Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mercredi 15 janvier 2014

N° de pourvoi: 13-84778
Publié au bulletin Cassation partielle

Statuant sur les pourvois formés par :- M. Patrick X...,
- Mme Hélène Y... épouse X...,
- M. Franck Z...,

contre l'arrêt n° 223 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, en date du 30 mai 2013, qui, dans l'information suivie contre eux des chefs d'abus de confiance par officier public ou ministériel, abus de confiance et complicité, abus de biens sociaux, escroqueries et complicité, faux et usage, non-déclaration de transfert de fonds à l'étranger et depuis l'étranger, blanchiment, blanchiment de fraude fiscale et du produit issu du trafic de stupéfiants, association de malfaiteurs, a prononcé sur leur demande d'annulation d'actes de la procédure ;

...

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le 14 décembre 2011, le juge d'instruction a adressé aux autorités judiciaires du Grand-Duché du Luxembourg une commission rogatoire internationale, aux fins, notamment, de perquisitions, saisies et auditions, visant les infractions d'abus de confiance et blanchiment aggravés ainsi que d' escroquerie dont il était saisi ; que le procureur général du Luxembourg, en transmettant le 18 juin 2012 les pièces d'exécution de ladite commission rogatoire, a indiqué au magistrat français que les "renseignements fournis, les pièces et documents saisis (....) ne peuvent être utilisés ni aux fins d'investigations ni aux fins de production comme moyen de preuve dans une procédure pénale ou administrative autre que celle pour laquelle l'entraide est accordée"; que le juge d'instruction a demandé, par soit transmis du 3 juillet 2012 adressé au procureur de la République, au vu "des éléments ressortant de la commission rogatoire internationale exécutée par les autorités luxembourgeoises", ses réquisitions contre M. X... et M. Z... du chef de fraude fiscale, contre le premier nommé également du chef de blanchiment de fraude fiscale et de non déclaration de capitaux transférés à l'étranger et depuis l'étranger et contre Mme Y... du chef de complicité de blanchiment de fraude fiscale ; que, par réquisitoire supplétif du même jour, le procureur de la République a étendu la saisine du juge d'instruction à l'ensemble de ces infractions ; que M. X... a ensuite été mis en examen des chefs de blanchiment de fraude fiscale et de non déclaration de capitaux transférés à l'étranger et depuis l'étranger, M. Z... et Mme Y... du chef de complicité de blanchiment de fraude fiscale ;

Attendu que M. et Mme X... ainsi que M. Z... ont demandé à la chambre de l'instruction d'annuler le réquisitoire supplétif précité du 3 juillet 2012, leurs mises en examen qui l'ont suivi ainsi que les actes subséquents, motif pris de la violation des réserves émises par le Grand-Duché du Luxembourg lors de la ratification du Protocole additionnel du 17 mars 1978 complétant la Convention européenne d'entraide en matière pénale du 20 avril 1959, aux termes desquelles, d'une part, les renseignements transmis par l'Etat requis doivent être utilisés "exclusivement pour instruire et juger les infractions à raison desquelles l'entraide est fournie", d'autre part, l'entraide en matière pénale fiscale ne peut viser qu'une infraction constitutive d'une "escroquerie en matière d'impôt" ;

