Conseil d'Etat
statuant au contentieux

N° 160787
Inédit au recueil Lebon
6 / 2 SSR
lecture du vendredi 21 février 1997

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi susvisée du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement :
"Sont soumis aux dispositions de la présente loi les usines, ateliers, dépôts, chantiers et d'une manière générale les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité ou la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature et de l'environnement, soit pour la conservation des sites et des monuments ( ...)" ; qu'aux termes de l'article 23 de la même loi : "Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées et lorsqu'un inspecteur des installations classées a constaté l'inobservation des conditions imposées à l'exploitant d'une installation classée, le préfet met en demeure ce dernier de satisfaire à ces conditions dans un délai déterminé. Si, à l'expiration du délai fixé pour l'exécution, l'exploitant n'a pas obtempéré à cette injonction, le préfet peut : - Soit faire procéder d'office, aux frais de l'exploitant, à l'exécution des mesures prescrites ; - Soit obliger l'exploitant à consigner entre les mains d'un comptable public une somme répondant du montant des travaux à réaliser ( ...), ; - Soit suspendre par arrêté ( ...) le fonctionnement de l'installation, jusqu'à exécution des conditions imposées" ;
qu'aux termes de l'article 34 du décret du 21 septembre 1977 susvisé, pris pour l'application de la loi du 19 juillet 1976 précitée : "Lorsqu'une installation autorisée ou déclarée change d'exploitant, le nouvel exploitant ou son représentant doit en faire la déclaration au préfet dans le mois qui suit la prise en charge de l'exploitation ( ...).. Lorsqu'une installation cesse l'activité au titre de laquelle elle était autorisée ou déclarée, son exploitant doit en informer le préfet dans le mois qui suit cette cessation ; ( ...) l'exploitant doit remettre le site de l'installation dans un état tel qu'il ne s'y manifeste aucun des dangers ou inconvénients mentionnés à l'article 1er de la loi du 19 juillet 1976. A défaut, il peut être fait application des procédures prévues par l'article 23 de cette loi" ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société anonyme Wattelez a obtenu, les 26 juin 1939 et 5 mai 1976, des autorisations pour exploiter une usine de régénération de caoutchouc sur le site de "Puy Mouliniez" à Saint-Palais-sur-Vienne ; que le 30 mars 1989, ladite société a cédé à la société EURECA son fonds de commerce, comprenant notamment le stock de matières premières et de marchandises existant, et a conclu avec la société EURECA un bail portant sur la totalité des immeubles afin de lui permettre d'exploiter l'usine ; que la société EURECA s'est substituée à compter du 30 mars 1989, à la société anonyme Wattelez en qualité d'exploitant de l'usine de "Puy Mouliniez" ; que les risques de nuisance que présentaient ses déchets entreposés dans ladite usine doivent être regardés comme se rattachant à l'activité de la société EURECA ;

Considérant que ni le dépôt de bilan et la mise en liquidation de biens de la Société EURECA, en février 1991, ni aucune circonstance de droit ou de fait, n'ont eu pour effet de substituer la société anonyme Wattelez à la société EURECA en qualité d'exploitant, des dépôts de matières toxiques constitués sur le site de l'usine, au sens des dispositions précitées de la loi du 19 juillet 1976 ;
que la société anonyme Wattelez ne pouvait, en sa seule qualité de propriétaire des terrains et installations, faire l'objet de mesures prévues à l'article 23 de la loi du 19 juillet 1976 ;
que dès lors, le préfet de la Haute-Vienne ne pouvait légalement, par ses arrêtés du 17 janvier 1992 et du 5 août 1992, mettre en demeure la société anonyme Wattelez de faire évacuer les déchets de caoutchouc et de vieux pneumatiques entreposés dans l'enceinte de l'usine qui comportaient des risques de nuisances, et lui demander de prendre diverses mesures conservatoires, ni ordonner, par arrêté du 2 octobre 1992, la consignation entre les mains du comptable public par cette société d'une somme destinée à permettre l'exécution des travaux prescrits ; que par suite la décision du trésorier payeur général de la Haute-Vienne du 5 janvier 1993 émettant un titre de perception de cette somme à l'encontre de la société anonyme Wattelez est privée de base légale ;

