Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 31 janvier 1996 Rejet

Sur les faits :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, en début de matinée, au centre hospitalier universitaire de Tours, 9 personnes se sont introduites dans la salle d'intervention du service d'orthogénie et se sont enchaînées au sol par les chevilles et par le cou à l'aide d'antivols de motocyclette ; que les lieux ont été libérés en début d'après-midi, après que les services de police furent parvenus à faire ôter les entraves sans risque de blessures ; que pendant ce temps, un communiqué de presse était diffusé, faisant état d'une opération menée " pour sauver avant leur naissance des enfants dont la mort est programmée " ;
Que les membres du groupe sont poursuivis pour entrave à interruption volontaire de grossesse, délit réprimé par l'article L. 162-15 du Code de la santé publique, résultant de la loi du 27 janvier 1993 ; qu'ils ont, par l'arrêt attaqué, été déclarés coupables de cette infraction, laquelle est exclue, par son article 25, 23°, du bénéfice de la loi du 3 août 1995 portant amnistie ;
En cet état : (…)
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 122-7 du Code pénal, L. 162-1 à L. 162-15 du Code de la santé publique, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de légitime défense et d'état de nécessité invoquée par les 9 prévenus et les a déclarés coupables d'entrave au fonctionnement régulier d'un service IVG ;
" alors que, aux termes de l'article 122-7 nouveau du Code pénal, n'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ; que ce texte d'application générale ne peut souffrir aucune exclusion ; qu'il est incontestable qu'un enfant conçu entre dans les prévisions de ce texte ; que, dès lors, en se présentant le 18 novembre 1993 pour protester silencieusement contre les interruptions volontaires de grossesse programmées pour la journée et tenter de sauver les enfants conçus voués à la destruction comme s'il s'agissait d'un simple déchet et en s'entravant dans les locaux du CHU, les prévenus qui ont, sans disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace pesant sur autrui, accompli un acte nécessaire à la sauvegarde d'autrui ou d'un bien n'ont pas commis l'infraction qui leur est reprochée ; qu'il s'ensuit que la déclaration de culpabilité est illégale " ;

Attendu que les prévenus ont soutenu que l'entrave à l'interruption volontaire de grossesse était justifiée pour sauvegarder l'enfant à naître d'une atteinte à sa vie ;
Attendu qu'en écartant ce fait justificatif, la cour d'appel n'a pas encouru le grief allégué ;
Qu'en effet, l'état de nécessité, au sens de l'article 122-7 du Code pénal, ne saurait être invoqué pour justifier le délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse, dès lors que celle-ci est autorisée, sous certaines conditions, par la loi du 17 janvier 1975 ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
(…)
REJETTE les pourvois.
Publication : Bulletin criminel 1996 N° 57 p. 147
Semaine Juridique, 1996-10-23, n° 43, p. 409, note A. DORSNER-DOLIVET