Arrêt Lemaire

Cour de cassation
Assemblée plénière
Audience publique du mercredi 9 mai 1984

N° de pourvoi: 80-93031

Sur le moyen unique du pourvoi de Y... Jacky, A... Emery et de la S.A. Etablissements A... :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 28 mai 1980), que, le 10 août 1977, Dominique X..., âgé de treize ans, a été mortellement électrocuté en vissant une ampoule sur une douille ; que M. Y..., ouvrier électricien de la S.A. Etablissements A... dont Emery A... est le dirigeant ayant, une dizaine de jours auparavant, exécuté des travaux d'électricité dans l'étable où se sont produits les faits, les consorts X... ont cité MM. Y... et A... devant le Tribunal correctionnel ;

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré Y... coupable du délit d'homicide involontaire, de l'avoir condamné à 500 francs d'amende avec sursis et d'avoir alloué diverses réparations aux parties civiles, la S.A. Etablissements A... étant déclarée civilement responsable, alors, selon le moyen, que, d'une part, l'obligation de vérifier l'absence d'inversion de fils sur la boîte de jonction, écartée par les premiers juges, ne résultait ni du contrat d'entreprise, ni d'un quelconque règlement comme le soulignaient en outre les conclusions, qui précisaient que Y... avait constaté, après le rebranchement, que le courant passait normalement en aval ; alors que, d'autre part, l'application de l'article 319 du Code pénal suppose que l'existence d'un lien de causalité entre la faute du prévenu et le décès de la victime soit certaine que ce lien ne découle pas des constatations de l'arrêt qui, sans démentir que le montage utilisé dans la ferme était interdit, a relevé la faute de la victime, ayant omis de couper le courant ;

Mais attendu que, pour caractériser la faute de Y..., l'arrêt retient qu'une inversion de fils électriques maintenant la douille sous tension et constatée dans la boîte de jonction qui desservait le local, est en rapport direct avec l'électrocution et que le prévenu a reconnu ne pas avoir, après son intervention effectué la vérification facile et instantanée qui s'impose à tout électricien pour s'assurer de l'absence d'une telle inversion de fils ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen du pourvoi des époux Jean X..., des époux Joseph X... et de Aimé Z... :

Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir relaxé un dirigeant de société du chef d'homicide involontaire alors, selon le moyen, d'une part, qu'un dirigeant de société a une obligation légale de contrôle et de direction de son entreprise et doit, par sa surveillance, prévenir toute infraction de ses préposés aux règlements ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si "les compétences" de l'ouvrier ayant effectué des travaux non conformes aux règles de l'art s'étendaient au devoir de contrôle et de surveillance incombant au dirigeant de la société, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ; alors, d'autre part, que les parties civiles avaient fait valoir dans leurs conclusions d'appel, que le dirigeant de la société, en établissant la facture des travaux sur les indications de son préposé, avait dû se renseigner sur la nature et la consistance desdits travaux et devait connaître la non-conformité de ceux-ci aux règles de l'art, notamment en ce qui concerne l'obligation de poser des prises de terre dans les bâtiments d'exploitation ; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef de conclusions concernant l'une des causes de l'accident mortel survenu, la Cour d'appel a "méconnu" les dispositions de l'article 593 du Code de procédure pénale ;

Mais attendu que l'arrêt, qui n'avait pas à répondre à de simples arguments, retient souverainement que les travaux d'électricité effectués n'excédaient pas la compétence de l'ouvrier qui en était chargé et n'imposaient pas au chef d'entreprise de venir vérifier le travail de son employé ;

Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la Cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le second moyen du pourvoi des époux Jean X..., des époux Joseph X... et de Z... :

Attendu que les parties civiles font grief à l'arrêt d'avoir déclaré Y... responsable pour moitié seulement des conséquences de l'accident alors, selon le moyen, que les juges du fond ne peuvent retenir à l'encontre d'un enfant de treize ans, décédé par électrocution à la suite de travaux défectueux dans l'installation électrique de la ferme de ses parents, une faute ayant contribué à la réalisation de son propre dommage, sans rechercher si ce mineur avait la capacité de discerner les conséquences de l'acte fautif par lui commis ;

Mais attendu que l'arrêt retient qu'aucune indication ne pouvant être déduite de la position de l'interrupteur rotatif, Dominique X... aurait dû, avant de visser l'ampoule, couper le courant en actionnant le disjoncteur ;