Considérant qu'en relevant que les risques de nuisances que présentaient les déchets entreposés dans l'usine de "Puy Mouliniez" devaient être regardés comme se rattachant directement à l'activité de la société EURECA, la cour administrative d'appel n'a pas dénaturé les faits de l'espèce ;
Considérant que de ce qui précède il résulte que le ministre de l'environnement n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal administratif de Limoges en date du 25 mai 1994 et les décisions du préfet de la Haute-Vienne en date des 17 janvier 1992, 6 mars 1992, 5 août 1992, 14 septembre 1992, 2 octobre 1992 et 3 décembre 1992 et le titre de perception du 5 janvier 1993 ;

Article 1er : Le recours du ministre de l'environnement est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Société anonyme Wattelez et au ministre de l'environnement.

Conseil d'État

N° 328651
Mentionné dans les tables du recueil Lebon

lecture du mardi 26 juillet 2011

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 1er de la directive 2006/12/CE du 5 avril 2006 relative aux déchets : " Aux fins de la présente directive, on entend par : / (...) b) producteur : toute personne dont l'activité a produit des déchets ("producteur initial") et / ou toute personne qui a effectué des opérations de prétraitement, de mélange ou autres conduisant à un changement de nature ou de composition de ces déchets ; / c) détenteur : le producteur des déchets ou la personne physique ou morale qui a les déchets en sa possession (...) " ; qu'aux termes de l'article 8 de cette directive : " Les Etats membres prennent les dispositions nécessaires pour que tout détenteur de déchets : / a) les remette à un ramasseur privé ou public ou à une entreprise qui effectue les opérations visées aux annexes II A ou II B ou / b) en assure lui-même la valorisation ou l'élimination en se conformant aux dispositions de la présente directive (...) " ; que, suivant l'article 15 de la même directive : " Conformément au principe du "pollueur-payeur", le coût de l'élimination des déchets doit être supporté par : / a) le détenteur qui remet des déchets à un ramasseur ou à une entreprise visée à l'article 9, / et/ou b) les détenteurs antérieurs ou le producteur du produit générateur de déchets " ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 15 juillet 1975, repris à l'article L. 541-2 du code de l'environnement : " Toute personne qui produit ou détient des déchets, dans des conditions de nature à produire des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à dégrader les sites ou les paysages, à polluer l'air et les eaux, à engendrer des bruits et des odeurs et d'une façon générale à porter atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement, est tenue d'en assurer ou d'en faire assurer l'élimination conformément aux dispositions prévues par la présente loi, dans des conditions propres à éviter lesdits effets " ; qu'aux termes de l'article 3 de la même loi, devenu l'article L. 541-3 du code de l'environnement : " Au cas où les déchets sont abandonnés, déposés ou traités contrairement aux dispositions de la présente loi et des règlements pris pour leur application, l'autorité titulaire du pouvoir de police peut, après mise en demeure, assurer d'office l'élimination desdits déchets aux frais du responsable " ;

Considérant que le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, en l'absence de détenteur connu de ces déchets, être regardé comme leur détenteur au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, notamment s'il a fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain ;

Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'après avoir elle-même exploité, sur un terrain lui appartenant, une usine de régénération de caoutchouc, la société A a vendu son fonds de commerce et, notamment, son stock de marchandises et de matières premières, à la société Eureca, par un contrat conclu le 30 mars 1989 ; qu'ayant été mise en liquidation de biens en février 1991, la société Eureca a cessé son activité et laissé sur le terrain plusieurs milliers de tonnes de pneumatiques usagés ; qu'en jugeant que, si ces pneumatiques sont devenus des déchets à la suite de leur abandon, les requérants, en leur seule qualité de propriétaires du terrain sur lequel ont été entreposés les déchets et en l'absence de tout acte d'appropriation portant sur ceux-ci, ne peuvent être regardés comme ayant la qualité de détenteurs de ces déchets au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement et comme ayant ainsi celle de responsables au sens de son article L. 541-3, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que, dès lors, son arrêt doit être annulé ;