En l’affaire Vo c. France, 8 juillet 2004
La Cour européenne des Droits de l’Homme, siégeant
en une Grande Chambre
PROCÉDURE (…)
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
9. La requérante est née en 1967 et réside à Bourg-en-Bresse.
10. Le 27 novembre 1991, la requérante, d’origine vietnamienne,
se présenta à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu
de Lyon pour y subir la visite médicale du sixième mois de sa
grossesse.
11. Le même jour, une autre femme, nommée Mme Thi Thanh Van Vo,
devait se faire enlever un stérilet dans le même établissement.
Le médecin, le docteur G., qui devait effectuer cette opération
appela dans la salle d’attente « Madame Vo », appel auquel
la requérante répondit.
Après un bref entretien, le médecin constata que la requérante
ne comprenait pas bien le français. Ayant étudié le dossier,
il entreprit d’ôter le stérilet sans aucun examen préalable
de la patiente. En cours d’opération, le médecin perça
la poche des eaux, entraînant ainsi une importante perte du liquide amniotique.
Après un examen clinique qui révéla l’existence d’un
gros utérus, le médecin prescrivit une échographie. Il
apprit alors que celle-ci venait d’être faite et comprit qu’une
erreur sur la personne avait été commise. La requérante
fut immédiatement hospitalisée.
Le docteur G. tenta ensuite de procéder à l’enlèvement
du stérilet sur Mme Thi Thanh Van Vo et, n’y réussissant
pas, prescrivit une intervention sous anesthésie générale
devant avoir lieu le lendemain matin. Une nouvelle erreur était alors
commise et la requérante, conduite au bloc opératoire à
la place de Mme Thi Thanh Van Vo, ne dut qu’à ses protestations
et au fait qu’un médecin anesthésiste la reconnut d’échapper
à l’intervention chirurgicale destinée à son homonyme.
12. La requérante quitta l’hôpital le 29 novembre 1991. Le
4 décembre 1991, elle y revint pour la vérification de l’évolution
de sa grossesse ; les médecins constatèrent que le liquide amniotique
ne s’était pas reconstitué et que la grossesse ne pouvait
plus se poursuivre. Une interruption thérapeutique de la grossesse fut
effectuée le 5 décembre 1991.
13. Le 11 décembre 1991, la requérante et son compagnon portèrent
plainte avec constitution de partie civile pour blessures involontaires ayant
entraîné une incapacité totale de travail de moins de trois
mois commises sur l’intéressée et pour homicide commis sur
son enfant. A la suite de cette plainte, trois rapports d’expertise furent
déposés.
14. Le premier rapport, remis le 16 janvier 1992, conclut que le fœtus
de sexe féminin devait se trouver entre vingt et vingt et une semaines
depuis la conception, qu’il pesait 375 grammes, mesurait 28 centimètres,
avait un périmètre crânien de 17 centimètres, et
qu’il n’avait pas respiré à sa sortie. L’expertise
conclut également qu’il n’y avait aucun signe de violence
ou de malformation et qu’aucun constat ne permettait d’attribuer
le décès à une cause morphologique ou à une atteinte
organique. Par ailleurs, l’autopsie réalisée à la
suite de l’avortement thérapeutique et l’analyse anatomo-pathologique
du corps permirent de conclure que le poumon fœtal présentait un
âge de vingt à vingt-quatre semaines.
15. Le 3 août 1992, un deuxième rapport fut déposé
concernant les blessures commises sur la personne de la requérante :
« a) Il existe une période d’incapacité temporaire
totale du 27 novembre 1991 au 13 décembre 1991, date d’entrée
à la clinique du Tonkin pour une tout autre pathologie (appendicectomie)
b) la date de consolidation peut être fixée au 13 décembre
1991
c) il n’existe pas de préjudice d’agrément
d) il n’existe pas de préjudice esthétique
e) il n’existe pas de préjudice professionnel
f) il n’existe pas d’incapacité permanente partielle
Il reste à évaluer le pretium doloris dû aux répercussions
de cet événement. Il conviendrait de faire ces évaluations
avec un médecin d’origine vietnamienne et psychiatre ou psychologue.
»
16. Le troisième rapport, rendu le 29 septembre 1992, fit état
du dysfonctionnement du service hospitalier mis en cause et de la négligence
du médecin :
« 1o L’organisation des consultations des services des professeurs
[T.] et [R.] à l’Hôtel-Dieu de Lyon n’est pas exempte
de reproches, en particulier en ce qui concerne les risques de confusion dus
aux homonymies fréquentes des patientes d’origine étrangère,
risque sûrement augmenté du fait de leur ignorance ou de leur compréhension
limitée de notre langue.
2o Une orientation imprécise des patientes, une désignation insuffisamment
claire des bureaux médicaux et des médecins y consultant ont favorisé
l’inversion des patientes de patronyme voisin et expliquent que le Dr
[G.] ayant pris connaissance du dossier médical de Mme Thi Thanh Van
Vo a vu se présenter à son appel [la requérante].
3o Le docteur a agi par négligence, par omission et il s’est fié
aux seuls examens para-cliniques. Il n’a pas examiné sa patiente
et par un geste malencontreux a déclenché une interruption de
grossesse à cinq mois par rupture de la poche des eaux. Ce geste engage
sa responsabilité mais il existe des circonstances atténuantes.
»
17. Le 25 janvier 1993, puis à la suite d’un réquisitoire
supplétif du procureur de la République en date du 26 avril 1994,
le docteur G. fut mis en examen pour avoir, le 27 novembre 1991, à Lyon,
– par maladresse, imprudence, inattention, en l’espèce en
perforant la poche des eaux dans laquelle se développait le fœtus
de la requérante alors vivant et viable, involontairement provoqué
la mort de cet enfant (faits prévus et réprimés par l’article
319 du code pénal ancien – texte applicable à la date des
faits –, et à ce jour l’article 221-6 du code pénal)
;
– par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement
à une obligation de sécurité ou de prudence imposée
par la loi ou les règlements, causé à la requérante
une atteinte à l’intégrité de sa personne, suivie
d’une incapacité totale de travail n’excédant pas
trois mois (faits prévus et réprimés par l’article
R. 40 4o du code pénal ancien – texte applicable à la date
des faits –, et à ce jour les articles R. 625-2 et R. 625-4 du
code pénal).
18. Par une ordonnance du 31 août 1995, le docteur G. fut renvoyé
devant le tribunal correctionnel de Lyon des chefs d’atteinte involontaire
à la vie et contravention de blessures involontaires.
19. Par un jugement du 3 juin 1996, le tribunal constata l’amnistie de
plein droit de la contravention de blessures involontaires sur la personne de
la requérante conformément à la loi d’amnistie du
3 août 1995. Sur le délit d’atteinte involontaire à
la vie sur le fœtus, le tribunal s’exprima dans les termes suivants
:
« La question posée au tribunal est de savoir si l’infraction
d’homicide involontaire ou d’atteinte involontaire à la vie
est constituée lorsque l’atteinte à la vie concerne le fœtus,
si le fœtus de 20 à 21 semaines constitue une personne humaine (autrui
au sens de l’article 221-6 du code pénal).
(...)
Les éléments d’expertise doivent être homologués.
Le fœtus avait entre 20 et 21 semaines.
– A quel stade de maturité l’embryon peut-il être considéré
comme une personne humaine ?
La loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire
de grossesse énonce : « la loi garantit le respect de tout être
humain dès le commencement de la vie. »
La loi du 29 juillet 1994 (article 16 du code civil) énonce : «
la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à
la dignité de celle-ci et garantit le respect de tout être humain
dès le commencement de sa vie. »
Les lois du 29 juillet 1994 utilisaient expressément pour la première
fois les termes « embryon » et « embryon humain ». Aucun
de ces textes ne définit cependant ce qu’est l’embryon humain.
Plusieurs parlementaires (députés ou sénateurs), dans le
cadre de la préparation de la législation sur la bioéthique,
ont voulu définir l’embryon. Charles de Courson proposait de le
définir ainsi : « tout être humain doit être respecté
dès le commencement de la vie, l’embryon humain est un être
humain. » Jean-François Mattéi énonçait :
« l’embryon n’est en tout état de cause que l’expression
morphologique d’une seule et même vie qui commence dès la
fécondation et se poursuit jusqu’à la mort en passant par
différentes étapes. En l’état actuel des connaissances
on ne sait pas précisément quand le zygote devient l’embryon,
l’embryon fœtus, le seul fait indiscutable étant le démarrage
du processus de la vie lors de la fécondation. »
Ainsi il apparaît qu’aucune règle juridique ne précise
la situation juridique de l’embryon, depuis sa formation et au fur et
à mesure de son développement. Il y a lieu, devant cette absence
de définition juridique d’en revenir aux connaissances acquises.
Il est établi que la viabilité du fœtus se situe à
6 mois, en aucun cas dans l’état actuel des connaissances à
20 ou 21 semaines.
Le tribunal ne peut que retenir cet élément (viabilité
à 6 mois) et ne peut créer le droit sur une question que les législateurs
n’ont pu définir encore.
Ainsi le tribunal retient que le fœtus est viable à compter de 6
mois. Qu’un fœtus de 20 à 21 semaines n’est pas viable
et qu’il n’est pas une personne humaine ou autrui au sens des articles
319 ancien du code pénal et 221-6 du code pénal.
Le délit d’homicide involontaire ou atteinte involontaire à
la vie sur un fœtus de 20 à 21 semaines n’est pas établi,
le fœtus n’étant pas une personne humaine ou autrui (...)
Renvoie le Dr G. des fins de la poursuite sans peine ni dépens (...)
»
20. Le 10 juin 1996, la requérante interjeta appel du jugement. Elle
soutint que le docteur G. avait commis une faute personnelle détachable
du fonctionnement du service public et sollicita l’allocation des sommes
suivantes : un million de francs français (FRF) à titre de dommages-intérêts
dont 900 000 FRF pour la mort de l’enfant et 100 000 FRF pour la blessure
par elle subie. Le ministère public, second appelant, requit l’infirmation
du jugement de relaxe en faisant observer que « le prévenu, en
omettant d’effectuer un examen clinique, a commis une faute ayant causé
la mort du fœtus, qui au moment de l’acte dommageable, âgé
de vingt à vingt-quatre semaines, poursuivait normalement et inexorablement,
sans aucun doute médical sur son avenir, le chemin de vie qu’il
avait entamé ».
21. Par un arrêt du 13 mars 1997, la cour d’appel de Lyon confirma
le jugement en ce qu’il avait constaté l’extinction de l’action
publique du chef de la contravention de blessures involontaires et l’infirma
pour le reste en déclarant le médecin coupable d’homicide
involontaire. Elle le condamna à six mois d’emprisonnement avec
sursis et 10 000 FRF d’amende. Elle statua ainsi :
« (...) Attendu qu’en l’espèce la faute du docteur
[G.] est d’autant plus caractérisée que la patiente, n’ayant
pas une pratique suffisante de la langue française, n’était
pas à même d’exposer ses doléances, de répondre
à ses questions, de lui préciser la date des dernières
règles, éléments qui auraient dû l’inciter
d’autant plus à pratiquer un examen clinique minutieux ; que l’allégation
selon laquelle il était en droit de se fier aux seuls documents médicaux
démontre que ce jeune médecin, scientifique accompli, méconnaissait
toutefois un aspect essentiel de l’art médical constitué
par l’écoute, la connaissance, l’examen du malade ; que d’ailleurs,
devant la Cour, le Dr [G.] a précisé que depuis cet accident il
avait « l’obsession de la précaution » à prendre
avant d’opérer ;
Attendu que cette faute d’imprudence et de négligence présente
un lien de causalité certaine avec la perte de l’enfant dont Madame
Vo était enceinte, le prévenu ayant lui-même reconnu, avec
une incontestable loyauté, que l’examen clinique lui aurait permis
de constater l’état de grossesse de sa patiente et de déceler
l’interversion de personnes s’étant produite ;
Attendu que s’agissant de la qualification d’homicide involontaire
il convient dans un premier temps de rappeler les principes juridiques gouvernant
la matière ;
Attendu que diverses dispositions conventionnelles telles que l’article
2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales, que l’article 6 du Pacte international
sur les droits civils et politiques, que l’article 6 de la Convention
relative aux droits de l’enfant signée à New York le 26
janvier 1990, reconnaissent l’existence, pour toute personne, et notamment
l’enfant, d’un droit à la vie protégé par la
loi ;
Attendu qu’en droit interne, l’article 1er de la loi 75-17 du 17
janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse
a précisé que « la loi garantit le respect de tout être
humain dès le commencement de la vie. (qu)’Il ne saurait être
porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité
et selon les conditions définies par la présente loi. »
;
Attendu, par ailleurs, que la loi 94-653 du 29 juillet 1994, relative au respect
du corps humain, a rappelé dans l’article 16 du code civil que
« la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte
à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être
humain dès le commencement de sa vie. » ;
Attendu que ces dispositions législatives ne sauraient être considérées
comme de simples déclarations d’intention, dépourvues de
tout effet juridique, alors que l’article 16-9 du code civil indique que
les dispositions de l’article 16 sont d’ordre public ;
Attendu que de son côté la Cour de cassation, Chambre criminelle,
dans deux arrêts rendus le 27 novembre 1996, a fait application de ces
principes de droit international et de droit interne en précisant que
la loi du 17 janvier 1975 n’admet qu’il soit porté atteinte
au principe du respect de tout être humain dès le commencement
de la vie, rappelé en son article 1er, qu’en cas de nécessité
et selon les conditions et limitations qu’elle définit ;
Qu’elle a ajouté qu’eu égard aux conditions ainsi
posées par le législateur, l’ensemble des dispositions issues
de cette loi et de celle du 31 décembre 1979 relative à l’interruption
volontaire de grossesse n’étaient pas incompatibles avec les stipulations
conventionnelles précitées ;
Qu’elle a par ailleurs rappelé que lors de la signature à
New York le 26 janvier 1990 de la Convention relative aux droits de l’enfant,
la France avait formulé une déclaration interprétative
selon laquelle cette Convention ne saurait être interprétée
comme faisant obstacle à l’application des dispositions de la législation
française relative à l’interruption volontaire de grossesse
; que cette réserve démontre a contrario, que ladite Convention
était susceptible de concerner le fœtus de moins de dix semaines,
délai légal en France de l’interruption volontaire de la
grossesse ;
Attendu qu’il en résulte que, sous réserve des dispositions
relatives à l’interruption volontaire de la grossesse et de celles
relatives à l’avortement thérapeutique, la loi consacre
le respect de tout être humain dès le commencement de la vie, sans
qu’il soit exigé que l’enfant naisse viable, du moment qu’il
était en vie lors de l’atteinte qui lui a été portée
;
Attendu qu’au demeurant la viabilité constitue une notion scientifiquement
contingente et incertaine comme le reconnaît le prévenu lui-même
qui, poursuivant actuellement des études aux Etats-Unis, a précisé
devant la Cour que des fœtus nés 23 ou 24 semaines après
la conception avaient pu être maintenus en vie alors qu’une telle
hypothèse était totalement exclue quelques années auparavant
; que dans la consultation établie par le professeur [T.] et produite
par le docteur [G.], il est fait état du rapport du professeur Mattéi
indiquant que l’embryon n’est que l’expression morphologique
d’une seule et même vie qui commence dès la fécondation
et se poursuit jusqu’à la mort, en passant par différentes
étapes, sans que l’on sache à quel moment le zygote devient
embryon, l’embryon fœtus, le seul fait indiscutable étant
le démarrage du processus de vie lors de la fécondation ; (...)
