CEDH, 10 novembre 2004 AFFAIRE ACHOUR c. FRANCE
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

7. Le requérant est né en 1963 et réside à Lyon.
8. Le 16 octobre 1984, le tribunal correctionnel de Lyon condamna le requérant à trois ans d'emprisonnement ferme, après l'avoir déclaré coupable d'un trafic de drogue portant sur dix kilogrammes de haschich.
9. Par un jugement du 14 avril 1997, le tribunal correctionnel de Lyon déclara le requérant coupable d'infraction à la législation sur les stupéfiants, suite à la découverte dans son garage de deux sacs contenant environ cinquante-sept kilogrammes de cannabis, et le condamna à huit années d'emprisonnement, ainsi qu'à l'interdiction du territoire français pour une durée de dix ans. Le tribunal motiva sa décision en ces termes :
« De retour de Guadeloupe fin 1993, voilà un garçon, sans profession ou ressources avérées depuis, qui, tour à tour, versé dans l'immobilier, le négoce de linge, de vaisselle, de climatiseurs, de foie gras, accessoirement de faux billets de 200 F (??), se trouve, de quelque façon que l'on puisse l'expliquer - ou tenter de le faire, avec un épisode de « climatiseurs » bénéficiaires qu'on utilise sempiternellement - à la tête d'un magot considérable, de plus de 61 millions d'anciens francs, à son domicile (CF D351), éparpillé et dissimulé dans les endroits les plus invraisemblables (CF Trappe d'accès à la baignoire ! !).
Mieux, l'interpellation du 7 décembre 95 au matin permet de saisir en « flagrant délit », deux ballots de drogue, représentant plus de 50 kilos de substances interdites, présentées, conditionnées et emballées dans des circonstances qui n'ont rien à voir avec une activité à caractère artisanal.
Personne ne la revendique : qui de H. ou de Achour a livré l'autre, et vice versa ? ?
Ce qui demeure, c'est que H. détient, lui, dans son véhicule, 3 kilos de la même résine (voir expertise, D339) et 33 000 F en liquide, dans la boîte à gant.
Voilà, passés en revue, deux éléments, à charge, retenus contre Achour, qui n'ont donné lieu qu'à de vagues et changeantes explications où l'on accuse H. d'être le livreur, on ignore la nature des deux ballots ( ! ! !), on met en avant, encore et toujours, sorte de « jokers judiciaires », les climatiseurs à profit (répétés), et les économies du frère décédé (A.).
Le troisième élément, ce sont les filatures, repérages et les écoutes téléphoniques.
Prudence de Sioux, comportement d'agent secret, avant et après le 30.10.95, Achour bouge beaucoup, de préférence de façon matinale, multiplie tours et détours, manie, accessoirement, la jumelle et reçoit (mais pour si peu de temps) dans son box, les véhicules de ses « contacts » ... Alors ? ?
Alors on dit, du côté de sa défense, relayée ultérieurement par celle de D. et R. qu'on « trafiquait », sans doute, mais sur le linge, le foie gras (les « barres ») le faux billet, les pantalons, et jamais dans le haschich.
Habile stratégie, desservie par les déclarations de G. (D322) voire de V. ou de C.
En outre, et surtout, ni climatiseur, ni foie gras, ni pantalons n'ont été appréhendés le 7 décembre 1995 : du haschich, et en quantité importante, voilà ce qui est matériellement constaté dans ce dossier.
Dès lors, déjà condamné à plusieurs reprises et notamment en octobre 1984, à 3 ans de prison pour infraction à la législation sur les stupéfiants, ACHOUR Couider ne peut prétendre à aucune bienveillance, ne serait-ce qu'au vu du caractère particulièrement bien organisé de son activité (le Tribunal a laissé de côté les tatoo-alphapages et autres téléphones mobiles, utilisés pour les « contacts ») : le Procureur de la République, lui, réclame 8 ans d'emprisonnement à son encontre et le Tribunal se rallie à cette sanction, qu'il adopte, sanction encore modérée quand on se souvient que l'intéressé comparaît en récidive légale. Amende en proportion et maintien en détention, en outre, pour assurer l'exécution de la peine et éviter le renouvellement de l'infraction. Peine complémentaire, enfin, d'interdiction du territoire national pour 10 années. »

