Conseil constitutionnel, décision n°
2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010
(extrait)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 1er juin 2010 par la
Cour de cassation (arrêt n° 12030 du 31 mai 2010),
dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution,
d'une question prioritaire de constitutionnalité
[….] relative à la conformité aux droits et libertés
que la Constitution garantit des articles 62, 63, 63-1, 63-4, 77
et 706-73 du code de procédure pénale relatifs au régime
de la garde à vue.
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. […]
2. Considérant qu'aux termes de l'article 62 du code de procédure
pénale : « L'officier de police judiciaire peut
appeler et entendre toutes les personnes susceptibles de fournir des renseignements
sur les faits ou sur les objets
et documents saisis.
« Les personnes convoquées par lui sont tenues de comparaître.
L'officier de police judiciaire peut contraindre à
comparaître par la force publique les personnes visées à
l'article 61. Il peut également contraindre à comparaître
par la force publique, avec l'autorisation préalable du procureur de
la République, les personnes qui n'ont pas
répondu à une convocation à comparaître ou dont on
peut craindre qu'elles ne répondent pas à une telle
convocation.
« Il dresse un procès-verbal de leurs déclarations. Les
personnes entendues procèdent elles-mêmes à sa lecture,
peuvent y faire consigner leurs observations et y apposent leur signature. Si
elles déclarent ne savoir lire,
lecture leur en est faite par l'officier de police judiciaire préalablement
à la signature. Au cas de refus de signer
le procès-verbal, mention en est faite sur celui-ci.
« Les agents de police judiciaire désignés à l'article
20 peuvent également entendre, sous le contrôle d'un
officier de police judiciaire, toutes personnes susceptibles de fournir des
renseignements sur les faits en cause.
Ils dressent à cet effet, dans les formes prescrites par le présent
code, des procès-verbaux qu'ils transmettent à
l'officier de police judiciaire qu'ils secondent.
« Les personnes à l'encontre desquelles il n'existe aucune raison
plausible de soupçonner qu'elles ont commis
ou tenté de commettre une infraction ne peuvent être retenues que
le temps strictement nécessaire à leur
audition » ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 63 de ce même code
: « L'officier de police judiciaire peut, pour les
nécessités de l'enquête, placer en garde à vue toute
personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs
raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de
commettre une infraction. Il en informe dès le
début de la garde à vue le procureur de la République.
« La personne gardée à vue ne peut être retenue plus
de vingt-quatre heures. Toutefois, la garde à vue peut être
prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus,
sur autorisation écrite du procureur de la
République. Ce magistrat peut subordonner cette autorisation à
la présentation préalable de la personne gardée à
vue.
« Sur instructions du procureur de la République, les personnes
à l'encontre desquelles les éléments recueillis
sont de nature à motiver l'exercice de poursuites sont, à l'issue
de la garde à vue, soit remises en liberté, soit
déférées devant ce magistrat. […]
4. Considérant qu'aux termes de son article 63-1 : « Toute personne
placée en garde à vue est immédiatement
informée par un officier de police judiciaire, ou, sous le contrôle
de celui-ci, par un agent de police judiciaire,
de la nature de l'infraction sur laquelle porte l'enquête, des droits
mentionnés aux articles 63-2, 63-3 et 63-4
ainsi que des dispositions relatives à la durée de la garde à
vue prévues par l'article 63.
« Mention de cet avis est portée au procès-verbal et émargée
par la personne gardée à vue ; en cas de refus
d'émargement, il en est fait mention.
« Les informations mentionnées au premier alinéa doivent
être communiquées à la personne gardée à vue
dans
une langue qu'elle comprend, le cas échéant au moyen de formulaires
écrits.
« Si cette personne est atteinte de surdité et qu'elle ne sait
ni lire ni écrire, elle doit être assistée par un interprète
en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant
un langage ou une méthode permettant de
communiquer avec des sourds. Il peut également être recouru à
tout dispositif technique permettant de
communiquer avec une personne atteinte de surdité.