Attendu qu’ainsi la viabilité lors de la naissance, notion scientifiquement
incertaine, est de surcroît dépourvue de toute portée juridique,
la loi n’opérant aucune distinction à cet égard ;
Attendu qu’en l’espèce il est établi que lors de l’échographie
effectuée le 27 novembre 1991, suivie le même jour de la perte
du liquide amniotique, la grossesse de [la requérante] se poursuivait
normalement et que l’enfant qu’elle portait était en vie
; que lors de l’avortement thérapeutique réalisé
le 5 décembre 1991, il a été constaté que, selon
les mensurations de l’enfant comparées aux tables publiées,
il était permis d’attribuer à ce fœtus un âge
de 20 à 21 semaines, qui pourrait même être supérieur
dans la mesure où il n’est pas certain que ces tables prennent
en compte la morphologie propre aux enfants d’origine vietnamienne, le
docteur [G.], interrogé sur ce point à l’audience, n’ayant
pu fournir aucune précision supplémentaire ; que l’examen
anatomo-pathologique avait permis de conclure que le poumon fœtal présentait
un âge de 20 à 24 semaines ; attendu qu’il résulte
de l’ensemble de ces indications que l’âge du fœtus était
de 20 à 24 semaines, ses mensurations incitant plutôt à
incliner vers la branche basse de l’évaluation ; qu’en tout
état de cause l’âge de ce fœtus était très
proche de celui de certains fœtus ayant pu survivre aux Etats-Unis comme
l’a précisé le docteur [G.] ; que les photographies figurant
au dossier sous la cote D 32 montrent un enfant parfaitement formé dont
la vie a été interrompue par la négligence du prévenu
;
Attendu que comme l’avait fait remarquer la cour d’appel de Douai
dans son arrêt du 2 juin 1987, si l’atteinte portée à
l’enfant avait provoqué une lésion n’entraînant
pas sa mort, la qualification de blessures involontaires eût été
retenue sans hésitation aucune ; qu’à plus forte raison,
la qualification d’homicide involontaire doit être retenue s’agissant
d’une atteinte ayant provoqué la mort de l’enfant ;
Attendu qu’ainsi tant l’application stricte des principes juridiques
que des données acquises de la science que des considérations
d’élémentaire bon sens, conduisent à retenir la qualification
d’homicide involontaire s’agissant d’une atteinte par imprudence
ou négligence portée à un fœtus âgé de
20 à 24 semaines en parfaite santé, ayant causé la mort
de celui-ci ;
Attendu qu’en conséquence le jugement déféré
doit être infirmé (...) ;
Attendu que si l’action civile de [la requérante] est recevable,
ne serait-ce que pour corroborer l’action publique, la Cour est incompétente
pour statuer sur la demande en réparation ; qu’en effet, la faute
d’imprudence et de négligence commise par le docteur [G.], médecin
dans un hôpital public, quoique non dépourvue de gravité,
ne présente pas toutefois le caractère d’une faute personnelle
d’une exceptionnelle gravité, traduisant une méconnaissance
totale des principes les plus élémentaires et des devoirs de sa
mission, la rendant détachable du service ;
Attendu en revanche qu’il convient de condamner le docteur [G.] à
payer à cette partie civile, une indemnité de 5 000 francs au
titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale au
titre des frais non payés par l’Etat et exposés par celle-ci
;
(...) »
22. Sur pourvoi du médecin, la Cour de cassation, par un arrêt
du 30 juin 1999, cassa l’arrêt de la cour d’appel de Lyon
et dit n’y avoir lieu à renvoi :
« Vu l’article 111-4 du code pénal ;
Attendu que la loi pénale est d’interprétation stricte ;
(...)
Attendu que, pour déclarer [le médecin] coupable d’homicide
involontaire, la juridiction du second degré relève que l’article
2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales et l’article 6 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques reconnaissent l’existence, pour
toute personne, d’un droit à la vie protégé par la
loi ; qu’elle souligne que la loi du 17 janvier 1975, relative à
l’interruption volontaire de grossesse, pose le principe du respect de
l’être humain dès le commencement de sa vie, désormais
rappelé par l’article 16 du code civil dans la rédaction
issue de la loi du 29 juillet 1994 ; qu’ensuite elle énonce qu’en
intervenant sans examen clinique préalable, le médecin a commis
une faute d’imprudence et de négligence, qui présente un
lien de causalité certain avec la mort de l’enfant que portait
la patiente ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors que les faits reprochés
au prévenu n’entrent pas dans les prévisions des articles
319 ancien et 221-6 du code pénal, la cour d’appel a méconnu
le texte susvisé ;
(...) »
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le code pénal
23. Le texte, applicable au moment des faits, prévoyant et réprimant
les atteintes portées involontairement à la vie était,
avant le 1er mars 1994, l’article 319 du code pénal, qui se lit
comme suit :
« Quiconque, par maladresse, imprudence, inattention, négligence
ou inobservation des règlements, aura commis involontairement un homicide
ou en aura été involontairement la cause, sera puni d’un
emprisonnement de trois mois à deux ans, et d’une amende de 1 000
francs à 30 000 francs. »
24. Depuis le 1er mars 1994, l’article pertinent est l’article 221-6
du code pénal (modifié par la loi no 2000-647 du 10 juillet 2000
et l’ordonnance no 2000-916 du 19 septembre 2000) qui figure dans la section
II (« Des atteintes involontaires à la vie ») du chapitre
I (« Des atteintes à la vie de la personne ») du titre II
(« Des atteintes à la personne humaine ») du livre II («
Des crimes et délits contre les personnes »). L’article 221-6
est ainsi rédigé :
« Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues
à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence
ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence
imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue
un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000
euros d’amende.
En cas de violation manifestement délibérée d’une
obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée
par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées
à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende.
»
25. L’article 223-10 du code pénal, qui concerne l’interruption
volontaire de la grossesse d’une femme sans son consentement par un tiers,
figure à la section V intitulée « De l’interruption
illégale de la grossesse » du chapitre III ayant pour titre «
De la mise en danger de la personne » du titre II du livre II, et se lit
ainsi :
« L’interruption de la grossesse sans le consentement de l’intéressée
est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
»
26. La section III intitulée « De la protection de l’embryon
humain » du chapitre I (« Des infractions en matière d’éthique
biomédicale ») du titre I (« Des infractions en matière
de santé publique ») du livre V (« Des autres crimes et délits
») énonce plusieurs prohibitions au regard de l’éthique
médicale (articles 511-15 à 511-25) dont, par exemple, la conception
d’embryons humains in vitro à des fins de recherche ou d’expérimentation
(article 511-18).
B. Le code de la santé publique
27. A l’époque des faits, le délai de prescription de l’action
en responsabilité administrative était de quatre ans et la période
pendant laquelle l’interruption volontaire de grossesse était légale
était de dix semaines à partir de la conception.
28. Les dispositions du code de la santé publique, telles qu’elles
sont en vigueur, notamment depuis la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative
aux droits des malades et à la qualité du système de santé,
se lisent comme suit :
Article L. 1142-1
« Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison
d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels
de santé mentionnés à la quatrième partie du présent
code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels
sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic
ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes
de prévention, de diagnostic, ou de soins qu’en cas de faute.
(...) »
Article L. 1142-2
« Les professionnels de santé exerçant à titre libéral,
les établissements de santé, services de santé et organismes
mentionnés à l’article L. 1142-1, et toute autre personne
morale, autre que l’Etat, exerçant des activités de prévention,
de diagnostic ou de soins ainsi que les producteurs, exploitants et fournisseurs
de produits de santé, à l’état de produits finis,
mentionnés à l’article L. 5311-1 à l’exclusion
du 5º, sous réserve des dispositions de l’article L. 1222-9,
et des 11º, 14º et 15º, utilisés à l’occasion
de ces activités, sont tenus de souscrire une assurance destinée
à les garantir pour leur responsabilité civile ou administrative
susceptible d’être engagée en raison de dommages subis par
des tiers et résultant d’atteintes à la personne, survenant
dans le cadre de l’ensemble de cette activité.
(...) »
Article L. 1142-28
« Les actions tendant à mettre en cause la responsabilité
des professionnels de santé ou des établissements de santé
publics ou privés à l’occasion d’actes de prévention,
de diagnostic ou de soins se prescrivent par dix ans à compter de la
consolidation du dommage. »
Article L. 2211-1
« Comme il est dit à l’article 16 du code civil ci-après
reproduit :
« La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte
à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être
humain dès le commencement de sa vie. »
Article L. 2211-2
« Il ne saurait être porté atteinte au principe mentionné
à l’article L. 2211-1 qu’en cas de nécessité
et selon les conditions définies par le présent titre.
L’enseignement de ce principe et de ses conséquences, l’information
sur les problèmes de la vie et de la démographie nationale et
internationale, l’éducation à la responsabilité,
l’accueil de l’enfant dans la société et la politique
familiale sont des obligations nationales. L’Etat, avec le concours des
collectivités territoriales, exécute ces obligations et soutient
les initiatives qui y contribuent. »
Article L. 2212-1
« La femme enceinte que son état place dans une situation de détresse
peut demander à un médecin l’interruption de sa grossesse.
Cette interruption ne peut être pratiquée qu’avant la fin
de la douzième semaine de grossesse. »
Article L. 2213-1
« L’interruption volontaire d’une grossesse peut, à
toute époque, être pratiquée si deux médecins membres
d’une équipe pluridisciplinaire attestent, après que cette
équipe a rendu son avis consultatif, soit que la poursuite de la grossesse
met en péril grave la santé de la femme, soit qu’il existe
une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint
d’une affection d’une particulière gravité reconnue
comme incurable au moment du diagnostic.
(...) »
C. La position de la Cour de cassation
29. Par deux fois, et en dépit de conclusions contraires des avocats
généraux, la Cour de cassation a confirmé sa position prise
en l’espèce (voir paragraphe 22 ci-dessus) dans des arrêts
des 29 juin 2001 (Cass. ass. plén., Bull. no 165) et 25 juin 2002 (Cass.
crim., Bull. crim. no 144).
1. L’arrêt du 29 juin 2001 de l’assemblée plénière
« Sur les deux moyens réunis du procureur général
près la cour d’appel de Metz et de Mme X... :
Attendu que le 29 juillet 1995 un véhicule conduit par M. Z... a heurté
celui conduit par Mme X..., enceinte de six mois, qui a été blessée
et a perdu des suites du choc le fœtus qu’elle portait ; que l’arrêt
attaqué (Metz, 3 septembre 1998) a notamment condamné M. Z...
du chef de blessures involontaires sur la personne de Mme X..., avec circonstance
aggravante de conduite sous l’empire d’un état alcoolique,
mais l’a relaxé du chef d’atteinte involontaire à
la vie de l’enfant à naître ;
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué
d’avoir ainsi statué, alors que, d’une part, l’article
221-6 du Code pénal réprimant le fait de causer la mort d’autrui
n’exclut pas de son champ d’application l’enfant à
naître et viable, qu’en limitant la portée de ce texte à
l’enfant dont le cœur battait à la naissance et qui a respiré,
la cour d’appel a ajouté une condition non prévue par la
loi, et alors que, d’autre part, le fait de provoquer involontairement
la mort d’un enfant à naître constitue le délit d’homicide
involontaire dès lors que celui-ci était viable au moment des
faits quand bien même il n’aurait pas respiré lorsqu’il
a été séparé de la mère, de sorte qu’auraient
été violés les articles 111-3, 111-4 et 221-6 du Code pénal
et 593 du Code de procédure pénale ;
Mais attendu que le principe de la légalité des délits
et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale,
s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article
221-6 du Code pénal, réprimant l’homicide involontaire d’autrui,
soit étendue au cas de l’enfant à naître dont le régime
juridique relève de textes particuliers sur l’embryon ou le fœtus
;
(...) »
2. L’arrêt du 25 juin 2002 de la chambre criminelle
« (...)
