Cour de cassation
chambre civile 2
Audience publique du jeudi 22 janvier 2009

N° de pourvoi: 07-20878 08-10392
Publié au bulletin Cassation

Sur le moyen unique du pourvoi n° P 07-20.878 ;

Vu l'article 1382 du code civil ;

Attendu que l'auteur d'un accident doit réparer l'intégralité des conséquences dommageables ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rectifié le 19 décembre 2007, rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 11 décembre 2003, pourvoi n° 02-14-274), que M. X..., principal actionnaire d'une société exploitant un fonds de commerce, a été victime, le 9 novembre 1995, d'une agression ayant entraîné pour lui une incapacité de travail jusqu'au 19 novembre 1996 ; que le 8 juillet 1996, M. X... a cédé ses actions à un prix inférieur à celui du marché ; que M. X... a obtenu, par arrêt du 3 juillet 1998 de la juridiction pénale et par arrêt du 15 janvier 2002, confirmatif d'une décision d'une commission d'indemnisation des victimes d'infractions du 18 octobre 2000, la reconnaissance d'un préjudice économique lié à cette moins-value et fixé à la somme de 69 370,33 euros ;

Attendu que pour fixer le montant du préjudice économique de M. X... à 30 492,45 euros, l'arrêt retient qu'à compter du 20 septembre 1996, M. X... pouvait être présent à nouveau au restaurant pour accueillir la clientèle et au besoin diriger le personnel et que la vente n'était pas la seule solution envisageable ; que les époux X... ont décidé de vendre leurs actions, ce qui était leur choix, même s'ils avaient, selon le Fonds d'indemnisation, tout le temps nécessaire pour trouver un acquéreur à un prix acceptable devant une situation qui, à dire d'expert, était saine sur le plan financier de la société à céder ; que l'expert estime regrettable qu'un seul acquéreur ait été sollicité et qu'aucune méthode d'évaluation circonstanciée n'ait été présentée, ce que M. X... a reconnu ; que M. X... a indiqué qu'il se trouvait dans un contexte pressant ; que, dans ce contexte, M. X... a pris une responsabilité certaine en vendant rapidement et dans ces conditions son fonds et que seule la perte d'une chance de mieux vendre les actions de la société peut être envisagée au regard des principes du droit indemnitaire ; que c'est cette perte de chance qu'il convient à présent d'évaluer en prenant en compte la valeur du fonds de commerce tel que l'expert l'a estimé ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle retenait que la vente des actions avait constitué une mesure de gestion raisonnable et qu'il existait un lien de causalité entre cette vente et l'infraction, ce dont il devait résulter que le préjudice consistait dans la moins-value, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE


MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi n° P 07-20.878 par la SCP Rocheteau et Uzan Sarano, avocat aux Conseils pour M. X....

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR fixé au total le montant du préjudice personnel de M. X... comprenant le préjudice corporel non soumis à recours évalué à la somme de 7.317,23 euros, à la somme totale de 37.809,68 euros dont à déduire les deux provisions déjà reçues pour un total de 78.511,24 euros ;

