Cour de Cassation
Chambre commerciale
Audience publique du 21 décembre 1987 Cassation .
Attendu que, selon les énonciations de l'arrêt attaqué,
la société Textiles du Vallespir (société TV), filiale
de la société de droit espagnol Viuda de José Tolra (société
Tolra), a obtenu, aux termes de contrats constatés par des actes notariés,
respectivement établis au cours des mois de novembre 1973 et juin et
septembre 1974, trois prêts de la Société de développement
régional du Languedoc-Roussillon (SODLER) en vue de la construction d'une
usine ; qu'outre le cautionnement qu'elle avait donné pour le remboursement
du premier de ces prêts, la société Tolra a signé
le 29 mai 1974 une lettre adressée à la SODLER par laquelle elle
affirmait son intention de " soutenir sa filiale dans ses besoins financiers
et, dans le cas où cela deviendrait nécessaire, de se substituer
à elle pour faire face à tous les engagements qu'elle pouvait
prendre à l'égard de la SODLER ", tout en exprimant son souci
de veiller de façon durable à sa totale solvabilité et
en confirmant son " intention, en cas de nécessité, d'effectuer
immédiatement les démarches nécessaires auprès des
autorités espagnoles pour obtenir l'autorisation du transfert des fonds
" ; que cette lettre a été mentionnée dans l'acte
notarié daté des 12 et 17 septembre 1974 relatif au troisième
prêt, mais qu'elle vise également le deuxième ; qu'à
la suite du prononcé du règlement judiciaire de la société
TV et de la conversion de celui-ci en liquidation des biens, la SODLER a assigné
la société Tolra en paiement du montant en principal et intérêts
des deuxième et troisième prêts, sur le fondement de la
lettre d'intention ; .
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches :
Attendu que la société Tolra fait grief à la cour d'appel
d'avoir considéré que la lettre d'intention l'engageait contractuellement,
et d'avoir retenu à son encontre une obligation de résultat, alors,
selon le pourvoi, d'une part, que, sauf exception, une déclaration d'intention
unilatérale ne fait naître aucune obligation civile ; qu'il résulte
des propres énonciations de l'arrêt que la société
Tolra s'est bornée à exprimer unilatéralement son intention
sans qu'une convention se soit formée, faute d'accord des parties ; qu'en
considérant que la lettre d'intention, établie par la société
Tolra, avait pu faire naître une obligation civile à sa charge,
la cour d'appel a violé les articles 1101 et suivants du Code civil ;
et alors, d'autre part, que l'obligation de résultat de se substituer,
le cas échéant, à un débiteur pour faire face aux
engagements pris envers un créancier, est l'obligation de la caution
; qu'elle ne peut résulter que d'un contrat de cautionnement, lequel
doit être exprès et avoir un objet déterminé ou déterminable
; qu'en considérant que la lettre d'intention contenait une obligation
de résultat distincte d'un cautionnement, la cour d'appel a violé
les articles 2011 et suivants du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que, malgré son caractère unilatéral,
une lettre d'intention peut, selon ses termes, lorsqu'elle a été
acceptée par son destinataire et eu égard à la commune
intention des parties, constituer à la charge de celui qui l'a souscrite
un engagement contractuel de faire ou de ne pas faire pouvant aller jusqu'à
l'obligation d'assurer un résultat, si même elle ne constitue pas
un cautionnement ; qu'il appartient au juge de donner ou restituer son exacte
qualification à un pareil acte sans s'arrêter à la dénomination
que les parties en auraient proposée ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel relève que, dans sa lettre
du 29 mai 1974, la société Tolra avait entendu accepter de se
substituer, le cas échéant, à sa filiale pour faire face
aux engagements pris vis-à-vis de la SODLER et ajoute que cette lettre
visait de façon certaine le deuxième et le troisième emprunt
; que, si le cautionnement ne se présume point, et s'il doit être
exprès, celui qui, par une manifestation non équivoque et éclairée
de sa volonté, déclare se soumettre envers le créancier
à satisfaire à l'obligation du débiteur si celui-ci n'y
satisfait pas lui-même, se rend caution de cette obligation ; que, par
ce motif de pur droit, substitué à ceux qui sont critiqués,
se trouve justifiée la décision de la cour d'appel en ce qu'elle
a constaté que la société Tolra s'était engagée
à payer à la SODLER, en cas de défaillance de la société
TV, ce qui lui resterait dû par celle-ci au titre des prêts consentis
;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli dans aucune de
ses branches ;
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :
Attendu que la société Tolra reproche au surplus à la cour
d'appel, pour les raisons qui sont reproduites en annexe, d'avoir privé
sa décision de base légale au regard des articles 1131, 1134 et
1315 du Code civil et 354 de la loi du 24 juillet 1966, faute d'avoir établi
que les qualités de filiale et de société mère des
sociétés TV et Tolra étaient actuelles au moment de l'action
de la SODLER ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni des conclusions, ni de l'arrêt,
que ce moyen ait été mis en oeuvre devant les juges du fond ;
qu'il est donc nouveau et, eu égard à son mélange de fait
et de droit, irrecevable ;
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 3 du Code civil, ensemble l'article 3 de la loi du 24 juillet 1966
;
Attendu que, pour écarter les prétentions de la société
Tolra selon lesquelles, même si la lettre d'intention contenait un engagement
de payer, celui-ci aurait été nul pour n'avoir pas été
pris conformément au droit espagnol sur les sociétés, la
cour d'appel s'est bornée à déclarer qu'elle était
" saisie d'un litige consécutif à des faits et des actes
qui se sont produits en France et auxquels la législation française
doit s'appliquer " ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, après avoir relevé
que la société Tolra était une société anonyme
de droit espagnol et alors que l'appréciation des pouvoirs des dirigeants
d'une société relève de la loi nationale de cette société,
la cour d'appel a violé, par fausse application, les textes susvisés
;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du
pourvoi :
CASSE ET ANNULE, en son entier, mais dans la limite des deuxième et troisième
moyens, l'arrêt rendu le 10 janvier 1985, entre les parties, par la cour
d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties
dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et,
pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon
Publication : Bulletin 1987 IV N°
281 p. 210
JCP , 1988, n° 21113, note M. MONTANIER.
Dalloz, 1989-03-09, n° 10, p. 112, note J.P. BRILL.
Revue critique de droit international privé, juin 1989, n° 2, p.
344, note M.N. JOBARD-BACHELLIER.