55. Il échet de noter que pour le tribunal régional de St Pölten,
il n'y avait pas lieu de retenir contre le requérant la circonstance
aggravante visée à l'article 81 par. 2 du code pénal, à
savoir l'état d'ébriété au taux de 0,8 g/l ou plus.
En revanche, les autorités administratives ont, pour faire jouer l'article
5 du code de la route, admis l'existence de pareil taux chez l'intéressé.
La Cour n'ignore pas que les dispositions en cause se distinguent
non seulement sur le plan de l'appellation des infractions mais aussi sur celui,
plus fondamental, de leur nature et de leur but. Elle relève
en outre que l'infraction punie par l'article 5 du code de la route ne représente
qu'un aspect du délit sanctionné par l'article 81 par. 2 du code
pénal.
Néanmoins, les deux décisions litigieuses se fondent sur le même
comportement. Partant, il y a eu violation de l'article 4 du Protocole
n° 7 (P7-4).
Cour EDH, Oliveira c. Suisse, 30 juillet 1998
24. Se fondant sur l’arrêt Gradinger précité, la
Commission souscrit en substance à l’opinion de la requérante.
Elle relève que les deux condamnations de Mme Oliveira se fondaient sur
le fait que la voiture de celle-ci s’est déportée de l’autre
côté de la route, où elle a heurté une première
voiture avant d’entrer en collision avec un second véhicule dont
le conducteur a été grièvement blessé. Les lésions
corporelles ne constitueraient pas un élément séparé,
elles feraient partie intégrante du comportement dont elles ont finalement
résulté. En outre, la simple circonstance qu’un vice de
procédure ait été à l’origine d’une
condamnation ne saurait annihiler la protection contre l’ouverture d’un
nouveau procès.
25. La Cour note qu’à l’origine des condamnations litigieuses,
il y a un accident provoqué par la requérante qui, le 15 décembre
1990, roulait sur une route verglacée et enneigée quand sa voiture
se déporta sur l’autre côté de la route, puis heurta
une première voiture avant d’entrer en collision avec une seconde,
dont le conducteur fut grièvement blessé. Mme Oliveira se vit
d’abord condamnée à une amende de 200 francs suisses (CHF)
par le juge de police, pour défaut de maîtrise de son véhicule
faute d’avoir adapté sa vitesse aux conditions de circulation (paragraphe
10 ci-dessus). Ensuite, le tribunal de district puis la cour d’appel de
Zurich la condamnèrent, pour lésions corporelles par négligence,
à une amende de 1 500 CHF, dont fut toutefois soustrait le montant de
la première amende (paragraphes 11–12 ci-dessus).
26. Il s’agit là d’un cas typique de concours idéal
d’infractions, caractérisé par la circonstance qu’un
fait pénal unique se décompose en deux infractions distinctes,
en l’occurrence l’absence de maîtrise du véhicule et
le fait de provoquer par négligence des lésions corporelles ;
en pareil cas, la peine la plus lourde absorbe le plus souvent la plus légère.
Il n’y a là rien qui contrevienne à l’article 4 du
Protocole n° 7, dès lors que celui-ci prohibe de juger deux fois
une même infraction, alors que dans le concours idéal d’infractions,
un même fait pénal s’analyse en deux infractions distinctes.
27. Il aurait certes été plus conforme aux principes d’une
bonne administration de la justice que, les deux infractions provenant d’un
même fait pénal, elles fussent sanctionnées par une seule
juridiction, dans une procédure unique. C’est aussi, semble-t-il,
ce qui aurait dû se passer en l’espèce si, eu égard
aux lésions corporelles graves subies par la victime de l’accident,
lesquelles échappaient à la compétence du juge de police,
ce dernier avait renvoyé le dossier au parquet de district afin que celui-ci
statuât sur les deux préventions réunies (paragraphe 10).
Qu’il n’en fût pas ainsi dans le cas de Mme Oliveira, toutefois,
ne tire pas à conséquence quant au respect de l’article
4 du Protocole n° 7, dès lors que cette disposition ne s’oppose
pas à ce que des juridictions distinctes connaissent d’infractions
différentes, fussent-elles les éléments d’un même
fait pénal, et cela d’autant moins qu’en l’occurrence,
il n’y a pas eu cumul des peines mais absorption de la plus légère
par la plus lourde.
28. La présente espèce se distingue donc de l’affaire Gradinger
précitée, où le taux d’alcoolémie du requérant
avait été apprécié de façon contradictoire
par deux instances différentes.
