Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 4 mars 1997
N° de pourvoi: 96-84773
Publié au bulletin Rejet

REJET des pourvois formés par :- X... Gilles, Y... Christian, Z... Pierre-Yves, A... Louis,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, en date du 30 septembre 1996, qui, dans l'information suivie contre eux pour atteintes à l'intimité de la vie privée, complicité et conservation en mémoire informatisée de données nominatives, a constaté l'abrogation du crime d'attentat à la Constitution visé par les parties civiles, et ordonné la poursuite de l'information, sur l'ensemble des faits dont le magistrat instructeur est saisi, sous les seules qualifications d'atteinte à l'intimité de la vie privée et de mise et de conservation en mémoire informatisée de données nominatives faisant apparaître des opinions politiques, philosophiques ou religieuses.

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la publication dans la presse, à partir du mois de novembre 1992, d'articles faisant état du placement sous écoutes téléphoniques, par la " cellule antiterroriste de l'Elysée ", en 1983, d'Antoine B..., avocat de Mickaël C... et Mary D..., dits " les Irlandais de Vincennes ", puis, entre le 30 décembre 1985 et le 26 février 1986, d'Edwy E..., journaliste, ceux-ci se sont constitués parties civiles contre personne non dénommée, le 19 février et le 8 mars 1993, des chefs d'attentat à la liberté, atteinte à l'intimité de la vie privée et forfaiture ;

Que 2 informations ont été ouvertes le 19 mars 1993 contre personne non dénommée sur les faits tels que qualifiés par ces parties civiles ;

Que, par ordonnances des 30 avril 1993 et 5 décembre 1994, ces informations ont été jointes entre elles, ainsi qu'avec celles ouvertes sur les constitutions de plusieurs autres parties civiles se plaignant d'interceptions de leurs communications téléphoniques entre 1983 et 1986, sous les qualifications d'attentats à la liberté et à la Constitution, forfaiture, atteinte à l'intimité de la vie privée ;

Que, selon les plaintes et les investigations du juge d'instruction, de 1983 au mois de mars 1986, la " mission de coordination, d'information et d'action contre le terrorisme ", dite " cellule antiterroriste ", créée par décret du 17 août 1982, composée de militaires de la gendarmerie, de fonctionnaires de la direction de la surveillance du territoire et de policiers des renseignements généraux, et dirigée par Christian Y..., officier de gendarmerie et conseiller technique du Président de la République, aurait exercé, sur les instructions de Gilles X..., directeur adjoint, puis directeur du cabinet du Président de la République, la surveillance habituelle d'une vingtaine de lignes téléphoniques, prélevées sur le contingent attribué par le groupement interministériel de contrôle (GIC) à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), et ainsi intercepté les entretiens téléphoniques d'une centaine de " cibles " ;

Que l'expertise judiciaire de 5 disquettes informatiques, déposées par une personne non identifiée, le 12 janvier 1995, au tribunal de grande instance de Paris, tend à établir que la " cellule antiterroriste " aurait procédé ou fait procéder au traitement automatisé d'informations nominatives concernant les personnes dont les lignes téléphoniques ont été surveillées, ainsi que plus d'un millier de leurs interlocuteurs ; que 26 fichiers informatiques auraient été constitués, dont 23 consacrés à la synthèse des écoutes ; que la sauvegarde du contenu des disquettes ainsi expertisées aurait été effectuée le 15 février 1988 ;

Qu'à la suite de nouvelles révélations par voie de presse d'autres plaintes avec constitution de partie civile ont été déposées, entre le 27 février et le 4 septembre 1995, par 17 personnes, pour atteinte à l'intimité de la vie privée, attentat à la liberté, atteintes aux droits de la personne résultant de fichiers ou de traitements informatiques et interceptions illégales de communications ;

Qu'au vu de ces éléments Gilles X..., Christian Y..., Jean-Louis F... et Pierre-Yves Z... ont été mis en examen, le 6 décembre 1994, pour atteinte à l'intimité de la vie privée ; que les 2 derniers ont été inculpés supplétivement, les 29 novembre et 5 décembre 1995, de conservation en mémoire informatisée de données nominatives concernant les parties civiles ; que Louis A..., ancien directeur du cabinet du Premier ministre, a été mis en examen pour complicité d'atteintes à la vie privée de l'un des plaignants, Jean-Edern G...;

