CEDH, 6 octobre 2005, Maurice c. France

(…) EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

12. Les requérants sont nés respectivement en 1962 et 1965 et résident à Bouligny.
13. En 1990, les requérants eurent un premier enfant, A., atteinte d’amyotrophie spinale infantile de type 1, maladie génétique provoquant une atrophie des muscles.
14. En 1992, la requérante débuta une nouvelle grossesse. Un diagnostic prénatal, effectué au centre hospitalier universitaire de Nancy, révéla qu’il existait un risque que l’enfant à naître soit affecté de la même maladie génétique. Les requérants choisirent d’interrompre la grossesse.
15. En 1997, la requérante, enceinte pour la troisième fois, demanda à subir un nouveau diagnostic prénatal. Celui-ci fut effectué au centre hospitalier général de Briey, qui transmit le prélèvement au laboratoire de diagnostic moléculaire du groupe hospitalier Necker-Enfants malades, dépendant de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). En juin 1997, au vu du diagnostic du laboratoire, le centre hospitalier de Briey assura aux requérants que l’enfant à naître n’était pas atteint d’amyotrophie spinale infantile et qu’il était « sain ».
16. C. naquit le 25 septembre 1997. Moins de deux ans après sa naissance, il apparut qu’elle était aussi atteinte d’amyotrophie spinale infantile. Le 22 juillet 1999, un rapport du chef du laboratoire de l’hôpital Necker-Enfants malades de Paris révéla que l’erreur de diagnostic prénatal résultait d’une inversion des résultats des analyses concernant la famille des requérants avec ceux d’une autre famille, provenant de l’interversion de deux flacons.
17. Selon les rapports médicaux, C. présente des troubles graves et des signes objectifs de déficience fonctionnelle : chutes fréquentes dont elle ne peut se relever sans aide, marche titubante, fatigabilité à tout effort. Elle nécessite l’assistance d’une tierce personne (notamment la nuit pour la retourner de façon à éviter qu’elle ne s’étouffe alors qu’elle ne peut se retourner seule). Elle ne peut s’asseoir seule et se déplace en scooter électrique. Elle doit subir des soins plusieurs fois par semaine et ne peut être admise à l’école faute pour celle-ci de comporter les dispositifs adéquats. Son médecin traitant a considéré qu’il fallait « émettre des réserves jusqu’à la date de la puberté tant sur le plan moteur que respiratoire ou des déformations orthopédiques possibles ». Ces faits furent à l’origine de plusieurs procédures.
(…)
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1er DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

60. Les requérants dénoncent l’article 1er de la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (paragraphe 50 ci-dessus). Cette disposition aurait porté atteinte à leur droit au respect de leurs biens et violerait l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur l’existence d’un « bien » au sens de l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention
1. Thèses des parties
a) Les requérants

61. Se fondant sur la jurisprudence de la Cour (en particulier Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, arrêt du 20 novembre 1995, série A no 332), les requérants soutiennent qu’ils sont titulaires d’un « bien ». Ils ne se placent pas, à cet égard, sur le terrain de la propriété acquise, mais sur celui de « l’espérance légitime », au sens de la jurisprudence précitée. Ils allèguent en effet qu’avant l’intervention de la loi du 4 mars 2002, ils disposaient d’une espérance légitime d’obtenir la réparation intégrale des préjudices subis du fait du handicap de leur fille C. En effet, selon les requérants, les conditions d’engagement de la responsabilité de l’AP-HP sur le fondement de la jurisprudence Quarez du Conseil d’Etat (paragraphes 39 à 43 ci-dessus) étaient réunies lorsqu’ils ont introduit leur action devant les juridictions administratives. L’existence d’une faute de l’AP-HP serait avérée et le lien de causalité entre la faute et le dommage ne saurait être utilement contesté, puisque l’inversion des résultats est, selon les requérants, à l’origine de l’erreur de diagnostic qui les a ainsi privés de recourir à une interruption de grossesse pour motif thérapeutique. En application de la jurisprudence Quarez, les requérants auraient donc dû obtenir intégralement gain de cause. Or, du fait de l’intervention de la loi du 4 mars 2002, le droit à réparation de leurs préjudices, à l’exception du préjudice moral et de celui découlant des troubles dans leurs conditions d’existence, serait devenu illusoire, puisque cette loi a eu pour effet de les priver rétroactivement de leur créance.
b) Le Gouvernement
62. Le Gouvernement soutient que les requérants n’ont jamais été titulaires d’un « bien » ni au sens strict du terme, ni au sens de « l’espérance légitime » définie par la jurisprudence de la Cour (voir Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité). Cette notion prévoit la certitude d’obtenir gain de cause au regard du système de responsabilité interne pertinent. Or, avant l’adoption de la loi litigieuse, l’indemnisation n’était pas attribuée de plein droit sur simple constatation du dommage. Le régime de la responsabilité administrative prévoyait que la réparation du préjudice subi par les parents soit soumise à l’existence d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité entre la faute et le dommage, ces éléments étant soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond. Ainsi, l’indemnisation étant loin d’être automatique, les requérants ne pourraient donc pas se prévaloir d’une « espérance légitime » à voir une créance satisfaite, qui aurait été déçue par l’adoption de la loi.