« Si la personne est remise en liberté à l'issue de la garde
à vue sans qu'aucune décision n'ait été prise par
le
procureur de la République sur l'action publique, les dispositions de
l'article 77-2 sont portées à sa
connaissance.
« Sauf en cas de circonstance insurmontable, les diligences résultant
pour les enquêteurs de la communication
des droits mentionnés aux articles 63-2 et 63-3 doivent intervenir au
plus tard dans un délai de trois heures à
compter du moment où la personne a été placée en
garde à vue » ;
5. Considérant qu'aux termes de son article 63-4 : « Dès
le début de la garde à vue, la personne peut demander à
s'entretenir avec un avocat. Si elle n'est pas en mesure d'en désigner
un ou si l'avocat choisi ne peut être
contacté, elle peut demander qu'il lui en soit commis un d'office par
le bâtonnier.
« Le bâtonnier est informé de cette demande par tous moyens
et sans délai.
« L'avocat désigné peut communiquer avec la personne gardée
à vue dans des conditions qui garantissent la
confidentialité de l'entretien. Il est informé par l'officier
de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par
un agent de police judiciaire de la nature et de la date présumée
de l'infraction sur laquelle porte l'enquête.
« À l'issue de l'entretien dont la durée ne peut excéder
trente minutes, l'avocat présente, le cas échéant, des
observations écrites qui sont jointes à la procédure.
« L'avocat ne peut faire état de cet entretien auprès de
quiconque pendant la durée de la garde à vue.
« Lorsque la garde à vue fait l'objet d'une prolongation, la personne
peut également demander à s'entretenir
avec un avocat dès le début de la prolongation, dans les conditions
et selon les modalités prévues aux alinéas
précédents.
« Si la personne est gardée à vue pour une infraction mentionnée
aux 4°, 6°, 7°, 8° et 15° de l'article 706-73,
l'entretien avec un avocat ne peut intervenir qu'à l'issue d'un délai
de quarante-huit heures. Si elle est gardée à
vue pour une infraction mentionnée aux 3° et 11° du même
article, l'entretien avec un avocat ne peut intervenir
qu'à l'issue d'un délai de soixante-douze heures. Le procureur
de la République est avisé de la qualification des
faits retenue par les enquêteurs dès qu'il est informé par
ces derniers du placement en garde à vue » ;
6. Considérant qu'aux termes de son article 77 : « L'officier
de police judiciaire peut, pour les nécessités de
l'enquête, garder à sa disposition toute personne à l'encontre
de laquelle il existe une ou plusieurs raisons
plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre
une infraction. Il en informe dès le début de
la garde à vue le procureur de la République. La personne gardée
à vue ne peut être retenue plus de vingt-quatre
heures.
« Le procureur de la République peut, avant l'expiration du délai
de vingt-quatre heures, prolonger la garde à
vue d'un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus. Cette prolongation
ne peut être accordée qu'après
présentation préalable de la personne à ce magistrat. Toutefois,
elle peut, à titre exceptionnel, être accordée par
décision écrite et motivée sans présentation préalable
de la personne. Si l'enquête est suivie dans un autre
ressort que celui du siège du procureur de la République saisi
des faits, la prolongation peut être accordée par le
procureur de la République du lieu d'exécution de la mesure.
