Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 21 octobre 2003

N° de pourvoi: 99-83867
Publié au bulletin Rejet

Statuant sur le pourvoi formé par :- X... Corinne,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 13ème chambre, en date du 19 mai 1999, qui, pour infraction à la législation sur l'élimination des déchets, l'a condamnée à 20 000 francs d'amende ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Corinne X..., dirigeante d'une société qui produit et commercialise des découpes de volailles présentées dans des barquettes sous film plastique, est poursuivie pour avoir refusé de pourvoir ou de contribuer à l'élimination des déchets résultant de l'emballage servant à commercialiser les produits consommés par les ménages, en violation de l'obligation prévue par l'article 6, alinéa 1er, de la loi du 15 juillet 1975, devenu l'article L. 541-10 du Code de l'environnement et de l'article 4 du décret du 1er avril 1992 pris pour son application, et réprimée par l'article 24, 2 , de la loi précitée, devenu l'article L. 541-46, 2 , dudit Code ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 85 et 86 du Traité de Rome, 6 et 24 de la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975, 4 et 5 du décret n° 92-377 du 1er avril 1992, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que la cour d'appel a déclaré la demanderesse, en sa qualité de dirigeante d'une personne morale productrice ou responsable de la mise sur le marché de produits consommés ou utilisés par les ménages et générant des déchets résultant de l'abandon des emballages, coupable de refus de contribution à l'élimination de ces déchets ;

"aux motifs que le moyen d'illégalité du décret en ce qu'il fausserait la concurrence et favoriserait la constitution d'une entente illicite au sens des articles 85 et 86 du Traité de Rome reposait en réalité sur le mode de fonctionnement de la société Eco Emballages, et non sur les dispositions du décret ; qu'en effet les articles 85 et 86 du Traité ne s'appliquaient qu'à des pratiques anticoncurrentielles émanant d'une ou plusieurs entreprises et ne pouvaient être invoqués à l'appui d'une demande tendant à la constatation de l'illégalité du décret de 1992, sauf à démontrer que ce texte obligerait à la constitution d'une entente illicite ou à commettre un abus de position dominante, ce qui n'était pas le cas puisque le texte prévoyait au contraire une procédure d'agrément ouverte à tout organisme ou entreprise qui avait pour objet de prendre en charge les emballages usagés; que par ailleurs la commission européenne avait examiné le système allemand d'élimination des emballages exploité par la société DSD, voisin du système Emballage, et conclu en envisageant de se déclarer favorable à celui-ci (JOCE du 27 mars 1997) ; qu'il n'y avait donc aucune raison de penser que les accords conclus par la société Eco Emballages pouvaient faire l'objet d'une appréciation opposée par la commission ; que par ailleurs la protection de l'environnement constituait une des "exigences impératives" justifiant les restrictions à la libre circulation des marchandises ; que le moyen d'illégalité devait être écarté (arrêt p. 7 et 8) ;

"alors que la Cour ne pouvait se borner à relever la possibilité, théoriquement ouverte par le décret du 1er avril 1992, de l'octroi d'un agrément à plusieurs entreprises d'élimination des déchets d'emballages, ni refuser de rechercher, comme l'y invitait la prévenue, si l'application concrète du décret n'était pas à l'origine d'une entente illicite et d'un abus de position dominante, en ce que plusieurs entreprises industrielles très importantes se partageaient le contrôle de l'unique entité effectivement agréée, la société Eco Emballages, et rendaient ainsi purement illusoire l'éventualité de l'agrément d'un autre intervenant, et si ces abus ne se traduisaient pas par la pratique de prix déséquilibrés, voire discriminatoires, au détriment de certains des cocontractants contraints d'avoir recours aux services de la société Eco Emballages" ;

Attendu que la prévenue a opposé, devant les juges du fond, que le décret du 1er avril 1992, prescrivant les conditions dans lesquelles peut s'exécuter l'obligation pénalement sanctionnée de pourvoir ou de contribuer à l'élimination des déchets d'emballage, n'était pas compatible avec les articles 85 et 86 du Traité CE, devenus les articles 81 et 82 ;

