès lors, la cour d'appel,
qui considère que la victime de l'accident étant dans
un état d'inconscience pendant quinze jours avant de décéder,
n'avait pu ressentir de souffrance résultant de la perte de toute
espérance de vie, ce qui excluait par là même la
possibilité de reconnaître un quelconque préjudice
en rapport avec cette perte, a violé les articles 1382 du code
civil et 464 du code de procédure pénale ;
"2) alors que toute personne doit être considérée
comme susceptible de comprendre les événements la concernant,
sauf à établir qu'elle était dans un état
d'inconscience tel qu'elle ne pouvait avoir aucune conscience d'elle-même
et de son avenir ; qu'en l'espèce, en considérant que
les parents de la victime n'apportaient pas la preuve de l'existence,
chez la victime immédiate de l'accident, d'une certaine conscience
de la perte de chance de survie, la cour d'appel a inversé la
charge de preuve, dès lors que le respect de la dignité
de toute personne impose de considérer qu'elle est consciente
jusqu'à ce que la preuve contraire soit apportée ;
"3) alors que, en l'absence de constatation d'un coma dépassé
permettant d'exclure toute forme de conscience, la cour d'appel ne pouvait
exclure que le patient avait eu, avant de décéder, une
certaine conscience de la situation et du fait qu'il allait mourir"
;
Attendu que, statuant sur les conséquences dommageables de l'accident
de la circulation dont Mme A..., reconnue coupable d'homicide involontaire
sur la personne de M. X..., a été déclarée
tenue à réparation, la juridiction du second degré
était saisie par les ayants droit de la victime, constitués
parties civiles, d'une demande d'indemnisation du préjudice
moral ressenti par M. X... au cours de la quinzaine de jours écoulée
entre l'accident et son décès, lié à la
douleur éprouvée en raison de la perte de son espérance
de vie ;
Attendu que, pour écarter cette demande, l'arrêt
relève que, très gravement blessé à la tête,
M. X... a présenté un coma dont il n'est jamais sorti
et qu'il est décédé quinze jours après l'accident
sans avoir jamais repris connaissance ; que les juges d'appel
énoncent que ses ayants droit n'apportent aucun élément
médical de nature à établir qu'à un moment
quelconque au cours de cette période, M. X... aurait été
en mesure de prendre conscience "d'une perte de chance de survie"
; qu'ils en déduisent que le préjudice allégué
par ses ayants droit n'est pas démontré ;
Attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs procédant de son
appréciation souveraine, la cour d'appel, qui n'a pas inversé
la charge de la preuve, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté
;
...
REJETTE les pourvois ;
PAS DE CONSCIENCE DU DOMMAGE
Cour de cassation
chambre civile 2
Audience publique du jeudi 22 novembre 2012
N° de pourvoi: 11-21031
Publié au bulletin Rejet
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 mai 2011), que
R... X..., épouse Y... a subi en avril 1984 une opération
de chirurgie cardiaque au cours de laquelle elle a reçu des transfusions
de produits sanguins ; qu'à la fin de l'année 1991, des
examens ont révélé qu'elle avait été
contaminée par le virus d'immunodéficience humaine (VIH)
et par le virus de l'hépatite C ; que R... Y..., qui a subi 146
hospitalisations depuis 1984, est décédée le 2
janvier 2009 des suites d'une fibrose pulmonaire, en ayant été
maintenue durant 25 ans dans l'ignorance de la nature exacte de sa pathologie
par sa famille, qui avait même présenté à
son insu le 10 octobre 1992 une demande d'indemnisation au Fonds d'indemnisation
des transfusés et hémophiles contaminés par le
VIH ; que le 21 janvier 2009, les ayants droit de R... Y..., M. Y...
et les quatre enfants issus de leur union, les consorts Y..., exerçant
l'action successorale, ont sollicité auprès de l'Office
national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) l'indemnisation
du préjudice spécifique de contamination de la défunte
; que l'ONIAM ayant rejeté cette demande, les consorts Y... ont
formé un recours devant la cour d'appel ;
Attendu que les consorts Y... font grief à l'arrêt de
les débouter de leur demande, alors, selon le moyen :
1°/ que le préjudice spécifique de contamination
comprend l'ensemble des préjudices de caractère personnel
tant physiques que psychiques résultant de la contamination,
notamment des perturbations et craintes éprouvées, concernant
l'espérance de vie et la crainte des souffrances ; qu'il comprend
aussi le risque de toutes les affections opportunistes consécutives
à la contamination, les perturbations de la vie sociale, familiale
et sexuelle et les dommages esthétique et d'agrément générés
par les traitements et soins subis ; que les différentes composantes
de ce préjudice sont supportées par la victime que celle-ci
ait connaissance ou non de l'appellation exacte de la contamination
qu'elle a subi ; qu'en refusant aux ayants droit de R... Y... la réparation
d'un préjudice lié à sa contamination par le VIH
par cela seul que celle-ci, qui avait pourtant pendant vingt cinq ans
supporté toutes les conséquences physiques et psychiques
liées à sa contamination ayant entraîné pas
moins de 146 hospitalisations, aurait été laissée
dans l'ignorance de la nature exacte de sa pathologie, la cour d'appel
a violé l'article 1382 du code civil ;
2°/ qu'en toute hypothèse, la cour d'appel a reconnu elle-même
que le préjudice spécifique de contamination comportait
à tout le moins une dimension liée à la spécificité
des atteintes d'ordre physique et psychique engendrées par la
contamination, indépendamment de la connaissance par la victime
de la nature exacte de sa pathologie ; qu'en refusant cependant de réparer
ces éléments dont elle a reconnu l'existence, la cour
d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de
ses constatations et violé l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que l'époux et les
enfants de R... Y... ont fait le choix de ne pas informer celle-ci de
la nature exacte de la pathologie dont elle a souffert pendant vingt
cinq ans ; que le préjudice spécifique
de contamination est un préjudice exceptionnel extra-patrimonial
qui est caractérisé par l'ensemble des préjudices
tant physiques que psychiques résultant notamment de la réduction
de l'espérance de vie, des perturbations de la vie sociale, familiale
et sexuelle ainsi que des souffrances et de leur crainte, du préjudice
esthétique et d'agrément ainsi que de toutes les affections
opportunes consécutives à la déclaration de la
maladie ; que le caractère exceptionnel de ce préjudice
est intrinsèquement associé à la prise de conscience
des effets spécifiques de la contamination ;
Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, a
exactement déduit que R... Y..., tenue dans l'ignorance de sa
contamination par le VIH et par le virus de l'hépatite C, n'avait
pu subir de préjudice spécifique de contamination ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;
Publication : Bulletin 2012, II, n° 191