« Sur instructions du procureur de la République saisi des faits,
les personnes à l'encontre desquelles les
éléments recueillis sont de nature à motiver l'exercice
de poursuites sont, à l'issue de la garde à vue, soit remises
en liberté, soit déférées devant ce magistrat.[…]
7. Considérant qu'aux termes de son article 706-73 : « La procédure
applicable à l'enquête, la poursuite,
l'instruction et le jugement des crimes et des délits suivants est celle
prévue par le présent code, sous réserve
des dispositions du présent titre :
« 1° Crime de meurtre commis en bande organisée prévu
par le 8° de l'article 221-4 du code pénal ;
« 2° Crime de tortures et d'actes de barbarie commis en bande organisée
prévu par l'article 222-4 du code pénal
« 3° Crimes et délits de trafic de stupéfiants prévus
par les articles 222-34 à 222-40 du code pénal ;
« 4° Crimes et délits d'enlèvement et de séquestration
commis en bande organisée prévus par l'article 224-5-2
du code pénal ;
« 5° Crimes et délits aggravés de traite des êtres
humains prévus par les articles 225-4-2 à 225-4-7 du code
pénal ;
« 6° Crimes et délits aggravés de proxénétisme
prévus par les articles 225-7 à 225-12 du code pénal ;
« 7° Crime de vol commis en bande organisée prévu par
l'article 311-9 du code pénal ;
« 8° Crimes aggravés d'extorsion prévus par les articles
312-6 et 312-7 du code pénal ;
« 9° Crime de destruction, dégradation et détérioration
d'un bien commis en bande organisée prévu par l'article
322-8 du code pénal ;
« 10° Crimes en matière de fausse monnaie prévus par
les articles 442-1 et 442-2 du code pénal ;
« 11° Crimes et délits constituant des actes de terrorisme
prévus par les articles 421-1 à 421-6 du code pénal ;
« 12° Délits en matière d'armes et de produits explosifs
commis en bande organisée, prévus par les articles L.
2339-2, L. 2339-8, L. 2339 10, L. 2341-4, L. 2353-4 et L. 2353-5 du code de
la défense ; […]
8. Considérant que les requérants font valoir, en premier lieu,
que les conditions matérielles dans lesquelles la
garde à vue se déroule méconnaîtraient la dignité
de la personne ;
9. Considérant qu'ils soutiennent, en deuxième lieu, que le pouvoir
donné à l'officier de police judiciaire de
placer une personne en garde à vue méconnaîtrait le principe
selon lequel l'autorité judiciaire est gardienne de la
liberté individuelle ; que le procureur de la République ne serait
pas une autorité judiciaire indépendante ; qu'il
ne serait informé qu'après la décision de placement en
garde à vue ; qu'il a le pouvoir de la prolonger et que
cette décision peut être prise sans présentation de la personne
gardée à vue ;
10. Considérant qu'ils estiment, en troisième lieu, que le pouvoir
donné à l'officier de police judiciaire de placer
en garde à vue toute personne à l'encontre de laquelle il existe
une ou plusieurs raisons plausibles de
soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction
constitue un pouvoir arbitraire qui
méconnaît le principe résultant de l'article 9 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui
prohibe toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer d'une
personne mise en cause ;
11. Considérant que les requérants font valoir, en quatrième
lieu, que la personne gardée à vue n'a droit qu'à un
entretien initial de trente minutes avec un avocat et non à l'assistance
de ce dernier ; que l'avocat n'a pas accès
aux pièces de la procédure et n'assiste pas aux interrogatoires
; que la personne gardée à vue ne reçoit pas
notification de son droit de garder le silence ; que, dès lors, le régime
de la garde à vue méconnaîtrait les droits
de la défense, les exigences d'une procédure juste et équitable,
la présomption d'innocence et l'égalité devant la
loi et la justice ; qu'en outre, le fait que, dans les enquêtes visant
certaines infractions, le droit de s'entretenir
avec un avocat soit reporté à la quarante-huitième ou à
la soixante-douzième heure de garde à vue
méconnaîtrait les mêmes exigences ;
- SUR LES ARTICLES 63-4, ALINÉA 7, ET 706-73 DU CODE DE PROCÉDURE
PÉNALE : […]
12. […]
13. […]
- SUR LES ARTICLES 62, 63, 63-1, 63-4, ALINÉAS 1er À 6, ET 77
DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE
14. Considérant que, dans sa décision susvisée du 11 août
