Cour de Cassation
Chambre civile 3
Audience publique du 23 juin 1999
Rejet.
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 19 juin 1997) qu'en 1988 M. Darmon, représentant la société civile immobilière (SCI) Mazal en voie de constitution, a chargé la société Pitance, entrepreneur, de la construction d'un immeuble ; que peu avant l'achèvement des travaux, et alors que leur prix n'avait pas été payé, la société Pitance a fait inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur le terrain, et a constaté que celui-ci était déjà grevé de quatorze hypothèques, au profit de divers créanciers ; que la SCI Mazal et les époux Darmon ayant été placés en liquidation judiciaire, la société Pitance a assigné les maîtres de l'ouvrage et les créanciers hypothécaires aux fins de se faire reconnaître un droit de rétention sur l'immeuble construit, jusqu'au paiement de sa créance ;
Attendu que la société Pitance fait grief à l'arrêt de rejeter cette demande alors, selon le moyen, 1° que le constructeur d'un immeuble qui n'a pas été payé par le maître de l'ouvrage du coût des travaux est fondé à exercer sur l'immeuble qu'il n'a pas encore livré un droit de rétention dans l'attente de son paiement ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ; 2° que la faute du créancier détenteur peut le priver de son droit de rétention sur la chose détenue, lorsqu'elle est de nature à causer au débiteur un préjudice distinct de la seule perte des pouvoirs d'usage sur la chose ; qu'en décidant, pour interdire à la société Pitance l'exercice de son droit de rétention sur l'immeuble, que cette société avait commis une faute en omettant de s'assurer des garanties de financement promises par le débiteur, en ne prenant aucune garantie pour le recouvrement, pourtant menacé, de sa créance et en acceptant de différer le paiement de cette dernière, sans constater que ce comportement, de surcroît licite, ait pu nuire d'une quelconque manière au débiteur, la cour d'appel a violé les articles 1382 et suivants du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel a retenu à bon droit que l'entrepreneur chargé de l'édification d'un bâtiment n'est pas titulaire d'un droit réel sur l'immeuble, opposable aux autres créanciers, et qu'il ne bénéficie pas d'un droit de rétention sur le bien construit ou sur le produit de sa vente jusqu'au paiement du prix des travaux ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.
Publication : Bulletin 1999 III N° 150 p. 104
Semaine juridique, Edition notariale et immobilière, 2000-02-25, n° 8, p. 363, note D. BOULANGER. Revue trimestrielle de droit civil, 2000-03, n° 1, p. 142, note P. CROCQ. Semaine juridique, 2000-06-14, n° 24, p. 1127, note S. VICENTE.

Cour de Cassation
Chambre civile 3
Audience publique du 23 octobre 2002
Rejet.
Sur le premier moyen :
Attendu selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 avril 1998) que la société civile immobilière (SCI) résidence du Belvédère a vendu à la société immobilière Bust des lots dépendant d'un immeuble à construire ; que la société immobilière Bust a été déclarée en liquidation judiciaire et que le liquidateur a été autorisé par le juge-commissaire à céder les lots de gré à gré à M. X... ; que la SCI résidence du Belvédère a prétendu pouvoir exercer un droit de rétention sur les clés de l'immeuble vendu jusqu'au règlement de sa créance régulièrement déclarée ;
Attendu que la SCI résidence du Belvédère fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 159, alinéa 1, de la loi du 25 janvier 1985 tendant à constater l'existence à son profit d'un droit de rétention sur l'immeuble se trouvant reporté sur le prix de cession de ce dernier et, en conséquence, constater que la SCI pouvait indéfiniment refuser de délivrer les locaux tant qu'elle n'aurait pas été indemnisée du montant de sa créance déclarée, alors selon le moyen :
1 / que l'article 159 de la loi du 25 janvier 1985 s'applique à tout titulaire d'un droit de rétention, que celui-ci porte sur un meuble ou sur un immeuble, dont la détention est dans ce dernier cas symbolisée par celle des titres ou des clés qui en permettent la jouissance ; qu'en décidant que l'article 159 ne pouvait recevoir application au profit d'un créancier invoquant l'existence d'un droit de rétention sur les clés d'un appartement au motif erroné que le droit de rétention visé par ce texte ne concernerait que les meubles, la cour d'appel l'a violé par fausse application ;
2 / que sauf disposition conventionnelle contraire, le vendeur d'immeuble en l'état futur d'achèvement est, comme tout vendeur d'immeuble, en droit de refuser de délivrer la chose en exerçant son droit de rétention sur les clés tant qu'il n'a pas reçu l'intégralité du prix ; qu'en contestant l'existence de ce droit de rétention à la société civile immobilière résidence du Belvédère, pour des motifs tirés de ce que ce droit de rétention ne pourrait s'exercer sur des clés, ou encore de ce que la SCI résidence du Belvédère était déjà titulaire d'une sûreté résultant de sa qualité de vendeur d'immeuble, la cour d'appel a violé l'article 159 de la loi du 25 janvier 1985 et l'article 1605 du Code civil ;
3 / que le vendeur n'est pas tenu de délivrer l'immeuble en remettant les clés à l'acheteur si celui-ci ne paie pas le prix convenu et ce droit lui est reconnu, selon l'article 1613 du Code civil, même si, depuis la vente, "l'acheteur est tombé en faillite ou en état de déconfiture de sorte que le vendeur se trouve en danger imminent de perdre le prix" ; qu'en constatant que la société immobilière Bust, en liquidation judiciaire, n'avait pas payé la totalité du prix, tout en ordonnant à la SCI du Belvédère de lui délivrer la chose, la cour d'appel a violé les articles 1605, 1612 et 1613 du Code civil ;
4 / qu'il en est d'autant plus ainsi que les parties au contrat de vente en l'état futur d'achèvement avaient contractuellement subordonné la remise des clés au paiement du solde du prix de vente, comme elles avaient subordonné à la remise des clés, la jouissance des lieux par l'acquéreur en sorte qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé derechef les textes sus-visés ;