Qu'en l'état de ces énonciations, la Cour d'appel, qui n'était pas tenue de vérifier si le mineur était capable de discerner les conséquences de son acte, a pu estimer sur le fondement de l'article 1382 du Code civil que la victime avait commis une faute qui avait concouru, avec celle de M. Y..., à la réalisation du dommage dans une proportion souverainement appréciée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois formés contre l'arrêt rendu le 28 mai 1980 par la Cour d'appel de Douai ;

Condamne les demandeurs aux dépens ;

Publication : Bulletin 1984 Assemblée plénière n° 2
H. Capitant, F. Terré et Y. Lequette, Grands arrêts de la jurisprudence civile, t. II, 12e éd., 2007, n° 193

Arrêt Derguini

Cour de cassation
Assemblée plénière
Audience publique du mercredi 9 mai 1984

N° de pourvoi: 80-93481
Publié au bulletin Rejet

Sur le premier moyen :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nancy, 9 juillet 1980), statuant sur renvoi après cassation, que la jeune Fatiha X..., alors âgée de 5 ans, a été heurtée le 10 avril 1976 sur un passage protégé et a été mortellement blessée par une voiture conduite par M. Z... ; que, tout en déclarant celui-ci coupable d'homicide involontaire, la Cour d'appel a partagé par moitié la responsabilité des conséquences dommageables de l'accident ;

Attendu que les époux X... Y... font grief à l'arrêt d'avoir procédé à un tel partage alors, selon le moyen, que, d'une part, le défaut de discernement exclut toute responsabilité de la victime, que les époux X... soulignaient dans leurs conclusions produites devant la Cour d'appel de Metz et reprises devant la Cour de renvoi que la victime, âgée de 5 ans et 9 mois à l'époque de l'accident, était beaucoup trop jeune pour apprécier les conséquences de ses actes ; qu'en ne répondant pas à ce chef péremptoire des conclusions, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ; alors, d'autre part, et en tout état de cause, que la Cour d'appel n'a pu, sans contradiction, relever, d'un côté, l'existence d'une faute de la victime et, d'un autre côté, faire état de l'irruption inconsciente de la victime ; alors, enfin, que la Cour d'appel relève que l'automobiliste a commis une faute d'attention à l'approche d'un passage pour piétons sur une section de route où la possibilité de la présence d'enfants est signalée par des panneaux routiers, qu'ayant remarqué de loin les deux fillettes sur le trottoir, il n'a pas mobilisé son attention sur leur comportement ; qu'en ne déduisant pas de ces énonciations l'entière responsabilité de M. Z..., la Cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient nécessairement ;

Mais attendu qu'après avoir retenu le défaut d'attention de M. Z... et constaté que la jeune Fatiha, s'élançant sur la chaussée, l'avait soudainement traversée malgré le danger immédiat de l'arrivée de la voiture de M. Z... et avait fait aussitôt demi-tour pour revenir sur le trottoir, l'arrêt énonce que cette irruption intempestive avait rendu impossible toute manoeuvre de sauvetage de l'automobiliste ;

Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la Cour d'appel, qui n'était pas tenue de vérifier si la mineure était capable de discerner les conséquences de tels actes, a pu, sans se contredire, retenir, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, que la victime avait commis une faute qui avait concouru, avec celle de M. Z..., à la réalisation du dommage dans une proportion souverainement appréciée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que les époux X... reprochent à l'arrêt d'avoir déduit de la somme de 4404,50 francs allouée à M. X... père à titre de préjudice matériel, la créance de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (C.P.A.M.) de Thionville soit la somme de 2435 francs tout en condamnant le prévenu à payer à la C.P.A.M. la somme de 2435 francs, montant des prestations servies à l'occasion de l'accident survenu à la jeune Fatiha ; alors que, lorsqu'un accident de droit commun dont un assuré social a été la victime est imputable à un tiers, l'action en remboursement des organismes de Sécurité Sociale s'exerce dans la limite de l'indemnité mise à la charge du tiers responsable, à l'exclusion, s'il s'agit d'un accident mortel, de la part d'indemnité correspondant au préjudice moral des ayants-droit ; que dès lors, la Cour d'appel ne pouvait, sans se contredire et violer le principe de la réparation de l'intégralité du préjudice, condamner tout à la fois le tiers responsable M. Z..., et le père de la victime à rembourser à la Caisse le montant des prestations servies à l'occasion de l'accident survenu à l'enfant Fatiha ;

Mais attendu qu'ayant, compte tenu du partage de responsabilité, évalué le montant du préjudice matériel subi par M. X..., l'arrêt, sans se contredire, a déduit à bon droit de la somme ainsi déterminée la créance de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE les pourvois formés contre l'arrêt rendu le 9 juillet 1980 par la Cour d'appel de Nancy ;

