Arrêt de la Cour du 20 octobre 1993.
Phil Collins
contre Imtrat Handelsgesellschaft mbH et Patricia Im- und Export Verwaltungsgesellschaft
mbH
et Leif Emanuel Kraul
contre EMI Electrola GmbH.
Demandes de décision préjudicielle: Landgericht
München I et Bundesgerichtshof - Allemagne.
Article 7 du traité - Droit d'auteur et droits voisins.
Affaires jointes C-92/92 et C-326/92.
1. Droit communautaire - Principes - Égalité de traitement - Discrimination en raison de la nationalité - Interdiction - Champ d' application - Droit d' auteur et droits voisins - Inclusion
(Traité CEE, art. 7)
2. Droit communautaire - Principes - Égalité de traitement - Discrimination en raison de la nationalité - Interdiction - Législation nationale accordant aux auteurs et artistes le droit d' interdire la commercialisation de phonogrammes réalisés à partir de prestations exécutées en dehors du territoire national et fabriqués sans leur consentement - Droit refusé aux ressortissants des autres États membres - Inadmissibilité
(Traité CEE, art. 7)
3. Droit communautaire - Principes - Égalité de traitement - Discrimination en raison de la nationalité - Interdiction - Possibilité pour les ressortissants des autres États membres de s' en prévaloir pour bénéficier de la protection de la propriété littéraire et artistique réservée aux nationaux
(Traité CEE, art. 7)
1. Le droit d' auteur et les droits voisins, en raison notamment de leurs effets
sur les échanges intracommunautaires de biens et de services, entrent
dans le domaine d' application du traité, au sens de l' article 7, premier
alinéa. Sans qu' il soit besoin même de les rattacher aux dispositions
spécifiques des articles 30, 36, 59 et 66 du traité, le principe
général de non-discrimination posé par l' article 7, premier
alinéa, leur est applicable.
2. L' article 7, premier alinéa, du traité doit être interprété
en ce sens qu' il s' oppose à ce qu' une législation d' un État
membre exclue les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants
des autres États membres, et leurs ayants droit, du droit, qui est reconnu
par cette même législation aux ressortissants nationaux, d' interdire
la commercialisation, sur le territoire national, d' un phonogramme fabriqué
sans leur consentement, lorsque la prestation a été exécutée
en dehors du territoire national.
En effet, en interdisant "toute discrimination exercée en raison
de la nationalité", l' article 7 exige de chaque État membre
qu' il assure aux personnes se trouvant dans une situation régie par
le droit communautaire la parfaite égalité de traitement avec
ses ressortissants et s' oppose dès lors à ce qu' un État
membre soumette l' octroi d' un droit exclusif à la condition d' être
un ressortissant national.
3. L' article 7, premier alinéa, du traité doit être interprété
en ce sens que le principe de non-discrimination qu' il pose peut être
directement invoqué devant le juge national par un auteur ou par un artiste
d' un autre État membre, ou par leur ayant droit, pour demander le bénéfice
de la protection réservée aux auteurs et artistes nationaux.
Dans les affaires jointes C-92/92 et C-326/92,
LA COUR,
Arrêt
1- Par ordonnance du 4 mars 1992, parvenue à la Cour le 23 mars suivant
et enregistrée sous le n C-92/92, le Landgericht Muenchen I a posé,
en application de l' article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles
relatives à l' interprétation des dispositions de l' article 7,
premier alinéa, du traité CEE.
2- Par ordonnance du 30 avril 1992, parvenue à la Cour le 30 juillet
suivant et enregistrée sous le n C-326/92, le Bundesgerichtshof a également
posé, en application de l' article 177 du traité, deux questions
préjudicielles relatives à l' interprétation de ces mêmes
dispositions.
3- Les questions posées par le Landgericht Muenchen I, dans l' affaire
C-92/92, ont été soulevées dans le cadre d' un litige qui
oppose Phil Collins, chanteur-compositeur de nationalité britannique,
à un distributeur de phonogrammes, Imtrat Handelsgesellschaft mbH (ci-après
"Imtrat") à propos de la commercialisation, sur le territoire
allemand, d' un disque compact contenant l' enregistrement, réalisé
sans le consentement du chanteur, d' un concert donné aux États-Unis.
4- L' article 96, paragraphe 1, et l' article 125, paragraphe 1, de la loi allemande
sur le droit d' auteur du 9 septembre 1965 (Urheberrechtsgesetz - ci-après
"UrhG") reconnaissent à l' artiste interprète ou exécutant,
de nationalité allemande, pour toutes ses prestations, la protection
assurée par les articles 73 à 84 de cette loi et lui reconnaissent
notamment le droit d' interdire la diffusion de celles de ses prestations qui
sont reproduites sans son autorisation, ceci quel que soit le lieu de leur exécution.