10. En outre, le tribunal correctionnel condamna la mère du requérant et sa concubine, S., à deux ans d'emprisonnement avec sursis pour recel d'argent provenant d'infractions à la législation sur les stupéfiants.
11. Par un arrêt du 25 novembre 1997, la cour d'appel de Lyon porta la peine à douze ans d'emprisonnement et confirma la mesure d'interdiction du territoire français. Elle considéra notamment ce qui suit :
« Attendu qu'aux termes de l'article 132-9 du Code pénal l'état de récidive légale est caractérisé lorsqu'une personne, déjà définitivement condamnée pour un délit puni de dix ans d'emprisonnement, commet, dans le délai de dix ans, à compter de l'expiration de la prescription de la précédente peine, un nouveau délit puni de la même peine ;
Attendu que tel est bien le cas de Couider ACHOUR-AOUL, qui condamné, le 16 octobre 1984, par jugement contradictoire du tribunal correctionnel de LYON, à la peine de trois ans d'emprisonnement du chef d'infractions à la réglementation sur l'acquisition, la détention, l'emploi, le commerce et le transport de produits stupéfiants, faits réprimés par l'article L. 627 alinéa 1 du Code de la santé publique, alors applicable d'une peine de deux à dix ans d'emprisonnement, et ayant purgé sa peine, le 12 juillet 1986, a commis les faits reprochés, également punis d'une peine de dix ans d'emprisonnement aux termes de l'article 222-37 du Code pénal, courant 1995 et jusqu'au 7 décembre 1995 ;
Attendu qu'en le retenant dans les liens de la prévention, dans les termes de l'ordonnance de renvoi, le tribunal a fait une analyse exacte des faits de la cause et en a tiré les conséquences juridiques qui s'imposaient ; que le jugement déféré sera donc confirmé sur la déclaration de culpabilité ;
Attendu qu'en dépit de sa condamnation pour infractions à la législation sur les produits stupéfiants portant sur la détention de 10 kilogrammes de résine de cannabis, prononcée le 16 octobre 1984, Couider ACHOUR-AOUL, sans ressources avouées depuis 1993, n'a pas hésité à se livrer, à nouveau, à des infractions à la législation sur les produits stupéfiants, réalisant de substantiels profits partagés avec sa famille et amassant une fortune considérable, habilement placée ;
Attendu que 57 kilogrammes de résine de cannabis, substance hautement nocive pour la santé de la jeunesse et notamment des plus démunis, exposés aux activités illicites et dangereuses d'individus sans scrupules, ont été retrouvés à son domicile et qu'il a proposé à M. H. M., qui sollicitait son aide pour trouver un emploi honnête, de se livrer à la vente de haschich pour son compte ;
Attendu qu'ainsi, tant la nature et la gravité des faits que le comportement du prévenu, qui signe un ancrage profond dans la délinquance à visée lucrative, au mépris de la mise en danger de la vie d'autrui alors que le prévenu a agi en état de récidive légale, commandent de le sanctionner par une peine privative de liberté de douze ans (...) »

12. Le requérant se pourvut en cassation, faisant notamment valoir que le constat de récidive légale était contraire au principe d'application de la loi pénale dans le temps, la cour d'appel ayant procédé à une application rétroactive de dispositions plus sévères de la loi nouvelle.
13. Par un arrêt du 29 février 2000, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle estima que la cour d'appel avait valablement retenu l'état de récidive légale, aux motifs suivants :
« (...) lorsqu'une loi institue un nouveau régime de la récidive, il suffit, pour entraîner son application immédiate, que l'infraction constitutive du second terme, qu'il dépend de l'agent de ne pas commettre, soit postérieure à son entrée en vigueur. »

14. Le requérant est libérable le 21 juin 2006.
(...)
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 7 DE LA CONVENTION

21. Le requérant se plaint de ce que les juridictions internes ont retenu l'état de récidive légale en le condamnant après l'entrée en vigueur du nouveau code pénal le 1er mars 1994. Il invoque l'article 7 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même, il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.
2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »
A. Thèses défendues devant la Cour (…)
B. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux

32. La Cour rappelle que l'article 7 de la Convention consacre, de manière générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et prohibe, en particulier, l'application rétroactive du droit pénal lorsqu'elle s'opère au détriment de l'accusé (Kokkinakis c. Grèce, arrêt du 25 mai 1993, série A no 260-A, p. 22, § 52). S'il interdit en particulier d'étendre le champ d'application des infractions existantes à des faits qui, antérieurement, ne constituaient pas des infractions, il commande en outre de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l'accusé, par exemple par analogie. Il s'ensuit que la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale.
33. La notion de « droit » (« law ») utilisée à l'article 7 correspond à celle de « loi » qui figure dans d'autres articles de la Convention ; elle englobe le droit d'origine tant législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, entre autres celles de l'accessibilité et de la prévisibilité (voir, notamment, Cantoni c. France du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1627, § 29 ; Coëme et autres, précité, § 145 ; E.K. c. Turquie, no 28496/95, § 51, 7 février 2002).
34. La tâche qui incombe à la Cour est donc de s'assurer que, au moment où un accusé a commis l'acte qui a donné lieu aux poursuites et à la condamnation, il existait une disposition légale rendant l'acte punissable et que la peine imposée n'a pas excédé les limites fixées par cette disposition (Coëme et autres, précité, § 145). La notion de « peine » possédant une portée autonome, la Cour doit, pour rendre efficace la protection offerte par l'article 7, demeurer libre d'aller au-delà des apparences et apprécier elle-même si une mesure particulière s'analyse au fond en une « peine » au sens de cette disposition (Welch c. Royaume-Uni, arrêt du 9 février 1995, série A no 307-A, p. 13, § 27). Eu égard au but de la Convention qui est de protéger des droits concrets et effectifs, elle pourra aussi prendre en considération le respect d'un équilibre entre l'intérêt général et les droits fondamentaux de l'individu ainsi que les conceptions prévalant de nos jours dans les Etats démocratiques (voir, notamment, Airey c. Irlande, arrêt du 9 octobre 1979, série A no 32, pp. 14-16, § 26 ; Guzzardi c. Italie, arrêt du 6 novembre 1980, série A no 39, pp. 34-35, § 95 ; Coëme et autres, précité).
2. Application de ces principes
35. La Cour constate que la récidive s'inscrit dans le cadre de la question plus générale de la détermination de la peine. Le fait qu'un avertissement, donné à un délinquant par une première condamnation pénale, n'ait pas suffit à l'empêcher de commettre une autre infraction, conduit le législateur à encore plus de sévérité : la récidive constitue une cause d'aggravation de la sanction.
36. La récidive légale est constituée de deux éléments qui forment un ensemble indivisible : un premier et un second termes. Le premier terme doit être une condamnation pénale, prononcée par une juridiction française. Cette condamnation doit être définitive et, partant, n'être ni amnistiée, réhabilitée ou non avenue. Le second terme consiste en une nouvelle infraction. Le régime légal visant à maintenir la récidive dans un cadre bien défini, la loi fixe le délai dans lequel la nouvelle infraction peut entraîner la récidive ou, inversement, l'échéance à partir de laquelle il n'y a plus de second terme possible. La législation française avait d'abord prévu, sous l'empire de l'ancien code pénal, un délai de cinq ans et ce délai a, ensuite, été porté à dix ans par le nouveau code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994.
37. De l'avis de la Cour, la question qui lui est soumise renvoie aux principes généraux du droit, plus spécialement du droit pénal et de la procédure pénale. Comme corollaire du principe de la légalité des délits et des peines, les dispositions de droit pénal sont soumises au principe d'interprétation stricte, ainsi qu'au principe de la non-application d'une loi nouvelle plus sévère à une situation née avant sa mise en vigueur et en cours de développement.
38. En l'espèce, la Cour note que la solution retenue par la Cour de cassation consiste à appliquer le nouveau régime de récidive apparu le 1er mars 1994 et, partant, en vigueur au moment des nouveaux faits commis en 1995. Il reste que si l'application de la loi nouvelle à l'infraction qui constitue le « second terme » n'est pas contestée en soi, encore faut-il, pour que les juges puissent, en outre, constater un état de récidive, qu'il y ait un « premier terme » au sens du droit interne.
39. Il serait vain d'opposer les deux termes de la récidive, notamment dans le cadre d'un débat sur les finalités du système de la récidive, en vue de n'en retenir qu'un ou de minimiser la portée de l'un au profit de l'autre. Les dispositions pénales pertinentes du droit français sont exemptes d'ambiguïté : la récidive est constituée de deux termes indissociables, qui doivent être examinés cumulativement. Ainsi, la répression de la récidive par le code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 impose-t-elle de retenir l'une des hypothèses légales, après un examen de la nature de l'infraction (contravention, délit ou crime), ainsi que de la peine encourue et ce, pour chacun des deux termes.
40. En l'espèce, les deux termes relèvent de lois différentes : la première infraction fut commise alors que la loi prévoyait une période de récidive de cinq ans ; la seconde relève du nouveau code pénal qui fixe une période de dix ans. Outre cette première difficulté, force est de constater qu'il n'existe pas de dénominateur commun entre ces deux périodes. En effet, la première période a légalement pris fin le 12 juillet 1991, conformément au régime légal alors applicable. La nouvelle période de dix ans n'est quant à elle apparue en droit français que près de trois ans après cette date, à savoir le 1er mars 1994.
41. Aux yeux de la Cour, l'application de la loi nouvelle a nécessairement fait revivre une situation juridique éteinte depuis 1991. L'antécédent judiciaire, qui ne pouvait plus fonder une récidive à partir du 12 juillet 1991, a donc produit des effets, non plus dans le cadre du régime légal dont il relevait, mais dans le cadre du nouveau régime légal entré en vigueur des années plus tard. Autrement dit, dans la mesure où l'entrée en vigueur au 1er mars 1994 du nouveau code pénal a entraîné l'application de l'article 132-9 à l'infraction pour laquelle le requérant avait été condamné le 16 octobre 1984, les juridictions ont nécessairement dû faire revivre un état de récidive qui avait pourtant, aux termes de la loi française elle-même, officiellement pris fin le 12 juillet 1991.
