Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mercredi 18 mai 2005

N° de pourvoi: 04-11349
Publié au bulletin Rejet.

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 3 décembre 2004), que les époux X..., preneurs à bail de locaux à usage commercial appartenant à la société civile immobilière (SCI) Les Braies, lui ont notifié, par acte du 6 février 2001, une demande de renouvellement de leur contrat de location ; que le 19 juin 2001, la SCI Les Braies a assigné ses locataires aux fins de voir constater qu'ils n'avaient pas droit au renouvellement du bail au motif que Mme X..., cotitulaire de ce bail et séparée de biens de son époux, n'était pas inscrite au registre du commerce et des sociétés lors de la demande de renouvellement ;

Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt d'accueillir la demande, alors, selon le moyen :

1 / que constitue une atteinte disproportionnée portée au droit à la "propriété commerciale" reconnue au preneur par les articles L. 145-1 et suivants du Code commerce le fait, pour un bailleur, de dénier le bénéfice de ce droit -en dépit de l'immatriculation régulière de l'un des époux séparés de biens au registre du commerce à la date de la demande de renouvellement du bail formée par les deux époux, cotitulaires du bail- sur le seul fondement du défaut d'immatriculation (non susceptible de lui causer grief et bientôt régularisé) de l'autre époux à cette date ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les dispositions combinées des articles L. 145-1, L. 145-10 du Code de commerce, ensemble l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme et du citoyen ;
2 / qu'en toute hypothèse, une telle atteinte est excessive et, par là-même abusive, lorsque la dénégation du droit à la "propriété commerciale" permet au bailleur d'utiliser la mise en uvre jurisprudentielle rigide d'une réglementation destinée à l'information des tiers qui contractent avec les commerçants, comme moyen de pression pour tenter de se soustraire à l'indemnisation des préjudices causés aux preneurs par ses graves manquements à son obligation d'assurer "le clos et le couvert" pendant le bail et, en toute hypothèse pour se soustraire de façon certaine aux conséquences de ces manquements graves poursuivis au-delà de la date d'expiration du bail qu'il a ainsi non renouvelé ; qu'en l'espèce, en retenant que la SCI Les Braies avait pu valablement dénier à M. et Mme X... le bénéfice du statut et, donc, leur droit au renouvellement du bail, sans rechercher, alors qu'elle constatait que M. X... était régulièrement immatriculé au registre du commerce à la date de la demande de renouvellement, si le droit positif résultant de la jurisprudence ne permettait pas objectivement au bailleur de se servir abusivement du défaut d'immatriculation de Mme X... (ne lui causant aucun préjudice et depuis lors régularisé), d'une part, comme moyen de pression pour décourager toute demande d'indemnisation des préjudices subis au cours du bail dans une instance pendante et d'autre part, pour en limiter l'importance dans le temps, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 145-1, L. 145-10 du Code de commerce, ensemble l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme et du citoyen ;

Mais attendu que le fait, pour un bailleur, de dénier le bénéfice du droit au renouvellement à deux époux séparés de biens sur le fondement du défaut d'immatriculation d'un seul d'entre eux à la date de leur demande de renouvellement ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit à la "propriété commerciale" reconnu aux locataires au regard des dispositions de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que les dispositions du Code de commerce relatives au renouvellement du bail commercial réalisent un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux de la personne ;
qu'ayant constaté que Mme X... n'était pas inscrite au registre du commerce et des sociétés à la date de la demande de renouvellement ainsi qu'à la date d'expiration du bail, la cour d'appel, qui a fait la recherche prétendument omise, en a exactement déduit que les époux X... avaient perdu le droit au renouvellement de leur bail commercial ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;

Publication : Bulletin 2005 III N° 109 p. 100
RTDciv 2005, p. 619

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mercredi 5 mars 2008

N° de pourvoi: 05-20200
Publié au bulletin Rejet
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 4 octobre 2005) que, par acte du 13 janvier 1993, les époux X... ont donné à bail à leur fils, Jean-Paul Y..., pour une durée de neuf ans à compter du 1er janvier 1993, divers locaux à usage commercial ; que Jean-Paul Y... est décédé le 20 janvier 1993, laissant pour lui succéder son fils Sébastien Y..., devenu nu-propriétaire du fonds de commerce de camping exploité dans les lieux loués, et son épouse dont il était séparé de biens, Mme Eliette Y..., devenue usufruitière de ce fonds par suite d'une donation qu'il lui avait consentie de son vivant ; que, par acte du 23 février 2001, les époux X... ont signifié à Mme Eliette Y... un congé avec offre de renouvellement à effet du 1er janvier 2002, puis, par un nouvel acte du 12 juin 2002, notifié à Mme Eliette Y... et à M. Sébastien Y... (les consorts Y...), ils ont rétracté leur offre de renouvellement au motif que Sébastien Y... n'étant pas immatriculé au registre du commerce et des sociétés, les consorts Y... ne pouvaient prétendre au bénéfice du statut des baux commerciaux ; que les consorts Y... ont assigné les époux X... pour voir constater la nullité de l'acte du 12 juin 2002 et, subsidiairement, obtenir paiement d'une indemnité d'éviction ; que, reconventionnellement, les époux X... ont demandé que les consorts Y... soient déclarés occupants sans droit ni titre à compter du 1er janvier 2002, que soit ordonné leur expulsion et que soit fixé le montant de l'indemnité d'occupation ;

Attendu que les consorts Y... font grief à l'arrêt d'accueillir les demandes reconventionnelles des époux X... alors, selon le moyen :

