Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mercredi 7 novembre 2012

N° de pourvoi: 11-23229 11-24140
Publié au bulletin Cassation partielle

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 20 mai 2011), que la société civile immobilière Espace Carrare (la SCI Espace Carrare) a confié la construction d'un immeuble à la société Spie Méditerranée, aux droits de laquelle vient la société Spie Batignolles Sud-Est, chargée du terrassement et du gros oeuvre, au GIE Ceten Apave international en qualité de contrôleur technique, au bureau d'études Babet en qualité d'ingénieur structure et au bureau d'études Tanzi en qualité d'ingénieur béton ; que la réception de l'ouvrage a été prononcée le 29 janvier 1993 ; que la société civile immobilière Laura (la SCI Laura) a acquis divers lots de copropriété et a consenti le 1er novembre 2002 un bail commercial à la société Cotte Martinon ; qu'invoquant d'importantes remontées d'eau en sous-sol, le syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier Espace Carrare (le syndicat des copropriétaires) a assigné en référé le 27 octobre 1998 la SCI Espace Carrare et l'assureur dommages-ouvrage aux fins de désignation d'un expert judiciaire qui a été nommé le 9 mars 1999 ; que les opérations d'expertise ont été étendues le 12 octobre 1999 au contrôleur technique et à la société Spie Batignolles Sud-Est sur l'assignation de l'assureur dommages-ouvrage et le 2 octobre 2001 aux bureaux d'études Babet et Tanzi sur l'assignation de l'architecte ; que, le 1er février 2006, la société Cotte Martinon et la SCI Laura ont assigné les architectes, le bureau d'études Babet, la société Spie Batignolles Sud-Est, le GIE Ceten Apave international et le syndicat des copropriétaires afin d'obtenir l'indemnisation de leurs préjudices ; que le syndicat des copropriétaires a également sollicité l'indemnisation de ses préjudices et divers appels en garantie ont été diligentés, notamment contre le bureau d'études Tanzi ;

Sur le quatrième moyen du pourvoi principal n° B 11-23. 229 de la société Spie Batignolles Sud-Est :

Attendu que la société Spie Batignolles Sud-Est fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec les bureaux d'études Babet et Tanzi et le GIE Ceten Apave international, à verser à la société Cotte Martinon la somme de 12 887, 31 euros pour les préjudices subis outre intérêt au taux légal à compter du jugement alors, selon le moyen, que, dans son rapport, l'expert Z... retenait qu'après la réalisation du dallage " les remontées de la nappe sont fréquentes et il devenait urgent d'arrêter une solution maîtrisant les infiltrations : non pas de les arrêter, mais de les limiter au sens où le maître de l'ouvrage avait accepté le principe de possibles inondations (imperméabilité relative) " ; qu'en ne s'expliquant pas sur cet aspect du rapport invoqué par la société Spie Batignolles Sud-Est dans ses conclusions, d'où il résultait a minima une certaine acceptation des risques d'inondabilité par le maître de l'ouvrage, ce qui était de nature à exonérer l'entrepreneur de sa responsabilité à l'égard des tiers, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant retenu que le seul fait d'avoir accepté de faire réaliser une chape drainante n'impliquait pas que le maître de l'ouvrage eût accepté les risques " d'inondabilité ", encore moins de cette ampleur, que le maître de l'ouvrage s'était contenté de suivre les préconisations du premier expert judiciaire pour la réalisation de la chape drainante, que le second expert judiciaire a précisé que si les préconisations adoptées avaient été mises en oeuvre, les infiltrations auraient été bien moindres et les solutions adoptées auraient donné satisfaction, la cour d'appel qui, répondant aux conclusions sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu en déduire que la réalisation d'une chape drainante suivant les préconisations de l'expert judiciaire n'impliquait pas la moindre acceptation des risques ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen des pourvois incidents de la société Cotte Martinon :