42. Ainsi, nonobstant la distinction qui peut légitimement être opérée entre application « immédiate » ou « rétroactive » d'une loi nouvelle, la Cour est d'avis que les circonstances de l'espèce portent en réalité sur une application « rétroactive » de la loi pénale. En effet, elle n'est pas appelée à trancher la question de l'application de la loi nouvelle alors que le délai de récidive prévu par l'ancienne loi n'aurait pas encore été échu (voir, mutatis mutandis, Coëme et autres, précité, §§ 149 et 150) : le requérant se plaint de ce que la loi nouvelle est venue contredire les effets de la loi ancienne, aux termes de laquelle le délai était non plus en cours mais déjà échu.
43. L'application de la loi nouvelle dans les circonstances de l'espèce amène la Cour a faire un constat pour le moins déconcertant : si le requérant avait commis la seconde infraction le lendemain du 12 juillet 1991 (terme du délai légal de récidive) ou à n'importe quelle date entre le 13 juillet 1991 et le 28 février 1994 (veille de l'entrée en vigueur du nouveau code pénal), soit pendant une période de presque trois ans, le droit français aurait interdit tout constat de récidive à son encontre.
44. Il ne saurait donc être valablement soutenu que la première condamnation du requérant n'avait pas cessé de produire des effets après le 12 juillet 1991. Sur ce point, la Cour ne discerne d'ailleurs aucun lien entre la présente requête et la question des condamnations avec sursis développée par le Gouvernement, le requérant ayant simplement qualifié la période de récidive de « mise à l'épreuve » et le Parlement lui-même parlant d'un « délai d'épreuve » (paragraphe 19 ci-dessus). A l'évidence, il n'y a rien de comparable entre la récidive et le sursis, avec ou sans mise à l'épreuve, ce dont convient expressément le Gouvernement dans ses observations.
45. Selon lui, la première condamnation aurait cependant continué à produire des effets en raison du maintien de son inscription au casier judiciaire. La Cour constate cependant que les règles régissant l'inscription au casier judiciaire n'ont pas vocation à se substituer aux dispositions du code pénal relatives à la récidive. Elles ne peuvent pas davantage expliquer les raisons pour lesquelles le requérant ne pouvait légalement plus se voir opposer un quelconque état de récidive entre le 13 juillet 1991 et le 28 février 1994. En outre, s'il est vrai que les mentions portées sur les fiches du casier judiciaire permettent aux juges de retenir, le cas échéant, l'état de récidive, cela va inévitablement de pair avec un indispensable contrôle préalable de l'échéance ou non du délai de récidive. La date d'expiration de la peine (point de départ du calcul du délai de récidive) est expressément mentionnée sur lesdites fiches.
46. En tout état de cause, l'inscription d'une condamnation au casier judiciaire n'est pas, en soi, synonyme de possibilité de récidive, dès lors que n'existe aucun corollaire entre l'inscription d'une condamnation et l'expiration du délai de récidive : si le retrait des fiches du casier judiciaire peut notamment intervenir en cas d'amnistie ou de réhabilitation comme le relève le Gouvernement, il est susceptible d'intervenir dans d'autres circonstances énumérées par la loi, à l'instar des condamnations prononcées depuis plus de quarante ans et ce, à la double condition qu'elles n'aient pas été suivies d'une nouvelle condamnation à une peine criminelle ou correctionnelle et qu'elles ne concernent pas des faits imprescriptibles.
47. Les circonstances de l'espèce permettent donc de conclure à une application rétroactive des dispositions litigieuses du nouveau code pénal, lesquelles se distinguent des lois de procédure qui s'appliquent en principe immédiatement aux procédures en cours (Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, p. 2956, § 35).
48. Reste à savoir si la loi nouvelle était plus douce ou plus sévère. La Cour note, d'une part, que la durée de la période justifiant l'aggravation pour récidive passe de cinq à dix ans et, d'autre part, que l'application du nouveau délai de récidive a également eu pour effet de soumettre le requérant aux autres dispositions du nouveau code pénal, notamment au regard de la peine. En l'espèce, elle a effectivement conduit les juges du fond à appliquer une sanction plus sévère, la récidive permettant de doubler le maximum légal : le requérant a été condamné à une peine de douze années d'emprisonnement de par la prise en compte de la récidive, alors que le maximum légal de la peine encourue sans récidive était de dix années (voir, mutatis mutandis, Jamil c. France, arrêt du 8 juin 1995, série A no 317-B).
49. Partant, l'on peut légitimement considérer que l'article 132-9 du nouveau code pénal ne pouvait rétroagir et que le requérant devait, lors des secondes poursuites, être traité en délinquant primaire et non en récidiviste.
50. Enfin, la Cour estime que lorsqu'une personne est, comme en l'espèce, condamnée en état de récidive par application d'une loi nouvelle, le principe de sécurité juridique commande que le délai de récidive légal, apprécié conformément aux principes du droit, notamment d'interprétation stricte du droit pénal, ne soit pas déjà échu en vertu de la précédente loi. La garantie que consacre l'article 7, élément essentiel de la prééminence du droit, occupe d'ailleurs une place primordiale dans le système de protection de la Convention, comme l'atteste le fait que l'article 15 n'y autorise aucune dérogation en temps de guerre ou autre danger public.
51. Partant, il y a eu violation de l'article 7 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Dit, par 4 voix contre 3, qu'il y a eu violation de l'article 7 de la Convention ;
2. Dit, par 4 voix contre 3, que le constat d'une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;
3. Dit, par 4 voix contre 3,
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 5 917 EUR (cinq mille neuf cent dix-sept euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