Attendu qu'à compter du 8 septembre 1995, sur les plaintes de François H..., Jean-Edern G..., Paul-Loup I..., Michel J..., Jacques K..., Jean L..., le ministère public a requis qu'il ne soit informé que des chefs d'atteinte à la vie privée et, en ce qui concerne François H..., de conservation de données faisant apparaître des informations politiques,
à l'exclusion des griefs d'attentat à la liberté ou d'attentat à la Constitution et de traitement illicite informatisé de données nominatives, aux motifs, d'une part, que " l'article 432-4 du Code pénal ne réprime plus depuis le 1er mars 1994 que les atteintes à la liberté d'aller et venir ", d'autre part, que " les infractions instantanées prévues et réprimées par les articles 226-16 à 226-22 du Code pénal sont couvertes par la prescription " ;

Que, l'ensemble des informations ayant été confiées au même juge d'instruction, celui-ci a, par ordonnances en date des 27 septembre et 26 octobre 1995, joint à la procédure suivie contre Gilles X... et autres les informations ouvertes sur ces nouvelles constitutions de partie civile ; que ce magistrat a déclaré qu'il y avait lieu d'informer sur les faits d'interception des communications téléphoniques dénoncés et sur la conservation des traitements automatisés des données informatiques qui en ont été la suite, " sous les qualifications d'attentat à la liberté, d'atteinte à l'intimité de la vie privée et de conservation en mémoire informatisée de données nominatives faisant apparaître des opinions " ; qu'il a précisé dans la seconde ordonnance que les faits " d'atteinte aux droits de la personne résultant de fichiers ou de traitements informatiques, à les supposer établis, étant prescrits ", il n'y avait lieu d'informer de ce chef ;

Attendu qu'après avoir constaté l'irrecevabilité des appels formés par les personnes mises en examen contre ces ordonnances, la chambre d'accusation, sur l'appel du ministère public, a rendu l'arrêt attaqué ;

En cet état :

...

Sur le premier moyen de cassation, proposé par la société civile professionnelle Alain Monod pour Gilles X... et pris de la violation des articles 114 et 186-1 de l'ancien Code pénal, 112-1 du nouveau Code pénal, 86, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué dit y avoir lieu à informer des chefs d'atteinte à la vie privée et de conservation en mémoire informatisée de données nominatives faisant apparaître des opinions, après avoir relevé que les faits dénoncés sont de nature à recevoir la qualification criminelle d'acte attentatoire à la Constitution, dont la prescription a été interrompue et a dès lors valablement interrompu celle relative au délit d'atteinte à la vie privée ;

" aux motifs que les faits dénoncés dans la présente procédure sont de nature à constituer non seulement une atteinte à l'intimité de la vie privée de particuliers, pris chacun dans leur individualité, mais également une atteinte à la Constitution, en raison de l'institutionnalisation du système et de l'ampleur des écoutes, de surcroît réalisées par une cellule constituée par les plus hautes autorités de l'Etat, et commises au préjudice de très nombreuses personnes à raison de leur profession, notamment de journalistes, d'avocats et hommes politiques, écrivains, etc. ;

" que l'atteinte à la Constitution, en tant que telle, résulte également du fait que de tels actes sont susceptibles d'avoir porté atteinte à de nombreuses libertés publiques constitutionnellement reconnues, telles les libertés d'opinion, de communication, d'expression, de la presse, le respect des droits de la défense, l'inviolabilité du domicile, ainsi qu'à l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme du 26 août 1789 disposant que la force publique est instituée pour l'avantage de tous et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée (p. 23 de l'arrêt) ;

" alors que, d'une part, les faits dénoncés sont insusceptibles de constituer une atteinte à la Constitution au sens de l'article 114 de l'ancien Code pénal, qui est d'interprétation stricte ; que chacune des libertés visées par l'arrêt faisant l'objet d'une protection pénale particulière, et les faits dénoncés ne constituant pas un manquement délibéré à des dispositions constitutionnelles positives de droit public, l'acte attentatoire à la Constitution ne pouvait être caractérisé ;

" alors que, d'autre part, et en toute hypothèse, les faits dénoncés en 1993 ne pouvaient entrer que dans les prévisions de la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications, laquelle n'envisage de tels faits que sous une qualification délictuelle " ;

