N° 250704
Publié au recueil Lebon
5EME ET 4EME SOUS-SECTIONS REUNIES
lecture du vendredi 24 février 2006
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés
les 1er octobre 2002 et 3 février 2003 au secrétariat du contentieux
du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Catherine X et M. Jacques
X, agissant en leur nom propre et au nom de leurs enfants mineurs, demeurant
... ; M. et Mme X demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 28 juin 2002 par lequel la cour administrative
d'appel de Nantes a rejeté leur requête tendant : 1) à l'annulation
du jugement du 3 février 1999 par lequel le tribunal administratif de
Rennes a rejeté la demande des intéressés tendant à
la condamnation du centre hospitalier universitaire de Brest à réparer
les conséquences dommageables des fautes commises à l'occasion
de l'examen d'amniocentèse subi par Mme X dans cet établissement
; 2) au paiement d'une somme de 300 000 F à titre de provision à
raison du préjudice consécutif aux conséquences dommageables
résultant du handicap dont s'est trouvée porteuse leur fille Eva
; 3) à la condamnation du centre hospitalier au paiement d'une somme
de 320 000 F en réparation de leur préjudice moral ; 4) au paiement
d'une somme de 25 000 F sur le fondement des dispositions de l'article L. 7611
du code de justice administrative ;
2°) statuant au fond, de condamner le centre hospitalier à réparer le préjudice résultant des charges particulières découlant du handicap de leur fille Eva ainsi que leur préjudice moral ;
3°) de condamner le centre hospitalier à leur verser une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 7611 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu la loi n° 2002303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;
Vu la loi n° 2005102 du 11 février 2005 ;
Vu le décret n° 88280 du 24 mars 1988 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Marc Sanson, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Blondel, avocat de Mme X et de M. X et de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier universitaire de Brest,
- les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative
aux droits des malades et à la qualité du système de santé
aujourd'hui codifié à l'article L. 1145 du code de l'action
sociale et des familles : « I. Lorsque la responsabilité d'un professionnel
ou d'un établissement de santé est engagée visàvis
des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé
pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée,
les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice.
Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant
tout au long de la vie de l'enfant de ce handicap. La compensation de ce dernier
relève de la solidarité nationale » ; qu'en vertu du même
article, ces dispositions, entrées en vigueur dans les conditions du
droit commun à la suite de la publication de la loi au Journal officiel
de la République française du 5 mars 2002, « sont applicables
aux instances en cours à l'exception de celles où il a été
irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation »
; que la cour administrative d'appel de Nantes, statuant le 28 juin 2002 sur
la requête dont elle avait été saisie par M. et Mme X tendant
à l'annulation du jugement du 3 février 1999 par lequel le tribunal
administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la condamnation
du Centre hospitalier Universitaire de Brest à réparer les conséquences
dommageables résultant du handicap, non décelé pendant
la grossesse de Mme X, dont s'est trouvée porteuse à sa naissance
le 23 septembre 1992 leur fille Eva, n'a pas fait application au litige dont
elle était saisie des dispositions de l'article 1erI de la loi
du 4 mars 2002 ; que la cour, faute de s'être expliquée sur les
motifs l'ayant conduit à écarter l'application des dispositions
de l'article 1erI de la loi du 4 mars 2002 à une instance en cours,
n'a pas légalement motivé son arrêt ; que celuici
doit par suite être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 8212 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;
Sur l'application des dispositions de l'article 1erI de la loi du 4 mars 2002 :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précitées ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général » ;
Considérant que les parents d'un enfant né avec un handicap non décelé au cours de la grossesse pouvaient, avant l'entrée en vigueur de l'article 1erI de la loi du 4 mars 2002, obtenir de la personne publique responsable de la faute réparation du préjudice correspondant aux charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, du handicap de ce dernier ;