AUX MOTIFS QU'à compter de son accident Franck X... a été en arrêt total d'activité pendant une période que l'expert évalue à deux années alors qu'il a été en réalité en incapacité temporaire totale selon le rapport d'expertise médicale du 9 novembre 1995 au 19 septembre 1996 puis en incapacité temporaire partielle de 50 % du 20 septembre 1996 au 30 mars 1997 ; qu'il a indiqué à l'expert que son épouse a alors travaillé de façon plus soutenue, qu'il n'y a pas eu d'embauche durable de personnel supplémentaire pour le remplacer et qu'il n'a pas été fait appel à du personnel intérimaire ; qu'il y a eu selon lui une baisse immédiate de chiffre d'affaires à la suite de cet accident à l'exception du mois de décembre 1995 comprenant le réveillon ; que le fonds de garantie estime qu'il n'y a eu en réalité de baisse de chiffre d'affaires qu'à la reprise du restaurant par un autre dirigeant, le repreneur n'ayant pas selon lui les qualités commerciales et de restaurateurs requises ce qui n'est pas contesté ; que M. X... a en effet signé une promesse de cession d'actions le 24 juin 1996, les acquéreurs ayant levé l'option le 8 juillet 1996, les actions de M. X... ayant été vendues pour un prix de 2680.000 FF, le prix de l'ensemble des actions étant de 400.000 FF ; que l'expert a établi un tableau mensuel des chiffres d'affaires hors taxes déclarées par la SA Leplaisant au titre de ses déclarations de TVA afin d'évaluer et d'analyser l'évolution de l'activité du Restau Marché ; qu'il résulte de l'examen du tableau établi par l'expert qu'à la suite de l'arrêt de M. X..., l'activité du restaurant s'en est ressentie et s'est traduite par une baisse du chiffre d'affaires ; que ce restaurant, ouvert le 1er avril 1994, a connu un augmentation de son chiffre d'affaires pour la période du 1er avril 1995 jusqu'au 31 octobre 1995 de 9,98 % par rapport au chiffre d'affaires réalisé du 1er avril 1994 au 31 octobre 1994 ; que l'expert estime que cette augmentation n'est pas surprenante au regard des études préalables faites par le franchiseur ainsi que de la renommée de l'enseigne ; qu'elle s'interroge sur la question de savoir sur quelle durée cette augmentation était envisageable considérant que les réponses dépendent de tout un ensemble d'éléments subjectifs propres à chaque affaire ; qu'il est certain que l'évolution de l'activité du 1er novembre 1994 au 30 juin 1996 date de cession des actions, par rapport à la période précédente (1er novembre 1994 au 30 juin 1995) se traduit par une baisse de 3,07 % (près de 70.000 FF), l'activité chutant réellement à compter du 1er juillet 1996 au 31 décembre 1996 avec une variation de moins de 17,92 % par rapport à la période précédente ; que l'experte estime que l'origine de ce changement provient vraisemblablement de l'absence soudaine de M. X... dans son restaurant à la suite de son arrêt de travail alors incontestablement ce dernier était présent auprès de la clientèle et du personnel avant l'accident ; qu'il observe toutefois que la SA Leplaisant est une société structurée au niveau de la direction et du fonctionnement, l'ex-épouse de M. X..., qui avait la qualité de directrice générale et qui était présente en salle ainsi qu'au niveau de la gestion administrative et du personnel, s'étant davantage investie dans le fonctionnement du restaurant lorsque son mari s'était trouvé dans l'incapacité de travailler ; qu'or, aucun nouveau salarié n'a été employé de façon durable pour remplacer M. X... alors qu'à cette période, la santé financière de la société était saine ; qu'à compter du 20 septembre 1996 du reste, M. X... pouvait être présent à nouveau au restaurant pour accueillir la clientèle et au besoin diriger le personnel ; qu'en effet, la vente n'était pas la seule solution envisageable ; mais que les époux X... ont décidé de vendre leurs action de la SA Leplaisant ce qui était leur choix même s'ils avaient, selon le Fonds tout le temps nécessaire pour trouver un acquéreur à un prix acceptable devant une situation qui, à dire d'expert était saine sur le plan financier de la société à céder, puisque le chiffre d'affaires n'avait baissé que de 3 % et que la suite de l'activité a eu lieu sur les six derniers mois de l'exercice 1996 ; que l'expert estime toutefois que la décision de vendre les actions résulte d'une mesure de gestion raisonnable et qu'il existe un lien de causalité entre l'accident et la vente précitée ; qu'il estime néanmoins regrettable qu'un seul acquéreur ait été sollicité et qu'aucune méthode d'évaluation circonstanciée n'ait été présentée, ce que M. X... a reconnu, le prix de 400.000 FF arrêté avec le repreneur couvrant le rachat de l'intégralité des actions soit ses 1675 actions sur les 2500 composant le capital social de la SA représentant 67 % du capital ainsi que les 825 restantes dont 818 actions de son ex-épouse ; que M. X... a indiqué qu'il se trouvait dans un contexte pressant alors en effet qu'ils étaient déjà propriétaires d'un Restau Marché à Albi depuis quelques années et que faisant partie du groupe les démarches avaient été accélérée ; qu'il prétendait ne pas se souvenir avoir pris contact avec Intermarché en vue de rechercher un autre acquéreur potentiel ; que la Cour estime en conséquence dans ce contexte que M. X... a pris une responsabilité certaine en vendant rapidement et dans ces conditions son fonds et que seule la perte d'une chance de mieux vendre les actions de la société peut être envisagée au regard des principes du droit indemnitaire ; que c'est cette perte de chance qu'il convient à présent dévaluer en prenant en compte la valeur du fonds de commerce tel que l'expert l'a estimé ;