Mais attendu qu'ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que l'immeuble litigieux était achevé lors de la cession et exactement retenu que l'article 159, alinéa 1 , de la loi du 25 janvier 1985 devenu l'article L. 622-21 du Code de commerce était inapplicable aux immeubles, la cour d'appel a pu déduire de ces seuls motifs que la SCI résidence du Belvédère devait livrer les locaux et remettre les clés ;

Sur le second moyen :
Attendu que la SCI résidence du Belvédère fait grief à l'arrêt de la débouter de l'ensemble de ses demandes, alors selon le moyen :
1 / qu'aucune des parties en présence ne s'était prévalue de l'ordonnance du 26 janvier 1995 autorisant la vente de gré à gré des immeubles ni du jugement du 9 mai 1995 rejetant l'opposition formée à cette ordonnance, comme constitutifs d'un obstacle à l'exercice par la SCI résidence du Belvédère de son droit sur le prix de revente de l'immeuble ; que si l'arrêt attaqué s' analyse comme ayant attaché à ces décisions une autorité de la chose jugée s'opposant à l'exercice de ce droit, il devra être considéré comme ayant soulevé d'office un moyen sans le soumettre aux observations contradictoires des parties, violant ainsi l'article 16 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1351 du Code civil ;
2 / que dans son ordonnance du 26 janvier 1995, le juge-commisaire a seulement autorisé la cession de gré à gré des immeubles acquis par la SNC immobilière Bust en en fixant le prix et en précisant que le liquidateur sera autorisé à procéder à la distribution provisionnelle du prix aux créanciers inscrits dans la limite de leur créance garantie, et en contrepartie obtenir mainlevée totale de l'inscription du privilège leur bénéficiant ; que le jugement du 9 mai 1995 a rejeté l'opposition faite par la SCI résidence du Belvédère à l'ordonnance précitée et qui était fondée sur ce que la SNC immobilière Bust n'était pas propriétaire des immeubles ; qu'en se fondant sur ces seules décisions pour rejeter la demande de la SCI résidence du Belvédère sans expliquer en quoi elles pouvaient mettre en échec les dispositions d'ordre public de l'article 1601-4 du Code civil, d'autant de surcroît que ladite SCI est créancier titulaire du privilège du vendeur, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1604-1 du Code civil, ensemble l'article 1351 du Code civil ;
3 / qu'en tout état de cause, aux termes de l'article 1601-4 du Code civil, la cession par l'acquéreur des droits qu'il tient d'une vente d'immeuble à construire substitue de plein droit le cessionnaire dans les obligations de l'acquéreur envers le vendeur ; qu'après avoir constaté que la créance de la SCI comprend les appels de fonds correspondant à toutes les étapes de la construction restées impayées par l'acquéreur, la cour d'appel qui, sous le seul prétexte que l'immeuble était déjà achevé, refuse de substituer de plein droit le cessionnaire dans les droits de la SNC immobilière Bust, ce qui implique l'obligation pour lui de verser le prix directement à la SCI résidence du Belvédère, viole l'article 1601-4 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que l'immeuble litigieux était achevé lors de la cession consentie à M. X... et que l'exécution des travaux de construction entraînait transfert de propriété indépendamment du paiement de la fraction de prix correspondant, la cour d'appel a pu en déduire, sans violer le principe de la contradiction, que les dispositions de l'article 1601-4 du Code civil était inapplicables et , par ces seuls motifs, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;

Publication : Bulletin 2002 III N° 209 p. 179 ; JCP G 2003, I, 124, obs Delebecque