Conseil constitutionnel

vendredi 24 octobre 2014 - Décision N° 2014-423 QPC

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- SUR LES SANCTIONS :

21. Considérant qu’aux termes de l’article L. 313-1 du code des juridictions financières : « Toute personne visée à l’article L. 312-1 qui aura engagé une dépense sans respecter les règles applicables en matière de contrôle financier portant sur l’engagement des dépenses sera passible d’une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 150 euros et dont le maximum pourra atteindre le montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date à laquelle le fait a été commis. » ;

22. Considérant qu’aux termes de l’article L. 313-4 du même code : « Toute personne visée à l’article L. 312-1 qui, en dehors des cas prévus aux articles précédents, aura enfreint les règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses de l’État ou des collectivités, établissements et organismes mentionnés à ce même article ou à la gestion des biens leur appartenant ou qui, chargée de la tutelle desdites collectivités, desdits établissements ou organismes, aura donné son approbation aux décisions incriminées sera passible de l’amende prévue à l’article L. 313-1.

« Lorsque les faits incriminés constituent une gestion occulte au sens du paragraphe XI de l’article 60 de la loi de finances pour 1963 (n° 63-156 du 23 février 1963), la Cour des comptes peut déférer à la Cour de discipline budgétaire et financière les comptables de fait quand leurs agissements ont entraîné des infractions prévues au présent titre. » ;

23. Considérant qu’aux termes de l’article L. 313-6 du même code : « Toute personne visée à l’article L. 312-1 qui, dans l’exercice de ses fonctions ou attributions, aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l’organisme intéressé, ou aura tenté de procurer un tel avantage sera passible d’une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 300 euros et dont le maximum pourra atteindre le double du montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date de l’infraction. » ;

24. Considérant qu’aux termes de l’article L. 313-7-1 du même code : « Toute personne visée à l’article L. 312-1 chargée de responsabilités au sein de l’un des organismes mentionnés aux articles L. 133-1 et L. 133-2 qui, dans l’exercice de ses fonctions, aura causé un préjudice grave à cet organisme, par des agissements manifestement incompatibles avec les intérêts de celui-ci, par des carences graves dans les contrôles qui lui incombaient ou par des omissions ou négligences répétées dans son rôle de direction sera passible de l’amende prévue à l’article L. 313-1. » ;

25. Considérant qu’aux termes de l’article L. 313-11 du même code : « Les sanctions prononcées en vertu des articles L. 313-1 à L. 313-4 ne pourront se cumuler que dans la limite du maximum applicable en vertu de ces mêmes articles et de l’article L. 313-8.« Les sanctions prononcées en vertu des articles L. 313-1 à L. 313-6 ne pourront se cumuler que dans la limite du maximum applicable en vertu des articles L. 313-6 et L. 313-8. » ;

26. Considérant qu’aux termes de l’article L. 314-18 du même code : « Les poursuites devant la Cour ne font pas obstacle à l’exercice de l’action pénale et de l’action disciplinaire.

« Si l’instruction permet ou a permis de relever à la charge d’une personne mentionnée à l’article L. 312-1 des faits qui paraissent de nature à justifier une sanction disciplinaire, le président de la Cour signale ces faits à l’autorité ayant pouvoir disciplinaire sur l’intéressé. Cette autorité doit, dans le délai de six mois, faire connaître au président de la Cour par une communication motivée les mesures qu’elle a prises.
« Si l’instruction fait apparaître des faits susceptibles de constituer des délits ou des crimes, le procureur général transmet le dossier au procureur de la République dans les conditions prévues à l’article 40 du code de procédure pénale et avise de cette transmission le ministre ou l’autorité dont relève l’intéressé.
« Si la Cour estime, en statuant sur les poursuites, qu’une sanction disciplinaire peut être encourue, elle communique le dossier à l’autorité compétente. Cette autorité doit, dans le délai de six mois, faire connaître à la Cour, par une communication motivée, les mesures qu’elle a prises.
« Le procureur de la République peut transmettre au procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, d’office ou à la demande de ce dernier, la copie de toute pièce d’une procédure judiciaire relative à des faits de nature à constituer des infractions prévues et sanctionnées par les articles L. 313-1 à L. 313-14 » ;

27. Considérant que les requérants soutiennent qu’en prévoyant que les articles L. 313-1, L. 313-4, L. 313-6 et L. 313-7-1, en définissant de manière trop imprécise les obligations dont la méconnaissance est réprimée, portent atteinte au principe de légalité des délits et des peines ; qu’ils font également valoir que par ces dispositions ainsi que par celles de l’article L. 313-11 relatives au cumul des sanctions pouvant être prononcées par la Cour, le législateur a méconnu le principe de proportionnalité des peines ; qu’enfin, en permettant le cumul des poursuites devant la Cour de discipline budgétaire et financière et de l’action pénale ou de l’action disciplinaire, l’article L. 314-18 du code des juridictions financières méconnaît le principe non bis in idem ;

28. Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que les principes énoncés par cet article s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition ;