Sur le deuxième moyen de cassation proposé pour Gilles X... et pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 114 et 368 de l'ancien Code pénal, 226-1 du nouveau Code pénal, 6, 7, 8, 86, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué constate que le crime d'atteinte à la Constitution, qui était prévu et réprimé par l'article 114 de l'ancien Code pénal, a été abrogé à compter du 1er mars 1994 ; constate que la prescription de l'action publique a été interrompue à l'égard du délit d'atteinte à l'intimité de la vie privée ; confirme, dans ces conditions, les ordonnances dans leurs dispositions disant y avoir lieu à informer des chefs d'atteinte à l'intimité de la vie privée et de conservation en mémoire informatisée de données nominatives faisant apparaître des opinions ;

" aux motifs que, lors des dépôts des premières plaintes avec constitution de partie civile, survenus en février et mars 1993, les faits dénoncés étant susceptibles de revêtir une qualification criminelle cumulativement avec une qualification correctionnelle, il y a lieu de constater que la prescription de l'action publique, applicable selon la qualification la plus haute, a été valablement interrompue, à l'égard non seulement des faits dénoncés mais à l'égard de l'ensemble des faits connexes non encore dénoncés, dans la mesure où ceux-ci revêtaient alors, également, la double qualification (p. 26) ;

" alors qu'en cas d'infractions connexes l'acte interruptif concernant l'une d'elles ne peut profiter à l'autre que si la prescription concernant cette dernière n'est pas acquise à la date où l'acte interruptif intervient ; qu'en l'espèce, l'action publique relative aux derniers faits dénoncés (mars 1986) était prescrite, dans leur prétendue qualification délictuelle, lorsque les premières plaintes (février 1993) sont venues interrompre la prescription criminelle, à supposer que ces faits aient pu alors recevoir cette autre qualification ; que, dès lors, la prescription de l'infraction prétendument délictuelle était nécessairement acquise à la date de la première plainte ; qu'ainsi la chambre d'accusation a violé les textes susvisés " ;

...

Sur le moyen unique de cassation proposé par Me de Nervo pour Christian Y... et pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 114, 186-1, 198, 368 et suivants de l'ancien Code pénal, des articles 111-2 à 111-4, 112-1 à 112-4, 286-1, 432-9 du Code pénal, des articles 7, 591 à 593 du Code de procédure pénale, du principe de la légalité des peines et du principe " specialia generalibus derogant " :

" en ce que l'arrêt attaqué a constaté que la prescription de l'action publique avait été interrompue et a dit y avoir lieu à poursuivre l'information pour l'ensemble des faits dont le magistrat instructeur était saisi ;

" aux motifs qu'il convenait de s'interroger sur la question de savoir si les faits dénoncés relevaient des qualifications prévues par l'article 114 du Code pénal, en vigueur au moment des faits et du dépôt des plaintes ;

" que ce texte était très vague et très large ; qu'il avait été édicté pour lutter contre tout arbitraire émanant des autorités publiques ; que les " actes attentatoires à la Constitution " recouvraient toutes les atteintes aux libertés en général, pourvu qu'elles soient garanties par la Constitution ; que l'analyse de la doctrine et de la jurisprudence permettait de confirmer cette analyse ;

" que les captations illicites de communications téléphoniques pouvaient constituer, suivant leurs mobiles, leur contenu et la profession des victimes, la violation de libertés protégées par la Constitution et revêtaient alors la qualification d'atteintes à la Constitution prévue par l'article 114 ;

" que l'article 186-1 de l'ancien Code pénal, entré en vigueur en 1991, ne correctionnalisait pas les dispositions de l'article 114 du Code pénal, qui était toujours en vigueur en 1991 ;

" que les faits reprochés aux mis en examen étaient susceptibles de constituer non seulement une atteinte à l'intimité de la vie privée de particuliers, mais également une atteinte à la Constitution, en raison de l'institutionnalisation du système et de l'ampleur des écoutes, réalisées par une cellule constituée par les plus hautes autorités de l'Etat ;

" que les faits reprochés aux mis en examen étaient donc susceptibles de recevoir cumulativement la qualification criminelle d'attentat à la Constitution et la qualification correctionnelle spécifique d'atteinte à l'intimité de la vie privée ;

" qu'il convenait de constater que les dispositions de l'article 114 de l'ancien Code pénal abrogé n'avaient pas été reprises par le nouveau Code pénal ;