Il résulte, en revanche, des dispositions des paragraphes 2 à
6 de l' article 125 de l' UrhG, relatives aux artistes étrangers, telles
qu' elles ont été interprétées par le Bundesgerichtshof
et le Bundesverfassungsgericht, que ces artistes ne peuvent pas se prévaloir
des dispositions précitées de l' article 96, paragraphe 1, lorsque
la prestation a été exécutée à l' extérieur
du territoire allemand.
5- Phil Collins ayant présenté une requête en référé
devant le Landgericht Muenchen I tendant à ce que soient prises des mesures
visant à interdire la commercialisation du disque en cause, le juge national
a, d' une part, estimé que les dispositions de l' article 125 de l' UrhG
étaient applicables au litige, à l' exclusion notamment des stipulations
de la convention internationale de Rome, du 26 octobre 1961, sur la protection
des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes
et des organismes de radiodiffusion (Recueil des Traités, volume 496,
n 7247), à laquelle n' avait pas adhéré l' État
du lieu de l' exécution de la prestation, les États-Unis, et d'
autre part, s' est interrogé sur la compatibilité de ces dispositions
nationales avec le principe de non-discrimination posé par l' article
7, premier alinéa, du traité.
6- C' est dans ces conditions que le Landgericht Muenchen I a sursis à
statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles
suivantes:
"1. Le droit d' auteur relève-t-il de l' interdiction de discrimination
consacrée à l' article 7, premier alinéa, du traité
CEE?
2. Dans l' affirmative: en résulte-t-il un effet direct en ce sens qu'
un État membre qui accorde à ses ressortissants une protection
pour chacune de leurs exécutions artistiques, quel qu' en soit le lieu
d' exécution, est également tenu d' accorder cette protection
aux ressortissants d' autres États membres, ou bien est-il compatible
avec l' article 7, premier alinéa, du traité de subordonner à
certaines conditions (voir article 125, paragraphes 2 à 6 de l' Urheberrechtsgesetz
(loi allemande relative au droit d' auteur) du 9 septembre 1965), l' octroi
de la protection accordée aux ressortissants d' autres États membres?"
7- Dans l' affaire C-326/92, les questions ont été posées
par le Bundesgerichtshof dans le cadre d' un litige qui oppose EMI Electrola
GmbH (ci-après "EMI Electrola") à Patricia Im- und Export
Verwaltungsgesellschaft mbH (ci-après "Patricia") et son gérant,
M. Kraul, à propos de la commercialisation, sur le territoire allemand,
de phonogrammes contenant des enregistrements de spectacles qu' a donnés
Cliff Richard, chanteur de nationalité britannique, dans les années
1958 et 1959, en Grande-Bretagne.
8- EMI Electrola est détentrice, sur le territoire allemand, des droits
exclusifs d' exploitation des enregistrements de ces spectacles. Elle soutient
que Patricia a méconnu ses droits exclusifs en commercialisant, sans
son accord, des phonogrammes reproduisant ces enregistrements.
9- Le Bundesgerichtshof, saisi d' un pourvoi en révision dans le cadre
de ce litige, a estimé que ce dernier relevait des dispositions de l'
article 125, paragraphes 2 à 6, de l' UrhG précité, à
l' exclusion notamment des stipulations de la convention de Berne, du 9 septembre
1886, pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques, révisée
en dernier lieu par l' acte de Paris du 24 juillet 1971 (OMPI, fascicule n 287),
qui concerne le droit d' auteur proprement dit et non les droits voisins de
l' artiste, et des stipulations de la convention de Rome qui ne peut pas être
appliquée rétroactivement à des prestations exécutées
en 1958 et 1959.
10- Dans les motifs de son ordonnance de renvoi, le Bundesgerichtshof, qui connaissait
les questions posées à la Cour par le Landgericht Muenchen, indique
que, en l' absence de réglementation communautaire et en l' absence,
sauf sur certains points, d' harmonisation des législations nationales,
le droit d' auteur et les droits voisins ne lui paraissent pas entrer dans le
champ d' application du droit communautaire et plus particulièrement
de l' article 7 du traité.
11- C' est dans ces conditions que le Bundesgerichtshof a sursis à statuer
et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1. Le droit d' auteur relève-t-il de l' interdiction de discrimination
consacrée à l' article 7, premier alinéa, du traité
CEE?