1993, le Conseil constitutionnel n'a pas spécialement
examiné les articles 63, 63 1, 63-4 et 77 du code de procédure
pénale ; que, toutefois, il a déclaré conformes à
la
Constitution les modifications apportées à ces articles par les
dispositions alors soumises à son examen ; que
ces dispositions étaient relatives aux conditions de placement d'une
personne en garde à vue et à la prolongation
de cette mesure, au contrôle de celle-ci par le procureur de la République
et au droit de la personne gardée à vue
d'avoir un entretien de trente minutes avec un avocat ; que, postérieurement
à la loi susvisée du 24 août 1993,
ces articles du code de procédure pénale ont été
modifiés à plusieurs reprises ; que les dispositions contestées
assurent, en comparaison de celles qui ont été examinées
par le Conseil dans sa décision du 11 août 1993, un
encadrement renforcé du recours à la garde à vue et une
meilleure protection des droits des personnes qui en
font l'objet ;
15. Considérant toutefois que, depuis 1993, certaines modifications
des règles de la procédure pénale ainsi que
des changements dans les conditions de sa mise en oeuvre ont conduit à
un recours de plus en plus fréquent à la
garde à vue et modifié l'équilibre des pouvoirs et des
droits fixés par le code de procédure pénale ;
16. Considérant qu'ainsi la proportion des procédures soumises
à l'instruction préparatoire n'a cessé de diminuer
et représente moins de 3 % des jugements et ordonnances rendus sur l'action
publique en matière
correctionnelle ; que, postérieurement à la loi du 24 août
1993, la pratique du traitement dit « en temps réel »
des procédures pénales a été généralisée
; que cette pratique conduit à ce que la décision du ministère
public sur
l'action publique est prise sur le rapport de l'officier de police judiciaire
avant qu'il soit mis fin à la garde à vue ;
que, si ces nouvelles modalités de mise en oeuvrede l'action publique
ont permis une réponse pénale plus rapide
et plus diversifiée conformément à l'objectif de bonne
administration de la justice, il n'en résulte pas moins que,
même dans des procédures portant sur des faits complexes ou particulièrement
graves, une personne est
désormais le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments
de preuve rassemblés avant l'expiration de sa
garde à vue, en particulier sur les aveux qu'elle a pu faire pendant
celle-ci ; que la garde à vue est ainsi souvent
devenue la phase principale de constitution du dossier de la procédure
en vue du jugement de la personne mise
en cause ;
17. Considérant, en outre, que, dans sa rédaction résultant
des lois du 28 juillet 1978 et 18 novembre 1985
susvisées, l'article 16 du code de procédure pénale fixait
une liste restreinte de personnes ayant la qualité
d'officier de police judiciaire, seules habilitées à décider
du placement d'une personne en garde à vue ; que cet
article a été modifié par l'article 2 de la loi du 1er
févier 1994, l'article 53 de la loi du 8 février 1995, l'article
20
de la loi du 22 juillet 1996, la loi du 18 novembre 1998, l'article 8 de la
loi du 18 mars 2003 et l'article 16 de la
loi du 23 janvier 2006 susvisées ; que ces modifications ont conduit
à une réduction des exigences
conditionnant l'attribution de la qualité d'officier de police judiciaire
aux fonctionnaires de la police nationale et
aux militaires de la gendarmerie nationale ; que, entre 1993 et 2009, le nombre
de ces fonctionnaires civils et
militaires ayant la qualité d'officier de police judiciaire est passé
de 25 000 à 53 000 ;
18. Considérant que ces évolutions ont contribué à
banaliser le recours à la garde à vue, y compris pour des
infractions mineures ; qu'elles ont renforcé l'importance de la phase
d'enquête policière dans la constitution des
éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause
est jugée ; que plus de 790 000 mesures de
garde à vue ont été décidées en 2009 ; que
ces modifications des circonstances de droit et de fait justifient un
réexamen de la constitutionnalité des dispositions contestées
;
. En ce qui concerne le grief tiré de l'atteinte à la dignité
de la personne :
19. Considérant que le Préambule de la Constitution de 1946 a
réaffirmé que tout être humain, sans distinction