2. Appréciation de la Cour
63. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut alléguer une violation de l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention que dans la mesure où les décisions qu’il incrimine se rapportent à ses « biens » au sens de cette disposition. La notion de « biens » peut recouvrir tant des « biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris, dans certaines situations bien définies, des créances. Pour qu’une créance puisse être considérée comme une « valeur patrimoniale » tombant sous le coup de l’article 1 du Protocole no1, il faut que le titulaire de la créance démontre que celle-ci a une base suffisante en droit interne, par exemple qu’elle est confirmée par une jurisprudence bien établie des tribunaux. Dès lors que cela est acquis, peut entrer en jeu la notion d’« espérance légitime ».
64. Quant à la notion d’« espérance légitime », un aspect en a été illustré dans l’affaire Pressos Companía Naviera S.A. et autres précitée. Celle-ci concernait des créances en réparation résultant d’accidents de navigation censés avoir été causés par la négligence de pilotes belges. En vertu du droit belge de la responsabilité, les créances prenaient naissance dès la survenance du dommage. La Cour qualifia ces créances de « valeurs patrimoniales » appelant la protection de l’article 1er du Protocole no 1. Elle releva ensuite que, compte tenu d’une série de décisions de la Cour de cassation, les requérants pouvaient prétendre avoir une « espérance légitime » de voir concrétiser leurs créances quant aux accidents en cause conformément au droit commun de la responsabilité.
65. La Cour ne déclara pas explicitement dans l’affaire Pressos Companía Naviera S.A. et autres que l’« espérance légitime » était un élément ou un corollaire du droit de propriété revendiqué. Il résultait toutefois implicitement de l’arrêt que pareille espérance ne pouvait entrer en jeu en l’absence d’une « valeur patrimoniale » relevant du domaine de l’article 1er du Protocole no 1, dans le cas d’espèce une créance en réparation. L’« espérance légitime » identifiée dans l’affaire Pressos Companía Naviera S.A. et autres n’était pas en elle-même constitutive d’un intérêt patrimonial ; elle se rapportait à la manière dont la créance qualifiée de « valeur patrimoniale » serait traitée en droit interne, et spécialement à la présomption selon laquelle la jurisprudence constante des juridictions nationales continuerait de s’appliquer à l’égard des dommages déjà causés.
66. Dans toute une série d’affaires, la Cour a jugé que les requérants n’avaient pas d’« espérance légitime » lorsqu’on ne pouvait considérer qu’ils possédaient de manière suffisamment établie une créance immédiatement exigible. (...) La jurisprudence de la Cour n’envisage pas l’existence d’une « contestation réelle » ou d’une « prétention défendable » comme un critère permettant de juger de l’existence d’une « espérance légitime » protégée par l’article 1er du Protocole no 1. (...) La Cour estime que lorsque l’intérêt patrimonial concerné est de l’ordre de la créance, il ne peut être considéré comme une « valeur patrimoniale » que lorsqu’il a une base suffisante en droit interne, par exemple lorsqu’il est confirmé par une jurisprudence bien établie des tribunaux (voir Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, §§ 35 et 48 à 52, CEDH 2004-IX).
67. Pour juger en l’espèce de l’existence d’un bien, la Cour peut avoir égard au droit interne en vigueur lors de l’ingérence alléguée. Il s’agissait d’un régime de responsabilité pour faute exigeant qu’existent un préjudice (ou dommage), une faute, et un lien de causalité entre le dommage et la faute. La Cour relève que ni l’AP-HP ni le Gouvernement ne contestent que l’inversion des résultats des analyses concernant les requérants et ceux d’une autre famille soit constitutive d’une faute. Le seul point en litige est le lien de causalité entre la faute de l’établissement hospitalier et le préjudice subi par les requérants. A cet égard, l’AP-HP estime que ce lien n’existe pas compte tenu de ce que, même en l’absence d’inversion des résultats, le diagnostic prénatal qui aurait été communiqué aux requérants aurait été incertain, du fait de la présence de sang maternel dans le prélèvement effectué sur la requérante. La responsabilité de l’AP-HP n’étant donc pas établie, les requérants ne bénéficieraient pas, selon le Gouvernement, d’une indemnisation automatique, et ne pourraient donc pas se prévaloir d’une « espérance légitime ».