Attendu que, pour écarter ce moyen de nullité, la chambre de l'instruction retient qu'elle n'a pas compétence pour interpréter les modalités de ratification d'une convention internationale par un Etat étranger ni pour rechercher si des réserves non exprimées par l'Etat requis auprès de l'Etat requérant sont applicables ou non et qu'en l'espèce, celle formulée par le procureur général du Luxembourg n'a pas été enfreinte, puisque le réquisitoire supplétif a été délivré dans la même information judiciaire, conformément à la demande formulée par le procureur général de l'Etat requis ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que, d'une part, il est de l'office du juge d'interpréter les traités internationaux invoqués dans la cause soumise à son examen et que, d'autre part, les autorités judiciaires françaises, lorsqu'elles utilisent les informations qui leur ont été communiquées dans le cadre d'une convention d'entraide judiciaire en matière pénale, sont tenues de respecter les règles fixées par cette convention à laquelle s'incorporent les réserves et déclarations formulées, qui obligent les Etats parties dans leurs rapports réciproques, la chambre de l'instruction, qui n'a pas recherché si les stipulations conventionnelles liant la France et le Grand -Duché du Luxembourg en matière d'entraide judiciaire en matière pénale, notamment celles contenues dans la Convention européenne du 20 avril 1959, complétée par la Convention d'application de l'Accord de Schengen du 19 juin 1990 et le Protocole additionnel du 17 mars 1978, comportant des réserves formulées par le Grand-Duché du Luxembourg, ainsi que dans la Convention du 29 mai 2000 conclue entre les Etats membres de l'Union européenne, assortie d'une déclaration du Grand-Duché du Luxembourg, confirmée lors de la ratification le 27 octobre 2010 de cette Convention et de son Protocole additionnel du 16 octobre 2001, ne faisaient pas obstacle, à défaut de consentement des autorités luxembourgeoises, à l'extension de l'information à des infractions non visées dans la commission rogatoire internationale, parmi lesquelles figure, au surplus, la fraude fiscale, découvertes à partir des éléments fournis par l'Etat requis, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé n° 223 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 30 mai 2013, en ses seules dispositions relatives au refus d'annulation du réquisitoire supplétif du 3 juillet 2012 et des mises en examen subséquentes, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Publication : Bulletin criminel 2014, n° 11

Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mercredi 11 février 2004

N° de pourvoi: 02-84472
Publié au bulletin Cassation partielle sans renvoi

Statuant sur les pourvois formés par :- X... Roger,- Y... Brooks, épouse X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BASSE-TERRE, chambre correctionnelle, en date du 28 mai 2002, qui, pour fraude fiscale, a confirmé un jugement les ayant condamnés, chacun, à 6 mois d'emprisonnement avec sursis, 500 000 francs d'amende, et a prononcé sur les demandes de l'administration des Impôts, partie civile ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense produits ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1741 et 1743 du Code général des impôts, 591 et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande de sursis à statuer, déclaré Roger X... et Brooks Y..., épouse X..., coupables de s'être, de 1996 à 1997, soustraits frauduleusement à l'établissement et au paiement total de l'impôt sur le revenu au titre des années fiscales 1995 et 1996, en omettant volontairement de faire leur déclaration dans les délais prescrits, et Roger X... coupable de s'être, de 1996 à 1997, soustrait frauduleusement à l'établissement et au paiement de l'impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos pour les années 1995 et 1996, en omettant volontairement de faire sa déclaration dans les délais prescrits, infractions prévues et réprimées par les articles 1741, alinéas 1, 3 et 4, et 1750 du Code général des impôts, condamné l'un et l'autre à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis simple et de 500 000 francs d'amende et accueilli l'administration fiscale en sa constitution de partie civile ;

...

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour écarter les conclusions des prévenus qui soutenaient que les habitants de l'île de Saint-Barthélémy étaient exonérés de l'impôt sur le revenu et sur les sociétés et les déclarer coupables de fraude fiscale, les juges, après avoir relevé qu'antérieurement au traité du 10 août 1877, par lequel la Suède a rétrocédé l'île de Saint-Barthélémy à la France, cette île n'avait bénéficié d'aucun privilèges fiscaux permanents et irrévocables, énoncent qu'il s'ensuit que les stipulations de l'article 3 du protocole annexé audit traité, aux termes desquelles "la France succède aux droits et aux obligations résultant de tous actes régulièrement faits par la Couronne de Suède ou en son nom pour des objets d'intérêts public ou domanial concernant spécialement la colonie de Saint-Barthélémy et ses dépendances", n'ont eu ni pour objet ni pour effet de conférer aux habitants de cette île un droit à être définitivement exemptés des impôts sur le revenu et sur les sociétés ;