CEDH, 29 mars 2006, AFFAIRE ACHOUR c. France
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

10. Le requérant est né en 1963 et réside à Lyon.
11. Le 16 octobre 1984, le tribunal correctionnel de Lyon condamna le requérant à trois ans d’emprisonnement ferme, après l’avoir déclaré coupable d’un trafic de drogue portant sur dix kilogrammes de haschich. Il termina de purger sa peine le 12 juillet 1986.
12. Le 1er mars 1994, les dispositions de l’article 132-9 du nouveau code pénal entrèrent en vigueur.
13. Le 7 décembre 1995, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte le 30 octobre 1995, le requérant fut arrêté à son domicile. Plusieurs perquisitions, notamment au domicile du requérant, permirent de découvrir deux paquets de résine de cannabis pesant chacun 28,8 kilogrammes, outre diverses sommes d’argent en numéraire pour un montant total de plus d’un million deux cent mille francs français.
14. Le requérant fut mis en examen et placé en détention provisoire le 11 décembre 1995.
15. Par un jugement du 14 avril 1997, le tribunal correctionnel de Lyon déclara le requérant coupable d’infraction à la législation sur les stupéfiants et le condamna à huit années d’emprisonnement, ainsi qu’à l’interdiction du territoire français pour une durée de dix ans. Le tribunal motiva sa décision en ces termes : (...)

16. En outre, le tribunal correctionnel condamna la mère du requérant et sa concubine, S., à deux ans d’emprisonnement avec sursis pour recel d’argent provenant d’infractions à la législation sur les stupéfiants.
17. Par un arrêt du 25 novembre 1997, la cour d’appel de Lyon porta la peine à douze ans d’emprisonnement et confirma la mesure d’interdiction du territoire français. Elle considéra notamment ce qui suit : (...)

18. Le requérant se pourvut en cassation, faisant notamment valoir que le constat de récidive légale était contraire au principe d’application de la loi pénale dans le temps, la cour d’appel ayant procédé à une application rétroactive de dispositions plus sévères de la loi nouvelle.
19. Par un arrêt du 29 février 2000, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle estima que la cour d’appel avait valablement retenu l’état de récidive légale, aux motifs suivants :
« (...) lorsqu’une loi institue un nouveau régime de la récidive, il suffit, pour entraîner son application immédiate, que l’infraction constitutive du second terme, qu’il dépend de l’agent de ne pas commettre, soit postérieure à son entrée en vigueur. »
20. Le requérant est libérable le 21 juin 2006.

EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION

27. Le requérant se plaint de ce que les juridictions internes ont retenu l’état de récidive légale en le condamnant après l’entrée en vigueur du nouveau code pénal le 1er mars 1994. Il invoque l’article 7 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.
2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »
A. L’arrêt de la chambre
28. La chambre a estimé qu’il serait vain d’opposer les deux termes de la récidive, notamment dans le cadre d’un débat sur les finalités du système de la récidive, en vue de n’en retenir qu’un ou de minimiser la portée de l’un au profit de l’autre, les dispositions pénales pertinentes du droit français étant exemptes d’ambiguïté : la récidive est constituée de deux termes indissociables, qui doivent être examinés cumulativement. Elle a noté que les deux termes relevaient de lois différentes et qu’il n’existait pas de dénominateur commun entre les deux périodes concernées, la première ayant légalement pris fin le 12 juillet 1991, conformément au régime légal alors applicable, la nouvelle période de dix ans n’étant quant à elle apparue en droit français que près de trois ans après cette date, à savoir le 1er mars 1994. A ses yeux, l’application de la loi nouvelle a nécessairement fait revivre une situation juridique éteinte depuis 1991. Partant, l’antécédent judiciaire, qui ne pouvait plus fonder une récidive à partir du 12 juillet 1991, a produit des effets, non plus dans le cadre du régime légal dont il relevait, mais dans le cadre du nouveau régime légal entré en vigueur des années plus tard et ce, alors même que si le requérant avait commis la seconde infraction le lendemain du 12 juillet 1991 (terme du délai légal de récidive) ou à n’importe quelle date entre le 13 juillet 1991 et le 28 février 1994 (veille de l’entrée en vigueur du nouveau code pénal), soit pendant une période de presque trois ans, le droit français aurait interdit tout constat de récidive à son encontre.
29. Quant à la question de savoir si la loi nouvelle était plus douce ou plus sévère, la chambre a estimé que les juges du fond avaient appliqué une sanction plus sévère, le requérant ayant été condamné à une peine de douze années d’emprisonnement suite à la prise en compte de la récidive, alors que le maximum légal de la peine encourue sans récidive était de dix années. La chambre a ainsi jugé que, nonobstant la distinction qui peut légitimement être opérée entre application « immédiate » ou « rétroactive » d’une loi nouvelle, les circonstances de l’espèce portaient en réalité sur une application « rétroactive » de la loi pénale, s’agissant de l’application d’une loi nouvelle alors que le délai de récidive prévu par l’ancienne loi est non pas en cours mais déjà échu.
30. La chambre, après avoir constaté une application rétroactive des dispositions de l’article 132-9 du nouveau code pénal, a conclu que le requérant aurait dû, lors des secondes poursuites, être traité en délinquant primaire et non en récidiviste. Elle a estimé que la question qui lui était soumise renvoyait aux principes généraux du droit et que le principe de sécurité juridique commandait que le délai de récidive légal, apprécié conformément aux principes du droit, notamment d’interprétation stricte du droit pénal, ne soit pas déjà échu en vertu de la précédente loi.
B. Thèses des parties devant la Grande Chambre
1. Le Gouvernement