" que les faits dénoncés étaient, en revanche, susceptibles de recevoir la qualification correctionnelle prévue par l'article 226-1 du Code pénal ;

" que, lors des dépôts des premières plaintes avec constitution de partie civile, survenus en février et mars 1993, les faits dénoncés étant susceptibles de recevoir une qualification criminelle cumulativement avec une qualification correctionnelle, il y avait lieu de constater que la prescription de l'action publique, applicable selon la qualification la plus haute, avait été valablement interrompue, à l'égard non seulement des faits dénoncés, mais à l'égard de l'ensemble des faits connexes non encore dénoncés, dans la mesure où ceux-ci revêtaient alors également une double qualification ;

" qu'en conséquence lorsque sont intervenues, en 1995, de nouvelles plaintes avec constitution de partie civile, les faits dénoncés n'étaient pas atteints par la prescription ;

" que l'abrogation par le nouveau Code pénal, entré en vigueur le 1er mars 1994, du texte criminel prévoyant la répression des atteintes à la Constitution était sans influence sur l'interruption de la prescription antérieurement intervenue ;

" 1° alors qu'il résulte de l'article 7, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme qu'une infraction doit être clairement et précisément définie par la loi ; que la chambre d'accusation ne pouvait donc, après avoir elle-même déploré le caractère vague et incertain de la définition du crime d'atteinte à la Constitution prévu par l'article 114 de l'ancien Code pénal, considérer que, dans certains cas, les écoutes téléphoniques étaient susceptibles de constituer ce crime, " suivant leurs mobiles ", leur contenu et " la profession des victimes " ;

" 2° alors que, à supposer même que l'atteinte à la Constitution ait constitué une incrimination suffisamment précise, elle ne pouvait, en tout état de cause, concerner des agissements réprimés par une disposition répressive particulière et plus précise, à savoir l'article 368 du Code pénal (ancien) réprimant l'atteinte à la vie privée ;

" 3° alors que, de toute manière, le crime d'atteinte à la Constitution n'a pas été correctionnalisé, mais a tout simplement disparu, comme l'a expressément constaté l'arrêt attaqué ; que, selon l'article 8 du Code de procédure pénale, qui ne prévoit pas d'exception à la règle qu'il édicte, en matière de délit, la prescription de l'action publique est de trois années révolues ; que la chambre d'accusation ne pouvait déroger à ce principe d'ordre public sous prétexte que le délit reproché aux mis en examen aurait pu recevoir également, sous l'empire d'un texte aujourd'hui abrogé, une qualification criminelle ;

" et 4° alors que, à tout le moins, les plaintes intervenues en 1995, soit postérieurement à l'abrogation de l'article 114 de l'ancien Code pénal, n'avaient pu avoir pour effet d'interrompre la prescription de l'action publique " ;

...

Sur le premier moyen de cassation, proposé par la société civile professionnelle Piwnica et Molinié pour Louis A..., et pris de la violation des articles 114, 198, 368 anciens du Code pénal, 6, § 3 a, et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 8 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, 111-3 et 111-4 du Code pénal, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré que les faits de captation illicite de conversations téléphoniques prétendument réalisés en 1983 par les dépositaires de l'autorité publique pouvaient constituer, à l'époque de leur commission, des actes attentatoires à la Constitution au sens de l'ancien article 114 du Code pénal ;

" aux motifs que l'article 114 de l'ancien Code pénal visait à garantir aux citoyens la jouissance des libertés inscrites dans les textes constitutionnels ; que font partie des libertés publiques constitutionnellement reconnues le respect de la vie privée, les droits de la défense, la liberté d'opinion, la libre communication des parties, des opinions, des informations, la liberté d'expression et la liberté de la presse ; que les captations illicites de communications téléphoniques peuvent constituer, suivant leurs mobiles, leur contenu, la profession des victimes, la violation de certaines de ces libertés et revêtent alors la qualification d'atteinte à la Constitution prévue par l'article 114 ; que certaines parties civiles, après avoir visé l'infraction d'atteinte à l'intimité de la vie privée, ont considéré qu'il y avait eu atteinte à la liberté de la presse, à la liberté d'expression et au secret des journalistes en ce qui concerne les journalistes d'une part, et atteinte aux droits de la défense en ce qui concerne les avocats d'autre part ; que l'examen de la question ne pourra être effectué que sur le plan général des principes, seules des investigations complémentaires permettant de déterminer si, dans les faits, telle ou telle liberté publique a été atteinte ;