29. En conclusion, il n’y a pas eu violation de l’article
4 du Protocole n° 7.
par ces motifs, la cour
Dit, par huit voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article
4 du Protocole n° 7.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE REPIK
Je regrette de ne pas pouvoir m'associer au raisonnement de la Cour qui l'a
conduite au constat de non-violation de l'article 4 du Protocole n° 7.
La question de l'identité de l'infraction dans la procédure pénale
et de ses conséquences (chose jugée, ne bis in idem) est des plus
controversées dans la doctrine. Est-ce l'identité du fait matériel
ou bien l'identité de la qualification juridique qui est déterminante
; si c'est le même fait matériel qui est décisif, lesquels
de ses éléments doivent être les mêmes pour que l'identité
du fait comme tel soit conservée ? Des solutions différentes sont
retenues par les législations nationales. Aucune de ces solutions ne
saurait être retenue pour interpréter l'article 4 du Protocole
n° 7. Il appartient à la Cour de donner au terme « infraction
» dans cette disposition une signification autonome correspondant à
son objet et à son but. Ce but répond au souci « d'assurer
au prévenu que son sort ne sera pas remis en question5 », c'est-à-dire
de lui assurer qu'il ne sera pas deux ou plusieurs fois exposé aux contraintes
des poursuites pénales et condamné pour la même cause.
A ce souci de sécurité juridique est adaptée la solution
que la Cour a choisie dans l'arrêt Gradinger. Elle a explicitement écarté
l'identité de la qualification juridique comme critère de l'identité
de l'« infraction » au sens de l'article 4 du Protocole n° 7
lorsqu'elle a dit : « La Cour n'ignore pas que les dispositions en cause
se distinguent non seulement sur le plan de l'appellation des infractions mais
aussi sur celui, plus fondamental, de leur nature et de leur but. Elle relève
en outre que l'infraction punie par l'article 5 du code de la route ne représente
qu'un aspect du délit sanctionné par l'article 81 § 2 du
code pénal. Néanmoins, les deux décisions litigieuses se
fondent sur le même comportement. »6 C'est donc, à n'en pas
douter, l'identité du fait matériel et en particulier l'identité
du comportement que la Cour a retenu comme critère de l'identité
de l'« infraction » au sens de l'article 4 du Protocole n° 7.
J'approuve pleinement cette solution de la Cour. Elle empêche de fractionner
un fait matériel unique et bien défini en changeant certains de
ses aspects particuliers et de procéder, sous des qualifications juridiques
différentes, à des poursuites successives d'une personne pour
la même cause.
Or, en l'espèce, la Cour a choisi la solution diamétralement opposée,
à savoir celle de la qualification juridique comme critère de
l'identité de l'« infraction ». En effet, il lui a suffi
d’une qualification juridique différente « d'un même
fait pénal » pour faire tomber la garantie ne bis in idem consacrée
par l'article 4 du Protocole n° 7.
Pourtant, entre l'affaire Gradinger et l'affaire Oliveira, on ne peut déceler
aucune différence qui pourrait justifier ces deux décisions totalement
opposées. Dans les deux cas, le comportement, objet des poursuites successives,
était identique, dans les deux cas, un aspect des faits, par faute de
la juridiction qui a prononcé la première condamnation, n'a pas
été pris en compte dans cette condamnation, et enfin, dans les
deux cas, le même comportement, enrichi de cet aspect omis par la première
juridiction, a été l'objet d'une deuxième condamnation
sous une qualification juridique différente.
Que ce soit une mauvaise appréciation des faits ou bien une négligence
ou une erreur du juge de police, pourtant censé connaître le dossier,
qui étaient à l'origine de ce que tous les aspects de l'objet
des poursuites pénales n'étaient pas ou ne pouvaient pas être
pris en compte dans la première condamnation, cela ne saurait justifier
ce flottement de la jurisprudence. Une erreur judiciaire, pas plus qu'une mauvaise
appréciation des faits, ne peuvent être pertinentes au regard de
l'article 4 du Protocole n° 7.
C'est pour ces raisons que j'ai voté pour la violation de cette disposition.
1. Rédigé par le greffe, il ne lie pas la Cour.
Notes du greffier
2. L’affaire porte le n° 84/1997/868/1080. Les deux premiers chiffres
en indiquent le rang dans l’année d’introduction, les deux
derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l’origine
et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
3. Le règlement B, entré en vigueur le 2 octobre 1994, s’applique à toutes les affaires concernant les Etats liés par le Protocole n° 9.
4. Note du greffier : pour des raisons d’ordre pratique il n’y figurera que dans l’édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1998), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.
5. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel. Procédure pénale, Cujas, 4e éd., 1989, s. 878.
6. Arrêt Gradinger c. Autriche du 23 octobre 1995, série A n° 328-C, p. 66, § 55.