31. Le Gouvernement rappelle notamment que la récidive est une circonstance aggravante de la peine applicable à la seconde infraction et non pas à la première. Le but de la récidive est de sanctionner la dangerosité manifestée par l’agent qui persévère dans la voie de la délinquance en dépit des mises en garde de la justice. Bien que visant effectivement à produire un effet dissuasif, elle n’a aucun caractère probatoire. En cela, elle se distingue d’autres dispositions du droit français destinées soit à lutter contre les possibilités de désinsertion, soit à favoriser la réinsertion des auteurs d’infractions, à l’instar du sursis simple ou avec mise à l’épreuve. Cette différence essentielle explique que, contrairement à ce que soutient le requérant, l’écoulement du délai de récidive prévu par la loi dans sa rédaction de 1984 n’est pas irrévocable, les nouvelles règles devant s’appliquer lorsque le second terme de la récidive est commis après une modification législative.
32. La récidive est composée de deux éléments, que l’on appelle les deux termes de la récidive. Le premier terme de la récidive est une condamnation pénale à la fois définitive et toujours existante, prononcée par une juridiction française. Le second terme est constitué par la commission d’une nouvelle infraction. La récidive peut être générale ou spéciale, perpétuelle ou temporaire. En l’espèce, il s’agit d’une récidive générale et temporaire. Le requérant a été condamné une première fois le 16 octobre 1984 pour un délit punissable de dix ans d’emprisonnement : cette condamnation constitue le premier terme de la récidive. Le requérant a exécuté sa peine le 12 juillet 1986 : c’est à compter de cette date que court le délai de dix ans de la récidive dite « temporaire » de l’article 132-9 alinéa 1er du nouveau code pénal. La seconde infraction commise en 1995, soit avant l’expiration du délai de dix ans, constitue bien le second terme de la récidive légale relevée à l’encontre du requérant par la cour d’appel de Lyon.
33. Il précise en outre qu’il n’y a pas eu extinction pure et simple du premier terme de la récidive, la condamnation de 1984 n’ayant pas cessé de produire des effets après le 12 juillet 1991 et restant mentionnée sur le casier judiciaire, lequel a pour objet de permettre de prendre connaissance des antécédents judiciaires d’une personne pour, le cas échéant, en tirer les conséquences. Il ne conteste pas que si le requérant avait commis la seconde infraction entre le 12 juillet 1991 et la veille de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, il n’y aurait pas eu de récidive et, partant, il n’aurait pas pu être condamné aussi sévèrement : mais si un Etat peut instituer de nouvelles incriminations, il peut aussi, a fortiori, aggraver les peines encourues par les auteurs d’infractions, le cas échéant en tenant compte des condamnations antérieures.
34. Le Gouvernement constate que le requérant a été condamné à douze années d’emprisonnement pour une infraction commise en 1995. La peine qui lui a été infligée était bien prévue par les textes applicables à cette date, à savoir l’article 222-37 du code pénal relatif à l’infraction à la législation sur les stupéfiants et l’article 132-9 du même code pour la récidive constituée en 1995. La peine infligée, applicable au moment où l’infraction a été commise, est donc conforme aux prescriptions de l’article 7.
35. Reste la question de l’application de la loi pénale dans le temps. Le Gouvernement estime que la Cour de cassation, dans son arrêt du 29 février 2000, a clairement répondu en jugeant que pour l’application immédiate d’un nouveau régime de récidive, il suffit que l’infraction constitutive du second terme soit postérieure à son entrée en vigueur. Cette solution jurisprudentielle s’explique par le fait que l’état de récidive résulte de la seconde infraction et l’aggravation de la peine qu’il entraîne est attachée à la commission de cette seule seconde infraction. En conséquence, le requérant a agi en pleine connaissance de cause, lorsqu’il a commis l’infraction en 1995 : il savait ce qu’il risquait, conformément à la loi applicable à ce moment précis. La solution retenue par la Cour dans l’affaire Coëme n’est donc pas transposable en l’espèce (Coëme et autres c. Belgique, nos 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, CEDH 2000-VII). A la différence du sursis avec mise à l’épreuve, dont les règles sont annoncées par le juge au moment de la condamnation, la récidive est uniquement régie et attachée à la loi, laquelle fixe les conditions d’application. Autrement dit, il n’y a rien de comparable entre la récidive et les sursis avec ou sans mise à l’épreuve. En l’espèce, les conditions d’application de la récidive étaient remplies. Elles excluent également toute idée de récidive perpétuelle.
36. La règle de conflit de lois dans le temps impose d’apprécier l’état de récidive en 1995, ce qui exclut l’idée de rétroactivité. Le Gouvernement souligne que la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation est particulièrement claire et constante en la matière depuis un arrêt du 31 août 1893. En outre, elle ne remet pas en cause le caractère temporaire de la récidive, laquelle arrive à terme à l’expiration du délai de dix ans.
2. Le requérant (…)
C. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux

41. La Cour rappelle que l’article 7 de la Convention consacre, de manière générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et prohibe, en particulier, l’application rétroactive du droit pénal lorsqu’elle s’opère au détriment de l’accusé (Kokkinakis c. Grèce, arrêt du 25 mai 1993, série A no 260-A, p. 22, § 52). S’il interdit en particulier d’étendre le champ d’application des infractions existantes à des faits qui, antérieurement, ne constituaient pas des infractions, il commande en outre de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, par exemple par analogie. Il s’ensuit que la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale (voir, notamment, Cantoni c. France, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1627, § 29).
42. La notion de « droit » (« law ») utilisée à l’article 7 correspond à celle de « loi » qui figure dans d’autres articles de la Convention ; elle englobe le droit d’origine tant législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, entre autres celles de l’accessibilité et de la prévisibilité (voir, notamment, Cantoni, précité, § 29 ; Coëme et autres, précité, § 145 ; E.K. c. Turquie, no 28496/95, § 51, 7 février 2002).
43. La tâche qui incombe à la Cour est donc de s’assurer que, au moment où un accusé a commis l’acte qui a donné lieu aux poursuites et à la condamnation, il existait une disposition légale rendant l’acte punissable et que la peine imposée n’a pas excédé les limites fixées par cette disposition (Coëme et autres, précité, § 145).
2. Application de ces principes
44. Le requérant se plaint d’avoir été déclaré en état de récidive lorsqu’il a été jugé et condamné pour les faits commis en 1995. La Cour doit donc assurément examiner le régime de la récidive et son application dans les circonstances de l’espèce. Elle estime cependant que les questions relatives à l’existence, aux modalités ainsi qu’aux justifications d’un régime de récidive relèvent du pouvoir qu’ont les Hautes Parties contractantes de décider de leur politique criminelle, sur laquelle elle n’a pas en principe à se prononcer. De même, les Hautes Parties contractantes sont libres de modifier, notamment en la renforçant, la répression des crimes et délits, sans que cela ne soulève de problème au regard des dispositions de la Convention, ce que le requérant admet.
45. Le régime juridique de la récidive en France comporte deux termes dont le premier est une condamnation pénale définitive et le second la commission d’une nouvelle infraction, soit identique ou équivalente à la première (récidive spéciale), soit distincte (récidive générale). Elle peut être temporaire, comme en l’espèce, ou permanente.
46. La récidive, qui est prévue par la loi, constitue une circonstance aggravante, in personam et non in rem puisqu’elle est attachée au comportement du délinquant, de la seconde infraction, ce qui justifie que le récidiviste soit, le cas échéant, condamné plus sévèrement. De l’avis de la Cour, la récidive ne peut résulter que de la commission d’une seconde infraction, mais pour que l’état de récidive soit juridiquement constitué, avec les conséquences qui s’ensuivent sur les peines encourues par le récidiviste, encore est-il nécessaire que, à la date de la seconde infraction, celle-ci entrât dans le champ temporel du délai légal de récidive, tel que fixé par les textes pertinents alors en vigueur.
47. Partant, la question soumise à la Cour concerne bien le respect ou non du principe de légalité des délits et des peines. La Cour doit notamment rechercher si, en l’espèce, le texte de la disposition légale, lue à la lumière de la jurisprudence interprétative dont elle s’accompagne, remplissait les conditions d’accessibilité et de prévisibilité à l’époque des faits.
48. La Cour note que le requérant a été condamné une première fois le 16 octobre 1984 pour trafic de stupéfiants et qu’il a terminé de purger sa peine le 12 juillet 1986. Par la suite, il a été à nouveau condamné en raison d’infractions à la législation sur les stupéfiants commises courant 1995 et jusqu’au 7 décembre 1995. Dans leurs décisions des 14 avril et 25 novembre 1997, le tribunal correctionnel et la cour d’appel de Lyon ont déclaré le requérant coupable de faits réprimés par l’article 222-37 du code pénal et prononcé une peine conformément à cette disposition, ainsi qu’à l’article 132-9 du code pénal relatif à la récidive.
49. La Cour constate que l’article 132-9 prévoit que le maximum des peines d’emprisonnement et d’amende encourues est doublé en cas de récidive et ce, non plus dans un délai de cinq ans comme le prescrivait l’ancienne loi, mais dans les dix ans à compter de l’expiration ou de la prescription de la peine antérieure. Ce nouveau régime légal étant entré en vigueur le 1er mars 1994, il était applicable lorsque le requérant a commis les nouvelles infractions au cours de l’année 1995, si bien que celui-ci avait juridiquement la qualité de récidiviste du fait de ces nouvelles infractions (paragraphe 46 ci-dessus).
50. Le requérant indique néanmoins que, du 13 juillet 1991 au 1er mars 1994, il n’était pas légalement possible de le considérer en état de récidive s’il avait commis ces infractions. Selon lui, un tel constat attesterait de la prescription de ce délai et de son extinction définitive.
