L’épouse du cogérant
Cour de Cassation
Chambre commerciale
Audience publique du 11 juin 2003 Rejet.
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu
l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 23 septembre 1999), que la
société Omnibanque, aux droits de laquelle se trouvent la société
Fideimur, et la société Batimur (les crédit-bailleresses)
ont conclu avec la SCI Doma (la SCI) un contrat de crédit-bail immobilier
pour l'acquisition d'un terrain et la construction d'un hôtel-restaurant
; que les associés de la SCI, M. et Mme X... et M. et Mme Y... (les cautions),
se sont portés cautions solidaires des engagements de cette société
envers les crédit-bailleresses ; que le SCI a été mise
en redressement judiciaire le 12 juillet 1995, tandis que les loyers étaient
impayés depuis le quatrième trimestre 1992 ; que les crédit-bailleresses
ont déclaré leur créance au passif de la SCI, puis ont
assigné les cautions en exécution de leurs engagements ; que la
cour d'appel a déclaré irrecevables les demandes des crédit-bailleresses
et a condamné les cautions à leur payer une certaine somme ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches :
Attendu que les cautions font grief à l'arrêt d'avoir statué
ainsi, alors, selon le moyen :
1 / que le pouvoir donné au mandataire ou au préposé d'une
personne morale pour procéder à une déclaration de créance
doit accompagner l'acte ou être produit dans le délai de celui-ci
; qu'en décidant que M. Z..., préposé de la société
Batimur, avait régulièrement déclaré la créance
des crédit-bailleresses au passif de la débitrice le 25 novembre
1994 et qu'il pouvait être justifié d'un pouvoir avant que le juge
ne statuât sur l'admission de la créance, sans rechercher si la
délégation invoquée par les crédit-bailleresses
avait été produite entre les mains des organes de la procédure
collective dans les délais qui leur étaient impartis pour procéder
à la déclaration de la créance, la cour d'appel a privé
sa décision de base légale au regard des articles 416 et 853 du
nouveau Code de procédure civile, 50 et 53 de la loi du 25 janvier 1985
ainsi que 175 du décret du 31 décembre 1985 ;
2 ) que si la déclaration de créance au passif du débiteur
peut être faite au nom d'une personne morale par l'un de ses préposés
titulaire d'une délégation de pouvoir lui permettant d'accomplir
un tel acte, c'est à la condition de justifier de cette délégation
par la production de documents attestant de sa réalité avant que
le juge ne statue sur l'admission de la créance ; qu'en se bornant à
rappeler le principe applicable sans rechercher si, en l'espèce, la délégation
du 28 décembre 1994 dont se prévalait les crédit-bailleresses
avait été effectivement produite entre les mains des organes de
la procédure collective de la débitrice avant que le juge ne statuât
sur l'admission de la créance, la cour d'appel n'a pas conféré
de base légale à sa décision au regard des textes susvisés
;
Mais attendu qu'après avoir relevé que la déclaration de
créance avait été faite le 25 novembre 1995 par M. Z...
