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Lundi 10 mai 2010
Georges Ripert


Georges Ripert (1880-1958) est un juriste français éminent que l’on peut présenter de deux façons.

Une façon neutre d’abord : il fut professeur à la faculté de droit de Paris, Membre de l’Institut, et fut l’auteur d’une œuvre considérable faite de Traités : il reprit le Traité pratique de droit civil français en 14 volumes de Marcel Planiol qui devient un traité dirigé par Ripert et écrit à plusieurs mains, mais aussi « le » Planiol et Ripert », c’est-à-dire le Traité élémentaire de droit civil, en 3 volumes qui devint ensuite quand Ripert le réécrivit, le Ripert et Boulanger (Jean Boulanger, son élève, sa plume disaient les critiques) mais aussi le Traité de droit commercial, par Ripert seul puis avec Roblot (René Roblot, un commercialiste lillois de talent), un Traité de droit maritime mais aussi un nombre considérable d’articles de doctrine et enfin, chose assez rare chez les juristes de droit privé, des essais : La règle morale dans les obligations civile (1926), Le régime démocratique et le droit civil moderne (1936), Aspects juridiques du capitalisme moderne (1947), Le déclin du droit (1949) et Les forces créatrices du droit (1955) en réponse aux Etudes Ripert publiées en 1950. Ces ouvrages sont la démonstration de la rigueur juridique d’un juriste considérable, à la technique affutée, qui, en outre, dispose d’une plume élégante, vive séduisante même. Philippe Malaurie le présente comme le plus grand juriste du XXème siècle.


Il y a une autre façon de présenter Ripert, plus inusité (comp. et contra, par exemple, H. Solus, In mémoriam, in RIDC 1958, p.807, et R. Savatier, Revue économique, 1953, p. 115 qui dans la recension qu’il fait des Etudes Ripert, utilise, avec ironie sans doute, le terme « collaboration » dans tous les sens). Ripert fut en effet, ce qu’on peut considérer comme un juriste « traditionnel », un conservateur, au sens où ce mot pouvait avoir un sens au début du XXème siècle. De ce point de vue, Ripert est un réactionnaire, et qui s’assume parfaitement comme tel d’ailleurs. Il souhaite ardemment le retour à une société d’avant la troisième république ou bien une société républicaine, mais celle du début. Le terme « bourgeois » n’est pas adapté ne serait-ce que parce qu’il ne veut rien dire et parce que Ripert se l’approprie sans aucune difficulté. L’esprit de conservation, l’esprit de Barrès (Barrès, celui qui réconcilie l’histoire et l’âme française, y compris la Révolution française et qui est la cheville ouvrière de l’antisémitisme français), l’esprit de Vichy.


Qui donc est Ripert, un génie ou un salaud ? Question complexe. Comme Doyen de la faculté de droit de Paris, il accueille les réfugiés juifs, au nom d’un christianisme dont Ripert fut toujours un pratiquant averti. Mais il est aussi le ministre de Laval, entre septembre et décembre 1940 qui révoque les professeurs juifs, dont René Cassin qui fut pourtant son ami avant guerre. Il est aussi l’homme qui, dans une étude vantant l’Ebauche d’un droit privé professionnel, dans les mélanges Capitant, qui invite les juristes français, juste avant guerre (la seconde guerre mondiale) à regarder ce que font les législations régénérées ultra-rhénanes et ultra-alpines. Ripert fut en effet secrétaire d’état à l’Instruction Publique et à la Jeunesse de septembre 1940 à décembre 1940 (il disparut du « gouvernement » de Vichy avec la première chute de Laval et c’est sans doute ce qui l’a sauvé du poteau d’exécution en 1944). Il est donc le secrétaire d’Etat des lois antijuives qui excluent les Juifs des universités, comme étudiants ou comme professeurs, il est toujours au gouvernement lorsque Pétain rencontre Hitler à Montoire en octobre 1940 et que cette France se lance dans la « voie de la collaboration ». Après décembre 1940 il revient à la faculté de droit de Paris, dont il est le Doyen et on peut supputer (quoiqu’un silence assourdissant soit entretenu sur cette question) qu’il appliqua avec zèle les lois du parti qu’il avait choisi notamment en 1942, ne serait-ce que parce ce qu’il fut, tout le long de l’occupation, membre du Conseil national de Vichy et invite les agrégatifs à étudier objectivement le droit national-socialiste (Préface à Etudes de droit allemand, LGDJ, 1943).


La période est trouble, les professeurs, pas plus que les juges, ne sont des héros et ils revendiquent d’ailleurs ce statut de non héros ordinaires (cf. D. Lochak, La doctrine sous Vichy ou les mésaventures du positivisme, in Les usages sociaux du droit, CURAPP-PUF, 1989, p. 252 et sur http://www.anti-rev.org/textes/Lochak89a). D’ailleurs s’ils l’avaient été, ils eussent fait Saint-Cyr, comme disait Mousseron, en plaisantant à moitié. Il n’empêche que d’autres, avec la même éducation maurassienne, avec les mêmes origines bourgeoises, les mêmes préjugés parfois, les Cassin, les Courtin, les Capitant, les Mazeaud, les Teitgen, Les Pérochon, les Coste-Floret, bien d’autres encore, ont su faire des choix courageux, au péril de leur vie ou de leur réputation, même en ayant, et comme beaucoup, observé avec une attention sympathique l’ascension de Pétain, la thèse du « Glaive et du Bouclier » avant de se rendre compte, courant 1941, qu’ils se trompaient, le désir de collaboration avec l’Allemagne nazie devenant finalement la politique de Vichy « je souhaite la victoire de l’Allemagne » annonce Laval, très tôt, en juin 1942 « parce que, sans elle, le bolchevisme demain s'installerait partout »). Combien de militaires, de fonctionnaires, pétainistes intransigeants du début, se sont retrouvés à Londres, à Alger ou dans les camps de concentration ? Pas Ripert. 1944 fut une année terrible pour lui. Il est arrêté le 16 novembre 1944 et incarcéré jusqu’au 14 février 1945 et, finalement, en 1947, la Haute Cour de justice qui le juge pour haute trahison, prononce un non lieu pour « faits de résistance », mais le compte rendu de la séance précise qu’une note sténographique ne fut tenue.


