Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du jeudi 25 novembre 2010

N° de pourvoi: 09-69191
Publié au bulletin Cassation partielle Sur le moyen unique pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 1147 du code civil ;

Attendu que la SCP d'architectes X... s'est vu confier des missions complètes de maîtrise d'oeuvre pour la construction de logements et de structures d'accueil par quatre maîtres d'ouvrage au rang desquels la société Domaine de Fabregas chargée d'un projet qui nécessitait l'instruction d'un dossier d'aménagement d'une ZAC sur le littoral méditerranéen ; que la société CDR Immobilier, substituée aux maîtres d'ouvrage, a résilié toutes les missions d'architecte et refusé à la SCP X... le paiement de ses honoraires ; que l'architecte, assisté de la SCP d'avocats Y..., a obtenu en référé la désignation d'un expert pour établir les comptes entre les parties, puis la condamnation des maîtres d'ouvrage à lui payer une provision sur sa rétribution ; que saisi de l'action engagée sur le fond par la société Domaine de Fabregas, le tribunal de grande instance de Nanterre, par jugement du 16 juin 1999, a prononcé la résolution du contrat de maîtrise d'oeuvre et réduit, sur le fondement d'un partage de responsabilité, le montant des honoraires dus à l'architecte à une somme inférieure à la provision fixée en référé ; qu'à l'issue d'une procédure distincte, les contrats de maîtrise d'oeuvre conclus avec les autres entreprises de maîtrise d'ouvrage ont également été résolus en exécution d'une décision désormais irrévocable (Versailles, 29 avril 2002) qui a fixé la rémunération due à l'architecte en entérinant l'estimation proposée par l'expert judiciaire ; que la société X... a, dans ces conditions, engagé une action en responsabilité contre la société d'avocats, lui reprochant de ne pas lui avoir conseillé d'interjeter appel du jugement de 1999 et de lui avoir ainsi fait perdre la chance d'obtenir une décision plus favorable ;

Attendu que pour évaluer la perte de chance sujette à réparation, l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Cass 1re civ, 31 janvier 2008, pourvoi n° 06-20. 996) retient non seulement que l'affaire du Domaine de Fabregas présentait des spécificités par rapport au litige ayant opposé l'architecte aux autres entreprises de maîtrise d'ouvrage, en raison d'un aléa particulier susceptible d'affecter l'issue d'un éventuel recours, tenant aux carences du maître d'oeuvre propres à ce dossier, mais énonce également que l'exécution d'une décision judiciaire plus favorable n'était pas garantie puisque la société du Domaine de Fabregas était notoirement insolvable ;

Qu'en statuant ainsi au regard de perspectives de recouvrement étrangères aux chances de succès de l'action envisagée, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la SCP Y... à payer la somme de 7 000 euros à la SCP X... et la société MMA IARD à garantir le paiement de cette somme, l'arrêt rendu le 26 mai 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Paris...

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils pour la société X...

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la SCP Y... au paiement de la somme de 7. 000 euros à titre de dommages et intérêts et rejeté les demandes de la SCP X... pour le surplus,