Vu les articles 319 ancien, 221-6 et 111-4 du Code pénal ;
Attendu que le principe de la légalité des délits et des
peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale,
s’oppose à ce que l’incrimination d’homicide involontaire
s’applique au cas de l’enfant qui n’est pas né vivant
;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que
Z..., dont la grossesse, suivie par X..., était venue à terme
le 10 novembre 1991, est entrée en clinique en vue de son accouchement
le 17 novembre ; que, placée sous surveillance vers 20 heures 30, elle
a signalé une anomalie du rythme cardiaque de l’enfant à
la sage-femme, Y..., laquelle a refusé d’appeler le médecin
; qu’un nouveau contrôle pratiqué le lendemain à 7
heures a révélé la même anomalie, puis l’arrêt
total des battements du cœur ; que, vers 8 heures, X... a constaté
le décès ; qu’il a procédé dans la soirée
à l’extraction par césarienne d’un enfant mort-né
qui, selon le rapport d’autopsie, ne présentait aucune malformation
mais avait souffert d’anoxie ;
Attendu que, pour déclarer Y... coupable d’homicide involontaire
et X..., qui a été relaxé par le tribunal correctionnel,
responsable des conséquences civiles de ce délit, l’arrêt
retient que le décès de l’enfant est la conséquence
des imprudences et négligences commises par eux, le médecin en
s’abstenant d’intensifier la surveillance de la patiente en raison
du dépassement du terme, la sage-femme en omettant de l’avertir
d’une anomalie non équivoque de l’enregistrement du rythme
cardiaque de l’enfant ;
Que les juges, après avoir relevé que l’enfant mort-né
ne présentait aucune lésion organique pouvant expliquer le décès,
énoncent « que cet enfant était à terme depuis plusieurs
jours et que, si les fautes relevées n’avaient pas été
commises, il avait la capacité de survivre par lui-même, disposant
d’une humanité distincte de celle de sa mère » ;
Mais attendu qu’en se prononçant ainsi, la cour d’appel a
méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés
;
D’où il suit que la cassation est encourue ; qu’elle aura
lieu sans renvoi, dès lors que les faits ne sont susceptibles d’aucune
qualification pénale ;
(...) »
30. La chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré
que justifie sa décision la cour d’appel qui, pour déclarer
le prévenu coupable d’homicide involontaire sur un enfant, né
le jour de l’accident de circulation dans lequel sa mère, enceinte
de huit mois, a été grièvement blessée, et décédé
une heure après, retient que le conducteur, par un défaut de maîtrise
de son véhicule, a causé la mort de l’enfant qui a vécu
une heure après sa naissance et qui est décédé des
suites des lésions vitales irréversibles subies au moment du choc
(Cass. crim., 2 décembre 2003).
31. Dans un article intitulé « Violences involontaires sur femme
enceinte et délit d’homicide involontaire » (Recueil Dalloz
2004, p. 449), à propos du commentaire de l’arrêt rendu par
la chambre criminelle de la Cour de cassation le 2 décembre 2003 (paragraphe
30 ci-dessus), il est observé que la jurisprudence de la Cour de cassation
précitée (paragraphe 29 ci-dessus) a été condamnée
par vingt-huit auteurs sur trente-quatre.
Parmi les critiques de la doctrine, l’on peut relever la motivation laconique
des arrêts de la Cour de cassation ou l’incohérence de la
protection : serait passible de sanctions pénales celui qui cause des
blessures involontaires alors que reste impuni celui qui provoque involontairement
la mort du fœtus ; l’enfant qui a vécu quelques minutes se
voit reconnaître la qualité de victime et celui mort in utero est
ignoré du droit ; la liberté de procréer serait moins bien
protégée que celle d’avorter.
D. L’amendement Garraud
32. Le 27 novembre 2003, l’Assemblée nationale a adopté,
en seconde lecture, le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions
de la criminalité ; il comprenait l’amendement Garraud, du nom
du député à l’initiative du texte, qui créait
le délit d’interruption involontaire de grossesse (IIG).
33. L’adoption de cet amendement avait soulevé de vives polémiques
et le garde des Sceaux, M. Perben, à l’issue d’une semaine
de consultations, déclarait le 5 décembre 2003 que la proposition
du député « pose plus de problèmes qu’elle
n’en règle » et penchait en faveur de son abandon. Le 23
janvier 2004, le Sénat a supprimé, à l’unanimité,
l’amendement. C’est la seconde fois que les sénateurs suppriment
une telle proposition : en avril 2003, ils s’y étaient déjà
opposés lors de l’examen de la loi renforçant la lutte contre
la violence routière adoptée le 12 juin 2003.
E. Les lois de bioéthique
34. Le 11 décembre 2003, l’Assemblée nationale a adopté
en seconde lecture le projet de loi sur la bioéthique en vue de réviser
les lois de 1994 relatives au don et à l’utilisation des éléments
et produits du corps humain, à l’assistance médicale à
la procréation et au diagnostic prénatal, conformément
à ce qu’avait prévu le législateur d’alors,
afin de prendre en compte les progrès scientifiques et médicaux
intervenus depuis et les nouvelles questions qui se posent à la société.
Le projet renforce les garanties en matière d’information ainsi
que de recherche et de recueil du consentement des personnes face à l’évolution
rapide des techniques, prohibe des pratiques rendues possibles par la technique
(le clonage reproductif) et encadre celles dont l’intérêt
médical est avéré (recherche sur l’embryon in vitro).
Il met en place une instance d’encadrement et de contrôle (l’Agence
de la procréation, de l’embryologie et de la génétique
humaines) qui assurera également des fonctions d’accompagnement,
de veille et d’expertise dans ces domaines (http://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/bioethique.asp).
III. LE DROIT EUROPÉEN
A. La Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine
35. La Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité
de l’être humain à l’égard des applications
de la biologie et de la médecine, dite aussi Convention sur les droits
de l’homme et la biomédecine, ouverte à la signature le
4 avril 1997 à Oviedo, est entrée en vigueur le 1er décembre
1999. Dans cette convention, les Etats membres du Conseil de l’Europe,
les autres Etats et la Communauté européenne signataires,
« (...)
Résolus à prendre, dans le domaine des applications de la biologie
et de la médecine, les mesures propres à garantir la dignité
de l’être humain et les droits et libertés fondamentaux de
la personne,
Sont convenus de ce qui suit :
Chapitre I – Dispositions générales
Article 1 – Objet et finalité
Les Parties à la présente Convention protègent l’être
humain dans sa dignité et son identité et garantissent à
toute personne, sans discrimination, le respect de son intégrité
et de ses autres droits et libertés fondamentales à l’égard
des applications de la biologie et de la médecine.
Chaque Partie prend dans son droit interne les mesures nécessaires pour
donner effet aux dispositions de la présente Convention.
Article 2 – Primauté de l’être humain
L’intérêt et le bien de l’être humain doivent
prévaloir sur le seul intérêt de la société
ou de la science.
(...)
Chapitre V – Recherche scientifique
(...)
Article 18 – Recherche sur les embryons in vitro
1. Lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci
assure une protection adéquate de l’embryon.
2. La constitution d’embryons humains aux fins de recherche est interdite.
(...)
Chapitre XI – Interprétation et suivi de la Convention
Article 29 – Interprétation de la Convention
La Cour européenne des Droits de l’Homme peut donner, en dehors
de tout litige concret se déroulant devant une juridiction, des avis
consultatifs sur des questions juridiques concernant l’interprétation
de la présente Convention à la demande :
– du Gouvernement d’une Partie, après en avoir informé
les autres Parties ;
– du Comité institué par l’article 32, dans sa composition
restreinte aux Représentants des Parties à la présente
Convention, par décision prise à la majorité des deux tiers
des voix exprimées.
(...) »
36. L’article 1 (paragraphes 16 à 19) du rapport explicatif à
cette convention est ainsi libellé :
Article 1 – Objet et finalité
« 16. Cet article définit le champ d’application de la Convention
ainsi que sa finalité.
17. La Convention a pour but de garantir, dans le domaine des applications de
la biologie et de la médecine, les droits et libertés fondamentales
de chaque personne, en particulier son intégrité, et de garantir
la dignité et l’identité de l’être humain dans
ce domaine.
18. La Convention ne définit pas le terme « toute personne »
(en anglais « everyone »). L’utilisation de ces termes comme
équivalents est basée sur le fait que les deux se trouvent également
dans les versions française et anglaise de la Convention européenne
des Droits de l’Homme, qui n’en donne cependant pas une définition.
En l’absence d’unanimité, parmi les Etats membres du Conseil
de l’Europe, sur la définition de ces termes, il a été
convenu de laisser au droit interne le soin éventuel d’apporter
les précisions pertinentes aux effets de l’application de la présente
Convention.
19. La Convention utilise aussi l’expression « être humain
» en énonçant la nécessité de protéger
l’être humain dans sa dignité et son identité. Il
a été constaté qu’il est un principe généralement
accepté selon lequel la dignité humaine et l’identité
de l’espèce humaine doivent être respectées dès
le commencement de la vie.
(...) »
B. Le Protocole additionnel à la Convention
sur les droits de l’homme et la biomédecine portant interdiction
du clonage d’êtres humains (12 janvier 1998)
37. L’article 1 de ce protocole est ainsi rédigé :
« 1. Est interdite toute intervention ayant pour but de créer un
être humain génétiquement identique à un autre être
humain vivant ou mort.
2. Au sens du présent article, l’expression être humain «
génétiquement identique » à un autre être humain
signifie un être humain ayant en commun avec un autre l’ensemble
des gènes nucléaires. »
C. Le Protocole additionnel à la Convention
sur les droits de l’homme et la biomédecine relatif à la
recherche biomédicale
38. Le projet de protocole a été approuvé par le Comité
directeur pour la bioéthique le 20 juin 2003. Il a été
soumis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Celui-ci
a consulté l’Assemblée parlementaire qui a donné
un avis favorable le 30 avril 2004 (Avis no 252). Le 30 juin 2004, le Comité
des Ministres a adopté ce texte.
Article 1 – Objet et finalité
« Les Parties au présent Protocole protègent l’être
humain dans sa dignité et son identité, et garantissent à
toute personne, sans discrimination, le respect de son intégrité
et de ses autres droits et libertés fondamentales à l’égard
de toute recherche dans le domaine de la biomédecine impliquant une intervention
sur l’être humain. »
Article 2 – Champ d’application
« 1. Le présent Protocole s’applique à l’ensemble
des activités de recherche dans le domaine de la santé impliquant
une intervention sur l’être humain.
2. Le Protocole ne s’applique pas à la recherche sur les embryons
in vitro. Il s’applique à la recherche sur les fœtus et les
embryons in vivo.
(...) »
Article 3 – Primauté de l’être humain
« L’intérêt et le bien de l’être humain
qui participe à une recherche doivent prévaloir sur le seul intérêt
de la société ou de la science. »
Article 18 – Recherche pendant la grossesse ou l’allaitement
« 1. Une recherche sur une femme enceinte dont les résultats attendus
ne comportent pas de bénéfice direct pour sa santé, ou
celle de l’embryon, du fœtus ou de l’enfant après sa
naissance, ne peut être entreprise que si les conditions supplémentaires
suivantes sont réunies :
i. la recherche a pour objet de contribuer à l’obtention, à
terme, de résultats permettant un bénéfice pour d’autres
femmes en relation avec la procréation, ou pour d’autres embryons,
fœtus ou enfants ;
(...) »
Le rapport explicatif reprend les termes du rapport explicatif à la Convention.
D. Le rapport du Groupe de travail sur la protection
de l’embryon et du fœtus humains : la protection de l’embryon
humain in vitro (2003)
39. Le Groupe de travail sur la protection de l’embryon et du fœtus
humains du Comité directeur pour la bioéthique a formulé
la conclusion suivante dans un rapport établi en 2003 :
« Ce rapport a pour but de présenter une vue d’ensemble des
positions actuelles en Europe sur la protection de l’embryon humain in
vitro et des arguments qui les sous-tendent.
Il montre un large consensus sur la nécessité d’une protection
de l’embryon in vitro. Néanmoins, la définition du statut
de l’embryon reste un domaine où l’on rencontre des différences
fondamentales reposant sur des arguments forts. Ces divergences sont, dans une
large mesure, à l’origine de celles rencontrées sur les
questions ayant trait à la protection de l’embryon in vitro.
Toutefois, même en l’absence d’accord sur le statut de l’embryon,
la possibilité de réexaminer certaines questions à la lumière
des récents développements dans le domaine biomédical et
des avancées thérapeutiques potentielles, pourrait être
envisagée. Dans ce contexte, tout en reconnaissant et respectant les
choix fondamentaux des différents pays, il semble possible et souhaitable
– au regard de la nécessité de protéger l’embryon
in vitro reconnue par tous les pays – d’identifier des approches
communes afin d’assurer des conditions adéquates d’application
des procédures impliquant la constitution et l’utilisation d’embryons
in vitro. Ce rapport se veut une aide à la réflexion vers cet
objectif. »
E. Le Groupe européen d’éthique
des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission européenne
40. Ce groupe a notamment émis l’avis suivant sur les aspects éthiques
de la recherche impliquant l’utilisation d’embryons humains dans
le contexte du 5e programme-cadre de recherche (23 novembre 1998) :
« (...)
Contexte juridique
Controverses sur les notions de « débuts de la vie humaine »
et de « personnalité humaine »
Les législations en vigueur dans les Etats membres diffèrent sensiblement
quant à la question de savoir quand commence la vie humaine et à
partir de quand apparaît la « personnalité » humaine.
Force est de constater qu’il n’existe, en effet, aucune définition
consensuelle, ni scientifique, ni juridique, des débuts de la vie.