68. La Cour ne saurait souscrire à cette thèse. Elle relève que les juridictions nationales ont établi sans ambiguïté, aussi bien dans le cadre des décisions rendues en référé qu’au fond, et à tous les stades de ces procédures, l’existence d’un lien de causalité directe entre la faute commise et le préjudice subi. Les juridictions ont en effet considéré qu’en l’espèce la faute de l’AP-HP a faussement conduit les requérants à la certitude que l’enfant conçu n’était pas atteint d’amyotrophie spinale infantile et que la grossesse pouvait être normalement menée à son terme, alors que les requérants avaient clairement manifesté leur volonté d’éviter le risque d’un troisième accident génétique. La faute ainsi commise a rendu sans objet tout examen complémentaire que la requérante aurait pu faire pratiquer dans la perspective d’une interruption de grossesse pour motif thérapeutique, ce qui aurait sans doute été le cas dans l’hypothèse d’un diagnostic incertain. Pour effectuer ce constat, les juridictions se sont fondées d’abord sur la jurisprudence Quarez précitée, puis sur les dispositions de la loi du 4 mars 2002 entrées en vigueur par la suite, qui n’ont d’ailleurs pas modifié les conditions d’établissement du lien de causalité entre la faute, même caractérisée, et le préjudice des parents de l’enfant né handicapé.
69. Les conditions d’engagement de la responsabilité de l’AP-HP sur le fondement de la jurisprudence Quarez étaient donc bien réunies, et les requérants disposaient par conséquent d’une créance s’analysant en une « valeur patrimoniale ». Quant à la manière dont cette créance aurait été traitée en droit interne sans l’intervention de la loi litigieuse, la Cour estime que, compte tenu de l’arrêt Quarez rendu par le Conseil d’Etat le 14 février 1997 et de la jurisprudence constante établie depuis par les juridictions administratives en la matière, les requérants pouvaient légitimement espérer pouvoir obtenir réparation de leur préjudice, y compris les charges particulières découlant du handicap de leur enfant tout au long de sa vie.
70. De l’avis de la Cour, avant l’intervention de la loi litigieuse, les requérants détenaient une créance qu’ils pouvaient légitimement espérer voir se concrétiser, conformément au droit commun de la responsabilité pour faute, et donc un « bien » au sens de la première phrase de l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention, lequel s’applique dès lors en l’espèce.
B. Sur l’observation de l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention
1. Thèses des parties
a) Les requérants

71. Les requérants considèrent que l’intervention de la loi du 4 mars 2002 constitue une « ingérence » dans le droit au respect de leurs biens puisqu’ils ont été privés de la possibilité d’obtenir la réparation intégrale de leurs préjudices, en application de la jurisprudence Quarez.
72. Quant à la légitimité de cette ingérence, les requérants soutiennent que celle-ci ne ménagerait pas un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général (compte tenu notamment des motifs d’adoption de la loi, qui ne sauraient en justifier la rétroactivité) et la protection de leurs droits fondamentaux, puisque la loi a eu pour effet de les priver, sans compensation effective, de leur créance.
73. Ils soulignent également l’impact énorme et disproportionné des conséquences de l’application immédiate de la loi aux instances en cours, compte tenu notamment du renvoi par cette nouvelle loi au dispositif de prise en charge des personnes handicapées par la solidarité nationale, qu’ils estiment insuffisant, vague et imprécis. A cet égard, la récente loi du 11 février 2005 (paragraphes 54 à 59 ci-dessus), si elle instaure une nouvelle prestation de compensation du handicap, ne saurait, de par ses modalités, faire disparaître la disproportion et laisse subsister une charge exorbitante pour les requérants.
b) Le Gouvernement
74. Si la Cour devait considérer que les requérants sont titulaires d’un bien, le Gouvernement soutient que la dépossession partielle subie ne saurait être déclarée contraire à l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention, en raison notamment du but de la loi du 4 mars 2002. Celle-ci aurait eu essentiellement pour objet de préciser un régime de responsabilité médicale qui soulevait des difficultés juridiques et éthiques et qui avait été fixé, le Gouvernement a insisté sur ce point lors de l’audience, par une jurisprudence récente (l’arrêt Quarez ne datant que de 1997, année de naissance de l’enfant des requérants). La nouvelle loi, sans être réellement rétroactive, se bornerait, après avoir modifié l’état du droit, à le rendre immédiatement applicable aux instances en cours, selon un principe couramment appliqué.