de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables
et sacrés ; que la sauvegarde de la dignité de
la personne contre toute forme d'asservissement et de dégradation est
au nombre de ces droits et constitue un
principe à valeur constitutionnelle ;
20. Considérant qu'il appartient aux autorités judiciaires et
aux autorités de police judiciaire compétentes de
veiller à ce que la garde à vue soit, en toutes circonstances,
mise en oeuvre dans le respect de la dignité de la
personne ; qu'il appartient, en outre, aux autorités judiciaires compétentes,
dans le cadre des pouvoirs qui leur
sont reconnus par le code de procédure pénale et, le cas échéant,
sur le fondement des infractions pénales
prévues à cette fin, de prévenir et de réprimer
les agissements portant atteinte à la dignité de la personne gardée
à vue et d'ordonner la réparation des préjudices subis
; que la méconnaissance éventuelle de cette exigence dans
l'application des dispositions législatives précitées n'a
pas, en elle-même, pour effet d'entacher ces dispositions
d'inconstitutionnalité ; que, par suite, s'il est loisible au législateur
de les modifier, les dispositions soumises à
l'examen du Conseil constitutionnel ne portent pas atteinte à la dignité
de la personne ;
. En ce qui concerne les autres griefs :
21. Considérant qu'aux termes de l'article 7 de la Déclaration
de 1789 : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté
ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon
les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent,
expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires,
doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou
saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable
par la résistance » ; qu'aux termes de son article
9 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à
ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé
indispensable de
l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer
de sa personne doit être sévèrement réprimée
par la loi » ; que son article 16 dispose : « Toute société
dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni
la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution
» ;
22. Considérant qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi
fixe les règles concernant la procédure
pénale ; qu'aux termes de son article 66 : « Nul ne peut être
arbitrairement détenu. ° L'autorité judiciaire,
gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe
dans les conditions prévues par la loi » ;
23. Considérant que le législateur tient de l'article 34 de la
Constitution l'obligation de fixer lui-même le champ
d'application de la loi pénale ; que, s'agissant de la procédure
pénale, cette exigence s'impose notamment pour
éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs
d'infractions ;
24. Considérant, en outre, qu'il incombe au législateur d'assurer
la conciliation entre, d'une part, la prévention
des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions,
toutes deux nécessaires à la sauvegarde de
droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice
des libertés constitutionnellement
garanties ; qu'au nombre de celles-ci figurent le respect des droits de la défense,
qui découle de l'article 16 de la
Déclaration de 1789, et la liberté individuelle que l'article
66 de la Constitution place sous la protection de
l'autorité judiciaire ;
25. Considérant qu'en elles-mêmes, les évolutions rappelées
ci-dessus ne méconnaissent aucune exigence
constitutionnelle ; que la garde à vue demeure une mesure de contrainte
nécessaire à certaines opérations de
police judiciaire ; que, toutefois, ces évolutions doivent être
accompagnées des garanties appropriées encadrant
le recours à la garde à vue ainsi que son déroulement et
assurant la protection des droits de la défense ;
26. Considérant que l'autorité judiciaire comprend à la
fois les magistrats du siège et du parquet ; que
l'intervention d'un magistrat du siège est requise pour la prolongation
de la garde à vue au-delà de quarante-huit
heures ; qu'avant la fin de cette période, le déroulement de la
garde à vue est placé sous le contrôle du procureur
de la République qui peut décider, le cas échéant,
de sa prolongation de vingt-quatre heures ; qu'il résulte des
