Garanties
autonomes : appels abusifs en garantie
Cour de Cassation
Chambre commerciale
Audience publique du 7 juin 1994 Cassation
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la Banque française
pour le commerce extérieur (la BFCE) a contre-garanti la banque saoudienne
Al Bank Al Saudi (Al Bank) qui, le même jour, a donné au ministère
de l'Agriculture et des eaux d'Arabie Saoudite (le MAW) une garantie à
première demande pour la soumission de la société Rhône
Mérieux à un appel d'offres concernant la création d'un
laboratoire ; que l'engagement de la BFCE, donné à l'origine jusqu'au
2O mars 1989, a été prorogé, à la demande d'Al Bank
jusqu'au 16 juillet 1990 ; qu'au début du mois de juin 1990, la BFCE
a été sommée par Al Bank de proroger sa garantie ou d'en
régler le montant et a reçu comme instructions de la société
Rhône Mérieux de faire réduire le montant de la garantie
; que, le 29 mai 1991, Al Bank a notifié à la BFCE le refus du
MAW de réduire le montant de la garantie ; que, le 4 juin 1991, la société
Rhône Mérieux a assigné en référé la
BFCE et Al Bank pour qu'il soit fait défense à la BFCE de payer
la somme réclamée ; que la BFCE a versé le montant de la
contre-garantie le 14 juin et en a débité le compte de la société
Rhône Mérieux ; que cette société a demandé
au juge des référés de condamner la BFCE à lui restituer
cette somme ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 873 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que pour décider que le juge des référés
est compétent, l'arrêt retient que la privation d'une somme de
500 000 francs constitue un péril imminent ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le juge des référés
ne peut ordonner la restitution d'une somme au donneur d'ordre qui en a été
privé à la suite du paiement d'une garantie à première
demande, hors le cas de fraude ou d'abus manifeste, la cour d'appel a violé
le texte susvisé ;
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 873 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que pour déclarer le juge des référés compétent,
l'arrêt retient l'illicéité du procédé consistant
à payer la contre-garantie, tandis que le juge des référés
était saisi d'une demande d'interdiction de le faire ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que, même après
la saisine du juge des référés, la banque restait tenue
de payer à première demande le montant de la contre-garantie,
la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le second moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1134 du Code civil ;
Attendu que, pour condamner la BFCE à restituer à la société
Rhône Mérieux la somme débitée sur son compte, l'arrêt
a retenu que l'appel de la garantie avait un caractère manifestement
abusif puisque l'offre initiale de la société Rhône Mérieux
n'ayant pas été retenue et un autre marché, d'un montant
inférieur, n'ayant pas non plus été mené à
sa conclusion, la garantie n'avait plus d'objet et qu'aucun accord concernant
une nouvelle garantie n'avait été donné au ministère
de l'Agriculture et de l'eau ;
Attendu qu'en se fondant exclusivement sur des considérations inhérentes
au contrat de base, sans caractériser l'abus manifeste ou la fraude qu'aurait
commis Al Bank en réclamant la contre-garantie, la cour d'appel n'a pas
donné de base légale à sa décision au regard de
l'article 1134 du Code civil ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du
second moyen
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 mars
1992, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Cour de Cassation
Chambre commerciale
Audience publique du 26 novembre 2003 Cassation.
Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 1134 du Code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'à l'occasion d'un marché
conclu entre la société yéménite "Public Electricité
corporation" (société PEC) et la société française
"Injection Diesel électricité maintenance" ayant pour
nom commercial "Electro-Mécanique industries" (société
EMI) pour la construction d'une centrale électrique au Yémen,
le Crédit agricole Indosuez a émis, au bénéfice
du maître de l'ouvrage, une garantie de soumission, stipulée à
première demande, que, sur ordre de la société EMI, le
Crédit du Nord s'est engagé, selon les mêmes modalités,
à contre-garantir ; que la société PEC ayant appelé
la garantie du Crédit agricole Indosuez le 5 février 1997, ce
dernier a lui-même appelé la contre-garantie du Crédit du
Nord le lendemain en sursoyant à l'exécution de son propre engagement
jusqu'en mai 1999 ; que, faisant valoir que l'appel de la garantie du Crédit
agricole Indosuez par la société PEC avait été frauduleux
ou à tout le moins abusif, la société EMI a demandé
judiciairement d'interdire au Crédit du Nord de procéder au paiement
;
Attendu que pour accueillir cette demande, l'arrêt retient, d'abord, que
la société PEC avait abusivement appelé la garantie lui
bénéficiant alors même qu'ayant obtenu la prorogation de
sa durée, elle refusait de fournir les garanties contractuelles de bonne
exécution lui incombant, manifestant ainsi qu'elle n'avait plus ou n'avait
jamais eu l'intention ni les moyens de conclure et de mener à son terme
le contrat de base et, ensuite, que le Crédit agricole Indosuez, qui
avait, contrairement aux usages suivis en la matière, retardé
de plus de deux ans l'exécution de son propre engagement en raison des
actions qui opposaient, en France, la société PEC à la
société EMI, avait, ce faisant, lui-même admis ce caractère
abusif ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si l'appel de garantie
formulé par la société PEC était manifestement abusif
ou frauduleux et, à supposer qu'il le fût, si à la date
où il avait appelé la contre-garantie du Crédit du Nord,
le Crédit agricole Indosuez ne pouvait avoir lui-même aucun doute
sur la réalité de ce caractère manifestement abusif ou
frauduleux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale
;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première
branche :
CASSE ET ANNULE
Publication : Bulletin 2003 IV N° 175 p. 192
Revue trimestrielle de droit commercial et de droit économique, n°
1, janvier-mars 2004, p. 145-146, note Dominique LEGEAIS