Cour de Cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 17 janvier 1995 Cassation partielle.
Attendu qu'il n'y a pas lieu de mettre hors de cause les époux X... à
qui le pourvoi incident de la société Armand Colin et Bourrelier
fait grief et qui ont eux-mêmes formé un pourvoi ; qu'il échet
en revanche de mettre hors de cause la société Etablissements
Lafoly frères et Gilles Delamarzelle qui n'est pas concernée par
la demande ;
Attendu selon l'arrêt attaqué que la jeune X..., alors âgée
de 4 ans, a été blessée à l'oeil droit le 25 septembre
1984 en jouant dans la cour de l'école privée de Saint-Vincent-sur-Oust
(Mayenne) avec un cerceau en matière plastique faisant partie d'un lot
habituellement utilisé dans l'établissement pour les exercices
de psychomotricité ; que ce cerceau avait été vendu à
l'école par la société Lafoly et de Lamarzelle, qui les
avait elle-même commandés à la société Armand
Colin et Bourrelier au cours de l'année 1982 ; que cette dernière
société avait fait fabriquer ce type de cerceau d'abord par la
société Omniplast, puis par la société Planet Wattohm,
qui avait absorbé celle-ci, ces cerceaux figurant sur ses catalogues
sous la rubrique " matériel pour mouvements et rythmes " ;
qu'un jugement d'un tribunal de grande instance a déclaré l'école
et la société Armand Colin et Bourrelier, responsables in solidum,
et condamné celles-ci à payer certaines sommes aux parents, administrateurs
légaux des biens de leur fille ; qu'il a mis la société
Lafoly et de Lamarzelle et la société Wattohm hors de cause ;
que l'arrêt a confirmé le jugement en ce qui concerne les condamnations
prononcées, ainsi que la mise hors de cause de la société
Lafoly et de Lamarzelle ; que, le réformant pour le surplus, il a débouté
les époux X... et la société Armand Colin et Bourrelier
des demandes qu'ils avaient formées contre l'école et la mutuelle
Saint-Christophe, son assureur, et condamné la société
Planet Wattohm, devenue depuis Wattohm SA, à garantir la société
Armand Colin et Bourrelier des condamnations prononcées contre elle ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident et provoqué de la société
Armand Colin et Bourrelier :
Attendu que la société Armand Colin et Bourrelier reproche à
l'arrêt de l'avoir déclarée responsable des conséquences
de l'accident dont a été victime la jeune X..., lié au
vice de fabrication que représentait le cerceau litigieux, alors selon
le moyen que la société, distributeur du cerceau, qui avait obtenu
l'agrément du Centre national de documentation pédagogique lors
de la commercialisation de ce produit, ce que constate l'arrêt, ne pouvait
être considérée comme ayant commis un manquement pour n'avoir
pas procédé à un examen technique approfondi, dès
lors que le vice affectant le cerceau, imputable au seul fabricant, n'était
pas apparent et qu'il n'était pas soumis à des normes entrées
en vigueur ultérieurement ; que dès lors, l'arrêt n'a pas
tiré les conséquences légales de ses propres constatations
et a entaché sa décision d'une violation de l'article 1382 du
Code civil ;
Mais attendu que le vendeur professionnel est tenu de livrer des produits exempts
de tout vice ou de tout défaut de fabrication de nature à créer
un danger pour les personnes ou les biens ; qu'il en est responsable tant à
l'égard des tiers que de son acquéreur ; que la cour d'appel qui
retient souverainement que les cerceaux présentaient, en raison du principe
même de leur conception, un risque d'accident, a par ce seul motif légalement
justifié sa décision et que le moyen est inopérant ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi principal de la société Planet
Wattohm SA :
Attendu que la société Planet Wattohm fait grief à l'arrêt
de l'avoir condamnée à garantir la société Armand
Colin et Bourrelier des condamnations prononcées contre elle, alors,
selon le moyen, que sur le fondement de l'article 1251.3° du Code civil,
le codébiteur in solidum n'a de recours contre son coobligé que
pour la part de ce dernier ; que si les deux codébiteurs sont fautifs,
la contribution définitive à la dette de réparation se
fait en fonction de la gravité de leurs fautes respectives ; que dès
lors, en l'espèce, en condamnant la société Planet Wattohm
à garantir intégralement la société Armand Colin
et Bourrelier des condamnations mises à sa charge, tout en relevant que
la société Armand Colin et Bourrelier avait commis une faute en
relation de causalité avec le dommage subi par la victime, la cour d'appel
a méconnu le texte susvisé ;
Mais attendu que la cour d'appel a retenu que le vice du cerceau, cause du dommage subi par X..., était entièrement imputable à la société Planet Wattohm, qui a seule conçu et fabriqué ce produit ; qu'elle en a exactement déduit que tenue de vendre à la société Armand Colin et Bourrelier des cerceaux exempts de tout défaut de fabrication de nature à créer un danger pour les personnes ou pour les biens, elle devait la garantir de la totalité des condamnations prononcées contre elle en réparation du dommage ainsi causé à X... ; que le moyen n'est donc pas fondé ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal de la société
Planet Wattohm, le second moyen du pourvoi incident et provoqué de la
société Armand Colin et Bourrelier, et le moyen unique du pourvoi
provoqué des époux X... :
Vu les articles 1135 et 1147 du Code civil ;
Attendu que, contractuellement tenu d'assurer la sécurité des
élèves qui lui sont confiés, un
établissement d'enseignement est responsable des dommages qui leur sont
causés non seulement par sa faute mais encore par le fait des choses
qu'il met en oeuvre pour l'exécution de son obligation contractuelle
;
Attendu que pour écarter la responsabilité de l'école de
Saint-Vincent-sur-Oust, l'arrêt énonce qu'il n'est pas démontré
que l'accident ait été la conséquence d'une faute commise
par cet établissement dans l'exécution de ses obligations contractuelles
;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés
;
PAR CES MOTIFS :
Met hors de cause les Etablissements Lafoly frères et Gilles Delamarzelle
;
CASSE ET ANNULE
Publication : Bulletin 1995 I N° 43 p. 29
Dalloz, 1995-06-29, n° 25, p. 350, note P. Jourdain. Revue générale
des assurances terrestres, 1995, n° 3, p. 529, note P. REMY.