2. Dans l' affirmative: la réglementation qui protège les prestations
artistiques dans un État membre (article 125, paragraphes 2 à
6 de l' Urheberrechtsgesetz - loi allemande relative au droit d' auteur), est-elle
compatible avec l' article 7, premier alinéa du traité CEE, lorsqu'
elle n' assure pas aux ressortissants d' un État membre les mêmes
conditions de protection (protection nationale) qu' aux artistes nationaux?"
12- Pour un plus ample exposé des faits des litiges au principal, du
déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites
déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d' audience.
Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans
la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur l' objet des renvois préjudiciels
13- La Cour, statuant dans le cadre de l' article 177 du traité, ne peut
pas se prononcer sur l' interprétation de dispositions législatives
ou réglementaires nationales, ni sur la conformité de telles dispositions
avec le droit communautaire. Elle ne peut, en conséquence, ni interpréter
les dispositions de l' UrhG ni en apprécier la compatibilité avec
le droit communautaire. La Cour peut uniquement fournir à la juridiction
nationale les éléments d' interprétation relevant du droit
communautaire qui permettront à celle-ci de résoudre le problème
juridique dont elle se trouve saisie (arrêt du 9 octobre 1984, Heineken
Brouwerijen, 91 et 127/83, Rec. p. 3435, point 10).
14- Les ordonnances de renvoi mentionnent les règles nationales applicables
au droit d' auteur ainsi que les dispositions de l' article 125 de l' UrhG qui
régissent les droits des artistes interprètes ou exécutants,
dits "droits voisins du droit d' auteur". Il n' appartient pas à
la Cour de déterminer si les litiges au principal relèvent de
l' une ou l' autre de ces deux catégories de droits. Comme le propose
la Commission, il y a lieu de regarder les questions posées comme portant
sur les règles applicables à ces deux catégories de droits.
15- Ces questions visent les dispositions de l' article 7, premier alinéa,
du traité qui posent le principe général de non-discrimination
en raison de la nationalité. Comme elles le prévoient expressément,
l' interdiction de discrimination que formulent ces dispositions n' est applicable
que dans le seul domaine du traité.
16- Les questions préjudicielles doivent, dans ces conditions, être
regardées comme visant, en substance, à savoir:
- si le droit d' auteur et les droits voisins entrent dans le domaine d' application
du traité au sens de l' article 7, premier alinéa, et si le principe
général de non-discrimination posé par cet article est,
en conséquence, applicable à ces droits;
- dans l' affirmative, si l' article 7, premier alinéa, du traité
s' oppose à ce qu' une législation d' un État membre exclue
les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants des autres
États membres, et leurs ayants droit, du droit, qui est reconnu par cette
même législation aux ressortissants nationaux, d' interdire la
commercialisation, sur le territoire national, d' un phonogramme fabriqué
sans leur consentement, lorsque la prestation a été exécutée
en dehors du territoire national;
- si l' article 7, premier alinéa, du traité, peut être
invoqué directement devant le juge national par un auteur ou un artiste
d' un autre État membre, ou leur ayant-droit, pour demander le bénéfice
de la protection réservée aux ressortissants nationaux.
Sur l' application des dispositions du traité
au droit d' auteur et aux droits voisins
17- La Commission, les gouvernements allemand et britannique, Phil Collins et
EMI Electrola soutiennent que le droit d' auteur et les droits voisins, en tant
qu' ils constituent notamment des droits économiques déterminant
les conditions dans lesquelles les oeuvres et les exécutions des artistes
peuvent faire l' objet d' une exploitation à titre onéreux, relèvent,
comme le montrent d' ailleurs les arrêts de la Cour faisant application
à ces droits des articles 30, 36, 59, 85 et 86 du traité ainsi
que l' intense activité législative dont ils font l' objet au
sein des Communautés, du champ d' application du traité. Dans
les rares cas où une disposition spécifique du traité n'
est pas applicable, le principe général de non-discrimination
posé par l' article 7, premier alinéa, du traité doit,
en tout état de cause, s' appliquer.
18- Imtrat soutient, au contraire, que les conditions d' octroi du droit d'
auteur et des droits voisins, qui mettent en cause non l' exercice de ces droits
mais leur existence, ne relèvent pas, conformément à l'
article 222 du traité et à une jurisprudence constante de la Cour,
du champ d' application du traité. Reprenant en cela les constatations
faites par le Bundesgerichtshof, Patricia et M. Kraul font quant à eux
plus particulièrement valoir que le droit d' auteur et les droits voisins
n' étaient pas, en l' absence de réglementation communautaire
ou de mesures d' harmonisation à la date des faits de l' espèce
au principal, régis par le droit communautaire.
