Cour de Cassation
Chambre civile 3
Audience publique du 26 avril 2006
Rejet

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 octobre 2004), que la société Hôtel Georges V a fait procéder à la rénovation totale de l'hôtel qu'elle exploite, avec le concours, notamment, de la société Duminvest, chargée de la "gestion du projet", et de la société Bouygues Bâtiment, entrepreneur ; que les travaux ont occasionné des nuisances aux immeubles voisins, exploités par la société Queen Elisabeth Hôtel et par la société Marquis Hôtels Limited Partnership (Hôtel Prince de Galles), qui ont sollicité la réparation de leur préjudice ; qu'à la suite des condamnations prononcées au profit des victimes, la société Bouygues, alléguant être subrogée dans les droits de celles-ci après paiement des indemnisations, a sollicité la garantie de ses propres sous-traitants et de leurs assureurs ;


Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu que la cour d'appel ayant, par arrêt du 25 septembre 2003 devenu irrévocable après rejet des pourvois formés contre lui par décision du 22 juin 2005 de la Cour de Cassation, retenu la responsabilité totale des locateurs d'ouvrage auteurs du trouble anormal de voisinage, en écartant celle du maître de l'ouvrage, le moyen est devenu sans portée ;
Sur les deuxième et troisième moyens, réunis :
Attendu que la société Bouygues fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de garantie formées contre dix huit sous-traitants et leurs assureurs, alors, selon le moyen :
1 / que, s'il a pour effet d'éteindre la créance à l'égard du créancier, le paiement avec subrogation la laisse subsister au profit du subrogé qui dispose de toutes les actions qui appartenaient au créancier et qui se rattachaient à cette créance immédiatement avant le paiement ;
que l'entrepreneur comme le sous-traitant sont responsables à l'égard des tiers des troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage en sorte que, subrogé dans les droits des voisins victimes, le maître de l'ouvrage est bien fondé à recourir contre les constructeurs sur le fondement du principe prohibant les troubles anormaux de voisinage ; qu'en écartant le recours subrogatoire de l'entreprise principale contre le maître d'oeuvre et les sous-traitants au prétexte que, si le maître de l'ouvrage subrogé était en droit d'exercer les droits et actions des créanciers désintéressés, il ne pouvait transmettre à son propre subrogé les droits éteints des créanciers originaires, méconnaissant ainsi le principe de l'effet translatif de la subrogation, la cour d'appel a violé les articles 1249 et 1252-3 du Code civil ;
2 / que, le sous-traitant est tenu envers son donneur d'ordre d'une obligation de résultat emportant présomption de faute et de causalité ; qu'en retenant que la responsabilité des sous-traitants à l'égard de l'entreprise générale, condamnée à réparer les dommages causés aux tiers sur le fondement d'un trouble anormal de voisinage, impliquait de prouver la faute des premiers dans l'exécution de leur contrat, tout en constatant que cette responsabilité était de nature nécessairement contractuelle et que les nuisances sonores provenaient de l'exécution de leurs travaux, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;
3 / que, le principe sanctionnant les troubles anormaux de voisinage ne requiert pas la preuve d'une faute ; qu'en affirmant que la mise en oeuvre de la responsabilité des sous-traitants aurait exigé la preuve d'une faute, tout en relevant que le dommage subi par les tiers du fait de l'exécution des travaux par ces substituts avait consisté en un trouble anormal de voisinage, la cour d'appel a violé tant l'article 1147 du Code civil que le principe selon lequel nul ne peut causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage ;
4 / que la société Bouygues faisait valoir que la responsabilité des sous-traitants était la même que celle qui pourrait être retenue à son encontre dès lors que chacun des contrats de sous-traitance reproduisait très exactement l'ensemble des obligations définies dans le cadre de son propre marché ; qu'en délaissant ces conclusions de nature à établir la responsabilité de plein droit des sous-traitants vis-à-vis de l'entreprise principale, tout en reprochant à la seconde une inexécution de ses obligations contractuelles concernant la maîtrise et le contrôle des nuisances sonores émises par le chantier, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance des exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
5 / que le sous-traitant ne peut s'exonérer de son obligation contractuelle à l'égard de l'entreprise principale que par la preuve d'une cause étrangère ; qu'en affirmant que la cause du trouble anormal de voisinage résidait dans des fautes extérieures aux contrats de sous-traitance, exonérant ainsi intégralement les substituts de leur responsabilité à l'égard de leur cocontractant, sans constater que ces fautes, concernant principalement l'organisation du chantier, auraient présenté les caractères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité de la force majeure ou qu'elles auraient été imputables au donneur d'ordre exclusivement, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 1147 du Code civil ;
6 / que chacun des responsables d'un même dommage est tenu d'en réparer la totalité sans qu'il y ait lieu de tenir compte d'un partage de responsabilité entre eux ; qu'en écartant le recours en garantie du donneur d'ordre à l'encontre de ses substitués pour la raison que la participation de chacun d'eux dans l'émission de nuisances sonores n'avait pu être précisément déterminée, tout en admettant que leur activité respective avait contribué à la réalisation de l'entier préjudice, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil, ensemble l'article 1203 du même Code ;

Mais attendu, d'une part, que dans les rapports entre le locateur d'ouvrage auteur du trouble anormal causé aux voisins et les autres professionnels dont la responsabilité peut être recherchée, la charge finale de la condamnation, formant contribution à la dette, se répartit en fonction de la gravité de leurs fautes respectives ; que l'entrepreneur principal ne peut exercer de recours subrogatoire contre les sous-traitants que pour la fraction de la dette dont il ne doit pas assumer la charge définitive ; que la cour d'appel a exactement retenu qu'il incombait à la société Bouygues d'établir la faute contractuelle éventuelle de ses sous-traitants ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant énoncé à bon droit que l'obligation de résultat du sous-traitant à l'égard de l'entrepreneur principal ne concernait que la réalisation de sa propre prestation contractuelle à l'exclusion d'éventuels dommages aux tiers, sauf stipulation spéciale du contrat, et relevé que les fautes commises par la société Bouygues quant aux choix techniques de réalisation de l'ouvrage, à sa conception et au manque d'organisation dans la gestion du chantier, ainsi que l'impossibilité d'attribuer à tel ou tel sous-traitant une faute précise en fonction de son intervention effective excluaient de retenir la responsabilité de ces derniers, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes sur le contenu des contrats de sous-traitance, ni sur d'éventuelles causes d'exonération de responsabilité, a pu retenir que les demandes de garantie formées contre les entrepreneurs sous-traitants devaient être rejetées ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Bouygues bâtiment aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Bouygues bâtiment à payer à la compagnie AGF Iart la somme de 2 000 euros, aux sociétés XL insurance, Axa France Iard, ensemble, la somme de 2 000 euros, à la société Mather et Platt et Wormald la somme de 2 000 euros, à la société Seramat la somme de 2 000 euros, à la société Axa corporate solutions la somme de 2 000 euros, à la société Generali assurance Iard la somme de 2 000 euros, à la société GAN assurances la somme de 2 000 euros, à la société Sotrapmeca Bonaldy la somme de 2 000 euros, à la société DBPM la somme de 2 000 euros, à la société Johnson controls la somme de 2 000 euros, à la société CEGELEC la somme de 2 000 euros et à la SMABTP la somme de 2 000 euros ;

Publication : Bulletin 2006 III N° 100 p. 82
Revue trimestrielle de droit civil, 2006-07, n° 3, chroniques-8, p. 573-574, observations Patrice JOURDAIN.