Cour de Cassation Chambre civile 1
Audience publique du 12 novembre 1998
Cassation partielle.
Attendu que Jean X... est décédé le 29 mai 1959 en laissant sa veuve, Mme X..., légataire de l'usufruit sur l'universalité des biens de la succession, et leurs trois enfants, alors mineurs, Mme Danièle Y..., Mme Martine Z... et M. Jean-Michel X... ; qu'il dépendait de la succession un portefeuille de valeurs mobilières sur le sort duquel Mme Y... s'est opposée à sa mère et à ses cohéritiers, les consorts X... ; que, par un premier jugement du 12 octobre 1988, la liquidation et le partage de la succession ont été ordonnés ; qu'un second, en date du 26 février 1990, a donné acte aux parties de leur accord sur le partage en nature des actions de la société La Dépêche du Midi et Le Petit Toulousain, a invité les notaires à confectionner des lots d'égale valeur pour le partage des titres déposés à la banque Courtois, lesquels ont fait l'objet d'un partage par acte du 12 avril 1991, et a ordonné une expertise afin de rechercher les éléments de la masse à partager ; que, le 6 décembre 1994, le juge de la mise en état a liquidé provisoirement, à la somme de 2 240 000 francs, l'astreinte assortissant sa précédente décision ordonnant aux consorts X... de communiquer à Mme Y... les mouvements enregistrés sur le portefeuille, depuis l'ouverture de la succession et l'inventaire des titres dépendant de celle-ci, jusqu'au 1er janvier 1993 ; qu'un troisième jugement du 5 octobre 1995 a ordonné, d'une part, une nouvelle expertise afin de rechercher la valeur actuelle du portefeuille de valeurs mobilières figurant à la déclaration de succession établie en 1959 et des titres qui ne se retrouvent pas dans l'indivision successorale, et, d'autre part, a décidé que seule Mme X... devait payer l'astreinte qu'il a liquidée au 19 janvier 1995, en ajoutant à celle déjà prononcée une somme de 1 400 000 francs ; que l'arrêt attaqué a infirmé ce dernier jugement de ces chefs et ordonné la restitution des sommes versées au titre des astreintes ;
Sur le premier moyen : (sans intérêt) ;
Et sur les quatre premières branches du deuxième moyen :
Vu les articles 815 et 815-2 du Code civil, ensemble les articles 578 et 587 du même code ;

Attendu que pour décider que Mme X... n'avait pas à " rapporter " les titres et valeurs mobilières, figurant à la déclaration de succession de 1959, qui manquent après les deux partages partiels, ou leur valeur, de sorte qu'il n'y avait lieu d'ordonner ni une expertise pour rechercher ces éléments, ni la communication des pièces sur les mouvements du portefeuille, la cour d'appel relève que l'article 587 du Code civil n'est pas applicable aux titres et actions et que l'usufruitier pouvant jouir des choses sur lesquelles porte son usufruit, la demande de Mme Y... relative à la vie des divers portefeuilles et aux titres manquants n'est pas recevable ; que l'arrêt attaqué énonce encore que les portefeuilles de valeurs mobilières " constituent une universalité (distincte de ses éléments constitutifs) qui est fongible et appartient à celui qui les détient ", de sorte que c'est seulement à la fin de son usufruit que Mme X... devra justifier que la substance a été conservée ; qu'enfin, la cour d'appel retient que la dispense de caution a pour effet de conférer à l'usufruitier le droit de disposer des titres au porteur ;
Attendu, cependant, d'une part, que Mme Y..., nue-propriétaire indivise avec ses cohéritiers du portefeuille de valeurs mobilières dépendant de la succession de Jean X..., pouvait prendre les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis et en demander le partage ; qu'elle était donc fondée à demander à Mme X..., usufruitière de ce portefeuille, de lui en indiquer la consistance et la valeur, éléments nécessaires pour que la nue-propriété en soit partagée ; que, d'autre part, si l'usufruitier d'un portefeuille de valeurs mobilières, lesquelles ne sont pas consomptibles par le premier usage, est autorisé à gérer cette universalité en cédant des titres dans la mesure où ils sont remplacés, il n'en a pas moins la charge d'en conserver la substance et de le rendre, la circonstance que l'usufruitier ait été dispensé de donner caution étant indifférente à cet égard ; qu'ainsi, en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et enfin, sur le troisième moyen :
Vu l'article 1153, alinéa 3, du Code civil ;
Attendu que la partie qui doit restituer une somme qu'elle détenait en vertu d'une décision de justice exécutoire n'en doit les intérêts au taux légal qu'à compter de la notification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution ;
Attendu que la cour d'appel a ordonné la restitution des sommes versées par Mme X... en exécution du jugement qui a liquidé l'astreinte prononcée par le juge de la mise en état et qui était assorti de l'exécution provisoire de ce chef ; qu'elle a assorti sa décision d'une condamnation aux intérêts au taux légal à compter des versements ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la dernière branche du deuxième moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a statué sur les demandes relatives aux valeurs mobilières dépendant de la succession et sur la liquidation de l'astreinte, l'arrêt rendu le 29 mai 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse, autrement composée.
Publication : Bulletin 1998 I N° 315 p. 217
Dalloz, 1999-03-25, n° 12, p. 167, note L. Aynès. Dalloz, 1999-11-11, n° 40, p. 633, note D. Fiorina.
Semaine juridique, Edition entreprise, 1999-03-11, n° 9/10, p. 426, note S. Rouxel. Semaine juridique, 1999-02-10, n° 6, p. 336, note S. Piédelièvre. Semaine juridique, Edition notariale et immobilère, 1999-02-19, n° 7, p. 351, note H. Hovasse. Semaine juridique, Edition notariale et immobilière, 2000-09-22, n° 38, p. 1352, note F. Fruleux.
Droit et patrimoine, 1999-05, n° 71, p. 34, note F. Sauvage. Droit et patrimoine, n° 103, avril 2002, p. 42-45, note Henri HOVASSE.