19- En l' état actuel du droit communautaire et en l' absence de dispositions
communautaires d' harmonisation des législations nationales, il appartient
aux États membres, sous réserve du respect des conventions internationales
applicables, de fixer les conditions et les modalités de la protection
de la propriété littéraire et artistique (voir, en ce sens,
arrêt du 24 janvier 1989, EMI Electrola, 341/87, Rec. p. 79, point 11).
20- L' objet spécifique de ces droits, tels qu' ils sont régis
par les législations nationales, est d' assurer la protection des droits
moraux et économiques de leurs titulaires. La protection des droits moraux
permet notamment aux auteurs et aux artistes de s' opposer à toute déformation,
mutilation ou autre modification de l' oeuvre qui serait préjudiciable
à leur honneur ou à leur réputation. Le droit d' auteur
et les droits voisins présentent également un caractère
économique en ce qu' ils prévoient la faculté d' exploiter
commercialement la mise en circulation de l' oeuvre protégée,
en particulier, sous la forme de licences accordées moyennant le paiement
de redevances (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 1981, Musik-Vertrieb
membran, 55 et 57/80, Rec. p. 147, point 12).
21- Ainsi que l' a relevé la Cour dans ce dernier arrêt (point
13), si l' exploitation commerciale du droit d' auteur constitue une
source de rémunération pour son titulaire, elle constitue également
une forme de contrôle de la commercialisation, par le titulaire,
les sociétés de gestion et les bénéficiaires de
licences. De ce point de vue, l' exploitation commerciale du droit d' auteur
soulève les mêmes problèmes que celle d' un autre droit
de propriété industrielle et commerciale.
22- Comme les autres droits de la propriété industrielle et commerciale,
les droits exclusifs conférés par la propriété littéraire
et artistique sont de nature à affecter les échanges de biens
et de services ainsi que les rapports de concurrence à l' intérieur
de la Communauté. Pour cette raison, et comme l' a affirmé
la Cour dans une jurisprudence constante, ces droits, bien que régis
par les législations nationales, sont soumis aux exigences du traité
et se rattachent, dès lors, au domaine d' application de ce dernier.
23- C' est ainsi, par exemple, qu' ils sont soumis aux dispositions des articles
30 et 36 du traité relatifs à la libre circulation des marchandises.
Selon la jurisprudence de la Cour, les oeuvres musicales s' incorporent dans
des phonogrammes qui constituent des marchandises dont les échanges sur
le territoire de la Communauté sont régis par les dispositions
précitées (voir, en ce sens, arrêt Musik-Vertrieb membran,
précité, point 8).
24- C' est ainsi également que les activités des sociétés
de gestion des droits d' auteur sont soumises aux dispositions des articles
59 et 66 du traité relatifs à la libre prestation des services.
Comme l' a mentionné la Cour dans l' arrêt du 2 mars 1983, GVL/Commission
(7/82, Rec. p. 483, point 39), ces activités ne doivent pas être
aménagées de telle sorte qu' elles aient pour effet de gêner
la libre prestation de services et notamment la mise en valeur des droits des
exécutants, à tel point que le marché commun s' en trouve
compartimenté.
25- Enfin, les droits exclusifs conférés par la propriété
littéraire et artistique sont soumis aux dispositions du traité
relatives à la concurrence (voir arrêt du 8 juin 1971, Deutsche
Grammophon, 78/70, Rec. p. 487).
26- C' est, d' ailleurs, précisément afin d' éviter les
risques d' entraves aux échanges et de distorsions de concurrence que
le Conseil a arrêté, postérieurement aux litiges au principal,
sur le fondement de l' article 57, paragraphe 2, et des articles 66 et 100 A
du traité, la directive 92/100/CEE, du 19 novembre 1992, relative au
droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit
d' auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (JO L
346, p. 61).
27- Il découle de ce qui précède que le droit d' auteur
et les droits voisins, qui, en raison notamment de leurs effets sur les échanges
intracommunautaires de biens et de services, entrent dans le domaine d' application
du traité, sont nécessairement soumis, sans qu' il soit besoin
même de les rattacher aux dispositions spécifiques des articles
30, 36, 59 et 66 du traité, au principe général de non-discrimination
posé par l' article 7, premier alinéa, du traité.
28- Il convient, en conséquence, de répondre à la question
posée que le droit d' auteur et les droits voisins entrent dans le domaine
d' application du traité, au sens de l' article 7, premier alinéa;
le principe général de non-discrimination posé par cet
article est, dès lors, applicable à ces droits.