Fut-ce le rappel des qualités, indéniables, de juriste de Ripert, une certaine mauvaise conscience de la majorité silencieuse, y eut-il de réels faits de résistance, qui paraissent bien ténus, ne serait-ce que parce qu’il fut membre du Conseil National de Vichy jusqu’à la fin. Ripert fut réintégré, à l’université et à l’Institut, et lui furent offerts ses Etudes Ripert (Le droit français au milieu du XXème siècle), qui est dans l’échelle des Etudes, à peu près ce que furent les Etudes Gény.


Pour ma part, mon opinion sur le personnage est faite ; j’observe qu’aucun des Mazeaud, ni aucun des professeurs résistants connus n’écrivit dans ces études.


Et Ripert réhabilité se venge. Il se venge de cette République renaissante, il se venge de cet alter-conservatisme gaulliste (judéo-socialo-gaulliste aurait-il pu dire) qui défait ce que Vichy avait fait, et critique avec une vigueur inattendue la nouvelle donne juridique dans le Déclin du droit, en 1947. Il se venge dans Les Forces créatrices du droit publié en 1955 en réponse à ses mélanges, ouvrages réimprimés dans les années 1990. Ripert n’a rien oublié, il n’a rien à se faire pardonner. Il suffit de lire ou relire les Forces créatrices du droit salué à l’époque, et encore aujourd’hui d’ailleurs, comme un ouvrage fondamental : c’est tout à la fois une étude sur les fondements du droit pour répondre à la question essentielle de savoir pourquoi il faut obéir aux lois, et un manifeste politique discret des valeurs de la Révolution nationale, une propagation des idées de la société d’ordre moral, du parti de l’Ordre, antirévolutionnaire, conservateur au sens du XIXème siècle, au sens où Louis de Bonald ou Joseph de Maistre l’avaient envisagé, un pied de nez au droit moderne et un missile antibolchévique. Tout ce qui ne correspond pas à l’idée figée que Ripert se fait de la société et telle qu’elle doit le rester, est moqué, critiqué, surtout lorsque c’est le fait d’un juriste socialiste.


Ce sont ces essais qui ont fait le deuil d’un droit français moderne : La règle morale dans les obligations civiles cherche à montrer à quel point la morale, religieuse mais surtout catholique et maurassienne (et surtout pas catholique et sociale), est présente et nécessaire pour que les contrats soient correctement exécutés ; Le régime démocratique et le droit civil moderne est un pamphlet anti-Blum, antisémite et antidémocratique : la démocratie oui, mais certainement pas pour que des socialistes puissent arriver au gouvernement, etc., jusqu’aux forces créatrices du droit, qui est le couronnement, et qui fait la part belle au statisme de la méthode juridique qui, à bien des égards, a figé la doctrine de droit privé. Tout y est et tout y est mélangé. Le droit naturel et le positivisme (Ripert se dit positiviste, alors qu’il n’est que banalement platonicien, partisan d’un droit figé parce que revêtu des atours d’un droit naturel, ou prétendument naturel, qui, pour cette raison ne doit plus évoluer), le besoin de morale et l’inutilité de la justice sociale, les sources du droit merveilleusement organisées autour du Code civil, que les lois nouvelles, résultats de demandes égoïstes de certains éléments du corps social, par la grève notamment, les droits de l’homme, la propriété, etc., en peuvent que galvauder. Tout. C’est le bréviaire d’un certain conservatisme, c’est la fin de l’interprétation réaliste que Gény avait entrevue. C’est surtout l’anti Demogue. A la question « le droit peut-il être considéré comme le résultat de discussions portant sur les valeurs par exemple et arbitrées par le juge », forçant la voie d’un réalisme à la française au retentissement si grand aux Etats-Unis, notamment, notamment, la réponse est non. Le droit est stable, le droit est ordre, les juristes sont, tous, des conservateurs, c’est l’acceptation sur le long terme de la loi bonne parce que morale qui fait la norme, et rien n’y personne ne le changera. Par conséquent, c’est la technique, seule, qui doit intéresser les juristes. Point final de la réflexion doctrinale française.


C’est d’autant plus triste que, pour emprunter la voie de pensée de Ripert, l’idée même d’un droit conservateur, d’un droit de droite, d’un droit national, est une question sérieuse, une question discutable, qui transcende d’ailleurs le seul rapport droit/gauche conjoncturel, et mérite d’autres considérations, notamment dans un contexte de droit national dominé par le droit communautaire et le droit européen, et dans une logique de globalisation du droit, qui suppose des choix complexes, entre les logiques de droit continental, les logiques du droit français, et celles des droits anglo-saxons, largement dominantes, véhiculés par exemple par le rapport annuel Doing business de la banque mondiale, le libre échange comme axiome, les salariés, l’environnement, les artisans, les délocalisations de la petite et moyenne, comme nouvelles victimes d’une guerre économique intense.

By DM

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