AUX MOTIFS QUE le préjudice ainsi causé à la société d'architectes, directement consécutif à la faute retenue, consiste en une perte de chance causée d'aboutir, dans ses rapports avec la société DOMAINE DE FABREGAS, à une décision plus favorable que celle obtenue par le jugement du 16 juin 1999 ; qu'elle retient à ce propos que tant les termes du rapport définitif par l'expert qui établit l'absence de responsabilité de sa part dans l'échec de l'opération relative au domaine de FABREGAS que la décision rendue par la cour d'appel de Versailles sur appel interjeté par les autres maîtres de l'ouvrage qui a, en réformant le jugement rendu le 22 mars 2000 par le tribunal de grande instance de Nanterre, entériné l'ensemble des rapports établis par cet expert, rendaient inéluctable cette décision plus favorable et la reconnaissance pour elle d'une créance égale à celle retenue par l'expert ; que chacune des opérations litigieuses avait ses caractéristiques particulières qui ne permettent pas comme le fait la société d'architectes, de retenir pour toutes la même solution ; que si, sur le dossier de présentation des architectes dont le contrat a reçu partiellement exécution, la création de la ZAC 1 conditionnant la réalisation des constructions à édifier dans le domaine de Fabregas a été décidée par le Conseil Municipal de la Seyne sur Mer, le Préfet, sur cette décision, a retenu que n'y avaient pas été associés pour l'élaboration du plan d'aménagement de la zone, comme imposé par la loi « littoral », différents services de l'Etat (cinq) entraînant alors la fin du projet initial, la recherche d'un nouveau projet réduit (ZAC 2), nouveau projet non couvert par le contrat d'architecte signé en février 1989 et resté sans avenant établi pour ce contrat dont la réalisation était particulièrement aléatoire, ce à la connaissance même des architectes puisqu'un certificat d'urbanisme négatif avait été délivré dès février 1989 ; que le jugement du 19 juin 1999 retient que ceux-ci ont même établi, le 2 mai 1995, une note d'honoraires indiquant que devant les difficultés financières rencontrées par un projet n'ayant pas abouti puisque aucun permis de construire n'a été délivré, ils ont préféré travailler sans rémunération particulière ; que certaines constatations de l'expert (p. 37 du rapport), selon lesquelles les architectes auraient suivi les instructions de la mairie et de la préfecture, constatation à partir desquelles ils prétendent à la présente instance qu'une décision plus favorable était inéluctable, ont été démenties par une lettre du Préfet du 12 août 1993 et restaient par leur nature et leur contenu, discutables devant la cour d'appel de Versailles qui aurait eu à se prononcer aussi, sur leur responsabilité ou la part de celle-ci dans le défaut d'obtention du permis de construire mais sans pouvoir garantir non plus un paiement effectif de sommes par la société DOMAINE DE FABREGAS dont l'impécuniosité est reconnue par la société d'architecte,

1) ALORS QUE le préjudice imputable à l'avocat par la faute duquel un procès n'a pas eu lieu s'apprécie au regard des chances de succès de l'action qui aurait dû être engagée ; que pour rechercher quelles étaient les chances de succès de l'action, le juge de la responsabilité doit reconstituer fictivement, au vu des conclusions des parties et des pièces produites aux débats, la discussion qui aurait pu s'instaurer devant le juge qui aurait dû être saisi ; que pour limiter les dommages et intérêts auxquels elle a condamné la SCP Y... et associés, la cour d'appel s'est bornée à retenir qu'il n'était pas acquis qu'un résultat plus favorable aurait été obtenu en appel qu'en première instance ; qu'en s'abstenant de rechercher concrètement, au vu des éléments qui avaient été échangés entre les parties en première instance, quelles étaient les chances de succès de l'instance d'appel que l'avocat aurait dû engager, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

2) ALORS QUE le préjudice consécutif à la faute de l'avocat s'apprécie au regard des chances de succès de l'action qu'il était chargé d'engager ; que pour limiter la condamnation de la SCP Y... et associés, la cour d'appel a retenu un aléa quant au paiement effectif de la condamnation compte tenu de l'impécuniosité de la société DOMAINE DE FABREGAS ; qu'en se prononçant au regard d'un tel élément, étranger aux chances de succès de l'action qui n'a pas été engagée, au regard desquelles devait seule s'apprécier le préjudice, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

3) ALORS QUE dans ses conclusions (p. 42), la SCP X... indiquait que le règlement de la condamnation aurait été pris en charge par le CDR, qui avait racheté les maîtres d'ouvrage et s'était substitué à leurs engagements ; qu'en retenant l'impécuniosité de la société DOMAINE DE FABREGAS pour réduire le montant des dommages et intérêts, sans répondre à ces conclusions dont il ressortait que le paiement aurait été pris en charge, comme dans les autres dossiers, par le CDR, la cour d'appel a privé sa décision de motif et n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

Publication : Bulletin 2010, I, n° 242
D. 2011, p. 348, avis D. Sarcelet