Appréciation de la gravité des conséquences de l'opération

Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 20 février 2001

N° de pourvoi: 00-85174
Non publié au bulletin Rejet Irrecevabilité

Statuant sur les pourvois formés par :- X... Jean-Marie,- VALENTIN Z..., épouse X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5ème chambre, en date du 29 juin 2000, qui a déclaré le premier coupable d'infractions à la police de l'eau et de la pêche, la seconde coupable de complicité d'infraction à la police de la pêche, a ajourné le prononcé des peines et a prononcé sur les intérêts civils ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4 et 111-5 du Code pénal, 10, 23 et 24 de la loi du 3 janvier 1992, 2.5.0, 2.5.3 et 2.6.0 du décret n° 93-743 du 29 mars 1993, L. 232-3 du Code rural, 2, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Jean-Marie Y... coupable d'avoir, à Saint Vincent de Jabron, du 28 au 30 juin 1997, effectué sans autorisation préfectorale des opérations de travaux dans le lit du cours d'eau non domanial "Le Jabron" ;

"aux motifs qu'aux termes du procès-verbal dressé le 8 juillet 1997 par l'ingénieur des travaux ruraux à la suite des constatations effectuées le 30 juin 1997, il a été relevé que le lit du Jabron avait été curé entre les confluents avec les ravins de Vallat et de Vaubelle, le curage concernant la moitié de la largeur de la rivière, soit cinquante mètres, sur une longueur de deux cent cinquante mètres et une profondeur moyenne d'un mètre, les matériaux curés ayant été déposés de façon à combler l'anse naturelle que formait le Jabron en rive gauche, tandis que des enrochements étaient disposés contre la berge gauche rectifiée, que le lit du ravin de Vallat avait été rebouché et un nouveau lit créé perpendiculairement au lit du Jabron ;

que la loi du 3 janvier 1992 dite loi sur l'eau dispose dans son article 10-1, "sont soumis aux dispositions du présent article les installations ne figurant pas à la nomenclature des installations classées, ouvrages, travaux et activités réalisés à des fins non domestiques par toute personne physique ou morale, publique ou privée et entraînant des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, restitues ou non, une modification du niveau ou du mode d'écoulement des eaux, ou des déversements, écoulements, rejets ou dépôts, directs ou indirects, chroniques ou épisodiques, même non polluants" ; l'article 10-2 spécifiant : "les installations, ouvrages, travaux et activités visés au I sont définis dans une nomenclature établie par décret en Conseil d'Etat après avis du Comité National de l'Eau et soumis à autorisation ou à déclaration suivant les dangers qu'ils présentent et la gravité de leurs effets sur la ressource en eau et les écosystèmes aquatiques" ;

que l'article 10-3 précise que "sont soumis à déclaration les installations, ouvrages, travaux et activités qui n'étant pas susceptibles de présenter de tels dangers, doivent néanmoins respecter les prescriptions édictées en application des articles 8 et 9" ; que le décret du 29 mars 1993 pris en application de l'article 10 de la loi sur l'eau prévoit que sont soumis à autorisation les travaux suivants : 2.5.0 détournement, dérivation, rectification du lit, canalisation d'un cours d'eau ; 2.5.3 ouvrage, remblais et épis dans le lit mineur d'un cours d'eau, constituant un obstacle à l'écoulement des crues ; 2.6.0 en dehors des voies navigables, curage ou dragage des cours d'eau ou étangs, hors "vieux fonds, vieux bords", le volume des boues ou matériaux retirés au cours d'une année étant supérieure à 5 000m3 (autorisation), supérieur à 1 000 m3 mais inférieur à 15 000 m3 (déclaration) ; que ne saurait faire obstacle à l'application de la loi du 3 janvier 1992 le fait que le prévenu soit propriétaire des deux rives du Jabron ; que les dispositions de l'article 98 du Code rural ne sont pas incompatibles avec celles de la loi du 3 janvier 1992, le droit de chaque riverain d'extraire dans la partie du lit qui lui appartient, tous les produits naturels étant subordonné à la condition de ne pas modifier le régime des eaux ;

que, sur l'absence d'autorisation administrative nécessaire pour la réalisation de travaux résultant de l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Marseille du 22 avril 1999, le tribunal administratif de Marseille a ordonné le sursis à exécution de l'arrêté du 29 juillet 1997 du préfet des Alpes de Haute-Provence mettant en demeure Jean-Marie Y... de remettre en son état initial le lit du Jabron ;

que la Cour administrative a rejeté la requête du préfet tendant à l'annulation du jugement, au motif que la remise en état que la décision préfectorale impose "n'a pu être légalement ordonnée par le préfet sur le fondement de l'article 27 de la loi du 3 janvier 1992" ;

