REJET du pourvoi de Gorguloff (Paul) contre l'arrêt de la cour d'assises
de la Seine, du 27 juillet 1932, qui l'a condamné à la peine de
mort, pour assassinat.
LA COUR, Ouï Monsieur le conseiller Le Marc'hadour, en son rapport ; Maîtres
de Lapanouse et Rouvière, avocats en la Cour, dans leurs observations,
et Monsieur le procureur général Matter, dans ses conclusions
;
Sur le premier moyen pris de la violation des articles 263, 395 du Code d'instruction
criminelle, 16 de la loi du 20 avril 1810 et 39 du décret du 6 juillet
1810, en ce que, d'après la liste des jurés notifiée à
l'accusé, le 23 juillet 1932, la session devait être ouverte depuis
le 16 juillet 1932 sous la présidence du conseiller Pittié, qui
ne faisait pas partie de la cour d'assises :
Attendu que le procès-verbal des débats et l'arrêt attaqué
énoncent que la cour d'assises était composée du premier
président Dreyfus, présidant pour l'affaire Gorguloff, et des
conseillers Barnaud et Villette, premier et deuxième assesseurs ; Attendu
qu'en l'absence de toute réclamation formulée par l'accusé
ou par ses défenseurs au cours des débats les juges qui composaient
la cour d'assises doivent être présumés y avoir été
appelés conformément aux prescriptions de la loi ; Attendu que
rien n'a été prouvé de contraire, et que l'acte de notification
de la liste du jury, daté du 23 juillet 1932 et invoqué par le
moyen, loin de contredire les énonciations du procès-verbal et
de l'arrêt, porte à la connaissance de l'accusé les noms
des jurés pour la session qui s'ouvrira le 16 juillet 1932 "et sera
présidée par Monsieur le conseiller Barnaud", lequel, le
premier président ayant usé, dans l'affaire, du droit que lui
confère l'article 16 de la loi du 20 avril 1810, a, dès lors,
régulièrement siégé comme premier assesseur en conformité
de l'article 39 du décret du 6 juillet 1810 ; Que le moyen doit, par
suite, être rejeté.
Sur le second moyen pris de la violation des articles 5 de la constitution du 4 novembre 1848, 1er de la loi du 8 juin 1850 et 86 du Code pénal, en ce que l'arrêt a appliqué la peine de mort à un crime dont le caractère politique ressortait de l'acte d'accusation et des termes mêmes de la déclaration du jury : Attendu que par la déclaration du jury, Gorguloff a été reconnu coupable d'avoir, volontairement et avec préméditation, donné la mort à "Monsieur Doumer (Paul), Président de la République française" ;
Attendu qu'il est soutenu que le caractère politique des faits déclarés constants par le jury ressortant à la fois des déclarations de Gorguloff, rapportées dans l'acte d'accusation, et des termes mêmes de la déclaration du jury, la peine de mort n'avait pu être prononcée qu'en violation des articles 5 de la constitution de 1848 et 1er de la loi du 8 juin 1850 ;
Mais attendu que l'article 5 de la constitution susvisée ne profite
qu'aux crimes exclusivement politiques et non à l'assassinat qui, par
sa nature et quels qu'en aient été les mobiles, constitue un crime
de droit commun ; Qu'il ne perd point ce caractère par le fait qu'il
a été commis sur la personne du Président de la République,
l'article 86 du Code pénal, qui, par une survivance du crime de lèse-majesté,
prévoyait spécialement les attentats contre la vie ou contre la
personne de l'Empereur ou des membres de la famille impériale, se trouvant,
par suite de la disparition du régime monarchique, implicitement abrogé
; Et attendu que la procédure est régulière et que la peine
a été légalement appliquée aux faits déclarés
constants par le jury ;
REJETTE le pourvoi.
Publication : Bulletin 1932 N° 207
Les grands arrêts de la jurisprudence criminelle, n° 27
Dalloz 1932 p. 121, conclusions de Monsieur le Procureur général
Matter.