1° / que la seule inscription au registre du commerce et des sociétés de l'usufruitier, qui est un propriétaire commerçant d'un fonds de commerce permet à celui-ci de bénéficier du droit au renouvellement d'un bail commercial ; que la propriété démembrée de l'usufruitier et du nu-propriétaire n'est pas assimilable à une co-titularité du bail qui imposerait que chacun soit immatriculé ; qu'en disant le congé sans offre de renouvellement ni indemnité d'éviction valide au seul motif pris du défaut d'immatriculation de M. Sébastien Y..., nu-propriétaire non exploitant, au registre du commerce et des sociétés à la date du congé, l'immatriculation de Mme Z... Y..., usufruitière exploitante du fonds de commerce étant acquise, la cour d'appel a violé les articles L. 145-1 et L. 145-8 du code de commerce, 1er du 1er Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2° / que lorsque la propriété du fonds de commerce est démembrée entre, d'une part, l'usufruit du conjoint survivant, immatriculé au registre du commerce et des sociétés en qualité de commerçant exploitant du fonds de commerce et, d'autre part, la nue-propriété du descendant direct, non commerçant exploitant, ni immatriculé en cette qualité audit registre, aucune disposition légale ou règlementaire ne les prive du droit au renouvellement du bail commercial ; que le défaut d'immatriculation du nu-propriétaire non commerçant non exploitant ne constitue le cas échéant un motif grave et légitime, privatif de l'indemnité d'éviction, que s'il se poursuit plus d'un mois après la mise en demeure délivrée par le bailleur ; que dès lors, en validant le congé sans offre de renouvellement ni indemnité d'éviction, au seul motif pris du défaut d'immatriculation de M. Sébastien Y..., nu-propriétaire non exploitant au registre du commerce et des sociétés à la date du congé, la cour d'appel a violé les articles L. 145-1 et L. 145-8, ensemble les articles L. 145-14 et L. 145-17 du code de commerce, 1er du 1er Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3° / que, le seul fait qu'un bail ait été à l'origine un bail commercial par nature n'exclut pas que les parties aient par la suite accepté de le soumettre volontairement au statut des baux commerciaux ; qu'en se contentant de retenir que " que la jurisprudence invoquée par les appelants relative à la soumission volontaire, par la convention des parties, au statut des baux commerciaux, qui permet au preneur de bénéficier du droit au renouvellement malgré son absence d'immatriculation, est inopérante au cas d'espèce où le bail est depuis l'origine un bail commercial par nature ", sans rechercher s'il n'y avait pas eu, dès lors que le bénéfice du statut n'était plus de droit, renonciation à se prévaloir de ce défaut, ainsi que cela résultait du silence gardé par les époux X... à la suite du décès de Jean-Paul Y... et du démembrement conséquent de la propriété du bail commercial entre l'épouse de celui-ci et son fils, M. Sébastien Y..., en pleine connaissance de ce que seule Mme Z... veuve Y..., usufruitière, exploitait le fonds de commerce, la cour d'appel a manqué de base légale au regard des articles L. 145-1 et L. 145-8 du code de commerce ensemble l'article 1134 du code civil ;
4° / que, par conclusions régulièrement signifiées le 19 août 2005, Mme Eliette Z... veuve Y... et son fils, Sébastien Y..., ont fait valoir l'irrégularité formelle du congé délivré le 12 juin 2002 compte tenu notamment, d'une part, de la confusion résultant de sa notification à deux destinataires tout en prétendant qu'un seul était concerné, et d'autre part, de la confusion portant sur la qualification même de l'acte qui, en raison de la nullité de la précédente offre de renouvellement, devait donner lieu à la délivrance d'un acte de résiliation avec respect d'un préavis ; qu'en se contentant de déclarer régulier en la forme le congé sans offre de renouvellement notifié le 12 juin 2002, sans aucune motivation, la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du nouveau code de procédure civile ;
5° / que, par conclusions régulièrement signifiées le 19 août 2005, Mme Eliette Z... veuve Y... et son fils, Sébastien Y..., ont fait valoir que les époux A... Y..., bailleurs, étaient également vendeurs du fonds de commerce à M. Jean-Paul Y... auquel ont succédé en nue-propriété son fils Sébastien Y... et son épouse, Mme Z... veuve Y... ; que la garantie d'éviction des articles 1626 et suivants du code civil est donc due par les vendeurs du fonds à leur acheteur ; que les vendeurs ne peuvent par suite vider ce fonds d'un élément essentiel ne ne procurant pas aux acheteurs un bail commercial, même volontairement ; qu'en ne répondant pas à ce motif dirimant, la cour d'appel a violé les articles 455 et 458 du nouveau code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a exactement retenu, par motifs propres et adoptés, que les époux X... avaient valablement retiré leur congé avec offre de renouvellement lorsqu'ils ont découvert que M. Sébastien Y... n'était pas immatriculé au registre du commerce, et que la seule délivrance d'un congé avec offre de renouvellement n'emportait pas volonté de la part des bailleurs de renoncer à se prévaloir de l'absence du droit à la propriété commerciale des preneurs, le bail étant commercial depuis l'origine ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant exactement retenu, que le bénéfice du statut des baux commerciaux ne pouvait être invoqué que par celui qui est à la fois titulaire du bail et propriétaire du fonds de commerce, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches ni de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, en a exactement déduit que lorsque la propriété d'un fonds de commerce est démembrée entre un usufruitier qui a la qualité de commerçant et un nu-propriétaire qui n'a pas cette qualité, le nu-propriétaire devait être immatriculé au registre du commerce et des sociétés pour permettre l'application du statut des baux commerciaux et que dès lors que M. Sébastien Y..., bien que majeur depuis le 29 janvier 1999, n'était pas inscrit au registre du commerce et des sociétés en qualité de nu-propriétaire non exploitant au moment de la notification du congé, les consorts Y... ne pouvaient prétendre au renouvellement du bail ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;