51. La Cour rappelle cependant que la première condamnation du requérant, en date du 16 octobre 1984, n’était pas effacée et demeurait inscrite à son casier judiciaire. De fait, il était loisible au juge interne de prendre en compte ce premier terme pour retenir l’état de récidive, étant par ailleurs entendu que cette première condamnation et l’autorité de la chose jugée qui y est attachée n’ont aucunement été modifiées ou affectées d’une manière quelconque par l’adoption de la nouvelle loi. A cet égard, la Cour ne peut souscrire à l’argumentation du requérant (paragraphe 40 ci-dessus), selon lequel l’expiration du délai de récidive tel qu’il était prévu au moment de la commission de sa première infraction lui aurait conféré un « droit à l’oubli », un tel droit n’étant pas prévu par les textes applicables. Sa situation aurait, certes, été différente s’il avait été condamné à une peine assortie du sursis car dans ce cas, selon le système juridique de l’Etat défendeur, son absence de condamnation dans le délai légal en vigueur au moment de sa condamnation aurait privé celle-ci d’effet pour l’avenir. Mais rien de tel n’existe pour une condamnation sans sursis sujette au régime de récidive, et, ainsi qu’elle l’a déjà observé (paragraphe 44 ci-dessus), la Cour considère que le choix par un Etat de tel ou tel système pénal échappe en principe au contrôle européen exercé par elle, pour autant que le système retenu ne méconnaisse pas les principes de la Convention.
52. Par ailleurs, la Cour constate que la jurisprudence de la Cour de cassation règle depuis longtemps la question de savoir si une loi nouvelle allongeant le délai entre les deux termes de la récidive peut s’appliquer à une seconde infraction commise postérieurement à son entrée en vigueur. En effet, par une jurisprudence claire et constante depuis la fin du 19e siècle, ce qui n’est pas contesté par le requérant, la chambre criminelle de la Cour de cassation décide que lorsqu’une loi institue un nouveau régime de la récidive, il suffit, pour entraîner son application immédiate, que l’infraction constitutive du second terme soit postérieure à son entrée en vigueur. Une telle jurisprudence était à l’évidence de nature à permettre à M. Achour de régler sa conduite (voir, parmi d’autres, Kokkinakis, précité, p. 19, § 40 ; Cantoni, précité, pp. 1628-1629, § 34 ; Streletz, Kessler et Krentz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98, § 82, CEDH 2001-II).
53. Il ne fait dès lors aucun doute que le requérant pouvait prévoir qu’en commettant une nouvelle infraction avant le 13 juillet 1996, échéance du délai légal de dix ans, il courait le risque de se faire condamner en état de récidive et de se voir infliger une peine d’emprisonnement et/ou d’amende susceptible d’être doublée. Il était donc en mesure de prévoir les conséquences légales de ses actes et d’adapter son comportement.
54. En tout état de cause, la condition de « prévisibilité » de la loi peut être remplie lorsque la personne concernée est amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé (voir, parmi d’autres, Cantoni, précité, p. 1629, § 35).
55. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que tant le droit d’origine jurisprudentiel que le droit d’origine législative étaient « prévisibles » au sens de l’article 7 de la Convention.
56. En outre, la Cour estime que le grief soulevé par le requérant concerne en réalité une situation d’applications successives de la loi pénale dans le temps.
57. Partant, elle ne relève aucune incohérence dans le fait que le requérant ait pu relever de situations légales différentes, notamment en ce qui concerne la période du 13 juillet 1991 au 28 février 1994 et celle qui a suivi avec l’entrée en vigueur du nouveau code pénal le 1er mars 1994.
58. De même, il ne saurait davantage y avoir aucun problème de rétroactivité s’agissant d’une simple succession de lois qui n’ont vocation à s’appliquer qu’à compter de leur entrée en vigueur.
59. Certes, les juges internes ont tenu compte de la condamnation prononcée en 1984, constitutive du premier terme, pour retenir la récidive. Néanmoins, la prise en compte rétrospective de la situation pénale antérieure du requérant par les juges du fond, rendue possible par l’inscription au casier judiciaire de la condamnation de 1984, n’est pas contraire aux dispositions de l’article 7, les faits poursuivis et sanctionnés étant quant à eux effectivement apparus après l’entrée en vigueur de l’article 132-9 du nouveau code pénal. En tout état de cause, une telle démarche rétrospective se distingue de la notion de rétroactivité stricto sensu.
60. En conclusion, la peine infligée au requérant, déclaré coupable et en état de récidive dans la procédure litigieuse, était applicable au moment où la seconde infraction a été commise, par application d’une « loi » accessible et prévisible. M. Achour pouvait donc précisément connaître, à l’époque des faits, les conséquences légales de ses actes délictueux.
61. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Dit, par seize voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention.

D. 2005. p. 1182, note Damien Roets