" 1° alors que toute infraction doit être définie en termes clairs et précis pour exclure l'arbitraire et permettre au prévenu de connaître exactement les comportements prohibés ; que l'article 114 ancien du Code pénal, qui punissait de la peine de la dégradation civique tout acte attentatoire à la Constitution commis par un fonctionnaire, ne détermine ni l'agissement, ni les dispositions de la Constitution méconnues par ce crime ; que dès lors l'article 114 du Code pénal ne saurait en raison de son imprécision, lorsqu'il vise les actes attentatoires à la Constitution, être retenu pour justifier le caractère décennal de la prescription de l'action publique ;

" 2° alors que, selon les dispositions de l'article 111-4 du Code pénal, la loi pénale est d'interprétation stricte ; que le crime d'attentat à la Constitution prévu par l'ancien article 114 du Code pénal ne sanctionnait que des agissements qui, à défaut d'incrimination particulière, auraient directement porté atteinte au fonctionnement de la Constitution ; que dès lors le crime d'attentat à la Constitution ne pouvait s'appliquer à la violation des libertés publiques garanties par les textes constitutionnels ;

" 3° alors qu'en tout état de cause, à supposer que l'article 114 précité ait pu sanctionner la violation des libertés publiques prévues par des textes constitutionnels, la règle " specialia generalibus derogant " interdisait d'appliquer cette disposition générale en présence d'une incrimination spécifique destinée à garantir la liberté publique concernée ; que seule la qualification délictuelle d'atteinte à l'intimité de la vie privée prévue par l'ancien article 368 du Code pénal, et aggravée par la circonstance visée à l'article 198 ancien de ce même Code, pouvait s'appliquer à la captation illicite de communications téléphoniques réalisée par des fonctionnaires publics exerçant leur activité au sein d'une cellule antiterroriste organisée au plus haut degré de l'Etat ;

" 4° alors qu'au surplus la poursuite d'un fait unique sous 2 qualifications pénales distinctes n'est admise que si le comportement de l'auteur porte atteinte à 2 valeurs sociales distinctes ; que tel n'est pas le cas de la captation illicite de communications téléphoniques effectuée par un agent de l'autorité publique, cet agissement réalisé en dehors de toute autorisation légale ayant pour unique effet de violer l'intimité de la vie privée de la personne concernée, et ce quels que soient les mobiles qui aient inspiré leur auteur, la multiplicité des écoutes et la profession des personnes écoutées ; que, dès lors, la qualification d'atteinte à la Constitution prévue par l'ancien article 114 du Code pénal ne pouvait être retenue cumulativement avec le délit d'atteinte à la vie privée spécifiquement prévu par l'ancien article 368 du Code pénal, aggravé selon les dispositions de l'article 198 ancien du même Code, sans violer le principe susvisé ;

" 5° alors qu'enfin la qualification d'actes attentatoires à la Constitution, en vertu de laquelle la prescription criminelle a été retenue, ne peut être caractérisée par les mobiles qui ont inspiré leurs auteurs, la profession des victimes et le contenu des conversations téléphoniques, sauf à admettre que le crime prévu par l'ancien article 114 du Code pénal est constitué par des éléments étrangers à l'agissement matériel ; qu'en déclarant que les captations illicites de communications téléphoniques pouvaient revêtir la qualification d'atteinte à la Constitution au vu de ces motifs inopérants, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

Sur le second moyen de cassation proposé pour Louis A... et pris de la violation des articles 7, 8 et 593 du Code de procédure pénale, 368 ancien du Code pénal, 226-16 à 226-22 du Code pénal, violation de la loi, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré que la prescription de l'action publique relative aux faits de nature correctionnelle avait été régulièrement interrompue ;

" aux motifs que, s'agissant de faits connexes, l'interruption de la prescription décennale visant le crime de l'ancien article 114 du Code pénal, réalisée par les constitutions de parties civiles datées de février 1993, avait produit son effet à l'égard de l'ensemble des faits d'interception y compris ceux pris sous la qualification correctionnelle ;

" alors que la prescription de l'action publique en matière de délit est de 3 années révolues ; que l'interruption de la prescription décennale ne peut avoir d'effet, en raison de la connexité, qu'à l'égard de faits de nature correctionnelle antérieurs de moins de 3 années ; qu'en l'espèce les faits d'interception de communications téléphoniques prétendument commis de 1983 à 1986, appréhendés sous la qualification délictuelle d'atteinte à l'intimité de la vie privée et de mise en mémoire informatisée de données nominatives d'une personne, étaient prescrits à la date du 1er janvier 1990 ; que, dès lors, les plaintes avec constitution de partie civile datées de février et mars 1993 n'ont pu interrompre une prescription déjà acquise de sorte que l'arrêt attaqué n'est pas légalement justifié " ;

Les moyens étant réunis ;

...

Sur les autres moyens :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les faits de captation illicite de communications téléphoniques, tels que dénoncés, étaient de nature, avant le 1er mars 1994, à recevoir cumulativement la qualification criminelle d'attentat à la Constitution, au sens de l'article 114 du Code pénal alors en vigueur, ainsi que les qualifications correctionnelles d'atteintes à la vie privée et d'atteintes aux droits de la personne par traitements informatiques ; qu'ainsi les premières constitutions de parties civiles, régularisées le 19 février 1993, auraient eu pour effet d'interrompre la prescription décennale de l'action publique, " applicable selon la qualification la plus haute ", à l'égard tant du crime que des délits visés par la prévention, commis entre l'année 1983 et le mois de mars 1986 ; que, précise l'arrêt, en dépit de l'abrogation du crime d'attentat à la Constitution, le 1er mars 1994, les faits poursuivis, qu'ils aient été dénoncés avant ou après cette date, et dans la mesure où ils revêtaient la double qualification lorsqu'ils ont été commis, ne sont pas atteints par la prescription ;

Attendu que ces motifs sont justement critiqués par les demandeurs dès lors que, si la prescription du crime prévu par l'article 114 du Code pénal a pu être valablement interrompue en 1993 à supposer ce texte applicable à l'espèce, avant son abrogation, malgré l'existence d'incriminations spéciales définies par les lois des 17 juillet 1970 et 6 janvier 1978, cette circonstance est sans incidence sur les modalités de la prescription propre aux délits, seraient-ils connexes, indivisibles ou en concours, qui auraient été commis plus de 3 ans avant l'acte initial de poursuite ;

Attendu, cependant, que l'erreur de droit ainsi commise par la chambre d'accusation ne saurait entraîner la censure de l'arrêt ;

Qu'en effet, d'une part, les articles 368 ancien et 226-1 nouveau du Code pénal font de la clandestinité un élément constitutif essentiel du délit d'atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, qui n'est caractérisé que lorsque la personne, dont les paroles ont été enregistrées sans son consentement est informée de leur captation ou de leur transmission, et qui, selon l'article 226-6, ne peut être poursuivi que sur la plainte de la victime ou de ses ayants droit ;

Que la clandestinité est, de même, inhérente au délit, repris de la loi du 6 janvier 1978 dans l'article 226-19, constitué par la mise en mémoire informatisée, sans l'accord exprès de l'intéressé, de données nominatives faisant apparaître, notamment, ses opinions politiques, philosophiques ou religieuses ;

Qu'ainsi, sauf à retirer son effectivité à la loi, ces 2 infractions ne peuvent être prescrites avant qu'elles aient pu être constatées en tous leurs éléments et que soit révélée, aux victimes, l'atteinte qui a pu être portée à leurs droits ; que tel aurait été le cas, en l'espèce, au plus tôt au mois de novembre 1992 ;

Que, d'autre part, la conservation d'un enregistrement de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, au sens de l'article 226-2 du Code pénal, ainsi que celle de données informatisées que réprime l'article 226-19 constituent des délits continus, à l'égard desquels la prescription de l'action publique ne commence à courir que lorsqu'ils ont cessé ; qu'il en serait ainsi, selon les juges, à compter du 12 janvier 1995, date de la remise, au magistrat instructeur, des 5 disquettes informatiques déposées par une personne non identifiée ;

Attendu que, par ces motifs de pur droit, substitués à ceux de la chambre d'accusation, l'arrêt attaqué, qui ordonne la poursuite de l'information sur l'ensemble des faits dénoncés en exceptant, à bon droit, l'application de l'article 432-4 du Code pénal, se trouve justifié ;

D'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.

Publication : Bulletin criminel 1997 N° 83 p. 270