29. Considérant, en premier lieu, que l’exigence d’une définition des manquements réprimés se trouve satisfaite, en matière disciplinaire, dès lors que les textes applicables font référence aux obligations auxquelles les intéressés sont soumis en raison de l’activité qu’ils exercent, de la profession à laquelle ils appartiennent ou de l’institution dont ils relèvent ;

30. Considérant que sont justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière les personnes énumérées aux articles L. 312-1 et L. 312-2 ; que les dispositions de l’article L. 313-1 font expressément référence à la méconnaissance des règles applicables en matière de contrôle financier portant sur l’engagement des dépenses ; que celles de l’article L. 313-4 font expressément référence à la méconnaissance des règles relatives à l’exécution des recettes, des dépenses ou à la gestion des biens de l’État ou des collectivités, établissements et organismes mentionnés à l’article L. 312-1 et aux agissements qui ont entraîné des infractions prévues par le titre Ier du livre III de la partie législative du code des juridictions financières ; que celles de l’article L. 313-6 font expressément référence au fait de procurer à autrui ou tenter de procurer à autrui un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l’organisme intéressé ; que celles de l’article L. 313-7-1 font expressément référence au fait de causer dans l’exercice de ses fonctions un préjudice grave à un organisme mentionné aux articles L. 133-1 et L. 133-2, par des agissements manifestement incompatibles avec les intérêts de celui-ci, par des carences graves dans les contrôles ou par des omissions ou négligences répétées dans le rôle de direction ;

31. Considérant que, par suite, les dispositions des articles L. 313-1, L. 313-4, L. 313-6 et L. 313-7-1 ne méconnaissent pas l’exigence d’une définition claire et précise des infractions réprimées ;

32. Considérant, en deuxième lieu, que l’article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que, si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer, en matière disciplinaire, de l’absence d’inadéquation manifeste entre les sanctions encourues et les obligations dont elles tendent à réprimer la méconnaissance ;

33. Considérant que chacun des articles L. 313-1, L. 313-4 et L. 313-7-1 réprime les fautes qu’il définit d’une amende dont le maximum est le montant du traitement ou salaire brut annuel alloué à la personne condamnée à la date de l’infraction ; que l’article L. 313-6 réprime les fautes qu’il définit d’une amende dont le maximum est le double de ce traitement ou salaire brut ; que l’article L. 313-11 limite le cumul des sanctions prononcées par la Cour de discipline budgétaire et financière en vertu des articles L. 313-1 à L. 313-4 « dans la limite du maximum applicable en vertu de ces mêmes articles et de l’article L. 313-8 » ; que l’article L. 313-11 limite par ailleurs le cumul des sanctions prononcées en vertu des articles L. 313-1 à L. 313-6 « dans la limite du maximum applicable en vertu des articles L. 313-6 et L. 313-8 » ;

34. Considérant que le principe de nécessité des peines n’interdit pas au législateur de prévoir que certains faits puissent donner lieu à différentes qualifications ; que le principe de proportionnalité des peines ne fait pas obstacle à ce que, lorsque des faits peuvent recevoir plusieurs qualifications ayant un objet ou une finalité différents, le maximum des sanctions prononcées par la même juridiction ou autorité répressive puisse être plus sévère que pour des faits qui ne pourraient recevoir que l’une de ces qualifications ; que les sanctions prévues par les articles L. 313-1, L. 313-4, L. 313-6, L. 313-7-1 et L. 313-11 du code des juridictions financières ne sont pas contraires aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines ;

35. Considérant, en troisième lieu, que le principe de la nécessité des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature disciplinaire ou pénale en application de corps de règles distincts devant leurs propres ordres de juridictions ;

36. Considérant qu’en vertu du premier alinéa de l’article L. 314-18 du code des juridictions financières, « les poursuites devant la Cour ne font pas obstacle à l’exercice de l’action pénale et de l’action disciplinaire » ; que ce cumul de poursuites peut conduire à un cumul de sanctions prononcées, d’une part, par la Cour de discipline budgétaire et financière et, d’autre part, par une juridiction pénale ou une autorité disciplinaire ; que le principe d’un tel cumul des sanctions prononcées par une juridiction disciplinaire spéciale avec celles prononcées par une juridiction pénale ou une autorité disciplinaire n’est pas, en lui-même, contraire au principe de proportionnalité des peines garanti par l’article 8 de la Déclaration de 1789 ;

37. Considérant que, toutefois, lorsque plusieurs sanctions prononcées pour un même fait sont susceptibles de se cumuler, le principe de proportionnalité implique qu’en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues ; qu’il appartient donc aux autorités juridictionnelles et disciplinaires compétentes de veiller au respect de cette exigence et de tenir compte, lorsqu’elles se prononcent, des sanctions de même nature antérieurement infligées ; que, sous cette réserve, l’article L. 314-18 du code des juridictions financières n’est pas contraire aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines ;

38. Considérant que les articles L. 313-1, L. 313-4, L. 313-6, L. 313-7-1, L. 313-11 et L. 314-18 du code des juridictions financières ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ; que, sous la réserve énoncée au considérant 37, ils doivent être déclarés conformes à la Constitution,

D É C I D E :

Article 1er.- Les dispositions de l’article L. 311-2 qui ont valeur législative ainsi que les articles L. 311-3, L. 311-5, L. 313-1, L. 313-4, L. 313-6, L. 313-7-1, L. 313-11, L. 314-3 et L. 314-4 du code des juridictions financières sont conformes à la Constitution.

