Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mardi 13 juillet 2010

N° de pourvoi: 09-67516
Publié au bulletin Rejet

Sur le moyen unique :

Attendu selon l'arrêt attaqué (Pau, 30 avril 2009), que la société Compagnie écossaise Saint-André (la Compagnie écossaise) est titulaire d'un bail commercial qui lui a été consenti le 8 décembre 2000 par la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricole du Sud Ouest (CRAMA) ; qu'au titre de la clause de destination des lieux loués le contrat stipulait que " les lieux ci-dessus désignés sont loués à usage exclusif de commerce ayant un rapport avec la vente : vente de produits d'habillement, accessoires, produits alimentaires, art décoratif, librairie, salon de thé, petite restauration, le preneur s'y interdit d'exercer toute activité ayant un rapport quelconque avec les assurances et la restauration et de toute activité pouvant faire concurrence aux commerçants en place dans notre immeuble " ; qu'un local voisin situé dans le même immeuble a été donné à bail commercial par la CRAMA le 6 mars 2003 à M. Z..., lequel a cédé son bail le 17 avril 2008 à M. Y... pour y exercer " une activité d'artisant glacier exclusivement " ; que l'acte de cession reprenait la clause de destination figurant au bail du 6 mars 2003 stipulant que " les locaux faisant l'objet du présent bail devront exclusivement être destinés à l'exercice de tous commerce, à l'exception de ceux bruyants et malodorants, ainsi que ceux existant déjà au sein de l'immeuble... " ; que M. Y... a ouvert un fonds de commerce exploité sous la forme de la société à responsabilité limitée Y... (la SARL), dont l'objet social était l'activité de glacier, ainsi que toute activité s'y rapportant à emporter ou à consommer sur place ; qu'estimant que la SARL lui faisait au mépris de ses engagements une concurrence directe, la Compagnie écossaise, qui exploite dans les lieux loués une activité de salon de thé, petite restauration à consommer sur place et vente de produits alimentaires, l'a assignée, ainsi que M. Y..., pour obtenir la fermeture de son fonds de commerce et des dommages-intérêts en réparation de son préjudice ;

Attendu que M. Y... et la SARL font grief à l'arrêt de dire que seule peut-être exercée dans les lieux loués l'activité d'artisan glacier, de leur interdire d'exercer toute activité concurrentielle à celle de la Compagnie écossaise et de les condamner à payer à celle-ci une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1° / que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; qu'en retenant, pour condamner M. Y... et la société Y..., qu'ils " ne respectaient pas la clause de non concurrence insérée dans l'acte de cession du droit du bail ", dont la société Compagnie écossaise Saint-André, tiers à cette convention, n'était pas en droit de se prévaloir, la cour d'appel a violé l'article 1165 du code civil ;

2° / que le fait d'exercer une activité similaire à celle de son voisin n'est pas fautif ; qu'en se bornant à retenir, pour condamner M. Y... et la société Y..., qu'ils ne respectaient pas les obligations contractées à l'égard de leur bailleur dans un contrat auquel la société Compagnie écossaise Saint-André était étrangère, sans indiquer en quoi le comportement de M. Y... et de la société Y... pouvait constituer une faute à l'égard de la société Compagnie écossaise Saint-André, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, ensemble le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;

3° / que subsidiairement la clause de non concurrence litigieuse interdisait " tous commerces existant déjà au sein de l'immeuble " ; qu'il en résulte que la cour d'appel devait se prononcer au regard des " commerces " exploités et non au regard des " activités " exercées ; qu'un commerce de " salon de thé " n'est pas concurrent d'un commerce de " glacier ", quand bien même ils auraient certaines activités en commun ; qu'en se déterminant au regard des activités exercées et non, ainsi que le commandait la clause, au regard des " commerces ", la cour d'appel a dénaturé la clause et violé l'article 1134 du code civil ;

4° / que, subsidiairement encore, en ne recherchant pas si l'activité de vente de boissons n'était pas, selon les usages de la profession et du commerce, le corollaire nécessaire de la vente de glaces, de sorte qu'autorisés à exercer une activité de glacier, M. Y... et la société Y... l'étaient aussi à vendre des boissons, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;

5° / que le caractère d'ordre public des règles applicables à la déspécialisation ne permet pas de fonder une opposition à leur mise en oeuvre sur le fondement d'une clause d'exclusivité ; qu'en ne recherchant pas si en autorisant l'activité de glacier, le bailleur n'avait pas également accordé l'autorisation de commercialiser des boisssons non alcoolisées, ce dont il résultait la déspécialisation partielle du bail à laquelle la société Compagnie écossaise Saint-André ne pouvait s'opposer, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 145-47 du code de commerce ;

Mais attendu que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ;
qu'ayant retenu, sans dénaturation, que la clause stipulée à l'acte de cession du 17 avril 2008 avait pour but d'interdire au deuxième locataire d'exercer en même temps que le premier locataire déjà installé dans l'immeuble la même activité que celui-ci et ayant relevé que l'activité de la société Y... n'était pas limitée à la production et à la vente de glace mais qu'elle portait également sur la vente de pâtisseries, gaufres, petits déjeuners, café et autres boissons le tout dans un " salon de dégustation ", qu'il ne s'agissait pas d'une activité marginale et que cette activité, exercée au mépris de la clause de non-concurrence insérée dans l'acte de cession du droit au bail, était directement concurrente de celle de la société Compagnie écossaise, la cour d'appel qui, sans être tenue de procéder à des recherches qui ne lui avaient pas été demandées, a ainsi caractérisé le dommage causé par les manquements de la société Y... et de M. Y... à la Compagnie écossaise installée dans le même immeuble, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;