ALORS QUE l'auteur d'un accident doit en réparer toutes les conséquences dommageables ; que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'à la suite de son agression, M. X... s'était trouvé dans l'incapacité totale de travailler du 9 novembre 1995 au 19 septembre 1996 puis dans l'incapacité partielle de travailler à hauteur de 50 %, du 20 septembre 1996 au 30 mars 1997 ; qu'elle a encore relevé que, dans ces circonstances, M. X... avait été contraint de vendre les actions qu'il détenait dans la société Leplaisant dont il était le dirigeant et le principal actionnaire ; qu'il résultait de ces constatations un lien de causalité directe entre l'agression subie par M. X... et la moins-value pour laquelle il demandait réparation ; qu'en reprochant à M. X... d'avoir vendu trop rapidement ses actions et de n'avoir sollicité qu'un seul acquéreur pour en déduire que la moins-value subie s'analysait comme une simple perte de chance de mieux vendre ses actions et limiter en conséquence l'indemnisation de son préjudice, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil.


Moyen produit au pourvoi n° M 08-10.392 par la SCP Rocheteau et Uzan Sarano, avocat aux Conseils pour M. X....

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la requête en rectification présentée par M. X... le 27 septembre 2007, sauf en ce que la Cour a dit y avoir lieu à rectification concernant le pronom «ils» devant être remplacé par «les époux Y...» ;

AUX MOTIFS QUE la Cour n'a commis aucune erreur en fixant, comme proposé par le Fonds de garantie, à 319.000 francs la différence entre le prix théorique et le prix de cession des 1.675 actions ; qu'en effet, elle a retenu que la somme de 566.000 francs ne représentait que le maximum du prix théorique et ne tenait pas compte des réserves et abattements évoqués par l'expert dans son rapport et que c'était la perte d'une chance de vendre éventuellement les actions au prix de 319.000 francs qui devait servir de base à l'indemnisation ;

1°) ALORS QUE dans son rapport, l'expert judiciaire avait clairement retenu une méthode d'où il résultait que la valeur globale de l'entreprise s'élevait à 1.245.000 francs pour un prix de cession effectif de 400.000 francs et que la différence entre le prix théorique et le prix de cession des actions de M. X... s'évaluait à 566.000 francs (p. 22) ; qu'ainsi, la cour d'appel avait nécessairement commis une erreur en retenant que «l'estimation faite par l'expert de 319.000 FF qui est la différence entre le prix théorique et le prix de cession des 1.675 actions doit être validée» ; qu'en refusant la rectification de cette erreur matérielle, la cour d'appel a violé l'article 462 du code de procédure civile ;

2°) ALORS, en toute hypothèse, QU'en application de l'article 625 du code de procédure civile, la cassation qui interviendra sur le pourvoi n° P 07-20.878 formé contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Agen du 4 septembre 2007, entraînera par voie de conséquence l'annulation de l'arrêt du 19 décembre 2007 rendu sur requête en rectification d'erreur matérielle et interprétation.

Publication : Bulletin 2009, II, n° 26
D. 2009, p. 1114, note R. Loir