On distingue cependant deux grandes conceptions du statut moral de l’embryon
et par conséquent de la protection juridique dont il doit bénéficier
:
Dans la première conception, l’embryon n’est pas un être
humain et ne mérite donc qu’une protection limitée ;
Dans la seconde, l’embryon jouit du statut moral de tout être humain
et doit donc bénéficier à ce titre d’une protection
étendue.
Ce débat, qui a des incidences sur les règles à appliquer
à la recherche sur l’embryon, est loin d’être clos.
Récemment encore, lors des négociations de la Convention du Conseil
de l’Europe sur les droits de l’homme et la biomédecine,
les pays signataires ne sont pas parvenus à s’entendre sur le statut
juridique de l’embryon, et n’ont donc pu trancher la question de
l’admissibilité de la recherche sur l’embryon. Ils ont donc
renvoyé aux lois des Etats le soin de statuer sur cette question. Cependant,
l’article 18 de la Convention stipule dans son premier alinéa :
lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci
assure une protection adéquate de l’embryon.
(...)
Différences dans la définition même de l’embryon humain
Dans la plupart des Etats membres, il n’existe aucune définition
juridique de l’embryon humain (Belgique, Danemark, Finlande, France, Grèce,
Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal et Suède).Dans les autres
Etats (Allemagne, Autriche, Espagne et Royaume-Uni), la loi retient des notions
très variables quant à la définition de l’embryon
(...)
(...)
Portée variable des législations nationales
La portée des législations nationales concernant la recherche
sur l’embryon est extrêmement variable.
Dans certains Etats, la recherche sur l’embryon humain n’est permise
qu’au bénéfice de l’embryon concerné (Allemagne,
Autriche). Dans d’autres Etats, elle n’est autorisée qu’à
titre tout à fait exceptionnel (France, Suède) ou à de
strictes conditions (Danemark, Espagne, Finlande, Royaume-Uni).
(...)
Diversité des points de vue
La diversité des points de vue quant au caractère moralement acceptable
ou non de la recherche sur les embryons humains in vitro traduit des divergences
entre principes éthiques, conceptions philosophiques et traditions nationales.
Cette diversité est à la base même de la culture européenne.
Deux approches s’opposent notamment : l’approche déontologique
qui veut que nos devoirs et nos principes conditionnent la finalité et
les conséquences de nos actions ; l’approche utilitaire ou «
téléologique » qui implique que les actions humaines soient
évaluées en fonction des moyens et des fins poursuivies (ou des
conséquences).
(...)
Le groupe émet l’avis suivant :
En préambule, il apparaît fondamental de rappeler que le progrès
de la connaissance en sciences de la vie, lequel a une valeur éthique
en soi, ne saurait cependant prévaloir sur les droits fondamentaux de
l’homme et sur le respect dû à tous les membres de la famille
humaine.
L’embryon humain, quel que soit le statut moral ou légal qui lui
est reconnu au regard des différentes cultures et des différentes
approches éthiques qui ont cours en Europe, mérite donc la protection
de la loi. Alors même qu’il existe un continuum de la vie humaine,
cette protection doit être renforcée au fur et à mesure
du développement de l’embryon et du fœtus.
Le Traité de l’Union, qui ne prévoit pas de compétence
législative communautaire dans les domaines de la recherche et de la
médecine, implique qu’une telle protection relève des législations
nationales (comme c’est également le cas de la procréation
médicalement assistée et de l’interruption volontaire de
grossesse). Il n’en reste pas moins cependant que les instances communautaires
doivent se préoccuper des questions éthiques soulevées
par les pratiques médicales ou de recherche intéressant les débuts
de la vie humaine.
Les instances communautaires doivent aborder ces questions éthiques en
tenant compte des divergences morales et philosophiques reflétées
par l’extrême diversité des règles juridiques applicables
à la recherche sur l’embryon humain dans les quinze Etats membres.
En effet, il serait non seulement juridiquement délicat d’imposer
en ce domaine une harmonisation des législations nationales mais, du
fait de l’absence de consensus, il serait également inopportun
de vouloir édicter une morale unique, exclusive de toutes les autres.
Le respect des différences d’approches philosophiques, morales,
voire juridiques, propres à chaque culture nationale est consubstantiel
à la construction de l’Europe.
D’un point de vue éthique, le caractère multiculturel de
la société européenne invite à la tolérance
mutuelle, tant les peuples que les responsables politiques des Nations de l’Europe
qui ont choisi, de manière unique, de lier leur destin tout en assurant
le respect mutuel de traditions historiques particulièrement fortes.
D’un point de vue juridique, ce multiculturalisme a pour base l’article
6 du Traité d’Amsterdam (ex-article F du Traité de Maastricht)
qui fait dériver les droits fondamentaux, reconnus au niveau de l’Union,
notamment des « traditions constitutionnelles communes aux Etats membres
» et qui proclame, par ailleurs, que « l’Union respecte l’identité
nationale de ses Etats membres ».
Il résulte des principes ci-dessus définis que, dans le cadre
des programmes de recherche européens, la question de la recherche sur
l’embryon humain doit être envisagée, tant du point de vue
du respect des principes éthiques fondamentaux communs à tous
les Etats membres, qu’en tenant compte de la diversité de conceptions
philosophiques et éthiques exprimées à travers les différentes
pratiques et réglementations nationales en vigueur en ce domaine.
(...) »
IV. DROIT COMPARÉ
41. Dans la majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe,
l’incrimination d’homicide involontaire ne s’applique pas
au fœtus. Cependant, trois pays ont fait le choix d’incriminations
spécifiques. En Italie, l’article 17 de la loi du 22 mai 1978 relative
à l’avortement prévoit un emprisonnement de trois mois à
deux ans à l’encontre de celui qui cause une interruption de grossesse
par imprudence. En Espagne, l’article 157 du code pénal prévoit
une incrimination concernant les dommages causés à un fœtus
et l’article 146 punit l’avortement provoqué par une «
imprudence grave ». En Turquie, l’article 456 du code pénal
prévoit que celui qui cause involontairement un préjudice à
quiconque sera puni d’une peine de six mois à un an d’emprisonnement
; si la victime est une femme enceinte et que le préjudice a provoqué
une naissance prématurée, le code pénal prévoit
une peine de deux à cinq ans d’emprisonnement.
EN DROIT
I. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE
42. Le Gouvernement soutient principalement que la requête est incompatible
ratione materiae avec les dispositions de la Convention car l’article
2 de celle-ci ne s’appliquerait pas à l’enfant à naître.
Il estime par ailleurs que la requérante disposait d’une voie de
droit de nature à redresser son grief, à savoir obtenir la condamnation
du centre hospitalier à des dommages-intérêts par l’introduction
d’un recours devant les juridictions administratives. Dès lors,
elle n’aurait pas épuisé les voies de recours internes conformément
à l’article 35 § 1 de la Convention. A titre subsidiaire,
il considère que la requête doit être rejetée pour
défaut manifeste de fondement.
43. La requérante dénonce l’absence de protection de l’enfant
à naître au regard de la loi pénale française et
soutient que l’Etat a manqué à ses obligations au regard
de l’article 2 de la Convention en ne retenant pas la qualification d’homicide
involontaire en cas d’atteinte portée à celui-ci. Par ailleurs,
elle juge le recours devant les juridictions administratives inefficace car
inapte à faire reconnaître, en tant que tel, l’homicide commis
sur son enfant. Enfin, la requérante affirme qu’elle disposait
d’un choix entre la voie pénale et la voie administrative, et que
si le choix de la première, sans qu’elle ait pu le prévoir,
s’est soldé par un échec, la seconde s’était
fermée entre-temps par le jeu de la prescription.
44. La Cour constate que l’examen de la requête pose la question
de savoir si l’article 2 de la Convention est applicable à une
interruption involontaire de grossesse et, dans l’affirmative, si cette
disposition exigeait dans les circonstances de l’espèce la possibilité
d’un recours de nature pénale ou si les exigences de l’article
2 se trouvaient satisfaites par l’existence d’un recours en responsabilité
devant la juridiction administrative. Ainsi formulées, les exceptions
tirées de l’incompatibilité ratione materiae de la requête
avec les dispositions de la Convention et du défaut d’épuisement
des voies de recours internes sont très étroitement liées
à la substance du grief énoncé par la requérante
sur le terrain de l’article 2. Partant, la Cour estime opportun de joindre
ces exceptions au fond (voir, notamment, Airey c. Irlande, arrêt du 9
octobre 1979, série A no 32, p. 11, § 19).
45. La requête ne saurait dès lors être déclarée
irrecevable soit comme incompatible ratione materiae avec les dispositions de
la Convention soit pour non-épuisement des voies de recours internes
au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Par ailleurs, la Cour
estime que la requête soulève des questions de fait et de droit
qui nécessitent un examen au fond. La Cour conclut par conséquent
qu’elle n’est pas manifestement mal fondée. Constatant en
outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité,
la Cour la déclare recevable.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE
L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION
46. La requérante dénonce le refus des autorités de qualifier
d’homicide involontaire l’atteinte à la vie de l’enfant
à naître qu’elle portait. Elle se plaint que l’absence
d’une législation pénale visant à réprimer
et sanctionner une telle atteinte constitue une violation de l’article
2 de la Convention, lequel est ainsi libellé :
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé
par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement,
sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par
un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la
loi.
2. La mort n’est pas considérée comme infligée en
violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un
recours à la force rendu absolument nécessaire :
a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale
;
b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher
l’évasion d’une personne régulièrement détenue
;
c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute
ou une insurrection. »
A. Thèses des parties
1. La requérante
47. La requérante affirme que le commencement de la vie a un sens et
une définition universels. Même si cela est dans la nature des
choses, on démontre aujourd’hui scientifiquement que toute vie
commence dès la fécondation. C’est une constatation expérimentale.
L’enfant conçu et non encore né n’est ni un amas de
cellules, ni une chose ; il est une personne. Dans le cas contraire, il faudrait
conclure qu’elle n’a en l’espèce rien perdu. Une telle
hypothèse n’est pas admissible pour une femme enceinte. Ainsi,
le terme « personne » employé à l’article 2
de la Convention est à prendre au sens d’être humain et non
pas au sens d’individu revêtant les attributs de la personnalité
juridique. C’est bien ainsi que l’ont compris le Conseil d’Etat
et la Cour de cassation qui, acceptant d’apprécier la compatibilité
de la loi sur l’interruption de grossesse avec l’article 2, ont
nécessairement admis que l’enfant à naître relevait,
dès les premiers instants de sa vie intra-utérine, du champ d’application
de cette disposition (Conseil d’Etat ass., 21 décembre 1990, Recueil
Lebon, p. 368 ; Cass. crim., 27 novembre 1996, Bull. crim. no 431).
48. Selon la requérante, le droit français garantit à tout
être humain le droit à la vie dès l’instant de sa
conception sous réserve de certaines exceptions prévues par la
loi, en matière d’avortement. A cet égard, elle ajoute qu’à
l’exception de l’avortement thérapeutique, toute autre forme
d’avortement est incompatible avec l’article 2 de la Convention
du fait de l’atteinte portée au droit à la vie de l’enfant
conçu. Même dans l’hypothèse où l’on
admet que les Etats peuvent autoriser, sous certaines conditions, les femmes
qui le demandent à recourir à l’avortement, les Etats contractants
ne seraient pas libres d’exclure l’enfant à naître
de la protection de l’article 2. Le principe devrait être distingué
de l’exception. L’article 1er de la loi de 1975 relative à
l’interruption volontaire de grossesse (repris aux articles 16 du code
civil et L. 2211-1 du code de la santé publique, paragraphe 28 ci-dessus)
poserait le principe, à savoir le respect de tout être humain dès
le commencement de la vie, et prévoirait ensuite l’exception en
cas de nécessité et selon les conditions définies par la
loi. Le législateur aurait, par ailleurs, implicitement admis que la
vie commence dès l’instant de la conception en posant un certain
nombre de règles protégeant l’embryon in vitro dans les
lois de bioéthique du 29 juillet 1994 (paragraphe 34 ci-dessus). Ainsi,
si la mort pourrait exceptionnellement prévaloir sur la vie, cette dernière
resterait la valeur essentielle défendue par la Convention. L’exception
ne devrait pas exclure la condamnation d’un tiers qui, par sa propre imprudence,
fait périr un enfant à naître. La volonté de la mère
ne saurait être assimilée à l’imprudence d’un
tiers. La Cour pourrait donc affirmer que la loi des Parties contractantes doit
assurer la protection de l’enfant conçu en réprimant pénalement
l’homicide involontaire commis à son encontre même si cette
loi autorise par ailleurs le recours à l’avortement.
49. La requérante rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, les
Etats ont « le devoir primordial d’assurer le droit à la
vie en mettant en place une législation pénale concrète
dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et s’appuyant
sur un mécanisme d’application conçu pour (...) prévenir,
réprimer et sanctionner les violations » (arrêts Kiliç
c. Turquie, no 22492/93, § 62, CEDH 2000-III, et Mahmut Kaya c. Turquie,
no 22535/93, § 85, CEDH 2000-III). D’après elle, l’infléchissement
de la jurisprudence amorcé par l’arrêt Calvelli et Ciglio
c. Italie ([GC], no 32967/96, § 51, CEDH 2002-I) selon lequel, dans l’hypothèse
d’une atteinte involontaire à la vie, le système judiciaire
n’exige pas nécessairement un recours de nature pénale,
ne peut être suivi en l’espèce car un recours de nature civile
« ne permet pas d’exprimer la réprobation publique face à
une infraction [aussi] grave (...) qu’un homicide » (opinion partiellement
dissidente de M. le juge Rozakis, à laquelle ont déclaré
se rallier M. Bonello et Mme Stránická, juges, dans l’arrêt
Calvelli et Ciglio précité). La protection du droit à la
vie garanti par l’article 2 s’en trouverait dépréciée.