75. Se référant à l’avis contentieux rendu par le Conseil d’Etat le 6 décembre 2002, le Gouvernement évoque ensuite, toujours afin de démontrer la légitimité de l’ingérence, les motifs d’intérêt général qui auraient justifié l’adoption de la loi contestée et son applicabilité aux instances en cours.
Des motifs d’ordre éthique, tout d’abord, reflétés essentiellement par l’alinéa I de l’article 1er de la loi. En effet, compte tenu des réactions suscitées par la jurisprudence Perruche précitée (voir paragraphes 44 à 47 ci-dessus), le législateur serait intervenu pour donner une solution cohérente à un débat national mettant en cause des questions éthiques prééminentes liées notamment à la dignité de la personne et au statut de l’enfant à naître. Il s’agissait surtout d’exclure la reconnaissance d’un droit de l’enfant à se plaindre d’avoir été mis au monde avec un handicap congénital, ce qui relève d’un choix fondamental de société. Dès lors, l’on ne pouvait établir une différence de traitement pour les procédures en cours selon la date d’introduction du litige, avant ou après la promulgation de la loi.
Des motifs d’équité, ensuite. La loi litigieuse obéirait à des motifs tenant à la nécessité d’assurer le traitement équitable des personnes handicapées dans leur ensemble, quelle que soit la gravité et la cause de leur handicap. Une telle intervention aurait été d’autant plus nécessaire que, suite aux jurisprudences Quarez et Perruche, le régime d’indemnisation de ces personnes n’était pas satisfaisant. Ce souci d’un traitement équitable aurait motivé l’application immédiate de la loi, pour qu’aucune distinction ne soit faite entre les personnes handicapées en fonction de la date de dépôt de leurs recours, avant ou après la promulgation de la loi. Toujours sur le plan de l’équité, il s’agissait de cesser de faire porter sur le professionnel ou l’établissement de santé l’indemnisation du handicap non décelé pendant la grossesse, ce qui fut ressenti comme une profonde injustice par les médecins obstétriciens et praticiens d’échographies prénatales.
Enfin et surtout, le législateur serait intervenu pour des motifs tenant à la bonne organisation du système de santé, menacée par le mécontentement exprimé par les professionnels de santé suite à la jurisprudence Perruche précitée. Confronté à des grèves, démissions et refus de pratiquer des échographies prénatales, le législateur aurait agi pour préserver des filières médicales suffisantes dans les domaines de l’obstétrique et de l’échographie et assurer le suivi médical dans de bonnes conditions des femmes enceintes et des enfants à naître.
76. Le Gouvernement soutient ensuite qu’il existe un juste équilibre entre l’objectif poursuivi par le législateur et les moyens qu’il a employés. Il expose à cet égard que ni les parents d’enfants handicapés, ni ces derniers, n’ont été privés de toute prise en charge et que la loi maintient un régime de responsabilité pour faute des professionnels de santé. Il ajoute que le législateur a dû faire prévaloir la nécessité de préserver le système de santé sur l’espoir d’indemnisation complémentaire de quelques parents. Compte tenu des grèves de nombreux praticiens, l’application immédiate de la nouvelle loi aurait été nécessaire pour limiter la fuite des praticiens privés du secteur des diagnostics prénataux. Par ailleurs, le Gouvernement souligne que les requérants ont obtenu en première instance, postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi en cause, des indemnités qui, si elles n’ont pas été à la hauteur de leurs espoirs, étaient loin d’être symboliques, puisqu’elles s’élevaient à 220 000 EUR. Ce montant serait équivalent à celui de l’indemnisation versée dans l’affaire Quarez précitée et couvre, le Gouvernement le souligne, non seulement le préjudice moral des parents, mais aussi l’ensemble des troubles allégués dans leurs conditions d’existence. Ainsi, si les requérants n’ont pas obtenu l’indemnisation de tous les chefs de préjudice allégués, ils auraient obtenu une indemnisation d’un montant important.