Cour de Cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 3 décembre 2002 Rejet

Attendu que Jean X... est décédé le 29 mai 1959 en laissant sa veuve, née Evelyne Y..., légataire de l'usufruit sur l'universalité des biens de la succession, et leurs trois enfants, alors mineurs, Jean-Michel, Danièle devenue épouse Z..., et Martine devenue épouse A... ; qu'il dépendait de la succession un portefeuille de valeurs mobilières sur le sort duquel Mme Z... s'est opposée à sa mère et à ses cohéritiers (ci-après les consorts X...) ; que, dans le cadre des opérations de liquidation de la succession ordonnée le 12 octobre 1988, un jugement du 26 février 1990 a donné acte aux parties de leur accord sur le partage en nature de certaines actions, tandis que d'autres ont été partagées par acte notarié du 12 avril 1991 ;
qu'à la suite de deux ordonnances du juge de la mise en état, enjoignant sous astreinte aux consorts X... de communiquer à Mme Z...
les mouvements enregistrés sur le portefeuille depuis l'ouverture de la succession et l'inventaire des titres dépendant de celle-ci, le tribunal de grande instance de Toulouse a, par jugement du 5 octobre 1995, ordonné une expertise afin de rechercher la valeur actuelle du portefeuille de valeurs mobilières figurant à la déclaration de succession établie en 1959 et des titres qui ne se retrouvent pas dans l'indivision successorale, et décidé que seule Mme X... devait payer l'astreinte qu'il a liquidée au 19 janvier 1995 ; que, sur appel des consorts X..., la cour d'appel de Toulouse a, par un premier arrêt du 29 mai 1996, infirmé ce dernier jugement de ces chefs et ordonné la restitution des sommes versées au titre des astreintes, mais que, sur pourvoi de Mme Z..., cet arrêt fait l'objet d'une cassation partielle le 12 novembre 1998 (B n 315) ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal des consorts X... :
(…)
Sur le deuxième moyen du même pourvoi :
Attendu que Mme Evelyne Y... veuve X... fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déclarée tenue de communiquer en sa qualité d'usufruitière à Mme Danielle X... épouse Z..., nue-propriétaire, tous renseignements sur l'évolution du portefeuille de valeurs mobilières dépendant de la succession de leur mari et père, alors qu'en imposant à l'usufruitier une prétendue obligation de justifier, au moment de l'appréciation de la consistance d'un portefeuille de valeurs mobilières, universalité distincte des valeurs qui la composent, des variations quotidiennes de ce portefeuille sur de longues années, la cour d'appel a violé les articles 578, 599, 815 et 815-2 du Code civil ;
Mais attendu qu'il a été jugé dans le cadre du précédent pourvoi, d'une part, "que Mme Z..., nue-propriétaire indivise avec ses cohéritiers du portefeuille de valeurs mobilières dépendant de la succession de Jean X..., était fondée à demander à Mme X..., usufruitière de ce portefeuille, de lui en indiquer la consistance et la valeur, éléments nécessaires pour que la nue-propriété en soit partagée, d'autre part, que si l'usufruitier d'un portefeuille de valeurs mobilières, lesquelles ne sont pas consomptibles par le premier usage, est autorisé à gérer cette universalité en cédant des titres dans la mesure où ils sont remplacés, il n'en a pas moins la charge d'en conserver la substance et de le rendre" ;
qu'en conformité avec cette décision, la cour de renvoi énonce à bon droit que pour déterminer la substance conservée et la valeur du bien à partager, il est nécessaire que l'usufruitière puisse donner tous les éléments nécessaires pour déterminer si les seules valeurs subsistantes au jour du partage, représentent bien toute la substance de l'universalité qu'elle était chargée de conserver ; que le moyen tendant à remettre en cause ce qui a déjà été jugé dans le cadre du présent litige ne peut être accueilli ;