C’est la raison pour laquelle la requérante considère que
la création du délit d’interruption involontaire de grossesse
répond au vide créé par la Cour de cassation et comble
la carence de l’Etat relative à son devoir de protection de l’être
humain dans sa forme la plus jeune (paragraphe 32 ci-dessus).
50. La requérante fait valoir qu’elle disposait d’une option
entre les voies pénale et administrative et qu’elle pouvait choisir
entre les deux ordres de juridictions. Elle explique qu’elle a choisi
la première parce que, d’une part, celle-ci était la seule
apte à faire reconnaître, en tant que tel, l’homicide involontaire
commis sur son enfant et que, d’autre part, l’instruction pénale
facilitait la détermination des responsabilités. A son avis, rien
ne laissait présager que la voie pénale serait vouée à
l’échec, la position de la Cour de cassation prise en l’espèce
en 1999, confirmée ensuite en 2001 et 2002, semblant loin d’être
acquise eu égard à la jurisprudence résistante des cours
d’appel et à la critique quasi unanime de la doctrine (paragraphe
31 ci-dessus). Ainsi, dans un arrêt du 3 février 2000 (cour d’appel
(CA) de Reims, Dalloz 2000, jurisp., p. 873), la cour d’appel a condamné
pour homicide involontaire un automobiliste qui avait percuté un véhicule
blessant grièvement la conductrice enceinte de huit mois et causant par
la suite le décès du bébé (voir également
CA Versailles, 19 janvier 2000, inédit). La requérante conclut
qu’elle n’avait a priori aucune raison de saisir les juridictions
administratives et soutient qu’elle n’aurait pu le savoir qu’après
la relaxe du docteur G., prononcée par le tribunal correctionnel. Cependant,
à cette date, l’action contre l’administration était
déjà prescrite. C’est pourquoi le recours devant les juridictions
administratives ne saurait passer pour efficace au sens de l’article 35
§ 1 de la Convention.
2. Le Gouvernement
51. Après avoir souligné que ni la métaphysique ni la médecine
ne donnent de réponse définitive à la question de savoir
si, et à partir de quel moment, le fœtus est un être humain,
le Gouvernement affirme que sur le plan juridique l’article 2 de la Convention
ne protège pas le droit à la vie du fœtus en qualité
de personne. L’expression « toute personne » contenue à
l’article 2 mais également aux articles 5, 6, 8 à 11 et
13 de la Convention serait utilisée de telle manière qu’elle
ne pourrait s’appliquer qu’après la naissance (X c. Royaume-Uni,
no 8416/79, décision de la Commission du 13 mai 1980, Décisions
et rapports (DR) 19, p. 244). L’article 2, pris isolément, conduirait
à la même observation car les limitations apportées au droit
à la vie de « toute personne » prévues au paragraphe
2 concernent toutes, de par leur nature, les personnes déjà nées.
52. Quant au « droit à la vie », visé dans le même
article, il ne pourrait davantage être interprété comme
s’appliquant au fœtus et concernerait uniquement la vie de personnes
déjà nées vivantes car il ne serait ni cohérent
ni justifié de dissocier ce droit du sujet auquel il se rattache, en
l’occurrence la personne. A la différence de l’article 4
§ 1 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme
de 1969 selon lequel « Toute personne a droit au respect de sa vie. Ce
droit doit être protégé par la loi, et en général
à partir de la conception », les Etats signataires de la Convention
n’auraient pas envisagé une telle extension de l’article
2 de la Convention au motif que, déjà en 1950, la quasi-totalité
des Parties contractantes autorisaient l’avortement dans certaines circonstances.
Reconnaître que le fœtus bénéficie du droit à
la vie au sens de l’article 2 place sur un pied d’égalité
la vie de la mère et celle du fœtus. Par ailleurs, privilégier
la sauvegarde de la vie du second ou la mettre en balance avec l’unique
risque à la fois grave, immédiat et insurmontable pour la vie
de la mère constituerait une régression historique et sociale
ainsi qu’une remise en cause des législations en vigueur dans de
nombreux Etats parties à la Convention.
53. Le Gouvernement rappelle que la Commission s’est interrogée
sur le point de savoir s’il était opportun d’accorder au
fœtus un droit à la vie assorti de certaines limitations tenant
à la protection de la vie et de la santé de la mère (X
c. Royaume-Uni, décision précitée). Il estime qu’une
telle limitation ne permettrait pas de légitimer l’avortement fondé
sur des considérations thérapeutiques, morales ou sociales comme
plusieurs législations nationales l’autorisaient pourtant déjà
au moment de la négociation de la Convention. Cela reviendrait à
sanctionner des Etats ayant fait le choix du droit à l’avortement
en tant qu’expression et application du droit des femmes à disposer
de leur corps et à maîtriser leur maternité. Or les Etats
parties n’ont pas voulu conférer à l’expression «
droit à la vie » un sens couvrant le fœtus, de manière
manifestement contraire à leur droit interne.
54. Eu égard à ce qui précède, le Gouvernement considère
que la Convention n’est pas adaptée au cas du fœtus et que
si les Etats européens avaient la volonté de protéger efficacement
le droit à la vie de celui-ci un texte distinct de l’article 2
devrait être élaboré. Une interprétation de l’article
2 selon laquelle le droit à la vie admettrait des exceptions implicites
ne serait conforme ni à sa lettre ni à son esprit. D’une
part, les exceptions visées constitueraient une liste limitative et il
ne saurait en être autrement à l’égard d’un
droit aussi fondamental : le Gouvernement se réfère à l’affaire
Pretty c. Royaume-Uni (no 2346/02, § 37, CEDH 2002-III), où la Cour
a dit que l’article 2 « définit les circonstances limitées
dans lesquelles il est permis d’infliger intentionnellement la mort ».
D’autre part, ces exceptions doivent être comprises strictement
et interprétées de façon étroite (Öcalan c.
Turquie, no 46221/99, § 201, 12 mars 2003).
55. Le Gouvernement observe qu’en l’espèce l’avortement
thérapeutique de la requérante a pour origine des actes commis
par le médecin au-delà de la période légale d’avortement
qui était à l’époque de dix semaines et qui est actuellement
de douze semaines (paragraphes 27-28 ci-dessus). Toutefois, si la Cour devait
estimer que cette circonstance autorise l’application de l’article
2 – le fœtus devant être considéré comme une
personne protégée par cette disposition – il rappelle que,
dans plusieurs Etats européens, le délai légal d’avortement
atteint parfois plus de vingt semaines, comme aux Pays-Bas ou en Angleterre
(où l’avortement peut être pratiqué jusqu’à
vingt-quatre semaines). Sauf à remettre en cause les législations
nationales et la marge d’appréciation dont les autorités
nationales jouissent dans ce domaine, l’article 2 ne saurait dès
lors être applicable à l’enfant à naître. C’est
aussi la raison pour laquelle, selon le Gouvernement, la question de la viabilité
du fœtus en l’espèce n’est pas pertinente. Il serait
paradoxal que les Etats disposent d’une marge d’appréciation
leur permettant d’exclure le fœtus de la protection de l’article
2 dans le cas où un arrêt de grossesse est intentionnellement pratiqué
avec le consentement de la mère et parfois à cette seule condition,
sans qu’il leur soit reconnu la même marge d’appréciation
pour exclure du champ d’application de cette disposition le fœtus
dans l’hypothèse d’une grossesse interrompue à cause
d’une faute involontaire.
56. A titre subsidiaire, le Gouvernement rappelle qu’en droit français
le fœtus bénéficie d’une protection indirecte à
travers le corps de la femme enceinte dont il est l’extension. Il en est
ainsi lorsque l’avortement est provoqué intentionnellement hors
les cas limitativement énumérés par la loi (article 223-10
du code pénal, paragraphe 25 ci-dessus) ou à la suite d’un
accident. Dans cette dernière hypothèse, les mécanismes
classiques de la responsabilité civile auraient vocation à s’appliquer
: la mère peut être indemnisée pour son préjudice
personnel, matériel, moral, qui prend nécessairement en compte
le fait de la grossesse. Par ailleurs, au plan pénal, si une personne
quelconque provoque par maladresse une interruption de grossesse, elle pourra
être poursuivie pour blessures involontaires, la destruction du fœtus
s’analysant comme une altération des organes de la femme.
57. Le Gouvernement soutient que la requérante pouvait obtenir la condamnation
du centre hospitalier pour la faute du médecin dans le délai de
prescription quadriennale de l’action en responsabilité administrative.
Il explique que les victimes des dommages causés par les agents publics
de l’administration bénéficient de deux voies de recours
distinctes. Si la faute à l’origine de leur préjudice est
une faute personnelle de l’agent, détachable de l’exercice
de ses fonctions, la victime pourra en obtenir réparation en attrayant
ledit agent devant une juridiction judiciaire ; si la faute génératrice
du dommage révèle un dysfonctionnement de l’administration,
il s’agira d’une faute de service qui tombe dans la compétence
du juge administratif. Le Gouvernement fait valoir que, dans l’arrêt
Epoux V. (CE, 10 avril 1992), le Conseil d’Etat a abandonné l’exigence
d’une faute lourde pour engager la responsabilité du service hospitalier.
En outre, est considérée comme une exception à la responsabilité
de l’hôpital en cas de faute médicale la faute personnelle
détachable du service qui est soit purement personnelle, c’est-à-dire
dépourvue de tout lien avec le service, ce qui n’était pas
le cas en l’espèce, soit intentionnelle ou d’une exceptionnelle
gravité, ce qui s’entend d’une faute professionnelle inexcusable
dont la gravité lui fait perdre son caractère indissociable du
service à l’occasion duquel elle a été commise. En
réalité, le Gouvernement explique que la faute personnelle de
l’agent et la faute de service sont le plus souvent mêlées,
notamment en matière de blessures ou d’homicide involontaires.
C’est la raison pour laquelle le Conseil d’Etat a très vite
admis que la responsabilité personnelle de l’agent n’est
pas exclusive de celle de son administration de rattachement (CE, Epoux Lemonnier,
1918). Pour le Gouvernement, la requérante disposait donc de la possibilité
de demander réparation de son préjudice devant le juge administratif
dès la réalisation de ce préjudice, sans devoir attendre
l’issue de la procédure pénale. Son action aurait eu d’autant
plus de chances de succès que la mise en cause de la responsabilité
de l’administration hospitalière implique uniquement la démonstration
d’une faute simple et les expertises judiciaires relevaient précisément
des problèmes d’organisation du service hospitalier. On peut donc
légitimement penser que les juridictions administratives en seraient
venues à la même conclusion.
58. Le Gouvernement affirme que ce recours était efficace et suffisant
au regard des obligations positives découlant de l’article 2 de
la Convention (Calvelli et Ciglio, précité) et que la requérante
s’est privée par son inaction ou sa propre négligence d’une
voie de recours qui lui était pourtant ouverte pendant quatre ans à
compter de la survenance du dommage et pour laquelle elle pouvait bénéficier
des conseils de ses avocats. Dans l’affaire Calvelli et Ciglio, l’applicabilité
de l’article 2 de la Convention à un nouveau-né ne faisait
pas de doute. Dans le cas d’espèce, où l’application
de l’article 2 est contestable, il y aurait donc des raisons supplémentaires
pour estimer que la possibilité de mettre en œuvre les mécanismes
de responsabilité civile ou administrative est suffisante. Pour le Gouvernement,
cette action en responsabilité aurait pu se fonder sur l’atteinte
à la vie de l’enfant que portait la requérante car la jurisprudence
des juridictions administratives en la matière ne semble pas exclure,
à ce jour, la possibilité de faire bénéficier les
embryons de la protection énoncée à l’article 2 de
la Convention (CE ass., Confédération nationale des associations
familiales catholiques et autres, arrêt précité du 21 décembre
1990 – paragraphe 47 ci-dessus). Au moment des faits, la question n’était
en tout cas pas clairement tranchée par le Conseil d’Etat.
59. En conclusion, le Gouvernement considère que, à supposer même
que l’article 2 soit applicable en l’espèce, cette disposition
n’imposerait pas, s’agissant d’une faute involontaire, que
la vie du fœtus soit protégée par le droit pénal,
ainsi que cela prévaut dans bon nombre de pays européens.
B. Les tierces interventions
1. Le Centre des droits génésiques
60. Selon le Centre des droits génésiques (ci-après «
CCR », pour « Center for Reproductive Rights »), reconnaître
au fœtus à naître la qualité de sujet de droit et donc
de « personne » au sens de l’article 2 de la Convention n’est
pas possible faute de fondement juridique pour le faire d’une part (i),
et en raison de l’atteinte qu’une telle reconnaissance porterait
aux droits fondamentaux des femmes d’autre part (ii). Il conclut au caractère
peu opportun de l’extension de droits au fœtus car la perte d’un
fœtus désiré représente un dommage subi par la future
mère (iii).
61. (i) L’affirmation selon laquelle le fœtus est une personne irait
à l’encontre de la jurisprudence des organes de la Convention,
de celle des législations des Etats membres du Conseil de l’Europe,
des normes internationales et de la jurisprudence des tribunaux du monde entier.
S’appuyant sur les décisions X c. Royaume-Uni (décision
de la Commission précitée), H. c. Norvège (no 17004/90,
décision de la Commission du 19 mai 1992, DR 73, p. 155) et plus récemment
Boso c. Italie (no 50490/99, CEDH 2002-VII), par lesquelles Commission et Cour
ont considéré que l’octroi au fœtus des mêmes
droits qu’aux personnes entraînerait des restrictions abusives aux
droits reconnus par l’article 2 aux personnes déjà nées,
le CCR ne voit pas de raison de s’en départir sauf à remettre
en cause le droit à l’avortement dans tous les Etats membres du
Conseil de l’Europe.