77. Par ailleurs, selon le Gouvernement, l’on ne saurait négliger l’importance du recours à la solidarité nationale. Celle-ci prévoyait un dispositif avant la loi litigieuse, qui a été complété par les mesures prévues par la récente loi du 11 février 2005. Ainsi, du fait de l’application de la loi du 4 mars 2002, les personnes handicapées et leurs familles ne subiraient pas de conséquences excessives : elles ne seraient pas privées de soutien financier, mais celui-ci serait pris en charge non plus seulement par les professionnels de santé, mais aussi par l’Etat.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur l’existence d’une ingérence dans le droit au respect d’un « bien »

78. Selon la jurisprudence de la Cour, l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention, qui garantit en substance le droit de propriété, contient trois normes distinctes : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la subordonne à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux Etats contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. La deuxième et la troisième, qui ont trait à des exemples particuliers d’atteinte au droit de propriété, doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir, parmi d’autres, Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, § 33).
79. La loi du 4 mars 2002, entrée en vigueur le 7 mars 2002, a privé les requérants de la possibilité d’être indemnisés à raison des « charges particulières » en application de la jurisprudence Quarez du 14 février 1997, alors que, dès le 16 mars 2001, ils avaient saisi le tribunal administratif de Paris d’une requête au fond et que, par une ordonnance rendue le 19 décembre 2001, le juge des référés de ce même tribunal leur avait accordé une provision d’un montant substantiel, compte tenu du caractère non sérieusement contestable de l’obligation de l’AP-HP à leur égard. La loi litigieuse a donc entraîné une ingérence dans l’exercice des droits de créance en réparation qu’on pouvait faire valoir en vertu du droit interne en vigueur jusqu’alors et, partant, du droit des requérants au respect de leurs biens.
80. La Cour relève que, en l’espèce, dans la mesure où la loi contestée concerne les instances engagées avant le 7 mars 2002 et pendantes à cette date, telles que celles des requérants, cette ingérence s’analyse en une privation de propriété au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention. Il lui faut donc rechercher si l’ingérence dénoncée se justifie sous l’angle de cette disposition.
b) Sur la justification de l’ingérence
i. « Prévue par la loi »

81. Il n’est pas contesté que l’ingérence litigieuse ait été « prévue par la loi », comme le veut l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention.
82. En revanche, les avis des comparants divergent sur la légitimité de cette ingérence. Dès lors, la Cour doit rechercher si celle-ci poursuivait un but légitime, à savoir s’il existait une « cause d’utilité publique », et si elle a eu lieu dans le respect du principe de proportionnalité, au sens de la seconde règle énoncée par l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention.
ii. « Pour cause d’utilité publique »
83. La Cour estime que, grâce à une connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est « d’utilité publique ». Dans le mécanisme de protection créé par la Convention, il leur appartient par conséquent de se prononcer les premières sur l’existence d’un problème d’intérêt général justifiant des privations de propriété. Dès lors, elles jouissent ici d’une certaine marge d’appréciation, comme en d’autres domaines auxquels s’étendent les garanties de la Convention.
84. De plus, la notion d’« utilité publique » est ample par nature. En particulier, la décision d’adopter des lois portant privation de propriété implique d’ordinaire l’examen de questions politiques, économiques et sociales. Estimant normal que le législateur dispose d’une grande latitude pour mener une politique économique et sociale, la Cour respecte la manière dont il conçoit les impératifs de l’« utilité publique », sauf si son jugement se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable (Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, § 37, Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 149, CEDH 2004-V).
85. En l’espèce, le Gouvernement affirme que l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 procède de motifs d’intérêt général relevant de trois domaines : l’éthique, et notamment la nécessité de se prononcer sur un choix fondamental de société, l’équité et la bonne organisation du système de santé (paragraphe 75 ci-dessus). A cet égard, la Cour n’a pas de raisons de douter que la volonté du législateur français de mettre un terme à une jurisprudence qu’il désapprouvait et de modifier l’état du droit en matière de responsabilité médicale, même en rendant les nouvelles règles applicables aux situations en cours, servait une « cause d’utilité publique ». Une autre question est celle de savoir si ce but d’intérêt public pesait d’un poids suffisant dans le cadre de l’appréciation de la proportionnalité de l’ingérence.
iii. Proportionnalité de l’ingérence
86. Une mesure d’ingérence dans le droit au respect des biens doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (voir, parmi d’autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 26, § 69). Le souci d’assurer un tel équilibre se reflète dans la structure de l’article 1er du Protocole no 1 tout entier, donc aussi dans la seconde phrase qui doit se lire à la lumière du principe consacré par la première. En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure privant une personne de sa propriété (Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, § 38).
87. Afin de déterminer si la mesure litigieuse respecte le juste équilibre voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur les requérants une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre en considération les modalités d’indemnisation prévues par la législation interne. A cet égard, la Cour a déjà dit que, sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive, et un manque total d’indemnisation ne saurait se justifier sur le terrain de l’article 1er du Protocole no 1 que dans des circonstances exceptionnelles (voir Les saints monastères c. Grèce, 9 décembre 1994, série A no 301-A, p. 35, § 71, Ex-Roi de Grèce et autres c. Grèce [GC], no 25701/94, § 89, CEDH 2000-XII, et Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 94, CEDH 2005-...).