Que les juges relèvent que les dispositions de l'article 3 de la loi du 3 mars 1878, portant approbation du traité précité, aux termes desquelles "toutes les lois, tous les règlements et arrêtés publiés ou promulgués à la Guadeloupe auront force et vigueur à Saint-Barthélémy à partir du jour de l'installation de l'autorité française dans cette île" ont entraîné de plein droit l'application à Saint-Barthélémy du régime fiscal en vigueur à la Guadeloupe ;

Qu'ils constatent que la délibération du conseil général de la Guadeloupe du 2 juin 1922, rendue exécutoire par un arrêté du 29 juin 1922, ayant établi un impôt général sur le revenu, n'a prévu aucune exemption au profit des contribuables de Saint-Barthélémy ;

Qu'ils retiennent qu'à la date où est intervenu le décret du 30 mars 1948, pris en application de la loi du 19 mars 1946, ayant érigé en département français notamment la colonie de la Guadeloupe, les habitants de Saint-Barthélémy n'étaient pas placés, en ce qui concerne l'impôt sur le revenu, sous un régime différent de celui applicable aux autres habitants de ce département et que, dès lors, les dispositions de l'article 20 du décret précité aux termes desquelles "le régime particulier appliqué aux dépendances de Saint-Martin et Saint-Barthélémy est maintenu provisoirement en vigueur", ne peuvent être interprétées comme ayant eu pour objet de maintenir provisoirement en vigueur un régime particulier d'exonération, résultant d'une situation de fait illégale, plaçant l'île de Saint-Barthélémy en dehors du champ d'application de l'article 1er dudit décret dont l'objet a été de déclarer exécutoires, dans le département de la Guadeloupe, les dispositions du Code général des impôts en vigueur en France métropolitaine, à la même date ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors qu'il est de l'office du juge d'interpréter les traités internationaux invoqués dans la cause soumise à son examen, sans qu'il soit nécessaire de solliciter l'avis d'une autorité non juridictionnelle, la cour d'appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision ;

D'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis ;

Mais sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 111-3 nouveau du Code pénal et de l'article 1741 du Code général des impôts ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Roger X... et Brooks Y..., épouse X..., coupables de s'être, de 1996 à 1997, soustraits frauduleusement à l'établissement et au paiement total de l'impôt sur le revenu au titre des années fiscales 1995 et 1996, en omettant volontairement de faire leur déclaration dans les délais prescrits, et Roger X... coupable de s'être, de 1996 à 1997, soustrait frauduleusement à l'établissement et au paiement de l'impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos pour les années 1995 et 1996, en omettant volontairement de faire sa déclaration dans les délais prescrits, infractions prévues et réprimées par les articles 1741, alinéas 1, 3 et 4, et 1750 du Code général des impôts, condamné l'un et l'autre à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis simple et de 500 000 francs d'amende ;

"alors que nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi si l'infraction est un crime ou un délit ; que l'article 1741 du Code général des impôts, en sa rédaction résultant de l'ordonnance 2000-916 du 19 septembre 2000, applicable en la cause comme instituant des dispositions plus favorables au prévenu, dispose que le maximum de l'amende encourue est de 37 500 euros ; qu'en prononçant tant à l'encontre de Roger X... que de son épouse une amende supérieure à ce montant, la cour d'appel a méconnu les principes précités" ;

Vu l'article 111-3 du Code pénal, ensemble l'article 1741 du Code général de impôts ;

Attendu que nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ;

Attendu qu'après avoir déclaré Roger X... et Brooks X... coupables de fraude fiscale, l'arrêt attaqué confirme le jugement les ayant condamnés, chacun, à 500 000 francs d'amende ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi une peine excédant le maximum prévu par l'article 1741 du Code général des impôts réprimant le délit reproché, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de Cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige ainsi que le permet l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Basse-Terre, en date du 28 mai 2002, mais en ses seules dispositions ayant condamné Roger X... et Brooks Y..., épouse X..., chacun à 500 000 francs d'amende, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Publication : Bulletin criminel 2004 N° 37 p. 150