Cour de Cassation
Assemblée plénière
Audience publique du 21 décembre 2006 Rejet.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 avril 2000), que le journal Le Provençal a publié le 14 février 1996 un article intitulé "ils maltraitaient leur bébé - Digne : le couple tortionnaire écroué" ; que, s'estimant mise en cause par cet article dans des conditions attentatoires à la présomption d'innocence, Mme X... a assigné la société éditrice du journal et le directeur de la publication en réparation de son préjudice devant un tribunal de grande instance ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société La Provence et le directeur de la publication du journal font grief à l'arrêt d'avoir écarté le moyen tiré de la prescription de l'action, alors, selon le moyen, qu'il résulte de l'article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 que les actions fondées sur une atteinte à la présomption d'innocence commises par l'un des moyens visés à l'article 23 se prescriront après trois mois révolus à compter du jour de l'acte de publicité ; que la société La Provence faisait valoir la prescription de l'action dès lors que la déclaration d'appel étant du 17 mars 1998, Mme X... n'avait fait aucun acte susceptible d'interrompre le cours de la prescription, laquelle était acquise le 17 juin 1998 ; qu'en décidant que le moyen tiré de la prescription doit être écarté aux motifs que la prescription édictée par l'article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 n'est pas la même que celle prévue par l'article 65 pour les infractions prévues par cette loi et qu'il n'y a donc pas lieu d'examiner la question de l'inaction de Mme X... depuis l'appel de la société La Provence, l'action ayant été valablement introduite devant le tribunal dans le délai prévu par l'article 65-1, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Mais attendu que les dispositions de l'article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 instaurent, pour les actions fondées sur une atteinte au respect de la présomption d'innocence, un délai de prescription particulier qui déroge au droit commun de la prescription des actions en matière civile ; que ces dispositions, d'ordre public, imposent au demandeur, non seulement d'introduire l'instance dans les trois mois de la publication des propos incriminés, mais aussi d'accomplir tous les trois mois un acte de procédure manifestant à l'adversaire son intention de poursuivre l'instance ; que si c'est à tort que la cour d'appel a écarté le moyen de prescription alors qu'elle constatait que Mme X... n'avait accompli aucun acte interruptif de prescription dans les trois mois suivant la déclaration d'appel faite par les parties condamnées, la censure de sa décision n'est pas encourue de ce chef, dès lors que l'application immédiate de cette règle de prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime d'un procès équitable, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l'accès au juge ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
(…)
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Publication : Bulletin 2006 A. P. N° 15 p. 52
JCP G, 2007-03-14, n° 11, p. 35-39, observations E. DREYER.
Dalloz, 2007-03-22, n° 12, p. 835-841, observations P. MORVAN.
P. Deumier, RTDCiv 2007, 1, p. 72

Cour de Cassation
Chambre civile 2
Audience publique du 8 juillet 2004
Rejet.
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Agen 28 février 2001) et les productions, qu'après la publication de deux dépêches par l'Agence France Presse (AFP), le 15 novembre 1996, vers 10 heures et 18 heures, Radio France Toulouse a diffusé l'information suivante : "Une avocate toulousaine sous les verrous. Maître Agnès X... a été mise en examen et incarcérée à la maison d'arrêt de Versailles. Elle est soupçonnée d'avoir renseigné directement des trafiquants de drogue... C'est au cours d'une conversation téléphonique que l'avocate toulousaine aurait prodigué ses conseils. Le juge d'instruction chargé du dossier parle de complicité et c'est à ce titre que Maître X... a été mise en examen et écrouée. Cette affaire est unique, il faut remonter six années en arrière pour se souvenir d'avocats mis en examen et écroués : ils avaient passé des armes au parloir d'une prison parisienne" ; que, s'estimant diffamée et victime d'une atteinte à la présomption d'innocence, Mme X... a fait assigner devant le tribunal de grande instance, le 14 février 1997, la Société nationale de radiodiffusion Radio France (Radio France) en réparation de son préjudice sur les fondements des articles 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 et 9-1 du Code civil ; qu'avant toute défense au fond, Radio France a excipé de la nullité de l'assignation introductive d'instance, faute d'avoir été notifiée au ministère public et d'avoir précisé les textes applicables à la demande, et invoqué la fin de non-recevoir tirée des prescriptions prévues par les articles 53, 65 et 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Sur le premier moyen : (…)

Et attendu, sur la seconde branche, que, selon l'article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881, les actions civiles fondées sur une atteinte au respect de la présomption d'innocence commise par l'un des moyens visés à l'article 23 de cette loi se prescrivent après trois mois révolus à compter du jour de l'acte de publicité ; que ces dispositions spéciales, d'ordre public, dérogeant au droit commun, le délai de trois mois court à nouveau à compter de chaque acte interruptif de la prescription abrégée prévue par ce texte ;
que si c'est à tort que la cour d'appel a décidé que le demandeur n'avait pas à réitérer trimestriellement son intention de poursuivre l'action engagée, la censure de sa décision n'est pas encourue de ce chef, dès lors que l'application immédiate de cette règle de prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime d'un procès équitable, au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen : (…)

PAR CES MOTIFS :
REJETTE
Publication : Bulletin 2004 II N° 387 p. 323
Revue trimestrielle de droit civil, 2005-01, n° 1, p. 176-180, observations Philippe THERY.

P. Morvan, Le revirement de JP pour l'avenir..., D. 2005, p. 247
JCP 2005, I, 143, obs. B. Beignier et B. de Lamy