88. La Cour rappelle que le Conseil d’Etat avait reconnu, par son arrêt Quarez du 14 février 1997, que l’Etat et les personnes de droit public telles que l’AP-HP, établissement public de santé assurant le service public hospitalier, étaient soumis au droit commun de la responsabilité pour faute. Elle note que cette jurisprudence, si elle était relativement récente, était stable et constamment appliquée par les juridictions administratives. La jurisprudence Quarez étant antérieure à la découverte du handicap de C. et surtout à la saisine des juridictions nationales par les requérants, ces derniers pouvaient légitimement espérer en bénéficier.
89. En annulant les effets de cette jurisprudence, outre ceux de l’arrêt Perruche de la Cour de cassation, pour les instances en cours, la loi litigieuse a appliqué un régime nouveau de responsabilité à des faits dommageables antérieurs à son entrée en vigueur et ayant donné lieu à des instances toujours pendantes à cette date, produisant ainsi un effet rétroactif. Sans doute, l’applicabilité aux instances en cours ne saurait-elle en soi constituer une rupture du juste équilibre voulu, le législateur n’étant pas, en principe, empêché d’intervenir, en matière civile, pour modifier l’état du droit par une loi immédiatement applicable (voir, mutatis mutandis, Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres c. France [GC], nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, § 57, CEDH 1999-VII).
90. Mais, en l’espèce, l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 a purement et simplement supprimé, avec effet rétroactif, une partie essentielle des créances en réparation, de montants très élevés, que les parents d’enfants dont le handicap n’avait pas été décelé avant la naissance en raison d’une faute, tels que les requérants, auraient pu faire valoir contre l’établissement hospitalier responsable. Le législateur français a ainsi privé les requérants d’une « valeur patrimoniale » préexistante et faisant partie de leurs « biens », à savoir une créance en réparation établie dont ils pouvaient légitimement espérer voir déterminer le montant conformément à la jurisprudence fixée par les plus hautes juridictions nationales.
91. La Cour ne saurait suivre l’argumentation du Gouvernement selon laquelle le principe de proportionnalité aurait été respecté, une indemnisation adéquate, et donc une contrepartie satisfaisante, ayant été prévue en faveur des requérants. En effet, elle ne considère pas que ce que les requérants ont pu percevoir en application de la loi du 4 mars 2002, seule forme de compensation des charges particulières découlant du handicap de leur enfant, pouvait ou puisse constituer le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur de la créance perdue. Certes, les requérants bénéficient de prestations, prévues par le dispositif en vigueur, mais leur montant est nettement inférieur à celui résultant du régime de responsabilité antérieur et il est clairement insuffisant, comme l’admettent le Gouvernement et le législateur eux-mêmes, puisque ces prestations ont été complétées récemment par de nouvelles dispositions prévues à cet effet par la loi du 11 février 2005. En outre les montants qui seront versés aux requérants en vertu de ce texte, tout comme la date d’entrée en vigueur de celui-ci pour les enfants handicapés, ne sont pas définitivement fixés (paragraphes 57 à 59 ci-dessus). Cette situation laisse peser encore aujourd’hui une grande incertitude sur les requérants et, en tout état de cause, ne leur permet pas d’être indemnisés suffisamment du préjudice déjà subi depuis la naissance de leur enfant.
Ainsi tant le caractère très limité de la compensation actuelle au titre de la solidarité nationale que l’incertitude régnant sur celle qui pourra résulter de l’application de la loi de 2005 ne peuvent faire regarder cet important chef de préjudice comme indemnisé de façon raisonnablement proportionnée depuis l’intervention de la loi du 4 mars 2002.
92. Quant à l’indemnisation accordée, à ce jour, par le tribunal administratif de Paris aux requérants, la Cour constate qu’elle relève du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence, et non des charges particulières découlant du handicap de l’enfant tout au long de sa vie. A cet égard, force est de constater que le montant de l’indemnisation accordée par ledit tribunal est très inférieur aux expectatives légitimes des requérants et que, en tout état de cause, il ne saurait être considéré comme définitif, puisqu’il a été fixé par un jugement de première instance dont il a été interjeté appel, la procédure étant actuellement pendante. L’indemnisation ainsi octroyée aux requérants ne saurait donc compenser les créances perdues.