Article 2.- L’article L. 314-18 du même code est conforme à la Constitution, sous la réserve énoncée au considérant 37.

Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Conseil constitutionnel

mardi 30 décembre 1997 - Décision N° 97-395 DC

ECLI:FR:CC:1997:97.395.DC
Loi de finances pour 1998
Journal officiel du 31 décembre 1997, p. 19313

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- SUR L'ARTICLE 85 :

33. Considérant que cet article a pour objet de renforcer le contrôle et la répression des facturations manquantes, incomplètes ou inexactes pour l'établissement de la taxe sur la valeur ajoutée ; que, notamment, le IV et le V dudit article instituent des sanctions spécifiques pour les manquements aux règles de facturation, en prévoyant les garanties applicables ;

34. Considérant que les députés requérants soutiennent que cet article méconnaît les principes généraux du droit et notamment le respect des droits de la défense ; qu'il établit des sanctions automatiques et disproportionnées, en méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; que le législateur aurait dû préciser que les sanctions administratives prévues par cet article sont exclusives de sanctions pénales et aménager un délai de trente jours entre la notification de la sanction et la mise en recouvrement de l'amende ;

35. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : "Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés" ;

36. Considérant qu'il suit nécessairement de ces dispositions ayant force constitutionnelle que l'exercice des libertés et droits individuels ne saurait en rien excuser la fraude fiscale, ni en entraver la légitime répression ; que, toutefois, il appartient au législateur d'assurer la conciliation de ce principe avec celui qu'énonce l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, aux termes duquel : "La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée" ;

37. Considérant qu'il résulte de ces dernières dispositions, qui s'appliquent à toute sanction ayant le caractère de punition, comme des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, qu'une peine ne peut être infligée qu'à la condition que soient respectés le principe de légalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines, le principe de non-rétroactivité de la loi répressive d'incrimination plus sévère ainsi que le principe du respect des droits de la défense ;

38. Considérant, en premier lieu, que le principe constitutionnel des droits de la défense s'impose à l'autorité administrative sans qu'il soit besoin, pour le législateur, d'en rappeler l'existence ; qu'il incombera aux services de l'État, chargés d'appliquer les dispositions du livre des procédures fiscales et du code général des impôts modifiées ou ajoutées par l'article 85 de la loi déférée, de respecter ces droits ;

39. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes du nouvel article 1740 ter A, inséré dans le code général des impôts par le IV de l'article 85 de la loi déférée : "Toute omission ou inexactitude constatée dans les factures ou documents en tenant lieu mentionnés aux articles 289 et 290 quinquies donne lieu à l'application d'une amende de 100 F par omission ou inexactitude. Le défaut de présentation de ces mêmes documents entraîne l'application d'une amende de 10 000 F par document non présenté. Ces amendes ne peuvent être mises en recouvrement avant l'expiration d'un délai de trente jours à compter de la notification du document par lequel l'administration a fait connaître au contrevenant la sanction qu'elle se propose d'appliquer, les motifs de celle-ci et la possibilité dont dispose l'intéressé de présenter dans ce délai ses observations. Les amendes sont recouvrées suivant les procédures et sous les garanties prévues pour les taxes sur le chiffre d'affaires. Les réclamations sont instruites et jugées comme pour ces taxes." ; que, nonobstant les garanties de procédure dont il est ainsi assorti, ce nouvel article pourrait, dans nombre de cas, donner lieu à l'application de sanctions manifestement hors de proportion avec la gravité de l'omission ou de l'inexactitude constatée, comme d'ailleurs avec l'avantage qui en a été retiré ; qu'il y a lieu, dès lors, de déclarer contraire à la Constitution le IV de l'article 85 et, par voie de conséquence, les mots "et 1740 ter A" au III du même article ;

40. Considérant, en revanche, qu'en modifiant l'article 1740 ter du code général des impôts afin de sanctionner la délivrance d'une facture ne correspondant pas à une livraison ou à une prestation de service réelle d'une amende égale à 50 % du montant de la facture, le législateur n'a pas établi une amende fiscale manifestement disproportionnée au manquement ; qu'il n'a pas méconnu, ce faisant, les exigences de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

41. Considérant que, toutefois, lorsqu'une sanction administrative est susceptible de se cumuler avec une sanction pénale, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ; qu'il appartiendra donc aux autorités administratives et judiciaires compétentes de veiller au respect de cette exigence ; que, sous cette réserve, le V de l'article 85 n'est pas contraire à la Constitution ;