que la juridiction administrative n'a pas été saisie sur la nécessité ou non d'autorisation pour la réalisation des travaux reprochés à Jean-Marie Y... mais sur la procédure utilisée par le préfet et l'étendue de l'injonction de l'article 27 ; que le prévenu ne saurait, dès lors, tirer argument de la décision de la Cour administrative pour soutenir que les travaux ne devraient pas faire l'objet d'une autorisation ; que, sur le détournement du Vallat de l'Armas, le prévenu soutient, évoquant à l'appui de sa thèse la note technique de l'expert M. Lambert A..., que le Vallat de l'Armas ne fait pas partie des cours d'eau, dès lors qu'il ne représente qu'une servitude d'écoulement naturel temporaire et très limitée des eaux de ruissellement sur la propriété Y... (fonds servant) après avoir traversé le domaine public (RD 946) ; que ces travaux n'entrent dès lors pas dans le cadre de la loi sur l'eau ; que la prévention d'infraction aux articles 10, 23 et 24 de la loi du 3 janvier 1992 ne vise que l'exécution sans autorisation de travaux dans le lit du cours d'eau non domanial "Le Jabron" et non l'exécution de travaux dans le lit du cours d'eau "Vallat de l'Armas" ; que la nature du "Vallat de l'Armas" est indifférente s'agissant de ce chef de prévention, que sur le "curage" du Jabron, le prévenu soutient qu'il s'agit d'un dragage ou curage au sens de l'article 2.6.0 soumis tout au plus à déclaration, compte tenu du cubage déplacé ; que les travaux concernant le lit du Jabron n'ayant entraîné aucun prélèvement et ce, d'autant que les matériaux ont été réutilisés sur place, l'article 2.6.0 n'est pas applicable ; que, d'ailleurs, le volume des matériaux déplacés ne saurait être supérieur à 5 000 m3, que les épis implantés ne constituant pas un obstacle à l'écoulement des crues, l'article 2.5.3 ne saurait de même trouver application, que la loi du 3 janvier 1992 prévoit que doivent être autorisées les installations entraînant une modification du niveau ou du mode d'écoulement des eaux, que la rectification du lit d'une rivière entre dans la nomenclature de l'article 2.5.0 comme faisant partie des ouvrages soumis à autorisation, que les auditions, constatations et déclarations établissent de façon non équivoque qu'il a été procédé à l'utilisation de matériaux (granulats et graviers et non de boues) extraits sur la moitié de la largeur de la rivière, soit 50 mètres sur une longueur de 250 mètres et une profondeur d'un mètre environ, pour être ensuite disposés de façon à combler une anse naturelle sur la rive gauche ; que l'ensemble de ces procès-verbaux ainsi que les déclarations du prévenu lui-même (cote D 33) caractérisent que le lit de la rivière a été reprofilé au moyen de ces matériaux ; qu'il importe peu que les matériaux aient été déplacés et ôtés, dès lors que le résultat des travaux a considérablement modifié le lit du cours d'eau modifiant des parcelles consacrées à l'expansion naturelle des crues ; "qu'il s'agit, dès lors, de travaux relevant de l'article 2.5.0 du décret du 29 mars 1993 qui ont été effectués sans autorisation ; que les premiers juges étant à tort entrés en

voie de relaxe, leur décision sera infirmée et Jean-Marie Y... déclaré coupable du chef d'infraction aux dispositions des articles 10, 23 et 24 de la loi du 3 janvier 1992 (arrêt, pages 5 à 7) ;

1 )"alors que, conformément à l'article 111-5 du Code pénal, le juge répressif est compétent pour apprécier la légalité des actes administratifs, réglementaires ou individuels lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui lui est soumis ;

"qu'en l'espèce, dans leurs conclusions d'appel, les demandeurs ont excipé de l'illégalité du décret n° 93-743 du 29 mars 1993, comme portant atteinte au droit de propriété du lit des cours d'eaux non domaniaux que l'article 98 du Code rural confère au propriétaire des deux rives, en ce qu'il limite la faculté dudit propriétaire d'y faire des travaux ; que, dès lors, en déclarant les prévenus coupables des faits, à eux reprochés, pour avoir notamment opéré le curage du Jabron, sans répondre à ce chef péremptoire des conclusions d'appel des demandeurs, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;

"alors, subsidiairement, que la loi pénale est d'interprétation stricte ; qu'ainsi, il résulte de la combinaison de l'article 10-III de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 et des dispositions de l'annexe du décret n° 93-743 du 29 mars 1993 pris en application de ladite loi que les différents ouvrages, travaux et activités réalisés sur les cours d'eau, et notamment ceux visés aux articles 2.5.0, 2.5.3 et 2.6.0 de l'annexe du décret, ne sont soumis à autorisation, sous les sanctions pénales prévues à l'article 23 de la loi, que dans la seule mesure où ils sont susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d'accroire notablement le risque d'inondation, ou de porter atteinte gravement à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique ;