Considérant que, si selon l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une personne peut être privée d'un droit de créance en réparation d'une action en responsabilité, c'est à la condition que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens ; que l'article 1erI de la loi du 4 mars 2002, en excluant du préjudice des parents les charges particulières découlant du handicap de l'enfant tout au long de sa vie, en subordonnant l'engagement de la responsabilité de l'auteur de la faute à une faute caractérisée et en instituant un mécanisme de compensation forfaitaire des charges découlant du handicap ne répondant pas à l'obligation de réparation intégrale, a porté une atteinte disproportionnée aux créances en réparation que les parents d'un enfant né porteur d'un handicap non décelé avant sa naissance par suite d'une faute pouvaient légitimement espérer détenir sur la personne responsable avant l'entrée en vigueur de cette loi ; que dès lors les dispositions de l'article 1erI de la loi du 4 mars 2002, en ce qu'elles s'appliquent aux instances en cours sous la seule réserve qu'elles n'aient pas donné lieu à une décision statuant irrévocablement sur le principe de l'indemnisation, sont incompatibles avec l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il suit de là que les règles édictées par la loi nouvelle restrictives du droit de créance dont se prévalaient M. et Mme X ne pouvaient recevoir application à l'instance engagée par eux pour obtenir réparation des conséquences dommageables résultant de la naissance le 23 septembre 1992 de leur fille Eva porteuse d'un handicap non décelé par le centre hospitalier universitaire de Brest pendant la grossesse de Mme X ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Brest :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le prélèvement de liquide amniotique réalisé sur Mme X au centre hospitalier universitaire de Brest ne révélait pas d'anomalie décelable en l'état des connaissances scientifiques ; qu'aucune faute n'a ainsi été commise dans la réalisation de l'examen et dans l'interprétation de ses résultats ;
Considérant que, si le praticien qui a réalisé l'examen n'avait pas, à la date de celuici, l'agrément requis pour ce type d'examen, il résulte de l'instruction et notamment des rapports d'expertises qu'il avait reçu une formation dans le domaine du diagnostic prénatal sur liquide amniotique, qu'il possédait les qualifications requises et qu'il a d'ailleurs ultérieurement été agréé au départ de son chef de service ; que, dans ces circonstances, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'examen aurait été réalisé dans des conditions révélant une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à pouvoir engager la responsabilité de celuici ;
Considérant que, si les relations entre le praticien qui a réalisé l'examen et son chef de service étaient conflictuelles, il ne résulte pas de l'instruction que cette circonstance ait eu, en l'espèce, une incidence directe sur la qualité des examens réalisés ;
Considérant, enfin, qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'examen a été réalisé dans des conditions affectant ses résultats d'une marge d'erreur inhabituelle justifiant que M. et Mme X en fussent informés et fussent ainsi incités à procéder à des examens complémentaires ; qu'ainsi, le centre hospitalier n'a pas commis de faute en s'abstenant de leur donner une telle information ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme X ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement en date du 3 février 1999, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la réparation du préjudice subi par leur enfant et par euxmêmes ;
Sur les conclusions de M. et Mme X tendant à l'application des dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Brest, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. et Mme X demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 28 juin 2002 est annulé.
Article 2 : La requête d'appel présentée par M. et Mme X devant la cour administrative d'appel de Nantes et le surplus des conclusions de leur requête devant le Conseil d'Etat sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme Catherine X, à M. Jacques X, au centre hospitalier universitaire de Brest, à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère Sud et au ministre de la santé et des solidarités.