Sur la discrimination au sens de l' article 7,
premier alinéa, du traité
29- Imtrat et Patricia soutiennent que la différenciation qui est faite,
dans les cas visés par les juges nationaux, entre les ressortissants
nationaux et les ressortissants des autres États membres, est objectivement
justifiée par les disparités existant entre les législations
nationales et par le fait que tous les États membres n' ont pas encore
adhéré à la convention de Rome. Cette différenciation
ne serait pas, dans ces conditions, contraire à l' article 7, premier
alinéa, du traité.
30- Il est constant que l' article 7 ne vise pas les éventuelles disparités
de traitement et les distorsions qui peuvent résulter, pour les personnes
et les entreprises soumises à la juridiction de la Communauté,
des divergences existant entre les législations des différents
États membres, dès lors que celles-ci affectent toutes personnes
tombant sous leur application, selon des critères objectifs et sans égard
à leur nationalité (arrêt du 13 février 1969, Wilhelm
e.a., 14/68, Rec. p. 1, point 13).
31- Ainsi, contrairement à ce que soutiennent Imtrat et Patricia, ni
les disparités entre les législations nationales relatives à
la protection du droit d' auteur et des droits voisins, ni la circonstance que
tous les États membres n' ont pas encore adhéré à
la convention de Rome, ne sauraient justifier une atteinte au principe de non-discrimination
posé par l' article 7, premier alinéa, du traité.
32- En interdisant "toute discrimination exercée en raison de la
nationalité", l' article 7 du traité exige, en revanche,
la parfaite égalité de traitement de personnes se trouvant dans
une situation régie par le droit communautaire, avec les ressortissants
de l' État membre (arrêt du 2 février 1989, Cowan, 186/87,
Rec. p. 195, point 10). Dans la mesure où ce principe s' applique, il
s' oppose dès lors à ce qu' un État membre soumette l'
octroi d' un droit exclusif à la condition d' être un ressortissant
national.
33- Il convient, en conséquence, de répondre à la question
posée que l' article 7, premier alinéa, du traité doit
être interprété en ce sens qu' il s' oppose à ce
qu' une législation d' un État membre exclue dans certaines conditions
les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants des autres
États membres, et leurs ayants droit, du droit, qui est reconnu par cette
même législation aux ressortissants nationaux, d' interdire la
commercialisation, sur le territoire national, d' un phonogramme fabriqué
sans leur consentement, lorsque la prestation a été exécutée
en dehors du territoire national.
Sur les effets de l' article 7, premier alinéa,
du traité
34- Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, le
droit à l' égalité de traitement posé par l' article
7, premier alinéa, du traité est conféré directement
par le droit communautaire (arrêt Cowan, précité, point
11). Ce droit peut, dès lors, être invoqué devant le juge
national pour lui demander d' écarter les dispositions discriminatoires
d' une loi nationale qui refusent aux ressortissants des autres États
membres la protection qu' elles accordent aux ressortissants nationaux.
35- Il convient, en conséquence, de répondre à la question
posée que l' article 7, premier alinéa, du traité doit
être interprété en ce sens que le principe de non-discrimination
qu' il pose peut être directement invoqué devant le juge national
par un auteur ou par un artiste d' un autre État membre, ou par leur
ayant-droit, pour demander le bénéfice de la protection réservée
aux auteurs et artistes nationaux.
Sur les dépens
36- Les frais exposés par le gouvernement allemand, le gouvernement du
Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes,
qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet
d' un remboursement. La procédure revêtant, à l' égard
des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé
devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer
sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
statuant sur les questions à elle soumises par le Landgericht Muenchen
I, par ordonnance du 4 mars 1992, et par le Bundesgerichtshof, par ordonnance
du 30 avril 1992, dit pour droit:
1) Le droit d' auteur et les droits voisins entrent dans le domaine d' application
du traité, au sens de l' article 7, premier alinéa; le principe
général de non-discrimination posé par cet article est,
en conséquence, applicable à ces droits.
2) L' article 7, premier alinéa, du traité doit être interprété
en ce sens qu' il s' oppose à ce qu' une législation d' un État
membre exclue les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants
des autres États membres, et leurs ayants droit, du droit, qui est reconnu
par cette même législation aux ressortissants nationaux, d' interdire
la commercialisation, sur le territoire national, d' un phonogramme fabriqué
sans leur consentement, lorsque la prestation a été exécutée
en dehors du territoire national.
3) L' article 7, premier alinéa, du traité, doit être interprété
en ce sens que le principe de non-discrimination qu' il pose peut être
directement invoqué devant le juge national par un auteur ou par un artiste
d' un autre État membre, ou par leur ayant-droit, pour demander le bénéfice
de la protection réservée aux auteurs et artistes nationaux.