Sur le troisième moyen, pris en ses quatre branches, du même pourvoi :
Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt confirmatif attaqué, d'avoir ordonné une expertise pour évaluer la contre-valeur actuelle des titres actuellement manquants dans le portefeuille de valeurs mobilières dépendant de la succession de Jean X... et d'avoir déclaré Mme veuve X... tenue de communiquer tous renseignements sur l'évolution de ce portefeuille, alors, selon le moyen :
1 ) que l'usufruit ne devant cesser qu'à sa mort, celle-ci n'était pas tenue, fût-ce dans le cadre d'un partage partiel de la nue-propriété opérée par les nus-propriétaires, de justifier à cette date de la conservation de la substance du patrimoine mobilier ; qu'en confondant obligation pour l'usufruitier d'indiquer la consistance du patrimoine au moment du partage et obligation pour l'usufruitier de rendre la substance du patrimoine au moment de la cessation de l'usufruit, la cour d'appel a violé l'article 578 du Code civil ;
2 ) que Mme X... faisait valoir que le portefeuille de valeurs mobilières litigieux avait été d'ores et déjà partagé intégralement par un acte de partage de 1991, de sorte qu'en acceptant le principe d'une expertise destinée à évaluer la masse partageable, et notamment la valeur du patrimoine mobilier déjà partagé, sans justifier d'aucune des conditions de rescision de ce partage précité, la cour d'appel a violé l'article 887 du Code civil ;
3 ) qu'en décidant que le portefeuille ayant pour partie disparu, il devait être partagé en valeur, et en prévoyant ainsi le partage d'un bien totalement inexistant, la cour d'appel a violé les articles 578 et 815 du Code civil ;
4 ) que, dès lors que la cour d'appel a déclaré irrecevable l'action engagée contre Mme veuve X... du chef de prétendu abus de jouissance ou de faute dans l'exercice de son usufruit, la condamnation, envisagée contre elle, au rapport de la valeur du bien était dépourvue de tout fondement légal ; que la cour d'appel a encore violé les textes précités ;

Mais attendu que, si le partage ne met pas fin à l'usufruit, il implique de connaître la valeur du bien à partager, et que sur le fondement des règles rappelées dans le cadre du précédent pourvoi, la cour de renvoi a à bon droit déclaré Mme veuve X... tenue de communiquer en sa qualité d'usufruitière à Mme Z..., nue-propriétaire, tous renseignements sur l'évolution du portefeuille de valeurs mobilières depuis l'ouverture de la succession de Jean X... jusqu'au jour du partage, pour apprécier la valeur et la substance dudit portefeuille par référence à sa substance et sa valeur au jour de l'ouverture de la succession, et ordonné une expertise portant sur les titres non compris dans les partages partiels déjà intervenus ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le quatrième moyen du même pourvoi :
Attendu que Mme veuve X... fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir accordé à Mme Z... une indemnité non demandée ;
Mais attendu qu'en allouant à Mme Z... la somme provisionnelle de 300 000 francs, à valoir sur l'indemnisation définitive du préjudice résultant du défaut de communication imputable à la carence de sa mère, la cour d'appel a, contrairement à ce qui est prétendu au moyen, statué dans la limite de la demande présentée dans les conclusions, visant expressément le refus de rendre compte parmi les fautes génératrices du préjudice dont il était sollicité réparation à hauteur de 5 000 000 francs ; que le moyen manque en fait ;
(…)

PAR CES MOTIFS : REJETTE