Attendu que la société Cotte Martinon fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice de jouissance et de limiter en conséquence la condamnation in solidum à son égard du GIE Ceten Apave international, de la société Spie Batignolles Sud-Est et des bureaux d'études Babet et Tanzi à la somme de 12 887, 31 euros alors selon le moyen, que la réparation d'un dommage doit être intégrale, la victime devant être replacée dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui constate que les désordres, dont les divers constructeurs sont déclarés responsables, ont rendu impropres à leur usage les locaux (parkings, aire de stockage, atelier de confection et manutention) occupés par la société Cotte Martinon, ne pouvait refuser d'indemniser le préjudice de jouissance qui en résultait nécessairement sans que cette société ait à en justifier et ce, peu important que ce chef de préjudice n'ait pas été soumis à l'expert judiciaire ; qu'ainsi l'arrêt qui n'a pas tiré les conséquences légales découlant de ses propres constatations a violé l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu que les demandes qu'elle rejetait n'étaient pas justifiées, la cour d'appel a apprécié souverainement le montant du préjudice dont elle a justifié l'existence par l'évaluation qu'elle en a faite ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal n° B 11-23. 229 de la société Spie Batignolles Sud-Est, le premier moyen du pourvoi incident du GIE Ceten Apave international et les deuxième et troisième moyens du pourvoi principal n° S 11-24. 140 du bureau d'études Babet, réunis :

Vu l'article 2244 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;

Attendu que pour déclarer recevable l'action du syndicat des copropriétaires et de la SCI Laura, l'arrêt retient que toute décision judiciaire apportant une modification quelconque à une mission d'expertise ordonnée par une précédente décision, a un effet interruptif de prescription à l'égard de toutes les parties, y compris celles qui ont été appelées uniquement à la procédure initiale et pour tous les chefs de préjudice procédant du sinistre en litige et que l'ordonnance initiale du 9 mars 1999 ayant désigné un expert judiciaire à la requête du syndicat des copropriétaires puis les ordonnances ayant rendu les opérations d'expertise communes et opposables à l'ensemble des autres intervenants à l'acte de construire ont valablement interrompu la prescription, quand bien même le syndicat des copropriétaires ou la SCI Laura n'étaient pas demandeurs dès lors que le but recherché par chacune des parties en demande aux fins d'expertise commune et opposable était la mise en ?uvre d'une même expertise judiciaire relative aux mêmes travaux et in fine à la réparation des mêmes désordres ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'action du syndicat des copropriétaires, de l'assureur dommages-ouvrage et du maître d'?uvre, bien que tendant à la mise en oeuvre d'une même expertise judiciaire relative aux mêmes travaux en vue de la détermination des dommages subis et des responsabilités encourues, n'ont pas le même objet et que les ordonnances de référé déclarant commune à d'autres constructeurs une mesure d'expertise précédemment ordonnée n'ont pas d'effet interruptif de prescription à l'égard de ceux qui n'étaient parties qu'à l'ordonnance initiale, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le septième moyen du pourvoi incident du GIE Ceten Apave international :

Vu l'article 1382 du code de procédure civile [code civil] ;

Attendu que, pour condamner le GIE Ceten Apave international, in solidum avec la société Spie Batignolles Sud-Est et les bureaux d'études Babet et Tanzi, à verser des dommages-intérêts à la société Cotte Martinon, l'arrêt retient que les désordres avaient pour origine l'absence d'étude spécifique du dallage, un défaut d'exécution de ce même dallage et un défaut de conception et d'exécution de la chape drainante et que le contrôleur technique était en faute pour n'avoir émis aucune réserve lors de la conception du dallage initial et de l'exécution de la chape drainante alors que sa mission consistait à s'assurer de la solidité de l'ouvrage et à contribuer à prévenir les différents aléas techniques ;

Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le projet qui avait été soumis au contrôleur technique prenait en compte les recommandations de la société Sols essais, la cour d'appel, qui reprochait à la société Spie Batignolles Sud-Est d'avoir procédé à la réalisation du dallage initial sans tenir compte des recommandations de cette société et au bureau d'études Babet de n'avoir pas su, lors de la conception du dallage initial, traduire la notion " d'inondabilité " tel qu'elle avait été préconisée par cette dernière, n'a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare recevable l'action du syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier Espace Carrare et de la SCI Laura contre le GIE Ceten Apave international, la société Spie Batignolles Sud-Est et le bureau d'études Babet et les condamne à leur payer diverses sommes et en ce qu'il condamne le GIE Ceten Apave international à payer à la société Cotte Martinon la somme de 12 887, 31 euros pour les préjudices subis outre intérêts au taux légal à compter du jugement, l'arrêt rendu le 20 mai 2011, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;