62. Les législations européennes, pas plus que leur interprétation
par les juridictions nationales, ne font du fœtus une personne. Le CCR
rappelle la position constante de la Cour de cassation (paragraphe 29 ci-dessus)
qui serait conforme à la distinction établie par le droit français
entre les notions d’« être humain » et de « personne
», la première étant une notion biologique, la seconde un
concept juridique attaché à une catégorie juridique dont
les droits prennent effet et sont acquis à la naissance bien que, dans
certaines circonstances, les droits acquis à la naissance puissent prendre
effet rétroactivement à la conception. Les juridictions nationales
ont par ailleurs abordé la question du statut juridique de la personne
dans le cadre de l’avortement. Ainsi, les Cours constitutionnelles autrichienne
et néerlandaise ont considéré qu’il ne fallait pas
interpréter l’article 2 comme protégeant l’enfant
à naître, et le Conseil constitutionnel français a estimé
qu’il n’y avait pas de conflit entre la législation sur l’interruption
volontaire de grossesse et la protection constitutionnelle du droit à
la santé de l’enfant (décision no 74-54 du 15 janvier 1975).
Cette interprétation est conforme aux législations en la matière
dans toute l’Europe : à l’exception d’Andorre, de l’Irlande,
du Liechtenstein, de Malte, de la Pologne et de Saint-Marin qui ont maintenu
des restrictions sévères à l’avortement (avec uniquement
des exceptions thérapeutiques très étroites), trente-neuf
Etats membres du Conseil de l’Europe permettent à une femme de
mettre un terme à sa grossesse sans restriction pendant le premier trimestre
ou pour des motifs thérapeutiques très larges.
63. S’agissant des normes internationales et régionales, le CCR
observe que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques n’indique
pas si le droit à la vie s’applique au fœtus. Cela étant,
il précise que le Comité des droits de l’homme a constamment
souligné la menace pour la vie des femmes que représentent les
avortements pratiqués dans l’illégalité. Il en est
de même de la Convention relative aux droits de l’enfant et de l’interprétation
par le Comité des droits de l’enfant de l’article 6 selon
lequel « tout enfant a un droit inhérent à la vie ».
A plusieurs occasions, le comité s’est préoccupé
de la difficulté des adolescentes à bénéficier d’interruption
de grossesse dans de bonnes conditions de sécurité et a exprimé
sa crainte quant à l’incidence d’une législation répressive
sur les taux de mortalité maternelle. La jurisprudence du système
régional américain, nonobstant l’article 4 de la Convention
américaine relative aux droits de l’homme (paragraphe 52 ci-dessus),
n’offre pas une protection absolue au fœtus avant la naissance. La
Commission interaméricaine a estimé en effet, dans l’affaire
« Baby boy » (1981), que l’article 4 précité
ne faisait pas obstacle à la législation fédérale
libérale sur l’interruption volontaire de grossesse. Quant à
l’Organisation de l’Union africaine, elle a adopté le Protocole
relatif aux droits des femmes le 11 juillet 2003, en vue de compléter
la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 27 juin 1981,
qui élargit la protection garantie au droit des femmes de mettre un terme
à leur grossesse.
64. Enfin, parmi les Etats non européens, le CCR note que les Cours suprêmes
du Canada et des Etats-Unis se sont refusées à traiter les fœtus
à naître comme des sujets de droits (affaires Winnipeg Child Family
Services v. G. (1997) et Roe v. Wade (1973)). La seconde a réitéré
cette jurisprudence, dans une affaire récente en l’an 2000 (Stenberg
v. Carhart), dans laquelle elle a déclaré inconstitutionnelle
une loi d’un Etat fédéré qui interdisait certaines
méthodes d’avortement et ne prévoyait aucune protection
pour la santé des femmes. De même, en Afrique du Sud, se prononçant
sur une demande contestant la constitutionnalité de la loi récemment
adoptée sur l’interruption volontaire de grossesse, qui autorisait
l’avortement, sans restriction pendant le premier trimestre et pour de
larges motifs aux stades ultérieurs de la grossesse, la High Court sud-africaine
a considéré que le fœtus n’avait pas de personnalité
juridique (affaire Christian Lawyers Association of South Africa and Others
v. Minister of Health and Others, 1998).
65. (ii) Selon le CCR, la reconnaissance de droits au fœtus porte notamment
atteinte aux droits fondamentaux de la femme à la vie privée.
Dans l’affaire Brüggemann et Scheuten c. Allemagne (no 6959/75, rapport
de la Commission du 12 juillet 1977, DR 10, p. 123), la Commission aurait implicitement
admis qu’une interdiction absolue de l’avortement représente
une atteinte prohibée au droit à la vie privée sur le terrain
de l’article 8 de la Convention. Par la suite, tout en rejetant l’idée
que l’article 2 protège le droit à la vie des fœtus,
les organes de la Convention auraient en outre reconnu que le droit au respect
de la vie privée garanti à la femme enceinte, en tant que personne
essentiellement concernée par la grossesse, sa poursuite ou son interruption,
primait sur les droits du père (paragraphe 61 ci-dessus). En plus de
ce respect, c’est la préservation de la vie et de la santé
d’une femme enceinte qui prévaut ; en considérant que des
restrictions aux échanges d’informations sur l’avortement
créaient un risque pour la santé des femmes dont les grossesses
menaçaient la vie, la Cour a conclu que l’injonction était
« disproportionnée aux objectifs poursuivis » et que, dès
lors, l’intérêt présenté par la santé
d’une femme dépassait l’intérêt moral déclaré
d’un Etat à protéger les droits du fœtus (Open Door
et Dublin Well Woman c. Irlande, arrêt du 29 octobre 1992, série
A no 246-A).
66. (iii) De l’avis du CCR, le fait de ne pas reconnaître le fœtus
comme une personne au regard de l’article 2 n’empêche pas
de trouver un recours pour les dommages tels que celui qui a donné lieu
à la présente affaire. La perte d’un fœtus désiré
est un préjudice subi par la future mère. En conséquence,
les droits qui peuvent être défendus dans cette affaire sont ceux
de la requérante et non ceux du fœtus qu’elle a perdu. Il
relève du pouvoir législatif de chacun des Etats membres du Conseil
de l’Europe de réprimer au regard tant du droit civil que du droit
pénal les infractions commises par des individus qui causent un dommage
à une femme en provoquant la fin d’une grossesse désirée.
2. L’Association pour le planning familial
67. L’Association pour le planning familial (ci-après « FPA
», pour « Family Planning Association ») cherche essentiellement
à faire valoir que le droit à la vie consacré par l’article
2 de la Convention ne doit pas s’interpréter comme concernant aussi
l’enfant à naître (i). A l’appui de sa thèse,
la FPA présente à la Cour des éléments montrant
quelle est à l’heure actuelle la situation juridique en matière
d’avortement dans les Etats membres du Conseil de l’Europe (ii)
et un résumé sur le statut juridique de l’enfant à
naître en droit britannique (iii).
68. (i) La FPA rappelle que l’article 2 est rédigé de manière
à n’autoriser qu’un très petit nombre d’exceptions
à l’interdiction qu’il énonce d’infliger intentionnellement
la mort. L’interruption volontaire de grossesse ne fait pas partie des
exceptions prévues, lesquelles ne sauraient pas non plus être interprétées
comme englobant cette pratique. Les éléments récents montrent
que l’interruption volontaire de grossesse sur demande au cours du premier
trimestre est désormais couramment admise dans toute l’Europe et
que l’interruption volontaire de grossesse pour certains motifs au cours
du deuxième trimestre l’est aussi très largement. Si elle
devait considérer que l’article 2 s’applique à l’enfant
à naître dès la conception, ainsi que la requérante
le soutient, la Cour remettrait en question les lois sur l’avortement
adoptées par la plupart des Etats contractants. Par ailleurs, cela ferait
tomber dans l’illégalité la majorité des méthodes
de contraception actuellement utilisées dans toute l’Europe du
fait qu’elles agissent ou peuvent agir après la conception pour
empêcher la nidation. Cela aurait donc des conséquences désastreuses
tant sur les choix et la vie de chacun que sur la politique sociale. La High
Court anglaise a récemment admis que telle serait la conséquence
indésirable qui se produirait si elle souscrivait à l’argument
de la Society for the Protection of Unborn Children selon lequel les contraceptifs
hormonaux d’urgence sont des abortifs au motif que la grossesse commence
à la conception : voir Society for the Protection of Unborn Children
v. Secretary of State for Health, High Court, Administrative Court (England
and Wales) 2002, p. 610.
69. Il y aurait également lieu de rejeter la possibilité que l’article
2 s’applique au fœtus moyennant certaines limitations implicites,
par exemple au-delà d’un seuil critique (viabilité ou autre
critère lié à la durée de la grossesse). Les éléments
récents montrent que, en dehors du large consensus qui vient d’être
évoqué, il n’existe pas la moindre norme généralement
reconnue quant au nombre de semaines de grossesse pendant lequel l’avortement
est autorisé, aux motifs pour lesquels l’avortement peut être
pratiqué après un tel délai, ou aux conditions devant être
respectées.
70. (ii) Il existe des études récentes (International Planned
Parenthood Federation, Abortion Legislation in Europe, IPPF European Network,
juillet 2002, et Abortion Policies : A Global Review, Division de la population
de l’ONU, juin 2002) sur la situation juridique en matière d’avortement
dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, à l’exception
de la Serbie-Monténégro. Ces études montrent que quatre
Etats interdisent quasi totalement l’avortement, sauf lorsque la vie de
la femme enceinte est en danger (Andorre, Liechtenstein, Saint-Marin, Irlande),
alors que la grande majorité des Etats membres autorisent un recours
bien plus large à l’avortement. La possibilité, attestée
par ces études, de pratiquer celui-ci dans toute l’Europe concorde
avec la tendance générale à la libéralisation de
la législation sur l’avortement. Il ne ressort de la pratique des
Etats membres aucun accord général quant à la période
pendant laquelle l’avortement est autorisé après le premier
trimestre, ou quant aux conditions à satisfaire pour pouvoir accéder
à l’avortement aux stades ultérieurs de la grossesse. Les
motifs pour lesquels l’avortement est permis sans qu’il soit fait
mention d’un délai sont par ailleurs nombreux et variés.
En conséquence, la FPA soutient que si l’article 2 était
interprété comme s’appliquant à l’enfant à
naître à partir d’un certain moment, cela remettrait en question
la position juridique adoptée par plusieurs Etats au sein desquels l’interruption
de grossesse est possible pour certains motifs à un stade ultérieur
à celui que la Cour viendrait à déterminer.
71. (iii) Selon un principe général de la common law désormais
établi, la personnalité juridique au Royaume-Uni se concrétise
à la naissance. Avant ce stade, l’enfant à naître
n’a aucune personnalité juridique autonome par rapport à
celle de la femme enceinte. Néanmoins, malgré cette absence de
personnalité juridique, les intérêts de l’enfant à
naître sont souvent protégés pendant qu’il est dans
le ventre de sa mère, même s’ils ne peuvent s’imposer
comme des droits susceptibles d’être sanctionnés devant la
justice tant qu’il n’y a pas eu acquisition de la personnalité
juridique, à la naissance.
72. En droit civil, cela signifie spécifiquement qu’avant la naissance
l’enfant à naître n’a pas qualité pour entamer
une action en réparation ou faire usage d’autres recours juridictionnels
à raison d’un préjudice ou d’une atteinte subis in
utero, et qu’aucune plainte ne peut être présentée
en son nom (affaire Paton v. British Pregnancy Advisory Service Trustees, Queen’s
Bench Reports, 1979, p. 276). Des efforts ont été déployés
dans cette affaire et les décisions postérieures pour convaincre
la juridiction saisie que selon le droit successoral l’enfant à
naître peut être réputé « né »
ou « personne existante » (person in being) dès lors que
ses intérêts l’exigent. Néanmoins, l’affaire
Burton confirme que ce principe est également subordonné à
la condition que l’enfant soit né vivant (Queen’s Bench Reports,
1993, pp. 204, 227).
73. En droit pénal, il est bien établi que l’enfant à
naître n’est pas traité comme une personne juridique sous
l’angle des règles de la common law sur l’homicide volontaire
ou involontaire. Dans Attorney-General’s Reference (no 3, 1994), la House
of Lords a conclu que les dommages corporels subis par l’enfant à
naître lorsque celui-ci ne naît pas vivant ne pouvaient aboutir
à une condamnation pour meurtre, homicide involontaire ou autre crime
violent. Les droits de l’enfant à naître sont également
protégés par les dispositions du droit pénal se rapportant
à l’avortement. Les articles 58 et 59 de la loi de 1861 sur les
infractions contre les personnes (Offences against the Person Act 1861) ont
érigé en infraction le fait de provoquer un avortement et de fournir
les moyens d’en provoquer un. De même, en vertu de l’article
1 de la loi de 1929 sur la protection de la vie des nouveau-nés (Infant
Life (Preservation) Act 1929), la suppression de l’enfant à naître,
lorsque celui-ci est viable à la naissance, constitue une infraction
grave. Ces lois sont toujours en vigueur. L’avortement et la suppression
d’un enfant demeurent illégaux, sous réserve de l’application
de la loi de 1967 sur l’interruption volontaire de grossesse (Abortion
Act 1967).
C. Appréciation de la Cour
74. La requérante se plaint de l’impossibilité d’obtenir
la condamnation pénale du médecin ayant commis une erreur médicale
à la suite de laquelle elle a dû subir un avortement thérapeutique.
Il n’a pas été mis en doute que Mme Vo entendait mener sa
grossesse à terme et que son enfant était en bonne santé.