et que le co-gérant de la société Batimur avait donné
procuration à ce préposé le 28 décembre 1994 pour
toute l'année 1995 à l'effet de représenter cette société
dans toute procédure contentieuse et notamment de déclaration
de créance, l'arrêt retient qu'il peut être justifié
de l'existence d'une délégation de pouvoirs jusqu'à ce
que le juge statue sur l'admission de la créance, par la production d'un
document attestant de sa réalité et en déduit que la déclaration
faite au nom de la société Batimur par une personne dont il a
été justifié qu'elle bénéficiait d'une délégation
de pouvoir était régulière ; que la cour d'appel ayant
ainsi légalement justifié sa décision, le moyen n'est fondé
en aucune de ses branches ;
Sur le même moyen, pris en sa troisième branche :
Attendu que les cautions font le même grief à l'arrêt alors,
selon le moyen, que le pouvoir donné à un mandataire par une personne
morale pour procéder en son nom à des déclarations de créance,
qui équivalent à une demande en justice, doit être spécial
; qu'en retenant, pour décider que la société Batimur avait
qualité pour déclarer la créance de la société
Fideimur que, pour l'opération de crédit-bail immobilier, les
deux personnes morales avaient conclu une convention d'indivision par laquelle
la première avait été habilitée par la seconde à
représenter l'indivision dans les actes d'administration et de gestion
tant pour son compte qu'en vertu du mandat qui lui était conféré
par sa coïndivisaire, se fondant ainsi sur un mandat général
d'administration et de gestion quand un pouvoir spécial de représentation
en justice ou de déclarer des créances s'avérait nécessaire,
la cour d'appel a violé les articles 416 et 853 du nouveau Code de procédure
civile, 50 et 53 de la loi du 25 janvier 1985 ainsi que 175 du décret
du 31 décembre 1985 ;
Mais attendu qu'il résulte des articles 815 et suivants du Code civil
que tout indivisaire peut déclarer une créance de l'indivision
à la procédure collective du débiteur de l'indivision ;
Attendu qu'ayant constaté que les crédit-bailleresses étaient
liées par une convention d'indivision, la cour d'appel a légalement
justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que les cautions font encore le même grief à l'arrêt
alors, selon le moyen :
1 ) que commet une faute de nature à engager sa responsabilité
envers la caution l'établissement financier qui consent à l'emprunteur
un crédit dont la charge est excessive par rapport tant à ses
capacités de remboursement qu'aux facultés contributives de son
garant ; qu'en se contentant d'affirmer que le projet aurait été
fiable parce que le chiffre d'affaires de la première année d'exploitation
avait été conforme aux prévisions et qu'une activité
de ce type ne pouvait générer de profits avant plusieurs années,
sans vérifier, ainsi qu'elle y était invitée, que, même
si les chiffres prévisionnels s'étaient révélés
exacts, il apparaissait dès l'origine que la charge de la dette avoisinant
20 000 000 francs était disproportionnée tant avec les capacités
de remboursement de la débitrice en raison des pertes inévitables
prévues les premières années qu'avec le patrimoine et les
ressources des cautions qui, ayant investi tout ce qu'elles possédaient
dans l'opération et se trouvant démunies, n'avaient plus aucun
moyen, sur leurs deniers personnels, de financer la moindre perte ni de garantir
la moindre défaillance de l'entreprise, la cour d'appel a privé
sa décision de base légale au regard des articles 1134, alinéa
3, et 1382 du Code civil ;
2 ) que le prêteur de deniers est tenu, envers les cautions, d'un devoir
de conseil sur la rentabilité de l'opération projetée et
les risques encourus ; qu'en décidant que les cautions ne pouvaient invoquer
leur manque d'expérience, dispensant ainsi les crédit-bailleresses
de toute obligation de conseil, au prétexte qu'ils n'auraient pas été
étrangers au monde des affaires puisque l'un avait dirigé une
société tandis qu'un autre avait exploité un débit
de boissons et qu'ensemble ils avaient apporté 2 000 000 francs dans
l'affaire, sans s'assurer que les intéressés étaient familiarisés
avec le milieu de l'hôtellerie et de la restauration de grande envergure,
la cour d'appel n'a pas conféré à sa décision de
base légale au regard des textes susvisés ;
Mais attendu, d'une part, que les cautions s'étant bornées à
se prétendre insolvables sans alléguer que la charge de la dette
était manifestement disproportionnée avec leur patrimoine et leurs
ressources à l'époque des cautionnements, le moyen ne peut être
accueilli ;
Et attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que le montant des investissements
était important mais en rapport avec la création d'un hôtel
de quarante deux chambres, que les documents produits démontrent que
le projet était fiable et que le chiffre d'affaires réalisé
lors la première année d'exploitation avait été
conforme aux prévisions, la cour d'appel n'était pas tenue d'effectuer
la recherche inopérante évoquée à la deuxième
branche ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches
;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Publication : Bulletin 2003 IV N° 95 p. 105
Revue trimestrielle de droit civil, janvier-mars 2004, n° 1, p. 124-126,
note Pierre CROCQ