Résumé : 01-08-01-01
Si, selon l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, une personne peut être privée d'un droit de créance
en réparation d'une action en responsabilité, c'est à la
condition que soit respecté le juste équilibre entre les exigences
de l'intérêt général et les impératifs de
sauvegarde du droit au respect des biens. Les parents d'un enfant né
avec un handicap non décelé au cours de la grossesse pouvaient,
avant l'entrée en vigueur de l'article 1er-I de la loi du 4 mars 2002,
obtenir de la personne publique responsable de la faute réparation du
préjudice correspondant aux charges particulières découlant,
tout au long de la vie de l'enfant, du handicap de ce dernier. En excluant du
préjudice des parents les charges particulières découlant
du handicap de l'enfant tout au long de sa vie, en subordonnant l'engagement
de la responsabilité de l'auteur de la faute à une faute caractérisée
et en instituant un mécanisme de compensation forfaitaire des charges
découlant du handicap ne répondant pas à l'obligation de
réparation intégrale, les dispositions de cet article ont porté
une atteinte disproportionnée aux créances en réparation
que les parents d'un enfant né porteur d'un handicap non décelé
avant sa naissance par suite d'une faute pouvaient légitimement espérer
détenir sur la personne responsable avant l'entrée en vigueur
de cette loi. Dès lors les dispositions de l'article 1er-I de la loi
du 4 mars 2002, en ce qu'elles s'appliquent aux instances en cours sous la seule
réserve qu'elles n'aient pas donné lieu à une décision
statuant irrévocablement sur le principe de l'indemnisation, sont incompatibles
avec l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
26-055-02-01 a) Si, selon l'article 1er du premier protocole additionnel à
la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, une personne peut être privée d'un droit de créance
en réparation d'une action en responsabilité, c'est à la
condition que soit respecté le juste équilibre entre les exigences
de l'intérêt général et les impératifs de
sauvegarde du droit au respect des biens.... ...b) Les parents d'un enfant né
avec un handicap non décelé au cours de la grossesse pouvaient,
avant l'entrée en vigueur de l'article 1er-I de la loi du 4 mars 2002,
obtenir de la personne publique responsable de la faute réparation du
préjudice correspondant aux charges particulières découlant,
tout au long de la vie de l'enfant, du handicap de ce dernier. En excluant du
préjudice des parents les charges particulières découlant
du handicap de l'enfant tout au long de sa vie, en subordonnant l'engagement
de la responsabilité de l'auteur de la faute à une faute caractérisée
et en instituant un mécanisme de compensation forfaitaire des charges
découlant du handicap ne répondant pas à l'obligation de
réparation intégrale, les dispositions de cet article ont porté
une atteinte disproportionnée aux créances en réparation
que les parents d'un enfant né porteur d'un handicap non décelé
avant sa naissance par suite d'une faute pouvaient légitimement espérer
détenir sur la personne responsable avant l'entrée en vigueur
de cette loi. Dès lors les dispositions de l'article 1er-I de la loi
du 4 mars 2002, en ce qu'elles s'appliquent aux instances en cours sous la seule
réserve qu'elles n'aient pas donné lieu à une décision
statuant irrévocablement sur le principe de l'indemnisation, sont incompatibles
avec l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
60-02-01-01-02 a) Si, selon l'article 1er du premier protocole additionnel à
la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, une personne peut être privée d'un droit de créance
en réparation d'une action en responsabilité, c'est à la
condition que soit respecté le juste équilibre entre les exigences
de l'intérêt général et les impératifs de
sauvegarde du droit au respect des biens.... ...b) Les parents d'un enfant né
avec un handicap non décelé au cours de la grossesse pouvaient,
avant l'entrée en vigueur de l'article 1er-I de la loi du 4 mars 2002,
obtenir de la personne publique responsable de la faute réparation du
préjudice correspondant aux charges particulières découlant,
tout au long de la vie de l'enfant, du handicap de ce dernier. En excluant du
préjudice des parents les charges particulières découlant
du handicap de l'enfant tout au long de sa vie, en subordonnant l'engagement
de la responsabilité de l'auteur de la faute à une faute caractérisée
et en instituant un mécanisme de compensation forfaitaire des charges
découlant du handicap ne répondant pas à l'obligation de
réparation intégrale, les dispositions de cet article ont porté
une atteinte disproportionnée aux créances en réparation
que les parents d'un enfant né porteur d'un handicap non décelé
avant sa naissance par suite d'une faute pouvaient légitimement espérer
détenir sur la personne responsable avant l'entrée en vigueur
de cette loi. Dès lors les dispositions de l'article 1er-I de la loi
du 4 mars 2002, en ce qu'elles s'appliquent aux instances en cours sous la seule
réserve qu'elles n'aient pas donné lieu à une décision
statuant irrévocablement sur le principe de l'indemnisation, sont incompatibles
avec l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
[RJ1] Ab. jur. Avis Assemblée 6 décembre 2002, Epoux Draon, p.
423 ; Rappr. CEDH, 6 octobre 2005, Grande Chambre, n°11810/03, Maurice c/
France et n°1513/03, Draon c/ France.