Attendu que pour rejeter l'exception, l'arrêt énonce que les règles de concurrence édictées par ces dispositions du traité ne s'appliquent qu'aux entreprises et que l'argumentation de la demanderesse, fondée sur le mode de fonctionnement de la société Eco- Emballage, est inopérante, dès lors que les pratiques de cette société ne sont pas imposées par la réglementation critiquée ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1er et 8 de la directive n° 83/189/CEE du Conseil du 28 mars 1983, 6 et 24 de la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975, 4 et 5 du décret n° 92-377 du 1er avril 1992, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que la cour d'appel a déclaré la demanderesse, en sa qualité de dirigeante d'une personne morale productrice ou responsable de la mise sur le marché de produits consommés ou utilisés par les ménages et générant des déchets résultant de l'abandon des emballages, coupable de refus de contribution à l'élimination de ces déchets ;

"aux motifs que vainement Corinne X... demandait-elle à la Cour de surseoir à statuer sur l'action publique et de saisir la Cour de justice des communautés européennes d'une question préjudicielle sur la compatibilité du décret du 1er avril 1992 et sa mise en oeuvre sur le territoire français avec les principes posés par la directive CEE n° 83/189 du 28 mars 1983 ; que cette directive, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques, n'était pas applicable en l'espèce, le décret du 1er avril 1992 n'ayant pas pour objet de fixer des normes ou des réglementations techniques au sens de cette directive ; qu'au demeurant, en supposant même que le décret ait dû être porté à la connaissance de la commission, le non-respect de cette obligation ne pouvait entraîner l'illégalité de la réglementation des Etats membres, s'agissant d'une obligation qui ne concernait que les relations entre les Etats et la commission et qui n'engendrait aucun droit du chef des particuliers qui soit susceptible d'être lésé en cas de violation (arrêt p. 8) ;

"1 ) alors qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (arrêt du 20 mars 1997, Bic Bénélux SA c/ Etat belge, aff. C-13/96), que l'obligation d'identification des emballages, imposée par l'article 4 décret du 1er avril 1992 aux producteurs de produits emballés à raison des nécessités de l'élimination des déchets que les emballages sont réputés engendrer, est une spécification technique au sens de la directive 83/189/CEE, et que le décret qui l'institue est une règle technique au sens du texte communautaire, de sorte que la directive était applicable en l'espèce ;

"2 ) alors que, la Cour de justice des communautés européennes a dit pour droit (arrêt du 30 avril 1996, CIA Security International SA, aff. C-194/94) que les particuliers pouvaient se prévaloir de la directive 83/189/CEE devant le juge national, auquel il incombe dès lors de refuser d'appliquer une règle technique nationale qui n'a pas été notifiée conformément à la directive" ;

Attendu que la prévenue a, en outre, soutenu que, faute d'avoir été communiqué à la Commission européenne en application de la directive 83/189/CEE du Conseil du 28 mars 1983, modifiée, prévoyant une procédure d'information de la Commission dans le domaine des normes et réglementations techniques, le décret du 1er avril 1992 ne pouvait pas recevoir application ;

Attendu que pour écarter cette exception, la cour d'appel retient que le décret du 1er avril 1992 n'a pas pour objet de fixer des normes ou des réglementations techniques au sens de cette directive ;

Attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Qu'en effet, l'obligation de notification prévue par l'article 8 de la directive 83/189/CEE du Conseil ne s'applique qu'aux spécifications qui figurent dans un document définissant les caractéristiques requises d'un produit, notamment celles relatives à son marquage et son étiquetage, et dont l'observation est obligatoire pour la commercialisation ou l'utilisation dans un Etat membre ; que tel n'est pas le cas de l'obligation instituée par l'article 4, alinéa 2, du décret du 1er avril 1992, qui impose à tout producteur ou importateur d'identifier les emballages qu'il fait prendre en charge par un organisme agréé mais n'exige pas l'apposition d'un signe sur le produit ou sur son emballage ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en sa seconde branche en ce qu'il critique des motifs erronés mais surabondants de l'arrêt, doit être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-3 et 111-5 du Code pénal, 6 et 24 de la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975, 4 et 5 du décret n° 92-377 du 1er avril 1992, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que la cour d'appel a déclaré la demanderesse, en sa qualité de dirigeante d'une personne morale productrice ou responsable de la mise sur le marché de produits consommés ou utilisés par les ménages et générant des déchets résultant de l'abandon des emballages, coupable de refus de contribution à l'élimination de ces déchets ;

"aux motifs adoptés que Corinne X... reprochait au décret d'ignorer les dispositions essentielles de la loi du 15 juillet 1975, ne traitant que de la seule collecte des emballages usagés alors que la loi mentionnait également les opérations de transport, de stockage, de tri et de traitement des déchets ; que le décret entrait bien dans le champ d'application de la loi, ne le débordait pas et n'en contredisait pas les dispositions ; que l'article 6 de la loi disposait expressément qu'il pouvait être fait obligation aux producteurs, importateurs et distributeurs de produits générateurs de déchets ou d'éléments et matériaux entrant dans leur fabrication de pourvoir à l'élimination des déchets qui en provenaient ; que le décret attaqué, qui traitait de l'abandon des emballages, lesquels devaient être considérés également comme des produits générateurs de déchets, présentait une économie conforme aux dispositions précitées de la loi ; que les insuffisances alléguées de ce texte par rapport au champ plus large couvert par la loi étaient insuffisantes à entraîner la nullité (jugement p. 3 et 4);

"1 ) alors que l'article 6 de la loi du 15 juillet 1975, qui dispose que "la fabrication, la détention en vue de la vente, la mise en vente, la vente et la mise à la disposition de l'utilisateur, sous quelque forme que ce soit, de produits générateurs de déchets peuvent être réglementées en vue de faciliter l'élimination desdits déchets ou, en cas de nécessité, interdites ; il peut être fait obligation aux producteurs, importateurs et distributeurs de ces produits ou des éléments et matériaux entrant dans leur fabrication de pourvoir ou de contribuer à l'élimination des déchets qui en proviennent", et l'article 24 de la même loi, qui prévoit des sanctions pénales en cas de méconnaissance des "prescriptions de l'article 6", ne renvoie ni de manière suffisamment explicite, ni avec une précision suffisante au pouvoir réglementaire la définition des éléments constitutifs des infractions pénales dont il prévoit le principe ; que le règlement était alors sans pouvoir pour fixer les obligations dont la méconnaissance serait constitutive d'infraction pénale, et que la Cour devait écarter l'incrimination fondée sur le non-respect des obligations contributives fixées par le décret du 1er avril 1992 ;

"2 ) alors que sauf renvoi suffisamment explicite et précis au pouvoir réglementaire, seule la loi fixe les éléments constitutifs d'un délit, et doit édicter des normes précises et prévisibles ; que l'article 6 de la loi du 15 juillet 1975 est trop imprécis pour permettre une connaissance effective des éléments de l'infraction, et ne permet pas d'exclure l'arbitraire; que la cour ne pouvait retenir la culpabilité de la prévenue" ;

Attendu que la demanderesse soutient que l'incrimination retenue contrevient, en raison de l'imprécision des textes en vigueur, au principe de la légalité des délits ;

Attendu le grief allégué n'est pas encouru ;

Qu'en effet, l'obligation faite, à tout producteur ou importateur de produits générateurs de déchets d'emballage, de pourvoir ou de contribuer à l'élimination de ces déchets, est clairement et précisément définie par les dispositions du décret du 1er avril 1992 prises en application de l'article 6 de la loi du 15 juillet 1975, devenu l'article L. 541-10 du Code de l'environnement ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Publication : Bulletin criminel 2003 N° 195 p. 801