A la suite des faits, la requérante et son compagnon portèrent
plainte avec constitution de partie civile pour blessures involontaires commises
sur l’intéressée et pour homicide commis sur l’enfant
qu’elle portait. Les juridictions ont estimé que l’action
publique était éteinte en ce qui concerne la contravention de
blessures involontaires sur la personne de la requérante et, cassant
l’arrêt de la cour d’appel sur le second point, la Cour de
cassation a estimé que, au regard du principe selon lequel la loi pénale
est d’interprétation stricte, le fœtus ne pouvait être
victime d’un homicide involontaire. La question principale posée
par la requérante est donc celle de savoir si l’absence de recours
de nature pénale en droit français pour réprimer la suppression
involontaire d’un fœtus constitue un manquement par l’Etat
à son obligation de « protéger par la loi » le droit
de toute personne à la vie, garanti par l’article 2 de la Convention.
1. Etat de la jurisprudence
75. Contrairement à l’article 4 de la Convention américaine
relative aux droits de l’homme qui énonce que le droit à
la vie doit être protégé « en général
à partir de la conception », l’article 2 de la Convention
est silencieux sur les limites temporelles du droit à la vie et, en particulier,
il ne définit pas qui est la « personne » dont « la
vie » est protégée par la Convention. A ce jour, la Cour
n’a pas encore tranché la question du commencement du droit «
de toute personne à la vie », au sens de cette disposition, ni
celle de savoir si l’enfant à naître en est titulaire.
Cette question n’a été soulevée pour l’instant
qu’à travers les législations sur l’interruption volontaire
de grossesse. Celle-ci ne constitue pas une exception au nombre de celles énumérées
explicitement au paragraphe 2 de la Convention, mais elle est compatible avec
l’article 2 § 1, première phrase, selon l’ancienne Commission,
au nom de la protection de la vie et de la santé de la mère, parce
que « si l’on admet que cette disposition s’applique à
la phase initiale de la grossesse, l’avortement se trouve couvert par
une limitation implicite du « droit à la vie » du fœtus
pour, à ce stade, protéger la vie et la santé de la femme
» (X c. Royaume-Uni, décision de la Commission précitée,
p. 262).
76. Après avoir refusé, dans un premier temps, d’examiner
in abstracto la compatibilité de lois concernant l’interruption
volontaire de grossesse avec l’article 2 de la Convention (X c. Norvège,
no 867/60, décision de la Commission du 29 mai 1961, Recueil des décisions,
vol. 6, p. 34 ; X c. Autriche, no 7045/75, décision de la Commission
du 10 décembre 1976, DR 7, p. 87), la Commission a reconnu, dans l’affaire
Brüggemann et Scheuten (rapport de la Commission précité),
la qualité de victime à des femmes se plaignant, au regard de
l’article 8 de la Convention, de la décision de la Cour constitutionnelle
limitant le recours à l’interruption de grossesse. Elle a précisé
à cette occasion que l’« on ne saurait dire que la grossesse
relève uniquement du domaine de la vie privée. Lorsqu’une
femme est enceinte, sa vie privée devient étroitement associée
au fœtus qui se développe » (p. 138, § 59). Toutefois,
la Commission n’a pas estimé « nécessaire d’examiner,
à ce propos, si l’enfant à naître doit être
considéré comme une « vie » au sens de l’article
2 de la Convention, ou s’il doit être considéré comme
une entité qui puisse, sur le plan de l’article 8 § 2, justifier
une ingérence pour la protection d’autrui » (p. 138, §
60). Elle a conclu à l’absence de violation de l’article
8 de la Convention car « toute réglementation de l’interruption
des grossesses non désirées ne constitue pas une ingérence
dans le droit au respect de la vie privée de la mère » (pp.
138-139, § 61), tout en soulignant que « rien ne prouve que les Parties
à la Convention entendaient s’engager pour telle ou telle solution
» (p. 140, § 64).
77. Dans sa décision X c. Royaume-Uni, précitée, la Commission
s’est penchée sur la requête d’un mari qui se plaignait
de l’autorisation accordée à sa femme en vue d’un
avortement thérapeutique. Tout en considérant le père potentiel
comme « victime » d’une violation du droit à la vie,
elle a estimé, à propos du terme « toute personne »,
employé dans plusieurs articles de la Convention, qu’il ne pouvait
s’appliquer avant la naissance tout en précisant qu’on «
ne saurait (...) exclure une telle application dans un cas rare, par exemple
pour l’application de l’article 6 § 1 » (p. 259, §
7, et voir, pour une telle application sous l’angle de l’accès
au tribunal, Reeve c. Royaume-Uni, no 24844/94, décision de la Commission
du 30 novembre 1994, DR 79-B, p. 146). La Commission a ajouté que l’enfant
à naître n’est pas une « personne » au vu de
l’usage généralement attribué à ce terme et
du contexte dans lequel il est employé dans la disposition conventionnelle.
Quant au terme « vie », et en particulier le début de la
vie, il existe des « divergences de points de vue sur la question du moment
où [elle] commence (...). D’aucuns estiment qu’elle commence
dès la conception alors que d’autres ont tendance à insister
sur le moment de la nidation, sur celui où le fœtus devient «
viable » ou encore sur celui où il naît vivant » (X
c. Royaume-Uni, p. 260, § 12).
La Commission s’est ensuite interrogée sur le point de savoir si
« l’article 2 doit être interprété : comme ne
concernant pas (...) le fœtus ; comme reconnaissant au fœtus un «
droit à la vie » assorti de certaines limitations implicites ;
ou comme reconnaissant au fœtus un « droit à la vie »
de caractère absolu » (ibidem, p. 261, § 17). Tout en ne se
prononçant pas sur les deux premières hypothèses, elle
a alors exclu catégoriquement la dernière interprétation
eu égard à la protection nécessaire de la vie de la mère
indissociable de celle de l’enfant à naître : « la
« vie » du fœtus est intimement liée à la vie
de la femme qui le porte et ne saurait être considérée isolément.
Si l’on déclarait que la portée de l’article 2 s’étend
au fœtus et que la protection accordée par cet article devait, en
l’absence de limitation expresse, être considérée
comme absolue, il faudrait en déduire qu’un avortement est interdit,
même lorsque la poursuite de la grossesse mettrait gravement en danger
la vie de la future mère. Cela signifierait que la vie à naître
du fœtus serait considérée comme plus précieuse que
celle de la femme enceinte » (ibidem, pp. 261-262, § 19). Cette solution
fut retenue par la Commission alors que, dès 1950, quasiment toutes les
Parties contractantes « autorisaient l’avortement lorsqu’il
était nécessaire pour sauver la vie de la mère et que,
depuis lors, les législations nationales sur l’interruption de
la grossesse ont eu tendance à se libéraliser » (ibidem,
p. 262, § 20).
78. Dans l’affaire H. c. Norvège (décision de la Commission
précitée) concernant un avortement non thérapeutique pratiqué
contre la volonté du père, la Commission a ajouté que l’article
2 enjoint à l’Etat non seulement de s’abstenir de donner
la mort intentionnellement mais aussi de prendre les mesures nécessaires
à la protection de la vie (pp. 180-181). Elle a estimé «
n’avoir pas à décider du point de savoir si le fœtus
peut bénéficier d’une certaine protection au regard de la
première phrase de l’article 2 », sans exclure que «
dans certaines conditions, cela puisse être le cas, même s’il
existe dans les Etats contractants des divergences considérables quant
au point de savoir si et dans quelle mesure l’article 2 protège
la vie de l’enfant à naître » (p. 181). Elle a par
ailleurs relevé que, dans un domaine aussi délicat, les Etats
doivent jouir d’un certain pouvoir discrétionnaire et a conclu
que le choix de la mère, opéré conformément à
la législation norvégienne, cadrait avec celui-ci (p. 182).
79. La Cour n’a eu que peu d’occasions de se prononcer sur la question
de l’application de l’article 2 au fœtus. Dans l’arrêt
Open Door et Dublin Well Woman, déjà cité, le gouvernement
irlandais invoquait la protection de la vie de l’enfant à naître
pour justifier sa législation relative à l’interdiction
de diffuser des informations concernant l’interruption volontaire de grossesse
pratiquée à l’étranger. Seule reçut une réponse
la question de savoir si les restrictions à la liberté de communiquer
ou de recevoir les informations en cause étaient nécessaires dans
une société démocratique, au sens du paragraphe 2 de l’article
10 de la Convention, au « but légitime de protéger la morale,
dont la défense en Irlande du droit à la vie (...) constitue un
aspect » (arrêt précité, pp. 27-28, § 63), car
la Cour n’a pas considéré pertinent de déterminer
« si la Convention garantit un droit à l’avortement ou si
le droit à la vie, reconnu par l’article 2, vaut également
pour le fœtus » (ibidem, p. 28, § 66). Récemment, dans
des circonstances similaires à celles de l’affaire H. c. Norvège
précitée, à propos de la décision d’une femme
d’interrompre sa grossesse et de l’opposition du père à
un tel acte, la Cour a fait valoir qu’elle n’a pas « à
décider du point de savoir si le fœtus peut bénéficier
d’une protection au regard de la première phrase de l’article
2 telle qu’interprétée » par la jurisprudence relative
aux obligations positives du devoir de protection de la vie car « à
supposer même que, dans certaines circonstances, le fœtus puisse
être considéré comme titulaire de droits garantis par l’article
2 de la Convention, (...) dans la présente affaire, (...) l’interruption
(...) de grossesse a été pratiquée conformément
à l’article 5 de la loi no 194 de 1978 », celle-ci ménageant
un juste équilibre entre les intérêts de la femme et la
nécessité d’assurer la protection du fœtus (décision
Boso précitée).
80. Il ressort de ce rappel jurisprudentiel que dans les circonstances examinées
par les organes de la Convention à ce jour, à savoir les législations
régissant l’avortement, l’enfant à naître n’est
pas considéré comme une « personne » directement bénéficiaire
de l’article 2 de la Convention et que son « droit » à
la « vie », s’il existe, se trouve implicitement limité
par les droits et les intérêts de sa mère. Les organes de
la Convention n’excluent toutefois pas que, dans certaines circonstances,
des garanties puissent être admises au bénéfice de l’enfant
non encore né ; c’est ce que paraît avoir envisagé
la Commission lorsqu’elle a considéré que « l’article
8 § 1 ne peut s’interpréter comme signifiant que la grossesse
et son interruption relèvent, par principe, exclusivement de la vie privée
de la mère » (Brüggemann et Scheuten précité,
pp. 138-139, § 61), ainsi que la Cour dans la décision Boso précitée.
Il résulte, par ailleurs, de l’examen de ces affaires que la solution
donnée procède toujours de la confrontation de différents
droits ou libertés, parfois contradictoires, revendiqués par une
femme, une mère ou un père, entre eux, ou vis-à-vis de
l’enfant à naître.
2. Approche en l’espèce
81. La singularité de la présente affaire place le débat
sur un autre plan. La Cour est en présence d’une femme qui entendait
mener sa grossesse à terme et dont l’enfant à naître
était pronostiqué viable, à tout le moins en bonne santé.
Cette grossesse a dû être interrompue à la suite d’une
faute commise par un médecin et la requérante a donc subi un avortement
thérapeutique à cause de la négligence d’un tiers.
La question est dès lors de savoir si, hors de la volonté de la
mère agissant dans le cas d’une interruption volontaire de grossesse,
l’atteinte au fœtus doit être pénalement sanctionnée
au regard de l’article 2 de la Convention, en vue de protéger le
fœtus au titre de cet article. Elle suppose au préalable de se pencher
sur l’opportunité pour la Cour de s’immiscer dans le débat
lié à la détermination de ce qu’est une personne
et quand commence la vie, dans la mesure où cet article dispose que la
loi protège « le droit de toute personne à la vie ».
82. Comme cela découle du rappel jurisprudentiel effectué ci-dessus,
l’interprétation de l’article 2 à cet égard
s’est faite dans un souci évident d’équilibre, et
la position des organes de la Convention, au regard des dimensions juridiques,
médicales, philosophiques, éthiques ou religieuses de la définition
de la personne humaine, a pris en considération les différentes
approches nationales du problème. Ce choix s’est traduit par la
prise en compte de la diversité des conceptions quant au point de départ
de la vie, des cultures juridiques et des standards de protection nationaux,
laissant place à un large pouvoir discrétionnaire de l’Etat
en la matière qu’exprime fort bien l’avis du Groupe européen
d’éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès
de la Commission européenne : « Les instances communautaires doivent
aborder ces questions éthiques en tenant compte des divergences morales
et philosophiques reflétées par l’extrême diversité
des règles juridiques applicables à la recherche sur l’embryon
humain (...). Il serait non seulement juridiquement délicat d’imposer
en ce domaine une harmonisation des législations nationales mais, du
fait de l’absence de consensus, il serait également inopportun
de vouloir édicter une morale unique, exclusive de toutes les autres
» (paragraphe 40 ci-dessus).
Il en résulte que le point de départ du droit à la vie
relève de la marge d’appréciation des Etats dont la Cour
tend à considérer qu’elle doit leur être reconnue
dans ce domaine, même dans le cadre d’une interprétation
évolutive de la Convention, qui est « un instrument vivant, à
interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles
» (voir l’arrêt Tyrer c. Royaume-Uni du 25 avril 1978, série
A no 26, pp. 15-16, § 31, et la jurisprudence ultérieure). Les raisons
qui la poussent à ce constat sont, d’une part, que la solution
à donner à ladite protection n’est pas arrêtée
au sein de la majorité des Etats contractants, et en France en particulier,
où la question donne lieu à débat (paragraphe 83 ci-dessous),
et, d’autre part, qu’aucun consensus européen n’existe
sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie
(paragraphe 84 ci-dessous).