93. Enfin, la Cour estime que les considérations liées à l’éthique, à l’équité et à la bonne organisation du système de santé mentionnées par le Conseil d’Etat dans son avis contentieux du 6 décembre 2002 et invoquées par le Gouvernement ne pouvaient pas, en l’espèce, légitimer une rétroactivité dont l’effet a été de priver les requérants, sans indemnisation adéquate, d’une partie substantielle de leurs créances en réparation, leur faisant ainsi supporter une charge spéciale et exorbitante.
Une atteinte aussi radicale aux droits des intéressés a rompu le juste équilibre devant régner entre, d’une part, les exigences de l’intérêt général et, d’autre part, la sauvegarde du droit au respect des biens.
94. L’article 1er de la loi du 4 mars 2002 a donc violé, dans la mesure où il concerne les instances qui étaient en cours le 7 mars 2002, date de son entrée en vigueur, l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention.
(…)
VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
127. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommages matériel et moral
128. Les requérants allèguent avoir subi un préjudice matériel correspondant aux sommes qu’ils auraient perçues en l’état du droit antérieur à la loi du 4 mars 2002. Ils demandent, justificatifs à l’appui, les sommes suivantes :
a. 115 200 EUR au titre du préjudice professionnel subi par M. Maurice ;
b. 11 004 EUR pour l’installation d’un élévateur d’appartement, 5 647 EUR pour un fauteuil roulant (somme restante après remboursement par la sécurité sociale), 50 550 EUR pour l’achat successif de deux véhicules (le premier véhicule s’étant révélé inadéquat pour le transport des enfants), 505 603 EUR pour la réhabilitation de leur maison d’habitation avec accessibilité et aménagements spécifiques, soit une somme de 688 004 EUR (pour les rubriques a) et b)) qui, assortie des intérêts légaux qui auraient été pris en compte par la juridiction administrative, revient à 790 010,63 EUR ;
c. au titre du préjudice découlant des charges matérielles particulières résultant du handicap de leur enfant, soit une rente de 5 800 EUR par mois, pour la durée de la vie de l’enfant, avec fixation d’un coefficient de revalorisation en cas d’aggravation de l’état de l’enfant, soit un capital de 5 421 144 EUR (calculé sur la base de la durée de vie médiane). Ces sommes ont été établies notamment compte tenu de l’âge de C. et du caractère évolutif de sa maladie.
129. En ce qui concerne en particulier les sommes correspondant aux « charges particulières » (répertoriées sous b) et c) ci-dessus), les requérants soulignent que la loi adoptée le 11 février 2005 ne sera pas immédiatement applicable aux enfants et qu’elle n’assurera pas la compensation du préjudice qu’ils ont déjà subi depuis la naissance de C. Ils ajoutent que la prestation prévue par ce texte ne permettra pas une compensation intégrale des charges liées au handicap de leur enfant.
130. Leur demande pour le dommage matériel s’élève au total à 6 211 154,63 EUR.
131. Les requérants ne présentent pas de demande au titre du préjudice moral. Le Gouvernement en prend acte.
132. En revanche, le Gouvernement conteste les demandes présentées par les requérants au titre du préjudice matériel, qu’il estime déraisonnables. Il soutient notamment que le préjudice professionnel aurait déjà été réparé par le tribunal administratif de Paris dans son jugement du 25 novembre 2003. Cette réparation n’ayant pas été remise en cause par l’intervention de la loi de 2002, le Gouvernement estime qu’aucune satisfaction équitable ne saurait être accordée sur ce fondement. Quant aux sommes correspondant aux « charges particulières » découlant du handicap de C. (ventilées sous b) et c) ci-dessus), elles seraient déjà en partie couvertes par les allocations versées au titre de la solidarité nationale, qui seront ensuite complétées par les dispositions de la loi du 11 février 2005. Il s’ensuit, selon le Gouvernement, que l’éventuel constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.
133. La Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, et eu égard notamment à l’état de la procédure devant les juridictions nationales, la question de l’application de l’article 41 ne se trouve pas en état pour les dommages matériel et moral. Il y a donc lieu de la réserver en tenant compte de l’éventualité d’un accord entre l’Etat défendeur et les intéressés (article 75 §§ 1 et 4 du règlement).