Condamne les demandeurs aux dépens ;

Publication : Bulletin 1984 Assemblée plénière n° 3

Cour de cassation
Assemblée plénière
Audience publique du mercredi 9 mai 1984

N° de pourvoi: 82-92934
Publié au bulletin Rejet


D. et M. et Mme D. se sont pourvus en cassation contre un arrêt rendu par la Cour d'appel de Reims le 28 juin 1982. Le premier président de la Cour de Cassation, constatant que le pourvoi pose la question de savoir s'il est possible de retenir à la charge d'un enfant auteur d'un dommage, une faute ayant contribué à la réalisation de celui-ci, sans rechercher si cet enfant avait la capacité de discerner les conséquences de l'acte fautif qu'il a commis, qu'il s'agit d'une question de principe et que les juges du fond divergent sur la solution susceptible d' être apportée à ce problème, a, par ordonnance du 9 novembre 1983, renvoyé la cause et les parties devant l'assemblée plénière.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation suivant :

Violation des articles 1 et 2 de l'ordonnance du 2 février 1945 de l'article 435 du Code pénal, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, "en ce que l'arrêt, disqualifiant et requalifiant à nouveau les faits de la poursuite, a déclaré D. ... coupable d'avoir, à Nouzonville, dans la nuit du 24 au 25 avril 1980, volontairement détruit ou détérioré par l'effet d'un incendie, un camion Saviem et des biens immobiliers appartenant à la SA établissements Bertin Mandal et des biens immobiliers appartenant à la SA Arthur Clause et Cie ;

"aux motifs que le mineur ne saurait être suivi dans ses dénégations ; qu'il convient d'observer qu'il connaissait les lieux pour s'y être introduit l'année précédente et y avoir volé les clefs de contact des véhicules ; que des précisions données sur l'origine et la source de l'incendie d'avril 1980 l'accusent sans aucun doute possible ; que l'incendie ayant été allumé volontairement, l'infraction imputée à D. ... constitue le délit visé à l'article 345 (sic) du Code pénal, dans sa rédaction datant de la loi du 2 février 1981 dont les dispositions plus douces sont immédiatement applicables ;

"alors que, si les articles 1 et 2 de l'ordonnance du 2 février 1945 modifiée par la loi du 24 mai 1951, posent le principe de l'irresponsabilité pénale du mineur, abstraction faite du discernement, encore faut-il, conformément aux principes généraux du droit, que le mineur dont la participation à l'acte matériel à lui reproché est établie, ait compris et voulu cet acte ; "que toute infraction suppose en effet que son auteur ait agi avec intelligence ou volonté ; "qu'en l'espèce, la Cour s'est bornée à affirmer péremptoirement que l'incendie a été allumé volontairement par D..., âgé de 9 ans, sans pour autant rechercher, même sommairement, si le prévenu avait eu conscience du délit qui lui était imputé."

Sur quoi, la Cour, en l'audience publique de ce jour, statuant en assemblée plénière, Sur le moyen unique :

Attendu que le jeune D..., né le 14 décembre 1970, et ses parents, D... et B..., font grief à l'arrêt attaqué (Reims, 25 juin 1982) d'avoir déclaré D... coupable d'avoir, à Nouzonville, dans la nuit du 24 au 25 avril 1980, volontairement détruit ou détérioré, par l'effet d'un incendie, un camion Saviem et des biens immobiliers appartenant à la société anonyme Etablissements Bertin-Mandal et des biens immobiliers appartenant à la SA Arthur Clausse et Cie, alors, selon le moyen, que si les articles 1 et 2 de l'ordonnance du 2 février 1945, modifiée par la loi du 24 mai 1951, posent le principe de l'irresponsabilité pénale du mineur, abstraction faite du discernement, encore faut-il, conformément aux principes généraux du droit, que le mineur dont la participation à l'acte matériel à lui reproché est établie ait compris et voulu cet acte ; que toute infraction suppose en effet que son auteur ait agi avec intelligence ou volonté ; que la Cour d'appel s'est bornée à affirmer péremptoirement que l'incendie a été allumé volontairement par D..., âgé de 9 ans, sans pour autant rechercher , même sommairement, si le prévenu avait eu conscience du délit qui lui était imputé ;

Mais attendu qu'après avoir relevé le comportement et les déclarations contradictoires du jeune D... qui connaissait les lieux pour s'y être déjà introduit et y avoir volé les clés de contact des véhicules, la Cour d'appel a souverainement retenu que l'enfant avait "volontairement allumé l'incendie", et a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi.