14. Le requérant est libérable le 21 juin 2006.
(...)
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 7 DE LA CONVENTION
21. Le requérant se plaint de ce que les juridictions internes ont retenu
l'état de récidive légale en le condamnant après
l'entrée en vigueur du nouveau code pénal le 1er mars 1994. Il
invoque l'article 7 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission
qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas
une infraction d'après le droit national ou international. De même,
il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable
au moment où l'infraction a été commise.
2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à
la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment
où elle a été commise, était criminelle d'après
les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées.
»
A. Thèses défendues devant la Cour (…)
B. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux
32. La Cour rappelle que l'article 7 de la Convention consacre, de manière
générale, le principe de la légalité des délits
et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et prohibe, en particulier,
l'application rétroactive du droit pénal lorsqu'elle s'opère
au détriment de l'accusé (Kokkinakis c. Grèce, arrêt
du 25 mai 1993, série A no 260-A, p. 22, § 52). S'il interdit en
particulier d'étendre le champ d'application des infractions existantes
à des faits qui, antérieurement, ne constituaient pas des infractions,
il commande en outre de ne pas appliquer la loi pénale de manière
extensive au détriment de l'accusé, par exemple par analogie.
Il s'ensuit que la loi doit définir clairement les infractions et les
peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le
justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition
pertinente et au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est
donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité
pénale.
33. La notion de « droit » (« law ») utilisée
à l'article 7 correspond à celle de « loi » qui figure
dans d'autres articles de la Convention ; elle englobe le droit d'origine tant
législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives,
entre autres celles de l'accessibilité et de la prévisibilité
(voir, notamment, Cantoni c. France du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts
et décisions 1996-V, p. 1627, § 29 ; Coëme et autres, précité,
§ 145 ; E.K. c. Turquie, no 28496/95, § 51, 7 février 2002).
34. La tâche qui incombe à la Cour est donc de s'assurer que, au
moment où un accusé a commis l'acte qui a donné lieu aux
poursuites et à la condamnation, il existait une disposition légale
rendant l'acte punissable et que la peine imposée n'a pas excédé
les limites fixées par cette disposition (Coëme et autres, précité,
§ 145). La notion de « peine » possédant une portée
autonome, la Cour doit, pour rendre efficace la protection offerte par l'article
7, demeurer libre d'aller au-delà des apparences et apprécier
elle-même si une mesure particulière s'analyse au fond en une «
peine » au sens de cette disposition (Welch c. Royaume-Uni, arrêt
du 9 février 1995, série A no 307-A, p. 13, § 27). Eu égard
au but de la Convention qui est de protéger des droits concrets et effectifs,
elle pourra aussi prendre en considération le respect d'un équilibre
entre l'intérêt général et les droits fondamentaux
de l'individu ainsi que les conceptions prévalant de nos jours dans les
Etats démocratiques (voir, notamment, Airey c. Irlande, arrêt du
9 octobre 1979, série A no 32, pp. 14-16, § 26 ; Guzzardi c. Italie,
arrêt du 6 novembre 1980, série A no 39, pp. 34-35, § 95 ;
Coëme et autres, précité).
2. Application de ces principes
35. La Cour constate que la récidive s'inscrit dans le cadre de la question
plus générale de la détermination de la peine. Le fait
qu'un avertissement, donné à un délinquant par une première
condamnation pénale, n'ait pas suffit à l'empêcher de commettre
une autre infraction, conduit le législateur à encore plus de
sévérité : la récidive constitue une cause d'aggravation
de la sanction.
36. La récidive légale est constituée de deux éléments
qui forment un ensemble indivisible : un premier et un second termes. Le premier
terme doit être une condamnation pénale, prononcée par une
juridiction française. Cette condamnation doit être définitive
et, partant, n'être ni amnistiée, réhabilitée ou
non avenue. Le second terme consiste en une nouvelle infraction. Le régime
légal visant à maintenir la récidive dans un cadre bien
défini, la loi fixe le délai dans lequel la nouvelle infraction
peut entraîner la récidive ou, inversement, l'échéance
à partir de laquelle il n'y a plus de second terme possible. La législation
française avait d'abord prévu, sous l'empire de l'ancien code
pénal, un délai de cinq ans et ce délai a, ensuite, été
porté à dix ans par le nouveau code pénal entré
en vigueur le 1er mars 1994.
37. De l'avis de la Cour, la question qui lui est soumise renvoie aux principes
généraux du droit, plus spécialement du droit pénal
et de la procédure pénale. Comme corollaire du principe de la
légalité des délits et des peines, les dispositions de
droit pénal sont soumises au principe d'interprétation stricte,
ainsi qu'au principe de la non-application d'une loi nouvelle plus sévère
à une situation née avant sa mise en vigueur et en cours de développement.
38. En l'espèce, la Cour note que la solution retenue par la Cour de
cassation consiste à appliquer le nouveau régime de récidive
apparu le 1er mars 1994 et, partant, en vigueur au moment des nouveaux faits
commis en 1995. Il reste que si l'application de la loi nouvelle à l'infraction
qui constitue le « second terme » n'est pas contestée en
soi, encore faut-il, pour que les juges puissent, en outre, constater un état
de récidive, qu'il y ait un « premier terme » au sens du
droit interne.
39. Il serait vain d'opposer les deux termes de la récidive, notamment
dans le cadre d'un débat sur les finalités du système de
la récidive, en vue de n'en retenir qu'un ou de minimiser la portée
de l'un au profit de l'autre. Les dispositions pénales pertinentes du
droit français sont exemptes d'ambiguïté : la récidive
est constituée de deux termes indissociables, qui doivent être
examinés cumulativement. Ainsi, la répression de la récidive
par le code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 impose-t-elle
de retenir l'une des hypothèses légales, après un examen
de la nature de l'infraction (contravention, délit ou crime), ainsi que
de la peine encourue et ce, pour chacun des deux termes.
40. En l'espèce, les deux termes relèvent de lois différentes
: la première infraction fut commise alors que la loi prévoyait
une période de récidive de cinq ans ; la seconde relève
du nouveau code pénal qui fixe une période de dix ans. Outre cette
première difficulté, force est de constater qu'il n'existe pas
de dénominateur commun entre ces deux périodes. En effet, la première
période a légalement pris fin le 12 juillet 1991, conformément
au régime légal alors applicable. La nouvelle période de
dix ans n'est quant à elle apparue en droit français que près
de trois ans après cette date, à savoir le 1er mars 1994.
41. Aux yeux de la Cour, l'application de la loi nouvelle a nécessairement
fait revivre une situation juridique éteinte depuis 1991. L'antécédent
judiciaire, qui ne pouvait plus fonder une récidive à partir du
12 juillet 1991, a donc produit des effets, non plus dans le cadre du régime
légal dont il relevait, mais dans le cadre du nouveau régime légal
entré en vigueur des années plus tard. Autrement dit,
dans la mesure où l'entrée en vigueur au 1er mars 1994 du nouveau
code pénal a entraîné l'application de l'article 132-9 à
l'infraction pour laquelle le requérant avait été condamné
le 16 octobre 1984, les juridictions ont nécessairement dû faire
revivre un état de récidive qui avait pourtant, aux termes de
la loi française elle-même, officiellement pris fin le 12 juillet
1991.
42. Ainsi, nonobstant la distinction qui peut légitimement être
opérée entre application « immédiate » ou «
rétroactive » d'une loi nouvelle, la Cour est d'avis que les circonstances
de l'espèce portent en réalité sur une application «
rétroactive » de la loi pénale. En effet, elle
n'est pas appelée à trancher la question de l'application de la
loi nouvelle alors que le délai de récidive prévu par l'ancienne
loi n'aurait pas encore été échu (voir, mutatis mutandis,
Coëme et autres, précité, §§ 149 et 150) : le requérant
se plaint de ce que la loi nouvelle est venue contredire les effets de la loi
ancienne, aux termes de laquelle le délai était non plus en cours
mais déjà échu.
43. L'application de la loi nouvelle dans les circonstances de l'espèce
amène la Cour a faire un constat pour le moins déconcertant :
si le requérant avait commis la seconde infraction le lendemain du 12
juillet 1991 (terme du délai légal de récidive) ou à
n'importe quelle date entre le 13 juillet 1991 et le 28 février 1994
(veille de l'entrée en vigueur du nouveau code pénal), soit pendant
une période de presque trois ans, le droit français aurait interdit
tout constat de récidive à son encontre.
44. Il ne saurait donc être valablement soutenu que la première
condamnation du requérant n'avait pas cessé de produire des effets
après le 12 juillet 1991. Sur ce point, la Cour ne discerne d'ailleurs
aucun lien entre la présente requête et la question des condamnations
avec sursis développée par le Gouvernement, le requérant
ayant simplement qualifié la période de récidive de «
mise à l'épreuve » et le Parlement lui-même parlant
d'un « délai d'épreuve » (paragraphe 19 ci-dessus).
A l'évidence, il n'y a rien de comparable entre la récidive et
le sursis, avec ou sans mise à l'épreuve, ce dont convient expressément
le Gouvernement dans ses observations.
45. Selon lui, la première condamnation aurait cependant continué
à produire des effets en raison du maintien de son inscription au casier
judiciaire. La Cour constate cependant que les règles régissant
l'inscription au casier judiciaire n'ont pas vocation à se substituer
aux dispositions du code pénal relatives à la récidive.
Elles ne peuvent pas davantage expliquer les raisons pour lesquelles le requérant
ne pouvait légalement plus se voir opposer un quelconque état
de récidive entre le 13 juillet 1991 et le 28 février 1994. En
outre, s'il est vrai que les mentions portées sur les fiches du casier
judiciaire permettent aux juges de retenir, le cas échéant, l'état
de récidive, cela va inévitablement de pair avec un indispensable
contrôle préalable de l'échéance ou non du délai
de récidive. La date d'expiration de la peine (point de départ
du calcul du délai de récidive) est expressément mentionnée
sur lesdites fiches.
46. En tout état de cause, l'inscription d'une condamnation au casier
judiciaire n'est pas, en soi, synonyme de possibilité de récidive,
dès lors que n'existe aucun corollaire entre l'inscription d'une condamnation
et l'expiration du délai de récidive : si le retrait des fiches
du casier judiciaire peut notamment intervenir en cas d'amnistie ou de réhabilitation
comme le relève le Gouvernement, il est susceptible d'intervenir dans
d'autres circonstances énumérées par la loi, à l'instar
des condamnations prononcées depuis plus de quarante ans et ce, à
la double condition qu'elles n'aient pas été suivies d'une nouvelle
condamnation à une peine criminelle ou correctionnelle et qu'elles ne
concernent pas des faits imprescriptibles.
47. Les circonstances de l'espèce permettent donc de conclure à
une application rétroactive des dispositions litigieuses du nouveau
code pénal, lesquelles se distinguent des lois de procédure qui
s'appliquent en principe immédiatement aux procédures en cours
(Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, arrêt du 19 décembre
1997, Recueil 1997-VIII, p. 2956, § 35).
48. Reste à savoir si la loi nouvelle était plus douce ou plus
sévère. La Cour note, d'une part, que la durée de la période
justifiant l'aggravation pour récidive passe de cinq à dix ans
et, d'autre part, que l'application du nouveau délai de récidive
a également eu pour effet de soumettre le requérant aux autres
dispositions du nouveau code pénal, notamment au regard de la peine.
En l'espèce, elle a effectivement conduit les juges du fond à
appliquer une sanction plus sévère, la récidive permettant
de doubler le maximum légal : le requérant a été
condamné à une peine de douze années d'emprisonnement de
par la prise en compte de la récidive, alors que le maximum légal
de la peine encourue sans récidive était de dix années
(voir, mutatis mutandis, Jamil c. France, arrêt du 8 juin 1995, série
A no 317-B).
49. Partant, l'on peut légitimement considérer que l'article 132-9
du nouveau code pénal ne pouvait rétroagir et que le requérant
devait, lors des secondes poursuites, être traité en délinquant
primaire et non en récidiviste.
50. Enfin, la Cour estime que lorsqu'une personne est, comme en l'espèce,
condamnée en état de récidive par application d'une loi
nouvelle, le principe de sécurité juridique commande que le délai
de récidive légal, apprécié conformément
aux principes du droit, notamment d'interprétation stricte du droit pénal,
ne soit pas déjà échu en vertu de la précédente
loi. La garantie que consacre l'article 7, élément essentiel
de la prééminence du droit, occupe d'ailleurs une place primordiale
dans le système de protection de la Convention, comme l'atteste le fait
que l'article 15 n'y autorise aucune dérogation en temps de guerre ou
autre danger public.
51. Partant, il y a eu violation de l'article 7 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Dit, par 4 voix contre 3, qu'il y a eu violation de l'article 7 de la Convention
;
2. Dit, par 4 voix contre 3, que le constat d'une violation fournit en soi une
satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant
;
3. Dit, par 4 voix contre 3,
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois
mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif
conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 5 917 EUR
(cinq mille neuf cent dix-sept euros) pour frais et dépens, plus tout
montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement,
ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un
taux égal à celui de la facilité de prêt marginal
de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période,
augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
CEDH, 29 mars 2006, AFFAIRE ACHOUR c. France
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
10. Le requérant est né en 1963 et réside à Lyon.
11. Le 16 octobre 1984, le tribunal correctionnel de Lyon condamna le requérant
à trois ans d’emprisonnement ferme, après l’avoir
déclaré coupable d’un trafic de drogue portant sur dix kilogrammes
de haschich. Il termina de purger sa peine le 12 juillet 1986.
12. Le 1er mars 1994, les dispositions de l’article 132-9 du nouveau code
pénal entrèrent en vigueur.
13. Le 7 décembre 1995, dans le cadre d’une information judiciaire
ouverte le 30 octobre 1995, le requérant fut arrêté à
son domicile. Plusieurs perquisitions, notamment au domicile du requérant,
permirent de découvrir deux paquets de résine de cannabis pesant
chacun 28,8 kilogrammes, outre diverses sommes d’argent en numéraire
pour un montant total de plus d’un million deux cent mille francs français.
14. Le requérant fut mis en examen et placé en détention
provisoire le 11 décembre 1995.
15. Par un jugement du 14 avril 1997, le tribunal correctionnel de Lyon déclara
le requérant coupable d’infraction à la législation
sur les stupéfiants et le condamna à huit années d’emprisonnement,
ainsi qu’à l’interdiction du territoire français pour
une durée de dix ans. Le tribunal motiva sa décision en ces termes
: (...)
16. En outre, le tribunal correctionnel condamna la mère du requérant
et sa concubine, S., à deux ans d’emprisonnement avec sursis pour
recel d’argent provenant d’infractions à la législation
sur les stupéfiants.
17. Par un arrêt du 25 novembre 1997, la cour d’appel de Lyon porta
la peine à douze ans d’emprisonnement et confirma la mesure d’interdiction
du territoire français. Elle considéra notamment ce qui suit :
(...)
18. Le requérant se pourvut en cassation, faisant notamment valoir que
le constat de récidive légale était contraire au principe
d’application de la loi pénale dans le temps, la cour d’appel
ayant procédé à une application rétroactive de dispositions
plus sévères de la loi nouvelle.
19. Par un arrêt du 29 février 2000, la Cour de cassation rejeta
le pourvoi. Elle estima que la cour d’appel avait valablement retenu l’état
de récidive légale, aux motifs suivants :
« (...) lorsqu’une loi institue un nouveau régime de la récidive,
il suffit, pour entraîner son application immédiate, que l’infraction
constitutive du second terme, qu’il dépend de l’agent de
ne pas commettre, soit postérieure à son entrée en vigueur.
»
20. Le requérant est libérable le 21 juin 2006.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION
27. Le requérant se plaint de ce que les juridictions internes ont retenu
l’état de récidive légale en le condamnant après
l’entrée en vigueur du nouveau code pénal le 1er mars 1994.
Il invoque l’article 7 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission
qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas
une infraction d’après le droit national ou international. De même,
il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était
applicable au moment où l’infraction a été commise.
2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à
la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une
omission qui, au moment où elle a été commise, était
criminelle d’après les principes généraux de droit
reconnus par les nations civilisées. »
A. L’arrêt de la chambre
28. La chambre a estimé qu’il serait vain d’opposer les deux
termes de la récidive, notamment dans le cadre d’un débat
sur les finalités du système de la récidive, en vue de
n’en retenir qu’un ou de minimiser la portée de l’un
au profit de l’autre, les dispositions pénales pertinentes du droit
français étant exemptes d’ambiguïté : la récidive
est constituée de deux termes indissociables, qui doivent être
examinés cumulativement. Elle a noté que les deux termes relevaient
de lois différentes et qu’il n’existait pas de dénominateur
commun entre les deux périodes concernées, la première
ayant légalement pris fin le 12 juillet 1991, conformément au
régime légal alors applicable, la nouvelle période de dix
ans n’étant quant à elle apparue en droit français
que près de trois ans après cette date, à savoir le 1er
mars 1994. A ses yeux, l’application de la loi nouvelle a nécessairement
fait revivre une situation juridique éteinte depuis 1991. Partant, l’antécédent
judiciaire, qui ne pouvait plus fonder une récidive à partir du
12 juillet 1991, a produit des effets, non plus dans le cadre du régime
légal dont il relevait, mais dans le cadre du nouveau régime légal
entré en vigueur des années plus tard et ce, alors même
que si le requérant avait commis la seconde infraction le lendemain du
12 juillet 1991 (terme du délai légal de récidive) ou à
n’importe quelle date entre le 13 juillet 1991 et le 28 février
1994 (veille de l’entrée en vigueur du nouveau code pénal),
soit pendant une période de presque trois ans, le droit français
aurait interdit tout constat de récidive à son encontre.
29. Quant à la question de savoir si la loi nouvelle était plus
douce ou plus sévère, la chambre a estimé que les juges
du fond avaient appliqué une sanction plus sévère, le requérant
ayant été condamné à une peine de douze années
d’emprisonnement suite à la prise en compte de la récidive,
alors que le maximum légal de la peine encourue sans récidive
était de dix années. La chambre a ainsi jugé que, nonobstant
la distinction qui peut légitimement être opérée
entre application « immédiate » ou « rétroactive
» d’une loi nouvelle, les circonstances de l’espèce
portaient en réalité sur une application « rétroactive
» de la loi pénale, s’agissant de l’application d’une
loi nouvelle alors que le délai de récidive prévu par l’ancienne
loi est non pas en cours mais déjà échu.
30. La chambre, après avoir constaté une application rétroactive
des dispositions de l’article 132-9 du nouveau code pénal, a conclu
que le requérant aurait dû, lors des secondes poursuites, être
traité en délinquant primaire et non en récidiviste. Elle
a estimé que la question qui lui était soumise renvoyait aux principes
généraux du droit et que le principe de sécurité
juridique commandait que le délai de récidive légal, apprécié
conformément aux principes du droit, notamment d’interprétation
stricte du droit pénal, ne soit pas déjà échu en
vertu de la précédente loi.
B. Thèses des parties devant la Grande
Chambre
1. Le Gouvernement
31. Le Gouvernement rappelle notamment que la récidive est une circonstance
aggravante de la peine applicable à la seconde infraction et non pas
à la première. Le but de la récidive est de sanctionner
la dangerosité manifestée par l’agent qui persévère
dans la voie de la délinquance en dépit des mises en garde de
la justice. Bien que visant effectivement à produire un effet dissuasif,
elle n’a aucun caractère probatoire. En cela, elle se distingue
d’autres dispositions du droit français destinées soit à
lutter contre les possibilités de désinsertion, soit à
favoriser la réinsertion des auteurs d’infractions, à l’instar
du sursis simple ou avec mise à l’épreuve. Cette différence
essentielle explique que, contrairement à ce que soutient le requérant,
l’écoulement du délai de récidive prévu par
la loi dans sa rédaction de 1984 n’est pas irrévocable,
les nouvelles règles devant s’appliquer lorsque le second terme
de la récidive est commis après une modification législative.
32. La récidive est composée de deux éléments, que
l’on appelle les deux termes de la récidive. Le premier terme de
la récidive est une condamnation pénale à la fois définitive
et toujours existante, prononcée par une juridiction française.
Le second terme est constitué par la commission d’une nouvelle
infraction. La récidive peut être générale ou spéciale,
perpétuelle ou temporaire. En l’espèce, il s’agit
d’une récidive générale et temporaire. Le requérant
a été condamné une première fois le 16 octobre 1984
pour un délit punissable de dix ans d’emprisonnement : cette condamnation
constitue le premier terme de la récidive. Le requérant a exécuté
sa peine le 12 juillet 1986 : c’est à compter de cette date que
court le délai de dix ans de la récidive dite « temporaire
» de l’article 132-9 alinéa 1er du nouveau code pénal.
La seconde infraction commise en 1995, soit avant l’expiration du délai
de dix ans, constitue bien le second terme de la récidive légale
relevée à l’encontre du requérant par la cour d’appel
de Lyon.
33. Il précise en outre qu’il n’y a pas eu extinction pure
et simple du premier terme de la récidive, la condamnation de 1984 n’ayant
pas cessé de produire des effets après le 12 juillet 1991 et restant
mentionnée sur le casier judiciaire, lequel a pour objet de permettre
de prendre connaissance des antécédents judiciaires d’une
personne pour, le cas échéant, en tirer les conséquences.
Il ne conteste pas que si le requérant avait commis la seconde infraction
entre le 12 juillet 1991 et la veille de l’entrée en vigueur de
la nouvelle loi, il n’y aurait pas eu de récidive et, partant,
il n’aurait pas pu être condamné aussi sévèrement
: mais si un Etat peut instituer de nouvelles incriminations, il peut aussi,
a fortiori, aggraver les peines encourues par les auteurs d’infractions,
le cas échéant en tenant compte des condamnations antérieures.
34. Le Gouvernement constate que le requérant a été condamné
à douze années d’emprisonnement pour une infraction commise
en 1995. La peine qui lui a été infligée était bien
prévue par les textes applicables à cette date, à savoir
l’article 222-37 du code pénal relatif à l’infraction
à la législation sur les stupéfiants et l’article
132-9 du même code pour la récidive constituée en 1995.
La peine infligée, applicable au moment où l’infraction
a été commise, est donc conforme aux prescriptions de l’article
7.
35. Reste la question de l’application de la loi pénale dans le
temps. Le Gouvernement estime que la Cour de cassation, dans son arrêt
du 29 février 2000, a clairement répondu en jugeant que pour l’application
immédiate d’un nouveau régime de récidive, il suffit
que l’infraction constitutive du second terme soit postérieure
à son entrée en vigueur. Cette solution jurisprudentielle s’explique
par le fait que l’état de récidive résulte de la
seconde infraction et l’aggravation de la peine qu’il entraîne
est attachée à la commission de cette seule seconde infraction.
En conséquence, le requérant a agi en pleine connaissance de cause,
lorsqu’il a commis l’infraction en 1995 : il savait ce qu’il
risquait, conformément à la loi applicable à ce moment
précis. La solution retenue par la Cour dans l’affaire Coëme
n’est donc pas transposable en l’espèce (Coëme et autres
c. Belgique, nos 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, CEDH 2000-VII).
A la différence du sursis avec mise à l’épreuve,
dont les règles sont annoncées par le juge au moment de la condamnation,
la récidive est uniquement régie et attachée à la
loi, laquelle fixe les conditions d’application. Autrement dit, il n’y
a rien de comparable entre la récidive et les sursis avec ou sans mise
à l’épreuve. En l’espèce, les conditions d’application
de la récidive étaient remplies. Elles excluent également
toute idée de récidive perpétuelle.
36. La règle de conflit de lois dans le temps impose d’apprécier
l’état de récidive en 1995, ce qui exclut l’idée
de rétroactivité. Le Gouvernement souligne que la jurisprudence
de la chambre criminelle de la Cour de cassation est particulièrement
claire et constante en la matière depuis un arrêt du 31 août
1893. En outre, elle ne remet pas en cause le caractère temporaire de
la récidive, laquelle arrive à terme à l’expiration
du délai de dix ans.
2. Le requérant (…)
C. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux
41. La Cour rappelle que l’article 7 de la Convention consacre, de manière
générale, le principe de la légalité des délits
et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et prohibe, en particulier,
l’application rétroactive du droit pénal lorsqu’elle
s’opère au détriment de l’accusé (Kokkinakis
c. Grèce, arrêt du 25 mai 1993, série A no 260-A, p. 22,
§ 52). S’il interdit en particulier d’étendre le champ
d’application des infractions existantes à des faits qui, antérieurement,
ne constituaient pas des infractions, il commande en outre de ne pas appliquer
la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé,
par exemple par analogie. Il s’ensuit que la loi doit définir clairement
les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve
remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé
de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation
qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent
sa responsabilité pénale (voir, notamment, Cantoni c. France,
arrêt du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions
1996-V, p. 1627, § 29).
42. La notion de « droit » (« law ») utilisée
à l’article 7 correspond à celle de « loi »
qui figure dans d’autres articles de la Convention ; elle englobe le droit
d’origine tant législative que jurisprudentielle et implique des
conditions qualitatives, entre autres celles de l’accessibilité
et de la prévisibilité (voir, notamment, Cantoni, précité,
§ 29 ; Coëme et autres, précité, § 145 ; E.K. c.
Turquie, no 28496/95, § 51, 7 février 2002).
43. La tâche qui incombe à la Cour est donc de s’assurer
que, au moment où un accusé a commis l’acte qui a donné
lieu aux poursuites et à la condamnation, il existait une disposition
légale rendant l’acte punissable et que la peine imposée
n’a pas excédé les limites fixées par cette disposition
(Coëme et autres, précité, § 145).
2. Application de ces principes
44. Le requérant se plaint d’avoir été déclaré
en état de récidive lorsqu’il a été jugé
et condamné pour les faits commis en 1995. La Cour doit donc assurément
examiner le régime de la récidive et son application dans les
circonstances de l’espèce. Elle estime cependant que les questions
relatives à l’existence, aux modalités ainsi qu’aux
justifications d’un régime de récidive relèvent du
pouvoir qu’ont les Hautes Parties contractantes de décider de leur
politique criminelle, sur laquelle elle n’a pas en principe à se
prononcer. De même, les Hautes Parties contractantes sont libres de modifier,
notamment en la renforçant, la répression des crimes et délits,
sans que cela ne soulève de problème au regard des dispositions
de la Convention, ce que le requérant admet.
45. Le régime juridique de la récidive en France comporte deux
termes dont le premier est une condamnation pénale définitive
et le second la commission d’une nouvelle infraction, soit identique ou
équivalente à la première (récidive spéciale),
soit distincte (récidive générale). Elle peut être
temporaire, comme en l’espèce, ou permanente.
46. La récidive, qui est prévue par la loi, constitue
une circonstance aggravante, in personam et non in rem puisqu’elle est
attachée au comportement du délinquant, de la seconde infraction,
ce qui justifie que le récidiviste soit, le cas échéant,
condamné plus sévèrement. De l’avis de la Cour, la
récidive ne peut résulter que de la commission d’une seconde
infraction, mais pour que l’état de récidive soit juridiquement
constitué, avec les conséquences qui s’ensuivent sur les
peines encourues par le récidiviste, encore est-il nécessaire
que, à la date de la seconde infraction, celle-ci entrât dans le
champ temporel du délai légal de récidive, tel que fixé
par les textes pertinents alors en vigueur.
47. Partant, la question soumise à la Cour concerne bien le respect ou
non du principe de légalité des délits et des peines. La
Cour doit notamment rechercher si, en l’espèce, le texte de la
disposition légale, lue à la lumière de la jurisprudence
interprétative dont elle s’accompagne, remplissait les conditions
d’accessibilité et de prévisibilité à l’époque
des faits.
48. La Cour note que le requérant a été condamné
une première fois le 16 octobre 1984 pour trafic de stupéfiants
et qu’il a terminé de purger sa peine le 12 juillet 1986. Par la
suite, il a été à nouveau condamné en raison d’infractions
à la législation sur les stupéfiants commises courant 1995
et jusqu’au 7 décembre 1995. Dans leurs décisions des 14
avril et 25 novembre 1997, le tribunal correctionnel et la cour d’appel
de Lyon ont déclaré le requérant coupable de faits réprimés
par l’article 222-37 du code pénal et prononcé une peine
conformément à cette disposition, ainsi qu’à l’article
132-9 du code pénal relatif à la récidive.
49. La Cour constate que l’article 132-9 prévoit que le maximum
des peines d’emprisonnement et d’amende encourues est doublé
en cas de récidive et ce, non plus dans un délai de cinq ans comme
le prescrivait l’ancienne loi, mais dans les dix ans à compter
de l’expiration ou de la prescription de la peine antérieure. Ce
nouveau régime légal étant entré en vigueur le 1er
mars 1994, il était applicable lorsque le requérant a commis les
nouvelles infractions au cours de l’année 1995, si bien que celui-ci
avait juridiquement la qualité de récidiviste du fait de ces nouvelles
infractions (paragraphe 46 ci-dessus).
50. Le requérant indique néanmoins que, du 13 juillet 1991 au
1er mars 1994, il n’était pas légalement possible de le
considérer en état de récidive s’il avait commis
ces infractions. Selon lui, un tel constat attesterait de la prescription de
ce délai et de son extinction définitive.
51. La Cour rappelle cependant que la première condamnation du requérant,
en date du 16 octobre 1984, n’était pas effacée et demeurait
inscrite à son casier judiciaire. De fait, il était loisible au
juge interne de prendre en compte ce premier terme pour retenir l’état
de récidive, étant par ailleurs entendu que cette première
condamnation et l’autorité de la chose jugée qui y est attachée
n’ont aucunement été modifiées ou affectées
d’une manière quelconque par l’adoption de la nouvelle loi.
A cet égard, la Cour ne peut souscrire à l’argumentation
du requérant (paragraphe 40 ci-dessus), selon lequel l’expiration
du délai de récidive tel qu’il était prévu
au moment de la commission de sa première infraction lui aurait conféré
un « droit à l’oubli », un tel droit n’étant
pas prévu par les textes applicables. Sa situation aurait, certes, été
différente s’il avait été condamné à
une peine assortie du sursis car dans ce cas, selon le système juridique
de l’Etat défendeur, son absence de condamnation dans le délai
légal en vigueur au moment de sa condamnation aurait privé celle-ci
d’effet pour l’avenir. Mais rien de tel n’existe pour une
condamnation sans sursis sujette au régime de récidive, et, ainsi
qu’elle l’a déjà observé (paragraphe 44 ci-dessus),
la Cour considère que le choix par un Etat de tel ou tel système
pénal échappe en principe au contrôle européen exercé
par elle, pour autant que le système retenu ne méconnaisse pas
les principes de la Convention.
52. Par ailleurs, la Cour constate que la jurisprudence de la Cour de
cassation règle depuis longtemps la question de savoir si une loi nouvelle
allongeant le délai entre les deux termes de la récidive peut
s’appliquer à une seconde infraction commise postérieurement
à son entrée en vigueur. En effet, par une jurisprudence claire
et constante depuis la fin du 19e siècle, ce qui n’est pas contesté
par le requérant, la chambre criminelle de la Cour de cassation décide
que lorsqu’une loi institue un nouveau régime de la récidive,
il suffit, pour entraîner son application immédiate, que l’infraction
constitutive du second terme soit postérieure à son entrée
en vigueur. Une telle jurisprudence était à l’évidence
de nature à permettre à M. Achour de régler sa conduite
(voir, parmi d’autres, Kokkinakis, précité, p.
19, § 40 ; Cantoni, précité, pp. 1628-1629, § 34 ; Streletz,
Kessler et Krentz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98, §
82, CEDH 2001-II).
53. Il ne fait dès lors aucun doute que le requérant pouvait prévoir
qu’en commettant une nouvelle infraction avant le 13 juillet 1996, échéance
du délai légal de dix ans, il courait le risque de se faire condamner
en état de récidive et de se voir infliger une peine d’emprisonnement
et/ou d’amende susceptible d’être doublée. Il était
donc en mesure de prévoir les conséquences légales de ses
actes et d’adapter son comportement.
54. En tout état de cause, la condition de « prévisibilité
» de la loi peut être remplie lorsque la personne concernée
est amenée à recourir à des conseils éclairés
pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances
de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte
déterminé (voir, parmi d’autres, Cantoni, précité,
p. 1629, § 35).
55. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère
que tant le droit d’origine jurisprudentiel que le droit d’origine
législative étaient « prévisibles » au sens
de l’article 7 de la Convention.
56. En outre, la Cour estime que le grief soulevé par le requérant
concerne en réalité une situation d’applications successives
de la loi pénale dans le temps.
57. Partant, elle ne relève aucune incohérence dans le fait que
le requérant ait pu relever de situations légales différentes,
notamment en ce qui concerne la période du 13 juillet 1991 au 28 février
1994 et celle qui a suivi avec l’entrée en vigueur du nouveau code
pénal le 1er mars 1994.
58. De même, il ne saurait davantage y avoir aucun problème de
rétroactivité s’agissant d’une simple succession de
lois qui n’ont vocation à s’appliquer qu’à compter
de leur entrée en vigueur.
59. Certes, les juges internes ont tenu compte de la condamnation prononcée
en 1984, constitutive du premier terme, pour retenir la récidive. Néanmoins,
la prise en compte rétrospective de la situation pénale antérieure
du requérant par les juges du fond, rendue possible par l’inscription
au casier judiciaire de la condamnation de 1984, n’est pas contraire aux
dispositions de l’article 7, les faits poursuivis et sanctionnés
étant quant à eux effectivement apparus après l’entrée
en vigueur de l’article 132-9 du nouveau code pénal. En tout état
de cause, une telle démarche rétrospective se distingue de la
notion de rétroactivité stricto sensu.
60. En conclusion, la peine infligée au requérant, déclaré
coupable et en état de récidive dans la procédure litigieuse,
était applicable au moment où la seconde infraction a été
commise, par application d’une « loi » accessible et prévisible.
M. Achour pouvait donc précisément connaître, à l’époque
des faits, les conséquences légales de ses actes délictueux.
61. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Dit, par seize voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de
l’article 7 de la Convention.
D. 2005. p. 1182, note Damien Roets