83. La Cour observe que la Cour de cassation française, par trois arrêts
consécutifs rendus en 1999, 2001 et 2002 (paragraphes 22 et 29 ci-dessus),
a considéré que le principe de la légalité des peines
et des délits – qui impose une interprétation stricte de
la loi pénale – empêche que les faits reprochés en
cas d’atteinte mortelle au fœtus puissent entrer dans les prévisions
de l’article 221-6 du code pénal réprimant l’homicide
involontaire « d’autrui ». En revanche, si à la suite
d’une faute involontaire la mère accouche d’un enfant vivant
qui décède peu de temps après sa naissance, l’auteur
pourra être condamné pour homicide involontaire sur la personne
du nouveau-né (paragraphe 30 ci-dessus). La première solution,
en contradiction avec celle de plusieurs cours d’appel (paragraphes 21
et 50 ci-dessus), fut interprétée comme une invitation faite au
législateur à combler un vide juridique ; ce fut également
la position du tribunal correctionnel en l’espèce : « Le
tribunal (...) ne peut créer le droit sur une question que [le législateur
n’a] pu définir encore ». Le législateur français
a esquissé une telle définition, en proposant la création
d’un délit d’interruption involontaire de grossesse (paragraphe
32 ci-dessus), proposition de loi qui a échoué face aux craintes
et incertitudes qu’une telle incrimination pouvait susciter à l’égard
de la détermination du début de la vie, et aux inconvénients
jugés supérieurs aux avantages de cette nouvelle incrimination
(paragraphe 33 ci-dessus). Par ailleurs, la Cour note que, simultanément
au constat répété de la haute juridiction selon lequel
l’article 221-6 du code pénal n’est pas applicable au fœtus,
le législateur français est en passe de réviser les lois
de bioéthique de 1994, qui avaient inséré dans le code
pénal des dispositions relatives à la protection de l’embryon
humain (paragraphe 25 ci-dessus), et qui nécessitaient un nouvel examen
face aux progrès de la science et des techniques (paragraphe 34 ci-dessus).
De cet aperçu, il ressort qu’en France la nature et le statut juridique
de l’embryon et/ou du fœtus ne sont pas définis actuellement
et que la façon d’assurer leur protection dépend de positions
fort variées au sein de la société française.
84. Au plan européen, la Cour observe que la question de la nature et
du statut de l’embryon et/ou du fœtus ne fait pas l’objet d’un
consensus (paragraphes 39 et 40 ci-dessus), même si on voit apparaître
des éléments de protection de ce/ces dernier(s), au regard des
progrès scientifiques et des conséquences futures de la recherche
sur les manipulations génétiques, les procréations médicalement
assistées ou les expérimentations sur l’embryon. Tout au
plus peut-on trouver comme dénominateur commun aux Etats l’appartenance
à l’espèce humaine ; c’est la potentialité
de cet être et sa capacité à devenir une personne, laquelle
est d’ailleurs protégée par le droit civil dans bon nombre
d’Etats comme en France, en matière de succession ou de libéralités,
mais aussi au Royaume-Uni (paragraphe 72 ci-dessus), qui doivent être
protégées au nom de la dignité humaine sans pour autant
en faire une « personne » qui aurait un « droit à la
vie » au sens de l’article 2. La Convention d’Oviedo sur les
droits de l’homme et la biomédecine se garde d’ailleurs de
définir le terme de personne et le rapport explicatif indique que, faute
d’unanimité sur la définition, les Etats membres ont choisi
de laisser au droit interne le soin d’apporter les précisions pertinentes
aux effets de l’application de cette convention (paragraphe 36 ci-dessus).
Il en est de même du Protocole additionnel prohibant le clonage humain
et du Protocole relatif à la recherche biomédicale qui ne définissent
pas le concept d’être humain (paragraphes 37 et 38 ci-dessus). Il
n’est pas enfin sans intérêt de noter la possibilité
pour la Cour d’être saisie en application de l’article 29
de la Convention d’Oviedo pour donner des avis relatifs à l’interprétation
de cette convention.
85. Quant à ce qui précède, la Cour est convaincue qu’il
n’est ni souhaitable ni même possible actuellement de répondre
dans l’abstrait à la question de savoir si l’enfant à
naître est une « personne » au sens de l’article 2 de
la Convention. Quant au cas d’espèce, elle considère qu’il
n’est pas nécessaire d’examiner le point de savoir si la
fin brutale de la grossesse de Mme Vo entre ou non dans le champ d’application
de l’article 2, dans la mesure où, à supposer même
que celui-ci s’appliquerait, les exigences liées à la préservation
de la vie dans le domaine de la santé publique n’ont pas été
méconnues par l’Etat défendeur. La Cour s’est en effet
demandé si la protection juridique offerte par la France à la
requérante, par rapport à la perte de l’enfant à
naître qu’elle portait, satisfaisait aux exigences procédurales
inhérentes à l’article 2 de la Convention.
86. A cet égard, elle observe qu’en l’absence de statut juridique
clair de l’enfant à naître, celui-ci n’est pas pour
autant privé de toute protection en droit français. Toutefois,
dans les circonstances de l’espèce, la vie du fœtus était
intimement liée à celle de sa mère et sa protection pouvait
se faire au travers d’elle. Il en allait particulièrement ainsi
dès lors qu’aucun conflit de droit n’existait entre la mère
et le père, pas plus qu’entre l’enfant à naître
et ses parents, mais que la perte du fœtus résultait de la négligence
involontaire d’un tiers.
87. Dans la décision Boso précitée, la Cour a estimé
que, à supposer même que le fœtus puisse être considéré
comme étant titulaire de droits protégés par l’article
2 de la Convention (paragraphe 79 ci-dessus), la loi italienne relative à
l’interruption volontaire de grossesse ménageait un juste équilibre
entre les intérêts de la femme et la nécessité d’assurer
la protection de l’enfant à naître. En l’espèce,
l’objet du litige concerne l’atteinte mortelle involontaire de l’enfant
à naître, contre la volonté de la mère, et au prix
d’une souffrance toute particulière de celle-ci ; force est de
constater que leurs intérêts se confondaient. Dès lors,
il appartient à la Cour d’examiner, sous l’angle de la question
du caractère adéquat des voies de recours existantes, la protection
dont la requérante disposait pour faire valoir la responsabilité
du médecin dans la perte de son enfant in utero et pour obtenir réparation
de l’interruption de sa grossesse qu’il lui a fallu subir. La requérante
allègue que seul un recours de nature pénale eût été
à même de satisfaire aux exigences de l’article 2 de la Convention.
La Cour ne partage pas ce point de vue pour les raisons suivantes.
88. La Cour rappelle que la première phrase de l’article 2, qui
se place parmi les articles primordiaux de la Convention en ce qu’il consacre
l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques
qui forment le Conseil de l’Europe (McCann et autres c. Royaume-Uni, arrêt
du 27 septembre 1995, série A no 324, pp. 45-46, § 147), impose
à l’Etat non seulement de s’abstenir de donner la mort «
intentionnellement », mais aussi de prendre les mesures nécessaires
à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (voir
par exemple L.C.B. c. Royaume-Uni, arrêt du 9 juin 1998, Recueil des arrêts
et décisions 1998-III, p. 1403, § 36).
89. Ces principes s’appliquent aussi dans le domaine de la santé
publique. Les obligations positives impliquent la mise en place par l’Etat
d’un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux, qu’ils
soient privés ou publics, l’adoption de mesures propres à
assurer la protection de la vie des malades. Il s’agit également
d’instaurer un système judiciaire efficace et indépendant
permettant d’établir la cause du décès d’un
individu se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé,
tant ceux agissant dans le cadre du secteur public que ceux travaillant dans
des structures privées, et le cas échéant d’obliger
ceux-ci à répondre de leurs actes (Powell c. Royaume-Uni (déc.),
no 45305/99, CEDH 2000-V ; Calvelli et Ciglio, arrêt précité,
§ 49).
90. Si le droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers
ne saurait être admis en soi (arrêt Perez c. France [GC], no 47287/99,
§ 70, CEDH 2004-I), la Cour a maintes fois affirmé qu’un système
judiciaire efficace tel qu’il est exigé par l’article 2 peut
comporter, et dans certaines circonstances doit comporter, un mécanisme
de répression pénale. Toutefois, si l’atteinte au droit
à la vie ou à l’intégrité physique n’est
pas volontaire, l’obligation positive découlant de l’article
2 de mettre en place un système judiciaire efficace n’exige pas
nécessairement dans tous les cas un recours de nature pénale.
Dans le contexte spécifique des négligences médicales,
« pareille obligation peut être remplie aussi, par exemple, si le
système juridique en cause offre aux intéressés un recours
devant les juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant
les juridictions pénales, aux fins d’établir la responsabilité
des médecins en cause et, le cas échéant, d’obtenir
l’application de toute sanction civile appropriée, tels le versement
de dommages-intérêts et la publication de l’arrêt.
Des mesures disciplinaires peuvent également être envisagées
» (Calvelli et Ciglio précité, § 51 ; Lazzarini et
Ghiacci c. Italie (déc.), no 53749/00, 7 novembre 2002 ; voir également
l’arrêt Mastromatteo c. Italie [GC], no 37703/97, § 90, CEDH
2002-VIII).
91. En l’espèce, en plus de la poursuite du médecin pour
blessures involontaires sur la personne de la requérante qui se solda
certes par l’amnistie de la contravention, dont la requérante ne
se plaint pas, celle-ci disposait de la possibilité d’engager une
action en responsabilité contre l’administration à raison
de la faute alléguée du médecin hospitalier (voir Kress
c. France [GC], no 39594/98, §§ 14 et suivants, CEDH 2001-VI). Par
ce moyen, la requérante aurait eu droit à une audience contradictoire
sur le fond de ses allégations de faute (Powell, décision précitée,
p. 459) et à obtenir, le cas échéant, réparation
de son préjudice. Une demande d’indemnisation au juge administratif
avait des chances sérieuses de succès et la requérante
aurait pu obtenir la condamnation du centre hospitalier au versement de dommages-intérêts.
Cela résulte du constat clair auquel avaient abouti les expertises judiciaires
(paragraphe 16 ci-dessus) en 1992, soit avant que l’action ne soit prescrite,
sur le dysfonctionnement du service hospitalier en cause et la négligence
grave du médecin, laquelle selon la cour d’appel (paragraphe 21
ci-dessus) ne traduisait cependant pas une méconnaissance totale des
principes les plus élémentaires et des devoirs de sa mission qui
l’aurait rendue détachable du service.
92. L’argument de la prescription de l’action en responsabilité
administrative invoqué par la requérante ne saurait prospérer
aux yeux de la Cour. A cet égard, elle rappelle sa jurisprudence selon
laquelle le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès
constitue un aspect particulier, n’est pas absolu et se prête à
des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité
d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation
par l’Etat, lequel jouit à cet égard d’une certaine
marge d’appréciation (voir, parmi d’autres, l’arrêt
Brualla Gómez de la Torre c. Espagne du 19 décembre 1997, Recueil
1997-VIII, p. 2955, § 33). Parmi ces restrictions légitimes, figurent
les délais légaux de prescription qui, selon la Cour, dans les
affaires d’atteinte à l’intégrité de la personne,
ont « plusieurs finalités importantes, à savoir garantir
la sécurité juridique en fixant un terme aux actions, mettre les
défendeurs potentiels à l’abri de plaintes tardives peut-être
difficiles à contrer, et empêcher l’injustice qui pourrait
se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer
sur des événements survenus loin dans le passé à
partir d’éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus
ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé
» (Stubbings et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre 1996,
Recueil 1996-IV, pp. 1502-1503, § 51).
93. En l’espèce, un délai de prescription de quatre ans
ne lui semble pas, en tant que tel, excessivement court et ce d’autant
plus ici, vu la gravité du dommage ressenti par la requérante
et sa volonté immédiate de poursuivre le médecin. Cependant,
il ressort du dossier que le choix de la requérante se porta délibérément
vers la juridiction pénale sans qu’elle fût, semble-t-il,
jamais éclairée sur la possibilité de saisir la juridiction
administrative. Certes, le législateur a étendu récemment
ce délai à dix ans dans le cadre de la loi du 4 mars 2002 (paragraphe
28 ci-dessus). Il l’a fait dans le but d’unifier les délais
de prescription des actions en réparation quelle que soit la juridiction
compétente, administrative ou judiciaire. Cela permet de tenir compte
de l’évolution générale d’un système
de plus en plus favorable aux victimes de fautes médicales dont la voie
administrative apparaît à même de répondre au souci
d’équilibre entre la prise en considération du dommage qu’il
faut réparer et la « judiciarisation » à outrance
des responsabilités pesant sur le corps médical. La Cour n’estime
cependant pas que cette nouvelle réglementation puisse faire regarder
l’ancien délai de quatre ans comme trop bref.
94. En conclusion, la Cour dit que, dans les circonstances de l’espèce,
l’action en responsabilité pouvait passer pour un recours efficace
à la disposition de la requérante. Ce recours, qu’elle n’a
pas en l’occurrence engagé auprès des juridictions administratives,
aurait permis d’établir la faute médicale dont elle se plaignait
et de garantir dans l’ensemble la réparation du dommage causé
par la faute du médecin, et les poursuites pénales ne s’imposaient
donc pas en l’espèce.
95. Partant, à supposer même que l’article 2 de la Convention
trouve application en l’espèce (paragraphe 85 ci-dessus), la Cour
conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la
Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Joint au fond, à l’unanimité, les exceptions du Gouvernement
tirées de l’incompatibilité ratione materiae de la requête
avec les dispositions de la Convention et du défaut d’épuisement
des voies de recours internes et les rejette ;
2. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable
;
3. Dit, par quatorze voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation
de l’article 2 de la Convention.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique
au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 8 juillet 2004.
Publications
:
RSC 2005 p. 135, F. Massias,
RTDciv
2004, p. 799, note Marguenaud, p. 714 note J. Hauser,
E. Serverin, réparer ou punir ? ... D. 2004 p. 2801