B. Frais et dépens
134. En ce qui concerne les frais et dépens exposés devant les juridictions nationales, les requérants demandent, justificatifs à l’appui, 17 600 EUR (6 400 EUR pour deux référés-provisions, un référé-expertise et une demande d’indemnité contre l’AP-HP, 2 800 EUR pour une demande d’indemnité contre l’Etat pour responsabilité du fait des lois, 2 800 EUR pour l’appel du référé-provision, 2 800 EUR pour les pourvois en cassation concernant le référé-provision et 2 800 EUR pour les deux appels actuellement pendants contre l’AP-HP et l’Etat). De ce montant, ils soustraient 5 762 EUR qu’ils ont perçus à titre d’indemnités en exécution des différentes décisions internes. La somme totale demandée est donc de 11 838 EUR. Quant aux frais et dépens exposés devant la Cour, les requérants demandent 15 000 EUR et fournissent l’état d’honoraires correspondant.
135. Le Gouvernement expose que la Cour, lorsqu’elle constate une violation, n’accorde que le paiement des frais et dépens exposés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation. Or, en l’espèce, même sans l’intervention de la loi du 4 mars 2002, les frais relatifs aux procédures de référé et à l’action au fond en première instance auraient été exposés. Le Gouvernement estime donc que seuls les frais exposés en appel sur le fond et contre l’Etat pour responsabilité du fait des lois devraient être accordés aux requérants, soit 5 600 EUR.
136. Quant aux frais exposés devant la Cour, le Gouvernement reconnaît que les requérants ont recouru aux services d’un avocat et que l’affaire présentait une certaine complexité. Il s’en remet à la sagesse de la Cour pour apprécier le montant pouvant être dû à ce titre, tout en considérant qu’il ne devrait pas dépasser 7 500 EUR.
137. S’agissant de la procédure devant les juridictions internes, la Cour rappelle que, lorsqu’elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder le paiement des frais et dépens exposés devant les juridictions nationales « pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation » (voir, par exemple, Hertel c. Suisse, arrêt du 25 août 1998, Recueil 1998-VI, p. 2334, § 63, et Carabasse c. France, no 59765/00, § 68, 18 janvier 2005).
En l’espèce, la violation retenue concernant l’intervention de la loi du 4 mars 2002, la Cour considère que les requérants sont en droit de solliciter le remboursement des frais relatifs aux procédures dans le cadre desquelles ils ont dû contester une telle intervention. Tel est le cas des procédures engagées devant le tribunal administratif de Paris dirigées contre l’AP-HP et l’Etat, des appels interjetés et actuellement pendants devant la cour administrative d’appel de Paris, ainsi que des pourvois en cassation concernant le référé-provision. En ce qui concerne l’appel du référé-provision, la Cour relève que, s’il a été interjeté par l’AP-HP avant le 4 mars 2002, la loi litigieuse est toutefois intervenue en cours de procédure, et les requérants en ont d’ailleurs contesté l’applicabilité dans le cadre d’un de leurs mémoires. Une partie des frais engagés par les requérants dans cette procédure a donc été exposée pour prévenir la violation de la Convention reconnue par la Cour.
138. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour, au vu de ce qui précède, alloue aux requérants la somme de 11 400 EUR, moins 5 000 EUR déjà perçus à titre d’indemnités en exécution des différentes décisions internes pertinentes, soit 6 400 EUR, toutes taxes comprises.
139. En ce qui concerne les frais afférents à la procédure devant elle, la Cour constate que les requérants justifient leurs prétentions par la production d’une note d’honoraires. Considérant que les montants réclamés ne sont pas excessifs au vu de la nature du litige, qui présentait incontestablement une certaine complexité, la Cour fait entièrement droit aux demandes des requérants et leur accorde la somme de 15 000 EUR, toutes taxes comprises.
C. Intérêts moratoires
140. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention ;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le grief tiré de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention ;
3. Dit, par douze voix contre cinq, qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;
4. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention ;
5. Dit, à l’unanimité, qu’en admettant même que l’article 8 de la Convention soit applicable, il n’y a pas eu violation de cette disposition ;
6. Dit, à l’unanimité, que le grief tiré de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 sort du champ de son examen ;
7. Dit, à l’unanimité, qu’en ce qui concerne la somme à octroyer aux requérants pour tout dommage matériel ou moral résultant de la violation constatée, la question de l’application de l’article 41 ne se trouve pas en état et, en conséquence,
a) la réserve en entier ;
b) invite le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les six mois à compter de la date de communication du présent arrêt, leurs observations sur la question et, en particulier, à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient parvenir ;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la Cour le soin de la fixer au besoin ;
8. Dit, à l’unanimité,
a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans un délai de trois mois, la somme de 21 400 EUR (vingt et un mille quatre cents euros) correspondant aux frais et dépens exposés jusqu’au stade actuel de la procédure devant les juridictions nationales et la Cour, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal au taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage ;
9. Rejette, à l’unanimité, la demande de frais et dépens pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 6 octobre 2005.