"qu'ainsi, en se bornant à énoncer, s'agissant des travaux de curage du Jabron, que le lit de la rivière a été reprofilé au moyen de matériaux et que ces travaux ont modifié le lit du cours d'eau notamment les parcelles consacrées à l'expansion naturelle des crues, pour en déduire que ces travaux, relevant de l'article 2.5.0 du décret du 29 mars 1993, avaient été effectués sans autorisation et qu'ainsi l'infraction prévue à l'article 10 de la loi du 3 janvier 1992 était constituée, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée par les conclusions d'appel des prévenus, si les travaux litigieux avaient eu pour effet de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d'accroître notablement le risque d'inondation, ou de porter atteinte gravement à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4 et 111-5 du Code pénal, L. 232-3 du Code rural, 2, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Jean-Marie Y... coupable d'avoir, à Saint Vincent de Jabron, du 28 au 30 juin 1997, exécuté des travaux de nature à détruire les frayères, les zones de croissance, d'alimentation ou de réserve de nourriture de la faune piscicole, sans autorisation, en l'espèce en construisant un remblai, un épi faisant obstacle à l'écoulement des crues, dragage et curage du Jabron et en dérivant le torrent Vallat de l'Armas ;

"aux motifs que sur l'infraction à l'article L. 232-3 du Code rural, ce texte dispose "lorsqu'ils sont de nature à détruire les frayères, les zones de croissance ou les zones d'alimentation ou de réserve de nourriture de la faune piscicole, l'installation ou l'aménagement d'ouvrages ainsi que l'exécution de travaux dans le lit d'un cours d'eau sont soumis à autorisation" ; qu'il est reproché de ce chef à Jean-Marie Y... la construction d'un remblai et d'épis faisant obstacle à l'écoulement des crues, le dragage et le curage du Jabron, et la dérivation du torrent de l'Armas ; que Jean-Marie Y... qui a déjà fait l'objet de poursuites fondées sur l'article L. 232-3 du Code rural pour la réalisation de travaux similaires dans le Jabron, ne pouvait ignorer qu'il se trouvait dans une zone essentielle à la vie piscicole ; que, d'ailleurs, le schéma de vocation piscicole et halieutique décrit la partie de la rivière où ont été réalisés les travaux incriminés comme de première catégorie piscicole avec nombreuses frayères à truites ; que le prévenu soutient que les travaux incriminés, loin de porter atteinte à la faune piscicole amélioreraient au contraire les conditions de vie ; qu'en effet, les épis constitueraient des lieux de prédilection pour les poissons carnassiers et qu'aucune frayère n'aurait été détruite ; que l'application de l'article L. 232-3 prescrit non d'apprécier à long ou moyen terme les effets des travaux mais de s'interroger sur les conséquences immédiates de leur réalisation en ce qu'elles peuvent perturber ou détruire les zones nécessaires à la vie piscicole ; que les constatations effectuées le jour même par le garde-pêche comme par les gendarmes soulignent "que le passage en permanence d'engins dans le lit du Jabron entraîne la destruction des frayères et du milieu aquatique ; "qu'au milieu de ces travaux, l'eau se cherche un chemin sans cesse comblé. Nous constatons l'emprise totale des travaux sur une longueur de 363 mètres, où la vie piscicole n'est plus possible actuellement" ; que l'ensemble de ces données objectives déterminent l'atteinte immédiate, qui a été portée par la réalisation des travaux à la vie piscicole ; que le prévenu qui n'avait sollicité aucune autorisation pour leur réalisation, effectuée de surcroît un week-end, s'est bien rendu coupable des faits de la prévention (arrêt, page 8) ;

"alors que, pour soutenir, dans ses conclusions d'appel, que les travaux entrepris dans le lit du Jabron n'avaient aucunement détruit les frayères, Jean-Marie Y... s'est prévalu d'une note technique établie par M. Lambert A..., expert agricole et foncier agréé par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui démontrait notamment, au vu du schéma départemental de vocation piscicole et halieutique des Alpes de Haute-Provence, que les travaux litigieux n'ont pas été effectués dans les principales zones de frayères à truites, de sorte qu'en cet état, l'autorisation prévue par l'article L. 232-3 du Code rural n'était pas requise ;

"qu'ainsi, en se bornant à énoncer que les constatations effectuées le jour des travaux par le garde-pêche comme par les gendarmes soulignent "que le passage en permanence d'engins dans le lit du Jabron entraîne la destruction des frayères et du milieu aquatique", pour en déduire qu'une atteinte a été portée à la vie piscicole, sans répondre à ce chef péremptoire des conclusions d'appel du prévenu, qui démontrait que lesdits travaux ne se situaient pas dans la zone géographique des frayères, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables, et a ainsi justifié l'allocation, au profit des parties civiles, des indemnités propres à réparer le préjudice en découlant ;

D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;