articles 63 et 77 du code de procédure pénale que le procureur
de la République est informé dès le début de la
garde à vue ; qu'il peut ordonner à tout moment que la personne
gardée à vue soit présentée devant lui ou
remise en liberté ; qu'il lui appartient d'apprécier si le maintien
de la personne en garde à vue et, le cas échéant,
la prolongation de cette mesure sont nécessaires à l'enquête
et proportionnés à la gravité des faits que la
personne est suspectée d'avoir commis ; que, par suite, le grief tiré
de la méconnaissance de l'article 66 de la
Constitution doit être écarté ;
27. Considérant cependant, d'une part, qu'en vertu des articles 63 et
77 du code de procédure pénale, toute
personne suspectée d'avoir commis une infraction peut être placée
en garde à vue par un officier de police
judiciaire pendant une durée de vingt-quatre heures quelle que soit la
gravité des faits qui motivent une telle
mesure ; que toute garde à vue peut faire l'objet d'une prolongation
de vingt-quatre heures sans que cette faculté
soit réservée à des infractions présentant une certaine
gravité ;
28. Considérant, d'autre part, que les dispositions combinées
des articles 62 et 63 du même code autorisent
l'interrogatoire d'une personne gardée à vue ; que son article
63-4 ne permet pas à la personne ainsi interrogée,
alors qu'elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier
de l'assistance effective d'un avocat ; qu'une telle
restriction aux droits de la défense est imposée de façon
générale, sans considération des circonstances
particulières susceptibles de la justifier, pour rassembler ou conserver
les preuves ou assurer la protection des
personnes ; qu'au demeurant, la personne gardée à vue ne reçoit
pas la notification de son droit de garder le
silence ;
29. Considérant que, dans ces conditions, les articles 62, 63, 63 1,
63-4, alinéas 1er à 6, et 77 du code de
procédure pénale n'instituent pas les garanties appropriées
à l'utilisation qui est faite de la garde à vue compte
tenu des évolutions précédemment rappelées ; qu'ainsi,
la conciliation entre, d'une part, la prévention des
atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions
et, d'autre part, l'exercice des libertés
constitutionnellement garanties ne peut plus être regardée comme
équilibrée ; que, par suite, ces dispositions
méconnaissent les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789 et
doivent être déclarées contraires à la Constitution
;
- SUR LES EFFETS DE LA DÉCLARATION D'INCONSTITUTION-NALITÉ :
30. Considérant, d'une part, que le Conseil constitutionnel ne dispose
pas d'un pouvoir général d'appréciation de
même nature que celui du Parlement ; qu'il ne lui appartient pas d'indiquer
les modifications des règles de
procédure pénale qui doivent être choisies pour qu'il soit
remédié à l'inconstitutionnalité constatée
; que, d'autre
part, si, en principe, une déclaration d'inconstitutionnalité
doit bénéficier à la partie qui a présenté
la question
prioritaire de constitutionnalité, l'abrogation immédiate des
dispositions contestées méconnaîtrait les objectifs
de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des
auteurs d'infractions et entraînerait des
conséquences manifestement excessives ; qu'il y a lieu, dès lors,
de reporter au 1er juillet 2011 la date de cette
abrogation afin de permettre au législateur de remédier à
cette inconstitutionnalité ; que les mesures prises avant
cette date en application des dispositions déclarées contraires
à la Constitution ne peuvent être contestées sur le
fondement de cette inconstitutionnalité,
DÉCIDE :
Article 1er.- Les articles 62, 63, 63-1 et 77 du code de procédure pénale
et les alinéas 1er à 6 de son article 63-4
sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article
1er prend effet le 1er juillet 2011 dans les conditions
fixées au considérant 30.
Article 3.- Il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de statuer sur
l'article 706-73 du code de procédure
pénale et le septième alinéa de son article 63-4.
Article 4.- La présente décision sera publiée au Journal
officiel de la République française et notifiée dans les
conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre
1958 susvisée.